La lettre juridique n°489 du 14 juin 2012 : Responsabilité médicale

[Panorama] Panorama de responsabilité médicale (février 2012 - mai 2012)

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N2384BTH

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 14 Juin 2012

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver le panorama de responsabilité civile médicale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Droit médical", consacrée à l'actualité parue de novembre 2011 à février 2012. En matière de responsabilité médicale, on relèvera, entre autres, l'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 17 février 2012, ayant retenu l'absence de faute de prise en charge et de soins d'un centre hospitalier spécialisé en raison de l'agression dont s'est rendu responsable un patient en hôpital de jour (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 334766, publié au recueil Lebon) ; ou encore un arrêt du 22 mars 2012, par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation a retenu que caractérise la perte de chance d'avoir pu échapper, en tout ou partie, au dommage qui s'est finalement réalisé, le constat du caractère fautif de l'absence de contention après traitement qui impliquait nécessairement que la contention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-10.935, F-P+B+I) ; s'agissant plus spécifiquement des infections nosocomiales, à noter également un arrêt du 17 février 2012 ayant précisé que la force majeure qui exonère l'hôpital de sa responsabilité en matière d'infection nosocomiale s'entend d'une circonstance extérieure à l'activité hospitalière, ce qui n'est pas le cas de la réanimation (CE 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 342366, mentionné dans les tables du recueil Lebon) ; s'agissant des produits de santé, il ressort de trois arrêts rendus par le Conseil d'Etat que les dommages causés par l'utilisation des produits de santé sont soumis au régime de la responsabilité sans faute, et non au régime applicable aux produits défectueux de la Directive 85/374 du 25 juillet 1985 (CE, 5° et 4° s-s-r., 12 mars 2012 n° 327449 ; CE, 5° et 4° s-s-r., 14 mars 2012, n° 324455 ; CE, 5° et 4° s-s-r., 24 avril 2012, n° 331967). A noter, enfin, en matière de solidarité nationale, un autre arrêt du Conseil d'Etat du 17 février 2012, précisant que le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaques antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 331277, mentionné dans les tables du recueil Lebon). 1. Responsabilité médicale

1.1. Responsabilité pour faute

  • Absence de faute de prise en charge et de soins d'un centre hospitalier spécialisé en raison de l'agression dont s'est rendu responsable un patient en hôpital de jour (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 334766, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8524ICP ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0539ERE)

Les faits. Un patient âgé de 17 ans, qui faisait l'objet d'un suivi médical en hôpital de jour au centre hospitalier de Brive la Gaillarde en raison de troubles psychiques, a grièvement blessé sa mère lors d'une crise de démence. Les parents ont alors agi en responsabilité civile contre l'établissement, mais ont été déboutés de leurs demandes tant par le tribunal administratif de Limoges que par la cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, 1ère ch., 15 octobre 2009, n° 08BX00922, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7774ET4). Ils n'auront pas plus de succès devant le Conseil d'Etat qui rejette leur recours en annulation et écarte toute faute de l'établissement, après avoir mis à l'écart deux régimes de responsabilité sans faute fondés sur le risque et la garde.

Détermination du régime applicable. Les faits étant antérieurs au 5 septembre 2001, date d'application des articles L. 1142-1 et suivants du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH), il y avait lieu d'appliquer le droit commun de la responsabilité administrative.

Eviction de la responsabilité pour risque spécial. En premier lieu, le Conseil d'Etat confirme une solution dégagée autrefois pour l'hospitalisation libre selon laquelle les dommages causés par un patient soumis au régime de l'hôpital de jour ne relèvent pas du régime de la responsabilité pour risque spécial (1) : "l'hôpital de jour, qui est un mode de prise en charge hospitalier destiné à assurer des soins polyvalents mis en oeuvre par une équipe pluridisciplinaire en un lieu ouvert à la journée selon une périodicité déterminée pour chaque patient, ne constitue pas une méthode thérapeutique créant un risque spécial pour les tiers susceptible d'engager sans faute la responsabilité de l'administration" (2).

Eviction de la responsabilité pour garde. En second lieu, le Conseil d'Etat a considéré qu'en l'espèce il n'y avait pas non plus lieu de faire application du régime de responsabilité pour garde, dégagé en 2005 pour les mineurs confiés à la PJJ (3) et confirmé s'agissant de la responsabilité du Conseil général en raison de dommages causés par un mineur confié à un établissement relevant de l'ASE (4), et qui constitue une autre hypothèse de responsabilité sans faute, dès lors que "l'admission (du jeune patient) en hôpital de jour au sein du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde n'a pas eu pour effet de transférer à cet établissement la responsabilité d'organiser, diriger et contrôler la vie de ce mineur qui se trouvait, à la sortie de l'hôpital de jour, sous la garde légale de son père".

Cette mise à l'écart est logique dans la mesure où les établissements de santé spécialisés ne prennent pas en charge dans leur globalité les patients en hôpital de jour, ce qui fait que les conditions de mise en oeuvre de ce "nouveau" cas de responsabilité administrative fondée sur la "garde" n'est pas logiquement applicable ici.

