La lettre juridique n°494 du 19 juillet 2012 : Procédure pénale

[Evénement] L'avenir du Parquet français au regard des contraintes constitutionnelles et conventionnelles

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par Claire Leibovitch, SGR - Droit processuel

le 01 Août 2012

Le statut du Parquet est un sujet complexe, qui a donné lieu à de nombreux débats et à une importante jurisprudence. Chacun sait que les décisions de la Cour de Strasbourg ne sont pas sans influence sur les évolutions législatives et jurisprudentielles internes. Aussi, en condamnant le manque d'indépendance du Parquet à l'égard du pouvoir exécutif, la Cour européenne des droits de l'Homme a déclenché un véritable "cataclysme" au sein de la communauté juridique. Polémiques, prises de positions en tout genre, il semble que les acteurs juridiques aient déjà leur avis sur la question.

Afin de clarifier et de mieux comprendre les enjeux d'une éventuelle évolution du statut du Parquet, le colloque organisé avec le Parquet général de la Cour de cassation, le 11 juin 2012, à la Cour de cassation, sur le statut constitutionnel du Parquet, a permis de faire un point sur la jurisprudentielle actuelle, et sur la pertinence d'une modification éventuelle du statut constitutionnel du Parquet.

Dans un premier temps, Ariana Macaya, ATER, Mathilde Heitzmann-Hieaux, doctorante contractuelle et Stella Thanou, doctorante de l'Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris 1, sont revenues sur l'évolution jurisprudentielle relative au statut du Parquet.

Puis, dans un second temps, une réflexion s'est organisée sur une éventuelle modification du statut et des fonctions du Parquet, sous la présidence de Bertrand Mathieu, Directeur du Centre de recherche en droit constitutionnel, et auquel ont participé Jean Barthélemy, Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, Jacques Beaume, Président de la Conférence nationale des Procureurs généraux, Robert Gelli, Président de la Conférence nationale des Procureurs de la République, Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil constitutionnel, Christian Raysseguier, Premier avocat général à la Cour de cassation et membre du Conseil supérieur de la magistrature, Dominique Rousseau, Professeur à l'Ecole de droit de la Sorbonne - Université Paris 1, ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature, et Daniel Soulez-Larivière, avocat, par intervention écrite.

Présentes à cette occasion, les éditions juridiques Lexbase vous proposent de retrouver un compte-rendu de ce colloque.

1. Etat des lieux de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme sur le statut et la fonction du Parquet français

L'année 2010 a été marquée par la publication d'un arrêt majeur de la Cour européenne des droits de l'Homme, affirmant que la Parquet ne peut être considéré comme une autorité judiciaire, au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4786AQC) (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03, "Medvedyev c/ France" N° Lexbase : A2353EUP). Quelle a été l'influence de cette qualification sur la jurisprudence interne qui s'efforce, depuis plusieurs années, de définir les contours du statut et des fonctions de ce magistrat ? L'évolution de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg est, en effet, susceptible de remettre en cause le statut et les fonctions du Parquet français.

Au fil des années, le statut des autorités judiciaires a constitué l'une des préoccupations majeures de la Cour européenne des droits de l'Homme. Cette dernière a, dès 1982, mis l'accent sur la confiance indispensable que les tribunaux doivent inspirer au public. Plus récemment, elle a mis en exergue la règle d'intérêt général consistant à maintenir la confiance des citoyens, l'indépendance et la neutralité politique des autorités de poursuite.

Dans cet esprit, la Cour européenne des droits de l'Homme a ainsi remis en cause le statut et les fonctions exercées par les membres du Parquet, au regard, notamment, du respect des principes d'impartialité et d'indépendance.

Dans le cadre de cette jurisprudence, la principale référence normative est l'article 5 § 1 et 3, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, paragraphes qui, selon la jurisprudence conventionnelle, forment un tout. La notion d'autorité judiciaire compétente, qui figure à l'article 5 § 1 de la Convention, renvoie à la notion de juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires.

Cette notion est également étroitement liée à celle de tribunal impartial et indépendant prévue à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR).

La Cour européenne des droits de l'Homme prend donc progressivement en compte la théorie des apparences pour l'interprétation de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, théorie développée dans le cadre de l'article 6 dudit texte.

