Lexbase Avocats n°311 du 4 février 2021 : Avocats

[Actes de colloques] La profession d’avocat : les risques de l’exercice (colloque du 25 septembre 2020 à Amiens) - La responsabilité pénale de l’avocat

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[Actes de colloques] La profession d’avocat : les risques de l’exercice (colloque du 25 septembre 2020 à Amiens) - La responsabilité pénale de l’avocat. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64882739-cite-dans-la-rubrique-b-avocats-b-titre-nbsp-i-la-profession-davocat-les-risques-de-lexercice-colloq
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par Elise Letouzey, maître de conférences en droit privé à l’Université d’Amiens

le 03 Février 2021

Le 25 septembre 2020, s'est tenu à Faculté de droit d'Amiens un colloque sur le thème « La profession d'avocat : les risques de l'exercice », sous la direction scientifique de Rodolphe Bigot et François Viney. Partenaire de cet événement, la revue Lexbase Avocats vous propose de retrouver l’intégralité des actes de ce colloque.

Le sommaire de cette publication est à retrouver ici (N° Lexbase : N6281BYB).
Les interventions de cette journée sont également à écouter en podcasts sur Lexradio.


 

L’avocat est-il un responsable pénal comme les autres ? La mobilisation du droit commun pour appréhender les agissements délictueux qu’il pourrait commettre incline à penser que l’on est dans une responsabilité professionnelle somme toute assez classique [1]. À la différence du notaire, ses agissements ne sont pas appréhendés au titre de délits attitrés, c’est-à-dire applicables ès qualités. Nous ne sommes pas en présence d’une responsabilité d’appartenance. En effet, l’avocat peut être un malandrin comme les autres : il est pénalement responsable des infractions par lui commises, qu’elles le soient indépendamment de sa qualité d’avocat, ou bien à raison même de sa qualité d’avocat.

L’avocat peut être poursuivi au même titre que n’importe quel quidam pour un abus de confiance en plaçant, sur un compte personnel rémunéré, des fonds destinés à un compte CARPA [2] ; il peut aussi être poursuivi pour une escroquerie [3], pour des faits de corruption [4], pour la remise illicite de biens à un détenu [5], ou encore pour des violences [6]. Les agissements sont ainsi d’une banale originalité : si l’on prend l’exemple du délit de prise illégale d’intérêts, il pourrait en théorie être commis par un avocat élu public. Illustration en est de la volonté du législateur, neutralisée par le Conseil constitutionnel [7], de limiter l’activité de conseil des parlementaires qui sont par ailleurs avocats. À défaut donc de prévenir le conflit d’intérêts, il pourra être appréhendé par le prisme de la répression.

En dehors de la spécificité de certains domaines, inhérents à la responsabilité professionnelle [8], l’avocat est donc décidément un responsable pénal comme les autres.

En réalité, les particularités de la responsabilité pénale s’expriment essentiellement dans sa mise en œuvre, c’est-à-dire au moment de la procédure pénale. Comme le journaliste, le médecin ou tout autre professionnel dépositaire d’un secret, les poursuites engagées à l’encontre d’un avocat se font pour des faits commis par une personne protégée. Les règles afférentes à la perquisition [9], aux écoutes [10] ou encore aux fadettes [11], ces factures détaillées consistant en des relevés de communications téléphoniques, prévoient des conditions précises, ne permettant de retenir que des éléments liés aux faits poursuivis [12]. Cela conduit parfois à l’intervention du Bâtonnier, lequel remplit le rôle de vigie lors de la perquisition d’un cabinet d’avocat. En effet, il pourra - et peut-être devra - discuter la saisie de biens et documents, lesquels seront alors immédiatement placés sous scellés et feront intervenir le juge des libertés et de la détention qui devra rapidement se prononcer sur leur lien avec la procédure [13]. Toutefois, l’on ne saurait se contenter d’un simple inventaire des infractions et des règles de poursuite applicables : en réalité, la responsabilité pénale de l’avocat entretient des rapports ambigus avec le droit commun.

