La lettre juridique n°856 du 4 mars 2021 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] La Cour de cassation redynamise le contentieux de l’exclusion d’un associé

Réf. : Cass. civ. 1, 3 février 2021, n° 16-19.691, FS-P (N° Lexbase : A01944GB)

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne, Avocat associé CMS Francis Lefebvre Avocats

le 03 Mars 2021


Mots-clefs : Jurisprudence • avocat • associé • exclusion

La décision prise abusivement par une assemblée générale d'exclure un avocat associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l'annulation.


 

L’arrêt rendu par la première Chambre civile de la Cour de cassation le 3 février 2021, destiné à publication au Bulletin, intéressera tout associé ayant fait l’objet d’une mesure d’exclusion ou susceptible d’être visé par une telle mesure. Allons plus loin : la Cour de cassation va redynamiser le contentieux de l’exclusion d’un associé en fournissant des armes à l’exclu. Précisons d’emblée que la solution formulée, relative à l’associé d’une société d’avocat, n’est aucunement limitée aux sociétés de professionnels.

Toute l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt se déroule sur l’année 2013, qui avait été manifestement difficile pour l’un des avocats associés au sein d’une SELAS parisienne bien connue. En arrêt maladie depuis le 6 février 2013, il informait la société le 29 août de son intention de quitter le cabinet, puis adressait le 1er octobre 2013 sa démission à effet au 31 décembre suivant. Une « assemblée générale extraordinaire » était convoquée au titre de cette démission, mais elle ne statuait pas sur celle-ci. En revanche, une délibération du 25 novembre 2013 prononçait l’exclusion de l’associé, en application des statuts, au titre d'une incapacité d'exercice professionnel pendant une période cumulée de neuf mois au cours d'une période totale de douze mois.

Le Bâtonnier de l'Ordre des avocats au barreau de Paris était saisi par l’associé exclu d'une demande d'arbitrage portant sur des rappels de rétrocession d'honoraires depuis 2008 et sur l'octroi de dommages-intérêts. En appel, la cour saisie du litige rejetait la demande de dommages-intérêts et refusait d’annuler la résolution ayant prononcé l’exclusion.

La question des dommages-intérêts est tranchée par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi en renvoyant sur ce point au pouvoir souverain des juges du fond. La décision commentée n’apporte donc rien à cet égard. En revanche, l’arrêt est beaucoup plus intéressant en ce qu’il censure la décision d’appel sur un autre point.

L’assemblée générale de la SELAS avait prononcé l’exclusion de l’avocat associé et la cour d’appel saisie du litige avait considéré que cette décision avait un « caractère abusif ». Pour autant, elle avait refusé d’annuler la résolution correspondante et elle avait jugé que l’avocat concerné pouvait seulement demander des dommages-intérêts, à la condition de démontrer le préjudice causé par la décision litigieuse. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur ce point, mais il convient d’abord d’identifier l’abus en cause (I). On pourra alors préciser la sanction de l’abus (II) et s’interroger sur le sens et la portée de la solution retenue (III).

I - L’abus en cause

La cour d’appel avait retenu l’existence d’un « abus », tenant au fait que l’assemblée avait été convoquée pour prendre acte de la démission de l’avocat associé et que l’exclusion qui avait été finalement prononcée par cette assemblée « était motivée par la volonté de résister à ses prétentions financières ». L’associé réclamait le paiement d’une rémunération de plus de 600 000 euros au titre de l’année 2013 et l’on comprend à la lecture des moyens annexés à l’arrêt que les statuts prévoyaient une remise en cause de certains droits pécuniaires de l’associé en cas d’exclusion. On comprend donc qu’il y a eu un détournement de la procédure d’exclusion, même si l’on ne saisit pas parfaitement dans quelle mesure l’exclusion plaçait la société en position plus favorable pour résister aux demandes de l’associé.

Il faut ici rappeler ce que la jurisprudence entend lorsqu’elle évoque l’abus du droit d’exclure un associé. Le terme ne se limite pas à l’abus de droit impliquant une intention de nuire, comme l’a précisé la Cour de cassation elle-même (Cass. com., 14 novembre 2018, n° 16-24.532, F-D N° Lexbase : A8005YL3, RJDA 12/19, n° 753). Est plus largement visé le non-respect de la procédure d’exclusion ou l’insuffisance des motifs retenus, étant précisé que le juge vérifie la gravité des motifs d’exclusion retenus et n’accepte pas de voir son pouvoir limité au seul contrôle de la régularité de la procédure d’exclusion (Cass. com., 21 octobre 1997, n° 95-13891 N° Lexbase : A1823ACI, Bull. IV, n° 281 ; RJDA 1/98, n° 67).