Il est ainsi possible de constater une certaine évolution jurisprudentielle de l'approche faite par la Cour européenne des droits de l'Homme dans la définition qu'elle confère à l'autorité judiciaire.

Cette notion est, tout d'abord, considérée comme autonome, ce qui signifie que la Cour européenne des droits de l'Homme n'est pas liée par les notions et définitions que les autorités nationales y attachent. Ensuite, la Cour européenne des droits de l'Homme a une approche des fonctions et du statut du Parquet évolutive, puisqu'elle passe d'un examen in concreto à un examen in abstracto. Elle n'examine plus, par exemple, si dans l'affaire qui lui est soumise, la réception d'instructions de l'exécutif met en danger l'indépendance du magistrat ; elle va davantage examiner son statut et son rôle, tels qu'ils se dégagent des textes.

La Cour européenne des droits de l'Homme concentre ainsi la critique sur le statut du Parquet français autour de deux axes : le manque d'indépendance fonctionnelle et organique.

C'est dans ce contexte qu'à partir de 2008, la Cour va définir le statut et les fonctions du Parquet français.

L'affaire "Medvedyev", portant sur la mise en détention des membres de l'équipage d'un navire intercepté en haute mer, va ainsi donner lieu à deux arrêts (CEDH, 10 juillet 2008, Req. 3394/03 N° Lexbase : A5462D98 et CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03, précité). Dans le cadre de son examen de l'article 5 § 3 de la Convention, elle déclare, dans sa décision du 10 juillet 2008, que le Procureur de la République n'est pas une autorité judiciaire, au sens que la Cour donne à cette notion. Il lui manque, en particulier, l'indépendance à l'égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié.

L'arrêt de 2010 confirme cette approche, bien que la portée de la remise en cause soit moins directe. Ainsi, si la Cour européenne des droits de l'Homme affirme, de manière plus ou moins explicite, que le Parquet n'est pas une autorité judiciaire, au sens conventionnel, elle conclut, cependant, à l'absence de violation de l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, en ce que le requérant a été conduit devant le juge de l'instruction dans un délai raisonnable, eu égard aux circonstances de l'espèce.

La décision du 23 novembre 2010 (CEDH, 23 novembre 2010, Req. 37104/06 N° Lexbase : A7244GKI) va permettre de clarifier la position de la Cour de Strasbourg. L'affaire portait sur le placement en garde à vue d'une personne qui alléguait une violation de l'article 5 § 3 de la Convention, en raison de sa détention durant cinq jours avant une présentation devant un juge, au sens conventionnel du terme. Cette fois-ci, la Cour européenne des droits de l'Homme a, de manière très détaillée, défini le statut constitutionnel du Parquet français, suivant une approche in abstracto. Elle s'intéresse alors aux dispositions pertinentes de la Constitution, du Code de procédure pénale, mais également de l'ordonnance relative au statut de la magistrature. Elle se focalise, en outre, sur certaines particularités du Parquet français, notamment, sur le lien hiérarchique existant entre le Parquet et le Garde des Sceaux, sur l'indivisibilité du ministère public, et sur les règles régissant les nominations des magistrats.

Dans un premier temps, la Cour condamne un certain nombre de dépendances organiques du Parquet. Elle considère qu'en raison de leur dépendance hiérarchique à l'égard du Garde des Sceaux "les membres du ministère public en France ne remplissent pas l'exigence d'indépendance à l'égard de l'exécutif".

Dans un second temps, en mettant en cause l'absence d'indépendance fonctionnelle du Parquet, la Cour rappelle que les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties excluent, notamment, qu'ils puissent agir, par la suite, contre le requérant dans la procédure.

La portée de la remise en cause du statut et des fonctions du Parquet doit, néanmoins, être mise en perspective. En effet, dans les deux cas d'espèce, la Cour de Strasbourg n'est amenée à se prononcer que sous l'angle des dispositions de la Convention, et dans le domaine du contrôle juridictionnel de la garde à vue.