Ce dernier vient parfois heurter de plein fouet les principes forts règlementant la profession d’avocat et l’on pense naturellement au secret professionnel ; mais le droit commun est aussi parfois détourné, quelque peu contorsionné, pour envisager une répression efficace de certains agissements, aussi élémentaires que le devoir de conseil ou le fait de percevoir des honoraires, qui vont aisément relever de la complicité ou du blanchiment.

À dire vrai, la difficulté est qu’il n’y a pas de conception de la responsabilité pénale de l’avocat ; seul apparaît l’emprunt d’infractions pouvant être imputées à l’avocat, dont le statut particulier s’estompe.

Dès lors, l’enjeu de la responsabilité pénale de l’avocat ne réside pas tant dans les infractions classiques que tout un chacun peut commettre et qui seront éventuellement facilitées par sa fonction ; l’enjeu de la responsabilité pénale de l’avocat est de mesurer le risque réel encouru par le seul exercice de sa fonction.

Quel est le contenu concret de la responsabilité pénale de l’avocat ? Si l’ombre de la responsabilité pénale est immense au regard du contentieux observé, il a pu être justement dit qu’en la matière « le droit interprété est plus riche que le droit légiféré » [14]. Autrement dit, la responsabilité pénale de l’avocat est davantage théorique que performative comme on dirait en linguistique : il ne suffit pas de dire pour que ce soit.

Mais ce constat somme toute rassurant pourrait progressivement être remis en cause. En ce sens, les évolutions de la responsabilité pénale de l’avocat tendent à incriminer ce qui pourrait relever de la réalisation des missions essentielles de l’avocat. Ces missions sont définies à l’article 412 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6513H7D) : « La mission d'assistance en justice emporte pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense sans l’obliger ».

Notre hypothèse est alors de dire qu’un risque pénal semble, à bas bruit, se développer dans les missions de défense du justiciable en premier lieu (I), mais aussi dans les missions de conseil de l’avocat en second lieu (II).

I. La risque pénal généré par l’activité de défense

Le risque pénal suscité par les fonctions de défenseur de l’avocat apparaît dès lors que l’avocat est dans une mission de représentation. On peut ainsi observer d’une part, une parole interdite dans le respect du secret professionnel (A) et d’autre part la répression d’une parole déplacée (B).

A. La parole interdite

La parole interdite d’abord, conduit tout autant à obliger qu’à protéger l’avocat. Précisons d’emblée que l’avocat n’est pas soumis au secret de l’enquête ou de l’instruction en application de l’article 11 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L7022A4T) qui ne vise que les personnes qui « concourent à la procédure ». Le fondement est celui de l’article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG), lequel punit d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende « la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire ». Naturellement, le texte ne peut pas être mobilisé lorsque l’avocat livre des éléments de la procédure pénale à son client.

En ce sens, les textes règlementaires organisant la profession d’avocat assujettissent explicitement l’avocat au secret de l’enquête et de l’instruction, que ce soit sur le fondement de l’article 160 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), de l’article 5 du décret du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) ou de l’article 2 bis du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat (N° Lexbase : L4063IP8).

La Cour de cassation est constante et très claire sur ce point [15] : l'avocat ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel et il ne peut, notamment, communiquer à quiconque, sauf à son client pour les besoins de la défense, des renseignements concernant des procédures pénales. S’il serait piquant d’imaginer qu’un avocat puisse être cité comme témoin et être ainsi tenu de prêter serment, cela ne l’empêche pas de s’abstenir de toutes les réponses que la loi lui interdit [16]. La Cour de cassation le rappelle depuis le 19ème siècle, et elle a même pu affirmer en 1862 à ce sujet que l’avocat a toujours été tenu de garder un secret inviolable sur tout ce qu'il apprend et que cette obligation absolue est d’ordre public [17]. L’on comprend alors logiquement que l’audition comme témoin d’une personne tenue au secret professionnel encourt la nullité lorsque ses déclarations comportent la révélation d’informations protégées [18].

