Réf. : Cass. civ. 3, 24 juin 2021, n° 20-12.170, F D (N° Lexbase : A40914XS)
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par Juliette Mel, Docteur en droit, Avocat associé, Rome Associés, Chargée d’enseignements à l’UPEC et PARIS Saclay, Responsable de la commission Marchés de Travaux, Ordre des avocats
le 01 Juillet 2021
► Le dommage évolutif, comme le dommage futur est réparable sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs si le critère de gravité décennale est rempli dans le délai de dix ans ;
► il faut donc que le maître d’ouvrage puisse prouver que le degré de gravité décennal était atteint dans ce délai.
Le délai décennal est un délai d’épreuve et un délai d’action. En tant que délai d’action, il doit être valablement interrompu, par exemple par une citation en justice, dans le délai de dix ans suivant la réception de l’ouvrage. En tant que délai d’épreuve, les conditions de l’engagement de la responsabilité civile décennale des constructeurs doivent, également, survenir dans le délai décennal. La condition de gravité n’y fait pas obstacle.
Cette double exigence s’accommode mal avec la garantie des dommages futurs, lesquels, pour reprendre les exigences posées par le droit commun, sont des dommages qui vont survenir de façon certaine, dans leur gravité décennale, dans le futur. Autrement dit, à la date de l’interruption du délai décennal, le critère de gravité n’est pas rempli mais il le sera de façon certaine un jour. Toute la question est donc de savoir si ce « jour » doit survenir dans le délai décennal, ce qui serait alors une limitation par rapport au droit commun.
La réponse est, comme le confirme l’arrêt rapporté, positive.
Le dommage futur est réparable sur le fondement de la responsabilité décennale des constructeurs à deux conditions. Il doit, d’une part, être dénoncé dans le délai d’épreuve décennal et, d’autre part, revêtir la gravité décennale dans le délai décennal. La jurisprudence est désormais bien établie (V. pour exemple, Cass. civ. 3, 8 octobre 2003, n° 01-17.868, FS-P+B+I N° Lexbase : A7162C97 ou, plus récemment, Cass. civ. 3, 20 avril 2017, n° 17-23.190, FS-P+B+I N° Lexbase : A5429YES ; Cass. civ. 3, 18 mars 2021, n° 19-20.710, F-D N° Lexbase : A88264LH).
Mais, qu’en est-il pour les dommages évolutifs ?
En l’espèce, des maîtres d’ouvrage confient à un entrepreneur individuel la construction de leur maison. Des désordres de fissurations apparaissent après la réception. Le constructeur et son assureur sont assignés, après expertise, devant les juges du fond sur le fondement de la responsabilité civile décennale prévue aux articles 1792 (N° Lexbase : L1920ABQ) et suivants du Code civil. La cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 7 novembre 2019 (CA Nîmes, 7 novembre 2019, n° 18/01442 N° Lexbase : A1966ZUD), considère que le phénomène de fissuration, évolutif et généralisé, constitue un risque ou une menace quant à la pérennité de l’immeuble, ce qui suffit pour établir que les désordres présentent de façon certaine le degré de gravité décennale dès lors que le maître d’ouvrage les a bien dénoncés dans le délai décennal.
L’assureur forme un pourvoi en cassation aux termes duquel il articule, principalement, qu’il n’est démontré, avec certitude, que le critère de gravité décennal soit atteint dans le délai éponyme. L’affirmation de l’expert selon laquelle « les désordres constatés et significatifs d’un problème de sensibilité hydrique des sols, touchent à la structure de l’ouvrage et pourraient le compromettre, à terme » serait insuffisante.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Le phénomène de fissuration évolutive généralisée, tant intérieure qu’extérieure, dénoncé par le maître d’ouvrage pendant le délai décennal, touchait à la structure même de l’ouvrage.
La Cour de cassation confirme bien que le désordre évolutif observe le même régime que le dommage futur (V. J. Mel, Le désordre évolutif : chronique d’une mort annoncée, Lexbase Droit privé, octobre 2018, n° 758 N° Lexbase : N5964BX8).
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