Deux positions semblent se distinguer au sein de la jurisprudence nationale : la position du Conseil constitutionnel, d'une part, qui réaffirme sa position sur le statut du Parquet comme une autorité judiciaire, au sens des articles 64 (N° Lexbase : L0893AHK) et 66 (N° Lexbase : L0895AHM) de la Constitution, et celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, d'autre part, qui semble, en tant que juge de la conventionalité des lois, aligner sa jurisprudence sur les critères dégagés par la Cour de Strasbourg, pour considérer que les membres du Parquet ne peuvent pas être qualifiés de magistrats habilités par la loi à exercer des fonctions judiciaires, au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Si, de prime d'abord, ces deux positions paraissent contradictoires, la différence de nature du contrôle exercé par chacune des juridictions, esquisse la possibilité d'une articulation des deux positions.

Par une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent pour contrôler la conventionalité des lois. Néanmoins, compte tenu de l'équivalence substantielle des normes de référence, la jurisprudence de Strasbourg n'est pas sans incidence sur la jurisprudence constitutionnelle.

L'introduction du contrôle de constitutionnalité a posteriori avec la question prioritaire de constitutionnalité ne change pas cet équilibre, mais il a quand même pu donner une occasion au Conseil constitutionnel de prendre position, de manière indirecte, sur la remise en question du statut du Parquet, tel qu'il se dégage des arrêts "Medvedyev" et "Moulin".

En effet, affirmer que le Parquet n'est pas un magistrat habilité à exercer les fonctions judiciaires, au sens de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, devient un argument au service des requérants, qui mettent en doute la constitutionnalité de la garde à vue à la française et soumise au contrôle du ministère public.

Dans une première décision relative à la garde à vue, le Conseil constitutionnel ne répond pas directement à cette problématique. Il réaffirme, que les autorités judiciaires comprennent à la fois, les magistrats du siège et du Parquet, pour considérer, ensuite, que l'intervention du magistrat du siège n'est requise pour la prolongation de la garde à vue qu'à l'issue des premières 48 heures. Avant la fin de cette période, selon le Conseil constitutionnel, le déroulement de la garde à vue peut être placé sous le contrôle du Procureur. Le Conseil constitutionnel applique ainsi une jurisprudence traditionnelle sur l'unité de l'autorité judiciaire, jurisprudence qu'il fonde sur les articles 64 et 66 de la Constitution. Cette jurisprudence traditionnelle a été esquissée à l'occasion de l'examen de différents textes normatifs qui ont fait évoluer la définition et les caractéristiques de l'autorité judiciaire.

A la différence du Conseil constitutionnel, la Cour de cassation réalise un contrôle de conventionalité de la loi. Elle est donc amenée à se prononcer sur la compatibilité de la législation interne avec les exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

La Cour de cassation semblait s'aligner, dans un premier temps, sur la jurisprudence constitutionnelle. Cependant, par la suite, elle prend acte des arrêts "Medvedyev" et "Moulin" et modifie sa jurisprudence, à partir de l'année 2010. Ainsi, dans une décision du 15 décembre 2010 (Cass. crim., 15 décembre 2010, n° 10-83.674, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1815GNK), la Chambre criminelle de la Cour de cassation affirme que le Parquet n'est pas une autorité judiciaire, au sens de l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, eu égard à sa subordination hiérarchique, et à son cumul de fonctions, notamment, d'autorité d'instruction et de poursuite.

Toutefois, lorsque la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne se place plus dans le cadre du contrôle de la conventionalité, mais participe au contrôle de constitutionnalité en tant que juge de la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité, elle paraît s'aligner sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel. En effet, saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité qui mettait en cause la compatibilité des articles 696-11 (N° Lexbase : L9779IPU) et 696-23 (N° Lexbase : L9781IPX) du Code de procédure pénale avec l'article 66 de la Constitution, la Haute juridiction conclut au caractère non sérieux de la question, en considérant qu'"il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet" (Cass. QPC, 7 juin 2011, n° 11-90.034, F-D N° Lexbase : A8456HTD).

En définitive, l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, dans le cadre du contrôle de la conventionalité de la loi, semble assez contrastée avec le maintien de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, cité par la Chambre criminelle, dans le cadre de la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité.

Une articulation entre les différentes positions jurisprudentielles semble, néanmoins, être possible.

Il faut, tout d'abord, noter la différence de nature entre les contrôles réalisés et l'angle de référence utilisé par les différents juges.