Eléments constitutifs de la faute administrative. Dans la mesure où aucun de ces deux régimes de responsabilité sans faute n'était possible, il convenait de faire application du régime de droit commun de la responsabilité pour faute médicale. Or, à l'examen du dossier, il apparaissait qu'aucune faute de prise en charge ou de soins ne pouvait être retenue à la charge de l'établissement (5).

Pour parvenir à cette conclusion, le Conseil d'Etat s'est fondé sur un faisceau d'indices faisant apparaître que confrontés à une maladie mentale lourde et ancienne, "les médecins du centre hospitalier de Brive avaient mis en oeuvre des traitements, notamment médicamenteux, adaptés à la pathologie du malade et conformes aux données de la science et que le traitement en hospitalisation de jour dans cet établissement, avec retour quotidien dans la famille, mis en place en août 2 000 après une période d'essai, se poursuivait sans incident depuis près de quatre mois, l'état du patient étant en voie d'amélioration, sans qu'il ait manifesté de signes d'agressivité à l'égard de son entourage ou ait tenté de passer à l'acte". Dès lors, l'agression litigieuse présentait un caractère "imprévisible" ne pouvant être imputée à une quelconque faute de l'établissement (6).

  • Aucune insuffisance dans la prise en charge postopératoire ni défaut de surveillance médicale n'avait été caractérisée à l'encontre de la clinique (Cass. civ. 1, 23 février 2012, n° 10-25.895, F-D N° Lexbase : A3280IDT ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : A3280IDT)

Contexte. Cet arrêt constitue une nouvelle illustration des contentieux qui peuvent naître entre les patients hospitalisés et les cliniques à qui une faute d'organisation ou de surveillance est reprochée. En l'absence d'antécédents faisant clairement apparaître l'existence d'un risque particulier de dommage pour le patient, la probabilité d'obtenir la condamnation de l'établissement est faible lorsque le dommage résulte avant tout du fait du patient lui-même (7).

Faits. Un patient s'était défenestré alors qu'il était hospitalisé après une intervention chirurgicale. L'hypothèse d'une "fugue" avait été privilégiée de préférence à celle d'un suicide car l'intéressé avait exprimé à plusieurs reprises son désir de rentrer rapidement à son domicile après l'intervention. La famille de la victime avait été déboutée de ses demandes indemnitaires et prétendait obtenir la cassation de l'arrêt d'appel en reprochant à l'établissement de n'avoir pris aucune mesure "pour éviter qu'il ne parvienne, d'une manière ou d'une autre, à quitter l'établissement".

Solution. Le pourvoi est logiquement rejeté. La Cour de cassation relève, en effet, que "la cour d'appel, faisant siennes les constatations des premiers juges, a relevé que, si [la victime] avait manifesté par ses propos le désir de sortir de l'hôpital pour rentrer dans sa famille, aucun signe ne pouvait permettre d'envisager un quelconque risque de défenestration, que sa chambre n'était pas fermée à clef, qu'il pouvait en sortir ce qu'il a d'ailleurs fait à plusieurs reprises dans la soirée pour déambuler dans le couloir et venir au bureau de service demander à l'infirmière de lui appeler un taxi pour pouvoir rentrer chez lui, que, chaque fois, il l'a réintégrée comme le personnel soignant le lui demandait sans aucune réticence ni agressivité ; qu'elle a constaté en outre que le personnel avait, dans la soirée, effectué une visite quasiment toutes les heures lors desquelles le patient était calme, que les fenêtres étaient conformes à la réglementation et qu'aucune insuffisance dans la prise en charge postopératoire ni défaut de surveillance médicale n'avait été caractérisée à l'encontre de la clinique".

1.1.1. Obligation d'information

  • Les juges du fond apprécient souverainement si le consentement du patient à l'acte médical est donné de manière libre et éclairée (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 10-27102, F-D N° Lexbase : A4067IGQ ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0197ERQ)

Contexte. L'inversion de la charge de la preuve du manquement à l'obligation médicale d'information, réalisée en jurisprudence en 1997 et confirmée par la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 "Kouchner" (N° Lexbase : L1457AXA), impose au médecin de prouver, par tous moyens, que le patient a été informé et qu'il a donné son consentement à l'acte médical. Il peut, pour se faire, se fonder sur le comportement du patient (8), produire des éléments du dossier médical (9) ou des témoignages de l'équipe médicale. Mais comment savoir si ce consentement est éclairé lorsqu'il faut agir dans l'urgence, que le patient est sous l'emprise de médicaments et contraint de faire un choix ? Ce sont les juges du fond qui, souverainement, le détermineront, comme le montre cet arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 22 mars 2012.

L'affaire. Une patiente se plaignait des circonstances dans lesquelles elle avait été conduite à donner son consentement à la ligature de ses trompes de Fallope : elle se trouvait sur la table d'opération où elle avait subi une césarienne, réalisée sous péridurale et alors qu'on lui administrait deux médicaments (Syntocynon et Nabain), et sans véritable délai de réflexion puisque cette éventualité n'avait pas été envisagée avant l'accouchement.

La patiente avait été déboutée de son action dirigée contre l'obstétricien et faisait valoir, dans le cadre de son pourvoi, que l'ensemble des circonstances relevées devait conduire à exclure l'existence d'un consentement libre et éclairé.

Le pourvoi est rejeté, la Cour considérant que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, après avoir apprécié la valeur et la portée des preuves produites devant elle, a estimé que le consentement avait été donné de manière libre et éclairée.

