Lexbase Fiscal n°855 du 25 février 2021 : Fiscalité locale

[Jurisprudence] Du caractère industriel d’un entrepôt (ou de la machine par trop au service de l’homme)

Réf. : CAA de Lyon, 21 janvier 2021, n° 18LY03110 (N° Lexbase : A40874DQ)

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 23 Février 2021


L’entrepôt exploité à Sevrey par la société Amazone France Logistique SAS revêt un caractère industriel au sens de l’article 1499 du CGI (N° Lexbase : L0268HMU). Cette qualité se déduit des éléments suivants, aisément dégagés par la CAA de Lyon le 21 janvier 2021 : l’activité nécessite des moyens techniques importants et le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre – y compris pour les besoins d’une autre activité – est prépondérant.


 

Le contentieux naît lorsque l’administration estime que l’entrepôt situé à Sevrey revêt un caractère industriel ; les bâtiments et aménagements doivent alors, selon elle, être évalués selon la méthode comptable prévue à l’article 1499 du CGI [1]. Cela emporte assujettissement de la société Amazone France Logistique SAS à des compléments de cotisation foncière des entreprises (années 2013, 2014, 2015) pour un montant de 1 391960 euros (droits et pénalités).

La société en question – qui fournit des prestations logistiques à la société Amazone (commerce de vente de détail par internet) – exerce une activité de stockage de marchandises ; elle assure encore une activité de préparation des colis ayant vocation à être expédiés aux clients. La requérante soutient que l’entrepôt n’est pas un établissement industriel au sens de l’article 1499 du CGI au regard des moyens techniques et de l’outillage utilisés. Ces derniers ne seraient pas d’une importance suffisante et ne seraient pas prépondérants dans son activité. Saisi, le tribunal administratif de Dijon rejette la demande de la société Amazone France Logistique SAS (TA Dijon, 29 juin 2018, n° 1701584). La cour administrative d’appel de Lyon – dans la décision ici commentée – confirme le jugement.

Pour ce faire, la cour administrative d’appel de Lyon cogite longuement sur le caractère – ou non – industriel de l’entrepôt. Elle s’appuie sur deux principales observations : des « moyens techniques importants », un « système informatique particulièrement évolué ». Il est parfois des mots d’importance dans une décision quand bien même ils sont présumés anodins ; ici, la cour administrative d’appel de Lyon pratique l’art du « nonobstant »… L’entrepôt Amazone France Logistique SAS revêt un caractère industriel car il comprend des moyens techniques importants « nonobstant [2] le fait qu’ils ne représentaient selon les années que 14 à 37% de la valeur totale des constructions hors terrain ». L’entrepôt Amazone France Logistique SAS revêt un caractère industriel car il nécessite l’usage permanent d’un système informatique particulièrement évolué « Nonobstant [3] le fait que toutes les commandes soient préparées par des salariés ».

Partant en quête du critère des moyens techniques importants, la cour administrative d’appel de Lyon s’arrête sur la nature, la structure et le fonctionnement de l’entrepôt au centre du litige. Doté d’une surface de 38208 mètres carrés, divisé en six cellules, comprenant 205 emplacements colis et 500700 références traitées, pourvu de douze quais de réception et de seize quais de chargement, ledit entrepôt utilise – pour les besoins de l’activité – un nombre d’appareils impressionnants. Que l’on juge : 53 appareils de levage et de motricité dont 13 transpalettes manuels, 26 transpalettes ciseaux, 8 transpalettes électriques, 2 gerbeurs, 2 transpalettes peseurs, 1 chariot frontal, 1 charriot à mat rétractable, 1 installation de triage sur quais avec 18 chutes, 3 lignes de pèse et de direction connectées au système de tri, des chariots élévateurs filoguidés à même de stocker des chaussures et vêtements sur cintres sur des racks de 8 à 9 mètres de hauteur. De cette longue liste d’éléments, la cour administrative d’appel de Lyon déduit ce qui lui semble relever de l’évidence : les moyens techniques utilisés par Amazone France Logistique SAS sont importants, ce qui tend à conférer à l’entrepôt un caractère industriel et à lui appliquer le régime issu de l’article 1499 du CGI. La CAA de Lyon retient l’importance des moyens techniques usités alors même (cf. « nonobstant » supra) que ces derniers représentent seulement entre 14 et 37 % (en fonction des années retenues) de la valeur totale des constructions hors terrain.