Si les juges ordinaires font une référence explicite à l'article 5 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, c'est parce qu'ils effectuent un contrôle de conventionalité, contrôle pour lequel le Conseil constitutionnel se considère incompétent. L'article 5 § 3 de la Convention n'est donc pas une norme de référence pour le Conseil constitutionnel.

Parallèlement, la Chambre criminelle de la Cour de cassation reprend la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l'article 66 de la Constitution, lorsqu'elle participe au contrôle de constitutionnalité a posteriori.

Il serait donc possible de lier la différence de qualification du Parquet au recours à des normes de référence distincte qui donne lieu à des notions également différentes, celle de juge ou autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires de l'article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, et celle de magistrat appartenant à l'autorité judiciaire, issue de l'interprétation des articles 64 et 66 de la Constitution par le Conseil constitutionnel.

L'expression "autorité judiciaire" peut donc recouvrir des réalités diverses.

De même, s'il existe une différence sur la qualification du Parquet, le juge judiciaire et le juge constitutionnel retiennent la même conception du rôle du Parquet, notamment, sur le contrôle de la garde à vue.

Ainsi, malgré le fait que la Cour de cassation ne considère plus le Parquet comme une autorité judiciaire, au sens conventionnel, elle admet, néanmoins, que celui-ci puisse jouer un rôle dans la protection de la liberté individuelle et conclut, d'ailleurs, à la conformité des mesures relatives à la garde à vue dans lesquelles il intervient.

De même, pour le Conseil constitutionnel, s'il maintient la qualification du Parquet comme autorité judiciaire, il n'exclut pas, pour autant, la nécessité d'une intervention postérieure du magistrat du siège, au-delà d'un certain temps.

Ainsi, face aux convergences mais aussi aux divergences entre les différentes jurisprudences constitutionnelles et conventionnelles, le débat sur le statut et le rôle du Parquet reste ouvert.

Une modification de son statut est-elle nécessaire, voire opportune ? Faudrait-il passer outre la transformation du régime de la garde à vue et reconsidérer le statut et le rôle du Parquet français dans son ensemble ? Voici quelques unes des questions qui restent soumises au débat.


2. Une évolution du statut et des fonctions des membres du Parquet est-elle à envisager ?

Si, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, relayée par les médias, porte, le plus souvent, sur le statut du Parquet, la question de ses fonctions est tout aussi essentielle et elle est, d'ailleurs, comme le rappelle Bertrand Mathieu, au coeur du sujet -le statut du Parquet étant largement conditionné par ses fonctions-.

La réflexion sur l'avenir du Parquet soulève, ainsi, plusieurs questions : comment permettre au Parquet d'être à la fois l'autorité qui engage les poursuites et celle qui garantit la liberté individuelle ? Faut-il retirer au Parquet le rôle de garant des libertés individuelles ? Faut-il dissocier ses fonctions d'autorité de poursuite et de garant des libertés individuelles ? Faut-il redéfinir la notion de partie au procès ? Dans le cadre de la séparation des pouvoirs, le Parquet, tout en appartenant à l'autorité judiciaire, peut-il être considéré comme une interface entre les pouvoirs politique et juridictionnel ?


  • La concordance des jurisprudences européennes et constitutionnelles sur le statut du Parquet

La lecture de la jurisprudence amène à s'interroger : une évolution du statut du Parquet est-elle réellement nécessaire ou cette jurisprudence n'est-elle que le résultat de choix politiques ?

Loin d'être contradictoires, Marc Guillaume constate que les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l'Homme et celles du Conseil constitutionnel sont, en réalité, pleinement concordantes. Pour la Cour européenne des droits de l'Homme, les membres du Parquet ne sont pas des magistrats appartenant à l'autorité judiciaire, et pour le Conseil constitutionnel, bien que le Parquet appartienne à l'autorité judiciaire, la protection des libertés individuelles appelle, néanmoins, une intervention rapide du juge du Siège. Ainsi, dans une décision en date du 21 octobre 2011, les juges de la rue de Montpensier ont précisé que "le ministère public n'est pas dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou de la partie civile" (Cons. const., décision n° 2011-190 QPC du 21 octobre 2011 N° Lexbase : A7832HYQ) et ils ont affirmé, dans plusieurs décisions, que "si l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et du Parquet, l'intervention d'un magistrat du siège est requise pour la prolongation de la garde à vue au-delà de quarante-huit heures (Cons. const., décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010 N° Lexbase : A1872GNN).