1.1.2. Perte de chance

  • Doit être indemnisée la perte de chance d'avoir pu interrompre la grossesse consécutive à une faute dans la réalisation des échographies (Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.856, F-D N° Lexbase : A1257IIE ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0121ERW)

La survie de la jurisprudence "Perruche". Les enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002 continuent de relever du droit commun et de pouvoir obtenir réparation des professionnels, dès lors que des fautes ont été commises, pendant la grossesse, qui n'ont pas permis aux parents d'interrompre la grossesse (10).

Lorsque ces derniers avaient exprimé leur désir d'interrompre la grossesse s'ils étaient confrontés à la révélation d'un handicap grave du foetus, la faute qui n'a pas permis de poser le bon diagnostic entrainera la réparation de l'entier préjudice des parents et de l'enfant, conformément à la jurisprudence "Perruche". Lorsque cette certitude là n'existe pas mais qu'il est en revanche certain que les parents n'ont pas été mis en mesure de faire ce choix, il faudra faire application de la théorie de la perte de chance et indemniser une fraction des préjudices qui se sont finalement réalisés. C'est ce qu'illustre un nouvel arrêt non publié rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 5 avril 2012.

L'affaire. Un enfant était né en 1998 avec des malformations des mains, du pied gauche et une absence de pied droit, en relation avec une maladie des brides amniotiques. Les parents avaient alors mis en cause le médecin qui avait réalisé les échographies des 11ème, 21ème et 33ème semaines d'aménorrhée, mais la cour d'appel avait rejeté leurs demandes.

Les juges du fond avaient bien retenu l'existence d'une faute à la charge du médecin mais avaient refusé de la condamner après avoir considéré que "si [...] en mentionnant sur son compte-rendu la présence de quatre membres, ce qu'il n'avait pu observer, [il] a commis une faute, il n'est pas démontré, compte tenu des explications de l'expert, que si l'absence de pied droit avait été constatée, et que la maladie des brides amniotiques avait été diagnostiquée, une interruption de grossesse pour raison médicale aurait été autorisée, et ce alors que la pathologie dont est atteint l'enfant n'est pas évolutive dans le sens d'une aggravation mais celle d'une amélioration par interventions chirurgicales traitements et appareillage, ni que [les parents] auraient décidé de recourir à une interruption de grossesse pour motif médical".

La solution. L'arrêt est cassé, au visa des articles 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) et L. 162-12 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1032DLS alors applicable), la Haute juridiction considérant que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations aux termes desquelles selon l'expert désigné, et en présence d'une telle situation, une information aussi complète que possible était donnée à la famille, une consultation de chirurgie orthopédiste infantile sur les possibilités d'intervention et d'appareillage était pratiquée, la décision était prise au cas par cas et la fréquente impossibilité d'affirmer le caractère complet du diagnostic, la suspicion d'anomalies associées, les difficultés d'assumer familialement un handicap majeur étaient des facteurs pris en compte par un centre de diagnostic prénatal pluridisciplinaire susceptibles de permettre aux parents qui le décident d'interrompre la grossesse.

La délicate qualification de la perte de chance. Cet arrêt illustre les difficultés de l'application de la théorie de la perte de chance dans des hypothèses finalement douteuses (11) ; les juges du fond disposent alors de peu d'indices et doivent simplement condamner le fautif s'il a fait perdre aux "victimes" une chance "sérieuse", et les débouter dans l'hypothèse inverse. Si la Cour de cassation ne contrôle pas vraiment cette qualification, elle est toutefois extrêmement vigilante sur la qualité de la motivation au regard des données de l'espèce et du dossier, sanctionnant les motivations insuffisantes ou les conclusions contraires aux observations factuelles.

  • L'indemnité due à la victime d'un accident médical qui a perdu une chance, du fait d'un défaut d'information sur les risques d'une intervention chirurgicale d'éviter le dommage en refusant définitivement ou temporairement l'intervention projetée, doit être déterminée en fonction de son état et de toutes les conséquences qui en découlent pour elle et correspondre à une fraction, souverainement évaluée, de ses préjudices (Cass. civ. 1, 9 février 2012, n° 10-25.915, F-D N° Lexbase : A3677IC8 ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E6149ETW)

Contexte. L'application de la théorie de la perte de chance d'avoir pu différer ou éviter le risque qui s'est finalement réalisé fait ici encore difficulté, et ce alors que la Cour de cassation rappelle pourtant régulièrement la méthode à appliquer. Lorsque le manquement à l'obligation d'information porte sur un risque qui s'est réalisé (12), les juges doivent accorder à la victime, au titre de la perte de chance, une fraction de l'ensemble des postes de préjudices liés au dommage final, et non une indemnité globale. Ils doivent donc faire comme s'ils statuaient sur une demande portant sur la réparation des dommages consécutifs à l'opération, et affecter chaque poste d'un coefficient réducteur selon le pourcentage de perte de chance retenu (13). C'est cette méthode qui se trouve ici rappelée.