Partant ensuite en quête du critère du rôle prépondérant des moyens techniques, matériels et outillages mis en œuvre, la cour administrative d’appel de Lyon opère de longs développements dédiés à la nature du système informatique, qualifié de « particulièrement évolué ». Décryptant le fonctionnement quotidien de la machine Amazon, le juge opère en quelque sorte un balancement des intérêts en présence : quid du facteur informatique au regard du facteur humain ? Or, dernier semble être pris dans les rets d’une inévitable dépendance fonctionnelle. Que l’on songe au système de scannage permettant le stockage de différents types de produits sur une même étagère : cela emporte optimisation de la capacité de stockage, facilite l’identification par le personnel des articles lors de la préparation des commandes, permet l’identification ultérieure de la localisation de chaque article stocké pour la préparation de la commande. Loin d’être subsidiaire comme le soutient la société requérante, l’aide apportée par les outils informatiques s’avère fondamentale, pour ne pas dire indispensable. N’est-ce pas grâce à de tels instruments que les risques de confusions sont considérablement amoindris ? Ces mécanismes n’évitent-ils pas de confondre plusieurs produits proches d’apparence ? Il est des questions qui comportent leur propre réponse. Cela est a fortiori vrai lorsque la cour administrative d’appel de Lyon constate que « l’opérateur ne choisit pas seul l’emplacement du produit à stocker ». En effet, le système informatique empêche un opérateur de réaliser une action si ce dernier tente de stocker – par erreur – à un même endroit des articles de format et de nature comparable.

Ce n’est rien d’autre que la dépendance de l’humain envers la machine – acmé d’une civilisation technicienne dénoncée jadis notamment par Ellul – que la CAA de Lyon constate. Rôle prépondérant des moyens techniques, matériels et outillages il y a dans la mesure où la préparation des commandes implique « l’usage permanent d’un système informatique particulièrement évolué ». Ce n’est donc pas seulement la sophistication avérée du système informatique qui mérite d’être prise en compte mais également le degré de dépendance de l’humain dans la confection des tâches à réaliser. Or, cette dépendance prend la forme de la permanence ; par la négative, le fonctionnement de l’entrepôt ne serait en rien identique à défaut d’une utilisation permanente de ce système informatique « particulièrement évolué ». Il suffit de préciser que l’emballage et l’étiquetage des produits font aussi l’objet d’une assistance informatique ; surtout, l’acheminement des colis est opéré de « manière totalement [4] automatisée ».

La requérante affirme certes – pour récuser le critère de la dimension prépondérante des moyens techniques, matériels et outillages - que les « moyens humains sont prépondérants ». La cour administrative d’appel de Lyon – pour ne pas adouber une telle assertion – réalise une analyse économique centrée autour de la notion de productivité ; plus précisément, elle apprécie le nombre de commandes préparées et le nombre de colis expédiés par jour… au regard du nombre de salariés. Il appert que la société Amazone France Logistique SAS expédie en moyenne – durant les périodes visées – 150 colis par jour et par salarié. Cela correspond à « environ un colis toutes les trois minutes », productivité forte s’il en est. Or, estime le juge, « une telle productivité ne serait pas rendue possible sans ces installations et équipements techniques ».

À l’aune de ces différents éléments, l’intense activité au sein de l’entrepôt et la productivité qui en découle impliquent l’existence « d’importants moyens techniques » ; cela signifie encore que le rôle des moyens techniques, matériels et outillages s’avère « prépondérant ». S’il était besoin d’affermir son propos, la cour administrative d’appel de Lyon a recours, une ultime fois, à la théorie du nonobstant : un tel raisonnement doit d’évidence prévaloir « nonobstant la circonstance que les charges d’exploitation relatives à ces installations et équipements ne représenteraient que 5 % environ du total des charges d’exploitation tandis que les charges de personnel et d’intérim représenteraient environ 70% de ce même total ». Concluant, le juge réitère que c’est à bon droit que l’administration fiscale a qualifié d’industriel l’entrepôt de la société Amazone France Logistique SAS ; cette qualification emporte application de l’article 1499 du CGI.


[1] La valeur locative des immobilisations industrielles passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties est déterminée en appliquant au prix de revient de leurs différents éléments, revalorisé à l'aide des coefficients (2) qui avaient été prévus pour la révision des bilans, des taux d'intérêt.

Avant application éventuelle de ces coefficients, le prix de revient des sols et terrains est majoré de 3 % pour chaque année écoulée depuis l'entrée du bien dans le patrimoine du propriétaire.

Les taux d'intérêt mentionnés au premier alinéa sont égaux à :
1° 4 % pour les sols et terrains ;
2° 6 % pour les constructions et installations.
Sont appliqués au taux d'intérêt mentionné au 2°, les taux d'abattement suivants :
a) 25 % en ce qui concerne les biens acquis ou créés avant le 1er janvier 1976 ;
b) 33,33 % en ce qui concerne les biens acquis ou créés à partir de cette date.

Une déduction complémentaire est, en outre, accordée à certaines catégories d'établissements en raison de leur caractère exceptionnel, apprécié d'après la nature des opérations qui y sont faites ; ces catégories d'établissements sont déterminées par un décret en Conseil d'Etat qui fixe également les limites et conditions d'application de la déduction (5).

(2) CGI, art. 21 de l'annexe III (N° Lexbase : L6503HLG).

(5) CGI, art. 310 K de l'annexe II (N° Lexbase : L1493HNM).

Conformément au IV, A de l'article 29 de la loi n° 2020-1721, du 29 décembre 2020, de finances pour 2021 (N° Lexbase : L3002LZ9) ces dispositions s'appliquent aux impositions établies à compter de 2021.

[2] Par nous souligné.

[3] Par nous souligné.

[4] Par nous souligné.

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