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg, grâce à l'intervention de la Cour de cassation, est donc pleinement respectée, et le contrôle de constitutionnalité est assuré par le Conseil constitutionnel.

La réflexion sur l'éventuelle réforme du statut du Parquet porte, en réalité, sur deux axes : il s'agirait soit de retirer au Parquet tout rôle dans la protection des libertés individuelles ou bien de réformer le statut du Parquet, afin que lui soit attribué progressivement le même statut que celui des magistrats du Siège.

Selon Marc Guillaume, le débat devrait porter sur l'interrogation suivante : "comment faire vivre l'idée que le Parquet n'est pas une partie comme les autres ?"

Si le Parquet n'est, effectivement, pas une partie comme les autres, Jean Barthélemy fait remarquer, qu'il n'en reste pas moins une partie, et à ce titre, il existe une certaine égalité des droits entre les parties.

Cependant, ne serait-ce que parce qu'il est chargé de l'application de la loi, le Parquet n'est pas une partie comme les autres. D'autant que l'exercice de l'action publique demeure une prérogative de la puissance publique. En effet, loin de n'être qu'une simple partie au procès, Christian Raysseguier précise que le Parquet est aussi une autorité garante de l'Etat de droit et en tant qu'autorité publique, il joue un rôle déterminant pour l'équilibre des pouvoirs.

Le Parquet n'est pas non plus une partie comme les autres, puisqu'il détient l'ensemble des pouvoirs attribués à l'officier de police judiciaire.

Retirer aux membres du Parquet son rôle de garant des libertés individuelles ôterait, par ailleurs, à notre dispositif, un échelon intermédiaire, celui du Parquet. En effet, selon la jurisprudence même de la Cour européenne des droits de l'Homme, l'intervention d'un magistrat du siège n'est obligatoire qu'après les premières 48 heures de garde à vue. Ecarter le Parquet conduirait, paradoxalement, à éliminer un filtre supplémentaire apporté par notre système.

La directive 2012/13/UE, du Parlement européen et du Conseil en date du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales, prévoit, elle aussi, à l'article 4, alinéa 2, d, que "la déclaration de droits [...] contient [...] le nombre maximal d'heures ou de jours pendant lesquels les suspects ou les personnes poursuivies peuvent être privés de liberté avant de comparaître devant une autorité judiciaire". En conséquence, elle prévoit la consécration d'un système au sein duquel il existe un espace de plusieurs jours entre le moment de l'arrestation et celui de la présentation devant un magistrat du siège. L'intervention du Parquet dans les premières 48 heures de la garde à vue est donc tout à fait légitime.

De même, dans la culture même du Traité de l'Union européenne, Christian Raysseguier fait remarquer que l'article 19 (N° Lexbase : L2119IP8) précise que "les juges et les avocats généraux de la Cour de justice et les juges du Tribunal sont choisis parmi des personnalités offrant toutes garanties d'indépendance". "L'avocat général a pour rôle de présenter publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l'Union européenne, requièrent son intervention" (TFUE, art. 252 N° Lexbase : L2565IPP). C'est dire que le droit européen n'éprouve aucune difficulté à reconnaître, aux côtés du juge, le statut particulier du Parquet et son indépendance.


  • Le Parquet, objet d'instructions générales et personnelles : un manque d'indépendance avéré ?

Le Code de procédure pénale prévoit la possibilité pour le Garde des Sceaux de donner à la chaîne hiérarchique du Parquet, des instructions, générales et personnelles, rappelle Jacques Beaume.

Les instructions générales sont une réponse à la nécessité de maintenir une égalité de traitement des citoyens sur l'ensemble du territoire national, elles sont une nécessité pour l'image et la cohérence de la Justice.

Les instructions individuelles sont prévues par le Code de procédure pénale ; elles sont donc encadrées d'une transparence et de tout un ensemble de mécanisme qui les rend moins suspectes qu'à une certaine époque. Pour autant, se pose la question de leur validité dans la mesure où il s'agit d'une preuve matérielle de l'immixtion du pouvoir dans une affaire individuelle de justice.