  • Caractérise la perte de chance d'avoir pu échapper, en tout ou partie, au dommage qui s'est finalement réalisé, le constat du caractère fautif de l'absence de contention après traitement qui impliquait nécessairement que la contention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-10.935, F-P+B+I N° Lexbase : A4233IGU ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E6150ETX)

Contexte. Le recours à la perte de chance permet d'accorder à la victime la réparation d'une fraction du préjudice corporel qui s'est réalisé lorsque, par la faute d'un médecin, le patient a été privé d'une possibilité de se soustraire, en tout ou partie, au risque qui s'est finalement réalisé. En principe, c'est à la victime qu'il appartient de prouver la faute médicale, mais également la perte de chance, c'est-à-dire le fait que sans cette faute, le dommage aurait été moindre.

Intérêt. Cet arrêt démontre que dans certaines hypothèses, la nature même de la faute induit nécessairement une perte de chance lorsqu'il apparaît que le médecin a omis de réaliser un acte dont la science s'accorde à dire qu'il est nécessaire au traitement du patient. En d'autres termes, la causabilité de la faute (ou causalité scientifique), c'est-à-dire la démonstration de son aptitude à causer le dommage, permet de présumer le lien de causalité matérielle (14), c'est-à-dire qu'elle l'a effectivement causé.

L'affaire. Dans cette affaire, un patient se plaignait de ce que son chirurgien-dentiste avait omis de procéder à la contention des dents après le retrait de bagues dentaires, et imputait la récidive de ses troubles de l'occlusion à ce qu'il considérait comme étant une faute.

Les juges d'appel l'avaient débouté de ses demandes après avoir relevé, au vu du rapport d'expertise judiciaire, que l'absence de contention après le retrait des bagues constituait certes un manque de précaution fautif, mais que cette faute n'était pas en lien direct avec la récidive de la pathologie, dès lors que celle-ci aurait pu se produire, avec une probabilité non négligeable, même s'il y avait eu contention.

La cassation. Après avoir visé l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) -nous sommes avant le 5 septembre 2001- et rappelé la définition de la perte de chance qui "présente un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable", la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en rejetant la demande alors que "le caractère fautif de l'absence de contention après traitement impliquait nécessairement que la convention aurait pu, si elle avait été mise en place, avoir une influence favorable sur l'évolution de la pathologie".

Indiscutablement cet arrêt traduit la volonté de la Haute juridiction de renforcer son contrôle sur la qualification de la perte de chance, en raison d'une certaine tendance des juges du fond à ne pas retenir l'application de cette théorie sous prétexte qu'un doute subsisterait sur l'entière compréhension des circonstances du dommage (15).

  • La perte de chance doit être directe et certaine (Cass. civ. 1, 22 mars 2012, n° 11-14.121, F-D N° Lexbase : A4129IGZ ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0110ERI)

L'affaire. Un patient était décédé des suites d'un mélanome.

Sa veuve avait mis en cause le spécialiste d'anatomopathologie qui le suivait et lui reprochait d'avoir faussement analysé comme bénin un prélèvement provenant d'un naevus qui avait été retiré dans le haut du dos de ce patient quatre ans plus tôt, et qui présentait en réalité un caractère malin.

La cour d'appel l'avait débouté de ses demandes et la Cour de cassation confirme cette décision par le rejet du pourvoi.

La solution. Le rapport d'expertise, auquel les juges du fond se référaient, avait certes relevé que le spécialiste avait procédé, à la même époque à l'exérèse ou la destruction par azote liquide d'autres lésions qui auraient pu elles aussi dégénérer, mais qu'aucun élément ne permettait d'imputer les métastases ayant abouti au décès à la lésion retirée quelques années plus tôt et mal analysée, ce qui interdisait de retenir une perte de chance.

Intérêt. Cet arrêt non publié est intéressant si on le confronte à l'autre arrêt (cf. supra n° 11-10.935) rendu le même jour et publié, car ici la Cour de cassation suit les juges du fond, alors que dans l'autre affaire elle les censure. La différence tient certainement aux circonstances de l'affaire : dans la première les magistrats avaient retenu l'existence d'une faute portant sur l'omission d'une technique indiquée comme permettant de prévenir le risque de dommage qui s'est réalisé, alors que dans celle-ci aucun élément ne venait indiquer que le naevus mal analysé ait pu être à l'origine du mélanome.

1.2. Infections nosocomiales

  • La force majeure qui exonère l'hôpital de sa responsabilité en matière d'infection nosocomiale s'entend d'une circonstance extérieure à l'activité hospitalière, ce qui n'est pas le cas de la réanimation (CE 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 342366, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8545ICH ; cf. l’Ouvrage "Droit médical" N° Lexbase : E0550ERS)

L'affaire. Un patient était décédé des suites d'une infection nosocomiale. La cour administrative d'appel de Bordeaux avait toutefois mis hors de cause l'hôpital après avoir considéré "qu'à supposer que le décès de M. C ait été provoqué par une infection nosocomiale, l'établissement devait être regardé, compte tenu de l'état initial fortement dégradé de la victime, comme rapportant la preuve d'une cause étrangère au sens du I de l'article L. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L1910IEH)".

La solution. L'arrêt est annulé sur ce point, le Conseil d'Etat considérant que les juges du fond avaient commis une erreur de droit en admettant ainsi la force majeure exonératoire (on parle parfois d'aléa nosocomial (16)) alors que "la réanimation respiratoire ne pouvait être regardée comme une circonstance extérieure à l'activité hospitalière".