II - La sanction de l’abus

La cour d’appel avait donc retenu le caractère abusif de la décision d’exclusion, mais elle avait jugé que cela n’ouvrait droit qu’à des dommages-intérêts, et elle avait rejeté la demande d’annulation de la résolution ayant prononcé l’exclusion de l’associé ainsi que la demande en paiement de sa rémunération. L’associé exclu reprochait à la cour d'appel une violation des dispositions des articles 1832 (N° Lexbase : L2001ABQ) et 1833 (N° Lexbase : L8681LQL) du Code civil. La Cour de cassation lui donne satisfaction sur ce point et elle prononce une cassation partielle de l’arrêt d’appel, en formulant un attendu de principe intéressant.

Notons immédiatement que la Cour de cassation enrichit le visa d’un article du Code civil que le demandeur au pourvoi n’avait aucunement invoqué. Il se prévalait assez curieusement des seuls articles 1832 et 1833 du Code civil. Le premier texte étant relatif aux éléments constitutifs du contrat de société ou de l’acte juridique unilatéral constituant une société, le lien avec la problématique de l’exclusion n’apparaît que si on lit l’article 1832 comme formulant la garantie de conserver ses droits d’associé sans en être exclu de manière irrégulière. L’article 1833, curieusement visé sans la précision selon laquelle c’était la rédaction applicable en 2013 qui devait être prise en compte, exige que la société ait un objet social licite (ce qui est étranger au débat) et qu’elle soit constituée dans l’intérêt commun des associés (ce qui l’est moins). L’ajout opéré par la loi PACTE (loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 N° Lexbase : L3415LQK) et relatif à l’intérêt social élargi est quant à lui tout à la fois hors sujet et sans doute inapplicable à l’affaire.

La Cour de cassation vise non seulement les deux textes que l’on vient d’évoquer, mais elle ajoute - sans le signaler particulièrement - un troisième texte : l’article 1844-10, alinéa 3 du Code civil (N° Lexbase : L8683LQN). C’est d’ailleurs sur ce texte (dont il faut relever incidemment qu’il devrait céder le pas à l’article L. 235-1 du Code de commerce N° Lexbase : L8612LQZ s’agissant des SELAS, puisque ces sociétés sont des SAS régies par les dispositions du Livre II du Code de commerce, aux termes de l’article 1er de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990) qu’elle fonde l’attendu de principe qu’elle formule.

L’article 1844-10, alinéa 3 du Code civil dispose que « La nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre [, à l'exception du dernier alinéa de l'article 1833,] ou de l'une des causes de nullité des contrats en général ». Le passage entre crochets a été ajouté par la loi « PACTE » du 22 mai 2019 (N° Lexbase : L3415LQK) et n’était donc pas applicable, vraisemblablement, à l’affaire, sauf à considérer que le législateur n’a fait que formaliser une règle préexistante. La Cour de cassation, comme pour l’article 1833, ne précise pas quelle version du texte est appliquée.

Indépendamment de ces curiosités, on retiendra surtout que la Cour de cassation déduit de l’article 1844-10, alinéa 3 du Code civil que « la décision prise abusivement par une assemblée générale d’exclure un associé affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l’annulation ».

III - Le sens et la portée de la solution édictée par la Cour de cassation

L’arrêt a manifestement été voulu comme une décision créatrice de droit. Il n’est curieusement « que » publié au Bulletin. Par les textes visés et l’absence de toute référence au droit spécial des sociétés d’avocats, on comprend qu’il entend enrichir le droit commun des sociétés. On est donc invité à donner à la solution retenue la portée la plus large. Malheureusement, ladite solution est formulée de manière un peu trop rapide pour que toutes ses implications apparaissent clairement. Il est dommage que la nouvelle rédaction des arrêts de la Cour de cassation, dont il est indiqué par le site de la Cour qu’elle permet d’offrir aux arrêts les plus importants une « motivation développée (enrichie) », n’ait pas été mise en œuvre.