Dans leur majorité, les Procureurs sont très circonspects sur le maintien des instructions individuelles parce que, même si, en pratique, il y en a très peu, il s'agit davantage d'un problème de principe. Faut-il supprimer toutes ces instructions individuelles ? La tentation est grande de répondre par l'affirmative, mais c'est oublier que des nécessités peuvent justifier que le Gouvernement doit enjoindre la réalisation de certains actes pour le bien du dossier.

Pour les Procureurs, ce bloc statutaire paraît devoir s'accompagner d'un bloc "procédural". Autrement dit, il est nécessaire que les missions procédurales du ministère public complète la structure statutaire qui est la leur. Tout d'abord, leur indépendance statutaire les rend légitime à être le juge de l'action publique, les juges de la poursuite. Ensuite, le ministère public a souffert d'une banalisation au fil des réformes procédurales, et il a été remis en cause comme porteur de l'intérêt général, et ce, de deux manières. D'une part, il a dû faire avec la multiplication de concurrents dans l'exercice de l'action publique. D'autre part, la banalisation du ministère public comme accessoire de la victime, a ramené les Procureurs au rang de partie. Pourtant, ce n'est pas au ministère public qu'il incombe d'être attentif à la victime, mais à la Justice, en tant qu'institution judiciaire. Le ministère public, en effet, n'est pas le porte-parole des intérêts d'une partie. Le discours prédominant selon lequel le Parquet serait le représentant de la victime, appauvrit les Procureurs dans leur valeur de défense de l'intérêt général et les ramène ainsi au rang de victime comme les autres. Enfin, c'est un équilibre supplémentaire qui doit être donné à la procédure pénale, pour permettre au ministère public de ne pas être l'accusateur mais également le porteur d'une enquête avec, certes, des voies de coercition, mais également, avec un contrôle du respect des libertés individuelles.

Cependant, Bertrand Mathieu interroge : l'instruction individuelle ne peut-elle pas être motivée par l'intérêt général ? Dans l'opinion publique, relayée par les presse, il y a cette idée de dépendance du Procureur à l'égard du pouvoir exécutif. Ainsi, la question se pose de savoir si les Procureurs sont réellement l'objet d'instructions individuelles et s'il existe une vraie mise en cause de l'indépendance des Procureurs par le pouvoir politique ?

Pourquoi les Procureurs de la République ont-ils éprouvé le besoin de prendre part au débat collectif et de lancer un appel solennel ? Robert Gelli fait remarquer que ce n'est peut être pas parce qu'il recevait des instructions individuelles, mais parce que le ministère public a considérablement été "brouillé" par plusieurs choses, par des modifications textuelles, mais surtout, par des pratiques et certains propos qui ont pu être tenus. Ainsi, l'ancienne Garde des Sceaux de dire "je suis le chef des Procureurs", et de contribuer à créer un brouillard dans la perception que les citoyens peuvent avoir du Procureur de la République. Les conséquences de cette suspicion se traduisent au quotidien par des mises en causes et des soupçons, souvent à tort, à l'égard des décisions prises par les Procureurs, qui seraient nécessairement le résultat d'une instruction émise par le pouvoir politique.

De même, les propos tenus par la Cour européenne des droits de l'Homme, selon lesquels le Parquet ne serait pas une autorité judiciaire, en ce qu'il manque d'indépendance par rapport à l'exécutif, produit des conséquences néfastes sur la confiance des citoyens à l'égard de la Justice. En effet, si le ministère est effectivement une autorité poursuivante, il ne se réduit pas à cette fonction. Il ne faudrait pas oublier un peut trop rapidement que la première mission du ministère public consiste à faire appliquer la loi de manière la plus objective qui soit, dans le cadre de ses missions de direction et de contrôle de l'enquête. Le Procureur est, avant tout, une personne responsable.

La conférence des Procureurs de la République n'a ainsi, à aucun moment, imaginé remettre en cause l'organisation hiérarchique du Procureur, pour deux raisons principales. Tout d'abord, la vocation première du Procureur de la République est aussi de mettre en oeuvre les politiques pénales qui sont décidées par le pouvoir central ou le Gouvernement. Ensuite, la seule autorité légitime pour donner ses instructions générales est l'autorité qui a été élue.