Le Conseil d'Etat confirme ainsi les termes d'une précédente décision intervenue quelques jours plus tôt où il avait considéré que "dès lors que l'infection est une conséquence des soins et ne peut de ce fait être regardée comme un événement extérieur à l'activité hospitalière, la cour n'a pas davantage méconnu ces dispositions en jugeant que le centre hospitalier universitaire n'apportait pas la preuve d'une cause étrangère exonératoire de sa responsabilité, alors même que l'infection résulterait d'une évolution de la nécrose postopératoire survenue sous l'effet de germes endogènes sans qu'il y ait eu manquement aux règles d'asepsie" (17).

Rappelons également que c'est en se fondant sur ce critère de l'événement "extérieur à l'activité hospitalière" que le Conseil d'Etat avait renoncé définitivement à opérer une distinction de régime entre les infections selon qu'elles apparaissent comme étant endogènes ou exogènes (18).

Or, au regard de ce critère, la responsabilité de l'hôpital devait être retenue dans la mesure où, selon les conclusions des experts, l'infection respiratoire nosocomiale trouvait son origine dans les mesures de réanimation, avec intubation et ventilation, dont le patient avait fait l'objet. Un constat comparable avait été établi par ces mêmes experts pour qui l'infection par les bactéries staphylocoque doré et serratia marcescens était survenue au cours du séjour dans le service de réanimation.

Intérêt. Cette solution est particulièrement intéressante car elle donne un critère de la force majeure exonératoire de la responsabilité sans faute des établissements en matière d'infections nosocomiales qui doivent donc répondre de toutes les infections qui ne sont pas extérieures à l'activité hospitalière -et qui pourraient donc résulter de l'intervention d'un tiers chargé, par exemple, de la maintenance ou de l'approvisionnement en fluides-. Elle ne manquera toutefois pas de poser problème à la Cour de cassation qui a abandonné, depuis 2006, la référence à l'extériorité dans sa définition de la force majeure (19), ce qui n'est pas sans faire difficulté dans de nombreuses hypothèses, singulièrement en matière de responsabilité médicale où la jurisprudence judiciaire avait pu fonder un refus d'exonération sur l'absence de caractère externe, notamment de vices, pourtant indécelables, mais internes aux produits de santé considérés (20).

1.3. Produits de santé

  • Les dommages causés par l'utilisation des produits de santé sont soumis au régime de la responsabilité sans faute, et non au régime applicable aux produits défectueux de la Directive 85/374 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT)

- CE, 5° et 4° s-s-r., 12 mars 2012 n° 327449 (N° Lexbase : A9481IEU) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical"

Contexte. Cet arrêt constitue l'épilogue de l'affaire "CHR de Besançon" où le Conseil d'Etat avait saisi la CJUE d'une question préjudicielle portant sur le maintien de la jurisprudence "Marzouk" pour les dommages causés par l'utilisation dommageable de produits de santé (21).

On se rappellera que, le 21 décembre 2011, la CJUE avait considéré que ces dommages n'avaient pas vocation à entrer dans le champ d'application de la Directive du 25 juillet 1985, laissant ainsi le champ libre au maintien de la jurisprudence "Marzouk" (22).

C'est désormais chose faite avec cet arrêt en date du 14 mars 2012 où le Conseil d'Etat confirme l'arrêt rendu le 26 février 2009 par la cour administrative d'appel de Nancy qui avait condamné le CHR de Besançon sur le fondement de la jurisprudence initiée en 2003.

- CE, 5° et 4° s-s-r., 14 mars 2012, n° 324455 ([LXB=A4365IGR]) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical"

Intérêt. Cette affaire avait donné lieu à un arrêt moins commenté que l'affaire CHR de Besançon mais tout aussi intéressante et le Conseil d'Etat avait décidé de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse à la question préjudicielle portant sur le maintien de la jurisprudence "Marzouk". Il est donc logique qu'il en tire les mêmes conséquences que dans l'affaire "CHR de Besançon".

Il s'agissait ici non pas d'une couverture chauffante mais de la rupture d'une mèche utilisée lors d'une ostéotomie. La mise à l'écart du régime des produits défectueux présente alors l'avantage de dispenser la victime de prouver le défaut et lui permet ainsi d'être indemnisée uniquement en constatant la "défaillance" du matériel, laquelle sera déduite du constat de son dysfonctionnement, sans qu'il soit nécessaire d'établir d'autres éléments tenant au défaut de sécurité.

- CE, 5° et 4° s-s-r., 24 avril 2012, n° 331967 (N° Lexbase : A4157IK8) ; cf. l’Ouvrage "Droit médical"

L'affaire. Un jeune enfant âgé de 13 mois a subi le 20 mars 2002 au CHR de Mantes la Jolie une intervention chirurgicale après laquelle, alors qu'il se trouvait en salle de surveillance post-interventionnelle, il a été victime d'une dépression respiratoire et d'un arrêt cardiaque qui ont causé des séquelles neurologiques graves.

Pour retenir la responsabilité du CHR de Mantes-la-Jolie, la cour administrative d'appel, après avoir écarté l'application de la Directive du 25 juillet 1985, avait fait application de la jurisprudence "Marzouk" à l'établissement et retenu la défaillance de l'appareil de mesure de la saturation artérielle en oxygène.