Ce qui est le plus certain, car c’était là la situation soumise à la Cour de cassation, c’est que si une assemblée exclut un associé en commettant un détournement de la procédure d’exclusion, cette assemblée encourt la nullité. Mais même cette solution doit être prise avec précaution, car un élément est mentionné par l’arrêt commenté, dont on ne sait précisément quel a été son impact. L’assemblée, qui a prononcé l’exclusion, « avait été convoquée pour prendre acte de la démission ». Cela signifie-t-il que cette assemblée a statué sur un ordre du jour qui n’était pas celui sur lequel elle avait été convoquée ? Dans les moyens annexés à l’arrêt, il est indiqué que la convocation à l’assemblée litigieuse visait l’article des statuts relatif aux causes d’exclusion, et le non-respect de l’ordre du jour n’est pas explicitement relevé par l’arrêt. C’est donc plutôt une forme de fraude qui était reprochée à l’assemblée ayant prononcé l’exclusion.

Il demeure que l’arrêt ne mentionne pas la fraude mais le fait, plus largement, que la décision d’exclusion ait été « prise abusivement ». Sont donc concernées par la solution de nombreuses hypothèses. Mais la formule retenue signifie-t-elle que la moindre irrégularité de forme ou de fond dans l’exclusion d’un associé justifie « par elle-même », pour reprendre les mots de l’arrêt, l’annulation des décisions prises ? Une telle approche serait d’ailleurs assez discutable au regard de l’article 1844-10, alinéa 3 du Code civil qui subordonne l’annulation des actes ou délibérations des organes de la société à « la violation d’une disposition impérative du [titre du Code civil sur la société] (…) ou de l’une des causes de nullité des contrats en général ». Si la fraude qui corrompt tout peut être rattachée à la seconde source de nullité, il n’en va pas ainsi de toute irrégularité dans l’exclusion d’un associé.

Il est aussi un peu curieux d’ouvrir largement la porte à la nullité à rebours du droit des sociétés tel que résultant de l’article L. 235-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L8612LQZ)… applicable aux sociétés par actions et donc aux SELAS et de manière assez peu convergente avec la position de la Chambre commerciale (v. Cass. com., 13 janvier 2021, n° 18-21.860, F-P N° Lexbase : A72374CZ, cassant un arrêt d’appel pour avoir annulé des décisions sociétaires « sur le seul fondement de la contrariété des délibérations litigieuses à l'intérêt social, sans caractériser une violation aux dispositions légales s'imposant aux sociétés commerciales ou des lois régissant les contrats, ni relever l'existence d'une fraude ou d'un abus de droit commis par un ou plusieurs associés »).

Il est certain qu’en adoptant cette formule très large (v. supra, I § 2), la Cour de cassation va donner des armes à tout associé qui a fait l’objet d’une décision d’exclusion et qui entend la contester. Lorsqu’un associé aura fait l’objet d’une mesure d’exclusion, la plus petite irrégularité qu’il pourra identifier lui servira ainsi à contester la validité de son éviction. On pressent déjà les contentieux que l’arrêt commenté favorisera : un retard dans la convocation d’un associé, pas nécessairement l’associé exclu, ou bien une différence même légère entre les motifs d’exclusion annoncés et ceux finalement retenus fonderont une demande d’annulation des délibérations.

L’arrêt évoque les assemblées, mais les décisions d’exclusion prises par les autres organes de la société doivent être également concernées par la solution. La nullité édictée par l’article 1844-10, al. 3 du Code civil n’est pas limitée aux résolutions des assemblées d’associés.

Dernière interrogation : la portée de la sanction de nullité. On a compris que la décision d’exclusion prise abusivement par une assemblée « affecte par elle-même la régularité des délibérations de cette assemblée et en justifie l’annulation ». Mais cela signifie-t-il que toutes les résolutions adoptées par cette assemblée sont nulles ? La formule retenue le laisse penser. Il est vrai que si l’exclusion prive l’associé de la possibilité de participer aux autres délibérations de l’assemblée que celle relative à son exclusion, l’annulation des décisions prises sans la participation de l’exclu ne surprendrait pas… à la condition qu’elle ait été sollicitée par l’associé exclu (sur cette délicate question, v. déjà Cass. civ. 2, 26 septembre 2013, n° 12-23.129, F-D N° Lexbase : A9484KLT, Gaz. Pal., 17-19 nov. 2013, p. 33, obs. B. Dondero). La perspective d’une annulation en chaîne rend la solution formulée par la Cour de cassation encore plus redoutable.

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