Jacques Beaume insiste, pour sa part, sur la nécessité que la Cour européenne des droits de l'Homme intègre que la phase d'enquête n'est pas une phase judiciaire, mais une phase partiellement judiciaire, qui nécessite des précautions que le ministère public est capable d'assumer. La phase d'enquête n'est donc pas comparable au procès au sein duquel les droits de la défense ou du contradictoire sont absolus, nécessaires et permanents.


  • Les débats sur l'avenir du Parquet au sein de la Conférence national des Procureurs généraux

Jacques Beaume, en sa qualité de Président de la Conférence nationale des Procureurs généraux, explique que les débats sont assez vifs au sein de ladite Conférence et qu'il est difficile d'en faire ressortir une pensée unique.

S'agissant des nominations, la Conférence nationale des Procureurs généraux s'est prononcée une seule fois expressément sur cette question. Elle a considéré que la nomination des membres du ministère public devrait passer par un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Il est tout de même possible de dégager quelques idées communes à la Conférence nationale des Procureurs généraux.

Tout d'abord, les Procureurs généraux sont profondément attachés à leur qualité de magistrat et à l'ensemble des missions qui sont, aujourd'hui, les leurs. Ils sont également très attachés à leur participation aux politiques publiques de prévention de la délinquance, sous les réserves et retenues qui leur incombent.

S'agissant du bloc statutaire, c'est-à-dire ce qui relève du mode de nomination des magistrats du ministère public, la position de la Conférence se résume à l'avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

La problématique n'est pas, pour autant, résolue, et il reste à savoir, s'il faut se diriger vers un alignement complet des modes de nomination des magistrats du Parquet et des magistrats du Siège. Il pourrait être tentant de répondre par l'affirmative. Cependant, la réalité est bien plus complexe, notamment, parce que les Procureurs généraux restent attachés à leur ralliement à la puissance publique. De sorte que les aligner, purement et simplement, sur la profession du juge serait un renoncement à la conception du ministère public à la française. Ainsi, est-il possible de concevoir, plutôt, un pouvoir de proposition du Garde des Sceaux ? Il semblerait que cette solution soit majoritairement admise au sein de la Conférence. La contre-partie à un tel pouvoir de proposition serait, toutefois, une grande transparence (contrôle médiatique, politique, technique).

En outre, une autre question se pose spécifiquement pour les Procureurs généraux quant à leur nomination au Conseil des ministres. Ce rattachement à l'institution politique fait l'objet d'un débat très dense au sein de la Conférence.


  • La nécessité de réformer un statut ambigu

Selon Daniel Soulez-Lerivière, l'unité du corps judiciaire devient un handicap pour l'institution judiciaire elle-même, elle floute l'image des juges aux yeux du public, qui lui, ne s'y retrouve pas. On reste ainsi dans la problématique de l'unité judiciaire, et de cette revendication d'une indépendance impossible, et le débat s'asphyxie. Cette pensée était certainement partagée par Dominique Rousseau avant son passage au Conseil supérieur de la magistrature, lui qui souhaitait la fin de l'unité du corps judiciaire et que les membres du Parquet deviennent des fonctionnaires. Cependant, sa réflexion a évolué. Il concède que le statut constitutionnel du Parquet doit indéniablement évoluer, mais ce changement ne doit pas passer par la fin de l'unité du corps judiciaire.

L'ensemble des discussions a fait apparaître une ambiguïté incontestable sur le statut du Parquet : il est à la fois une partie, mais pas une partie comme les autres ; il est garant de la protection des libertés individuelles, mais au-delà des premières 48 heures de garde à vue, un magistrat du Siège doit intervenir. A cet égard, d'ailleurs, Jean Barthélemy interroge : "le ministère public a-t-il réellement un rôle de protection des libertés individuelles, dans sa mission de contrôle de privation de liberté ? Ne faudrait il pas modifier son statut ? N'y a-t-il pas là un problème de visibilité, qu'il conviendrait de résoudre ?"

Pour Dominique Rousseau, si cette ambiguïté a permis au Parquet de se développer, elle a, aujourd'hui, atteint ses limites et elle existe, désormais, au détriment du respect des principes constitutionnels d'intelligibilité et de lisibilité du système par la société.

Pour toutes ces raisons, il apparaît nécessaire de réformer le statut constitutionnel du Parquet et de sortir de cette ambiguïté.

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