C'est ce que confirme la Conseil d'Etat pour qui "la défaillance d'un appareil utilisé au cours des soins engage la responsabilité du service public hospitalier au même titre qu'une faute de service".

2. Solidarité nationale

2.1. Aléa thérapeutique

  • Refus de caractériser une faute médicale et de faire application de la jurisprudence "Bianchi" (CE, 17 février 2012, 5° et 4° s-s-r., n° 342040 N° Lexbase : A8544ICG)

L'affaire. Un enfant âgé de 2 ans avait subi, de 1979 à 1981, une radiothérapie et des cures de chimiothérapie, après différents examens pratiqués en urgence dans cet établissement et au centre hospitalier universitaire de Montpellier, en raison de troubles neurologiques qui avaient conduit à suspecter un gliome du tronc cérébral puis un médulloblastome métastatique. Un diagnostic de tuberculomes cérébraux dus à une tuberculose pulmonaire, au lieu d'un gliome du tronc cérébral ou d'un médulloblastome métastatique, fut ultérieurement porté. L'enfant devait garder de lourdes séquelles cognitives, neurologiques et endocriniennes en lien avec les traitements subis et fut placé sous curatelle, jusqu'à son décès en 2010.

Estimant que l'erreur de diagnostic commise par le CHR de Nîmes présentait un caractère fautif, en l'absence de réalisation d'un scanner cérébral avant la radiothérapie et les cures de chimiothérapie, les parents ont recherché la responsabilité de l'établissement, et obtenu gain de cause devant la cour administrative d'appel de Marseille.

La solution. Cet arrêt est annulé, mais pour des questions de procédure et c'est le Conseil d'Etat qui règle ici l'affaire au fond.

En premier lieu, le Conseil d'Etat considère, comme le tribunal administratif mais contrairement aux conclusions de la cour administrative d'appel, que le CHR de Nîmes n'avait pas commis de faute. Selon la Haute juridiction, l'instruction de l'affaire avait montré que les actes réalisés à l'époque "étaient en 1979 les examens de référence en cas de suspicion de lésion du tronc cérébral, que le scanner n'était pas encore un examen de référence, que la plupart des établissements hospitaliers, et notamment ceux de Nîmes et de Montpellier, ne disposaient pas de cet équipement et que l'état de l'enfant relevait d'une situation d'urgence".

En second lieu, le Conseil considère que les conditions d'application de sa jurisprudence "Bianchi" ne sont pas réunies (23), et singulièrement que le risque qui s'est réalisé était inhérent au traitement mis en oeuvre et ne présentait dès lors pas le caractère de risque connu exceptionnel.

L'intérêt. Cet arrêt est doublement intéressant.

En premier lieu, il démontre que les conditions posées par le Conseil d'Etat pour qu'il y ait aléa thérapeutique sont extrêmement strictes, et que ce dernier n'entend pas se départir de cette sévérité même dix ans après l'adoption de la loi du 4 mars 2002.

En second lieu, et comme cela a été souligné à l'occasion du commentaire de l'arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 mars 2011 (24), les conditions actuelles de l'indemnisation de l'aléa par l'ONIAM, exception faite du critère de gravité du dommage, sont à peu de choses près les mêmes que celle de la jurisprudence "Bianchi", de telle sorte que cette décision, qui porte sur la notion de "risque exceptionnel", est également pertinente dans le contexte de l'application de l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique -inapplicable ici compte tenu de l'ancienneté des faits- pour vérifier l'existence -en creux- des "conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci" exigées par le texte.

2.2. Vaccinations obligatoires

  • Le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaques antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination (CE, 5° et 4° s-s-r., 17 février 2012, n° 331277, mentionné dans les tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8515ICD)

Le contexte. Les personnes qui subissent un dommage en raison d'une vaccination obligatoire tirent de l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L2910ICR) un avantage décisif sur les autres victimes d'accidents vaccinaux, celui de pouvoir obtenir de l'ONIAM réparation sans être obligées de prouver le défaut, ou la défaillance, du vaccin, dès lors que l'imputabilité du dommage à la vaccination est établie, ou simplement présumée. Dans le contentieux des scléroses en plaques post vaccinales, l'avantage est de taille, comme le démontre ce nouvel arrêt du Conseil d'Etat.

L'affaire. Une femme, soumise à une obligation vaccinale de par sa profession, a subi trois injections d'un vaccin anti-hépatite B, en septembre, octobre et novembre 1992, puis un rappel le 28 septembre 1993. Elle a peu de temps après développé une sclérose en plaques et recherché, sur le fondement de l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique, la responsabilité de l'Etat à raison de cette affection qu'elle imputait à la vaccination obligatoire. Après avoir recueilli l'avis de la commission de règlement amiable des accidents vaccinaux, le ministre chargé de la Santé a estimé que la vaccination pouvait être considérée comme un facteur aggravant de son état de santé et lui a proposé, par décision du 13 juillet 2001, une rente annuelle viagère de 60 000 francs (9 147 euros). Estimant ce montant insuffisant, l'intéressée a saisi le tribunal administratif de Toulouse d'une demande d'indemnisation de ses préjudices et se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux qui a confirmé le rejet de sa demande par le tribunal administratif.

C'est cet arrêt qui se trouve ici annulé. Pour le Conseil d'Etat, en effet, "le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaque antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination". Dès lors, la preuve de l'aggravation peut être admise par présomption et "le lien direct entre la vaccination et l'aggravation de la pathologie doit être regardé comme établi lorsque des signes cliniques caractérisés d'aggravation sont apparus dans un bref délai à la suite d'une injection et que la pathologie s'est, à la suite de la vaccination, développée avec une ampleur et à un rythme qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes que présentait la personne antérieurement à celle-ci". Or, dans cette affaire, la cour administrative d'appel avait "relevé que les premières manifestations de la sclérose en plaques dont Mme A a été reconnue atteinte étaient apparues avant la première injection du 8 septembre 1992, ne pouvait, par suite, sans erreur de droit, écarter toute imputabilité de l'aggravation de la pathologie de Mme A à la vaccination au seul motif que la maladie s'était déclarée antérieurement à celle-ci".

L'intérêt. Le Conseil d'Etat avait déjà considéré le risque d'aggravation de l'état de santé comme un élément constitutif du préjudice indemnisable pour les victimes post vaccinales ayant déclenché une première poussée après la vaccination (25). Il avait également indiqué que l'Etat serait redevable dans le futur des conséquences résultant de l'aggravation de l'état de santé de la victime (26).

Mais c'est la première fois, à notre connaissance, qu'il indique que l'aggravation de l'état de santé d'un patient quelques jours après l'injection d'une dose de vaccin anti hépatite B peut être indemnisée, en ce qu'elle apparaît comme directement imputable à cette vaccination obligatoire et ce alors que le patient avait déjà déclenché auparavant une poussée au moins de sclérose en plaques.

La solution est audacieuse car on pensait que, pour que soit présumée l'imputabilité d'une poussée de sclérose en plaques à une vaccination anti hépatite B, il était nécessaire de caractériser une simultanéité des événements, ce qui était le cas en l'espèce (la nouvelle poussée était apparue "dans un bref délai"), mais aussi l'absence de facteur personnel, familial ou environnemental susceptible d'avoir causé l'événement (27). Or, à partir du moment où la victime avait développé une première poussée avant la vaccination litigieuse, les conditions de la présomption d'imputabilité de la seconde poussée à la vaccination ne semblaient pas réunies. C'est d'ailleurs ce qui avait déterminé la cour administrative d'appel à écarter l'indemnisation dans cette affaire.

Or, l'arrêt est annulé et le Conseil d'Etat affirme, au contraire, que "le fait qu'une personne ait manifesté des symptômes d'une sclérose en plaque antérieurement à la vaccination contre l'hépatite B qu'elle a reçue n'est pas, par lui-même, de nature à faire obstacle à ce que soit recherchée l'imputabilité de l'aggravation de cette affection à la vaccination". Cette preuve ne pouvait donc résulter, dans les circonstances de l'affaire, que de la simultanéité des événements : "le lien direct entre la vaccination et l'aggravation de la pathologie doit être regardé comme établi lorsque des signes cliniques caractérisés d'aggravation sont apparus à la suite d'une injection et que la pathologie s'est, à la suite de la vaccination, développée avec une ampleur et à un rythme qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes que présentait la personne antérieurement à celle-ci".

La solution pourrait donc sembler très audacieuse, mais à bien y réfléchir elle nous semble justifiée.

Le Conseil d'Etat a en effet pris la peine de préciser qu'il ne s'agissait pas d'une autre poussée, comparable en tous points à la précédente, mais bien d'une nouvelle poussée "avec une ampleur et à un rythme qui n'étaient pas normalement prévisibles au vu des atteintes que présentait la personne antérieurement à celle-ci". On est alors frappé par la similarité avec la formule présente dans l'article L. 1142-1, II, du Code de la santé publique qui, pour ouvrir droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale dans le cadre du droit commun des accidents médicaux, exige de l'accident qu'il ait eu des "conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci".

Au regard de ce critère supplémentaire, il semble donc que cette aggravation pouvait être imputée spécialement à la vaccination qui avait bien ajouté à la gravité du dommage initial des éléments propres.


(1) Sur lequel Droit de la responsabilité et des contrats ; Dalloz Action, éd. 2010-2011, n° 492 s..
(2) CE contentieux, 30 juin 1978, n° 99514 (N° Lexbase : A3743AIH) ; CE Contentieux, 21 février 1990, n° 63293 (N° Lexbase : A6493AQK).
(3) CE contentieux, 11 février 2005, n° 252169, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6712DGP), Resp. civ. et assur., 2005, comm. 192, obs. C. Guettier ; CE, 6° et 1° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 301705, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A8848EBC) ; CE, 6° et 1° s-s-r., 3 juin 2009, n° 300924, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7219EHT).
(4) CE 3° et 8° s-s-r., 26 mai 2008, n° 290495, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7772D8D).
(5) Dans le même sens, excluant une faute dans l'organisation de la surveillance ou le diagnostic : CE, 5° s-s., 17 octobre 2011, n° 341343, Inédit (N° Lexbase : A8353HYZ). Mais s'agissant d'une faute de surveillance retenue à l'occasion du suicide d'une patiente hospitalisée : CE, 5° s-s., 9 mars 2009, n° 303983 (N° Lexbase : A6898EDT). Dernièrement, écartant également la faute : CE, 5° et 4° s-s-r., 12 mars 2012, n° 342774, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9486IE3), AJDA, 2012, p. 574, note de S. Brondel.
(6) Pour une décision concernant la mise hors de cause de l'administration pénitentiaire dans le suicide d'un détenu : CE, 6° s-s., 5 décembre 2011, n° 331358, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1751H4M).
(7) Pour une hypothèse où la condamnation est fondée sur ce risque "particulier" : Cass. civ. 1, 9 juin 2011, n° 10-18.002, F-D (N° Lexbase : A5048HT7), nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (juin à octobre 2011), Lexbase Hebdo - édition privée n° 463 du 24 novembre 2011 (N° Lexbase : N8879BSN).
(8) Cass. civ. 1, 14 octobre 1997, n° 95-19.609 (N° Lexbase : A0710ACB), JCP éd. G, 1997, II, 22942, rapport P. Sargos ; JCP éd. G., 1997, I, 4068, n° 6, obs. G. Viney. Mais la preuve de l'information du patient ne saurait résulter du seul fait que le médecin l'a reçu à deux reprises en trois semaines avant l'opération : Cass. civ. 1, 28 octobre 2010, n° 09-13.990, FS-D (N° Lexbase : A0309GDS), cassation partielle partiellement sans renvoi (CA Colmar, 2ème ch., sect. B, 17 octobre 2008), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS).
(9) Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-11.339, F-P+B (N° Lexbase : A8632DEG) : Resp. civ. et assur., 2005, comm. 99, nos obs..
(10) Sur cette question, cf. dernièrement Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012), Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0096BTQ).
(11) Dernièrement Cass. civ. 1, 22 septembre 2011, n° 10-21.799, F-D (N° Lexbase : A9689HX7) : nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012), Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0096BTQ).
(12) S'agissant du risque qui ne s'est pas réalisé, il convient d'indemniser le préjudice moral résultant du défaut d'information qui constitue en effet un préjudice nécessairement distinct du préjudice final, par hypothèse inexistant.
(13) Ainsi, Cass. civ. 1, 28 juin 2007, n° 06 13.859, F D (N° Lexbase : A9437DWG), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (période du 15 avril 2007 au 15 septembre 2007), Lexbase Hebdo n° 273 du 20 septembre 2007 - édition privée (N° Lexbase : N4649BC8).
(14) Sur cette distinction, nos obs., Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D., 2012, chron., p. 112.
(15) Cass. civ. 1, 14 octobre 2010, n° 09-69.195, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7906GBG), Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS), RTDCiv., 2011, p. 128, obs. P. Jourdain ; D., 2010, p. 2682, note P. Sargos, D., 2011, p. 37, obs. O. Gout.
(16) Selon l'expression de Pierre Sargos, Le nouveau régime juridique des infections nosocomiales, JCP éd. G, 2002, pp. 1117-1120.
(17) CE, 5° s-s., 13 février 2012, n° 336293 (N° Lexbase : A8528ICT).
(18) CE 4° et 5° s-s-r., 10 octobre 2011, n° 328500 (N° Lexbase : A7422HYK), nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (juin à octobre 2011), Lexbase Hebdo n° 463 du 24 novembre 2011 - édition privée (N° Lexbase : N8879BSN) ; CE, 5° s-s., 14 décembre 2011, n° 330644 (N° Lexbase : A4977H8T).
(19) Ass. plén., 14 avril 2006, n° 04-18.902, P (N° Lexbase : A2092DP8), RCA, 2006, chron. 8, L. Bloch.
(20) Nos obs. sous Cass. civ. 1, 1er juillet 2010, n° 09-69.151, F-P+B+I N° Lexbase : A5815E3R), in Panorama de responsabilité civile médicale (octobre 2010 à janvier 2011) - première partie, Lexbase Hebdo n° 432 du 17 mars 2011 - édition privée (N° Lexbase : N7435BRS).
(21) Lire nos obs. in Panorama de responsabilité médicale (novembre 2011 - février 2012), Lexbase Hebdo n° 472 du 9 février 2012 - édition privée (N° Lexbase : N0096BTQ).
(22) CE 5° et 7° s-s-r., 9 juillet 2003, n° 220437 (N° Lexbase : A1898C98).
(23) Sur laquelle Droit de la responsabilité et des contrats, préc.., n° 485 s.
(24) Cass. civ. 1, 31 mars 2011, n° 09-17.135, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7785HLW), nos obs. in Panorama de responsabilité civile médicale (15 janvier au 15 juin 2011), Lexbase Hebdo n° 445 du 23 juin 2011 - édition privée (N° Lexbase : N5760BS7).
(25) CE, 5° et 4° s-s-r., 18 février 2009, n° 305810, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2535EDA) - CE, 5° et 4° s-s-r., 10 avril 2009, n° 296630, mentionné dans les tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0039EGK).
(26) CE, 5° et 4° s-s-r., 9 mars 2007, n° 278665 (N° Lexbase : A5813DUT) ; CE, 5ème et 4ème s-s-r., 24 octobre 2008, n° 305622 (N° Lexbase : A8578EAX).
(17) En ce sens notre étude, Causalité juridique et causalité scientifique : de la distinction à la dialectique, D., 2012, chron. p. 112.

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