En allant un peu plus loin dans le dévoilement des éléments d’une procédure, est incriminée à l’article 434-7-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3739HGL) la divulgation d’éléments de la procédure dans le but d’entraver l’action de la justice. Cette disposition issue de la loi n° 2004-204 dite « Perben II » du 9 mars 2004 (N° Lexbase : L1768DP8) avait, dans un premier temps, été établie dans des termes relativement larges qui ont suscité la mobilisation de la profession à la suite de la mise en cause d’une avocate sur ce fondement. La loi n° 2005-1549 du 12 décembre 2005 (N° Lexbase : L4971HDH) en a alors réduit le périmètre en imposant un dol spécial [19] et en diminuant les peines encourues [20]. L’exigence de ce dol spécial a conduit à passer d’une révélation directe ou indirecte de nature à entraver le déroulement de la justice…à une révélation réalisée sciemment dans le dessein d’entraver le déroulement de la justice. Cette modification minime semble toutefois avoir une incidence : en exigeant la démonstration de cette finalité, on exige une preuve très difficile à rapporter mais implicitement déduite de l’agissement. Dès lors, soit on présume cette finalité avec la théorie de la connaissance obligée (l’auteur ne pouvait ignorer) ; soit le texte est désamorcé en raison de cette probatio diabolica.  Il n’en demeure pas moins que le dispositif est très peu sollicité : trois arrêts de la Cour de cassation sur ce fondement concernent un avocat, dont une question prioritaire de constitutionnalité écartée [21], un arrêt de rejet contre un arrêt de condamnation et un pourvoi contre une décision de renvoi de la chambre de l’instruction [22]. La question n’est toutefois pas purement théorique et l’incrimination semble poser un interdit très important à des moments-clé de la procédure, empêchant par exemple l’avocat d’informer quiconque, c’est-à-dire les éventuels complices ou coauteurs, qu’il s’est entretenu avec une personne placée en garde à vue. Si l’on adopte l’hypothèse de la neutralisation, que reste-t-il ? Lorsque le droit spécial s’effondre ou s’évapore, il est toujours possible de revenir au texte général de la violation du secret professionnel.

B. La parole déplacée

À côté de la parole interdite liée au secret, l’on peut trouver d’autre part une parole déplacée qui pourrait engager la responsabilité pénale de l’avocat. Il s’agit ici notamment de la diffamation et de l’outrage à magistrat.

La diffamation consiste en toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé, en application des articles 29 et 30 de la loi du 29 juillet 1881.

L’outrage implique une atteinte à la dignité ou au respect dû à la fonction. Si le texte est souvent illustré par l’insolence du prévenu, l’article 434-24 du Code pénal (N° Lexbase : L1937AMP) a aussi pu être employé à l’endroit d’un avocat.

Face à ce risque pénal, et de manière générale, le principe est celui de l’immunité judiciaire de l’avocat, prévue par l’article 41 de la loi du 29 juillet 1881. Le texte dispose que « Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux ». Toutefois, cette immunité est loin d’être absolue en ce que le propos doit être tenu à l’audience et que la bonne foi implique, pour être admise, la prudence et la circonspection des propos.

L’on pourrait ensuite trouver appui sur un fondement légal en matière de diffamation et mobiliser le fait justificatif spécial de l’article 35 de la loi de 1881. Ce dernier prévoit en son dernier alinéa que « Le prévenu peut produire pour les nécessités de sa défense, sans que cette production puisse donner lieu à des poursuites pour recel, des éléments provenant d'une violation du secret de l'enquête ou de l'instruction ou de tout autre secret professionnel s'ils sont de nature à établir sa bonne foi ou la vérité des faits diffamatoires. ». On comprend ici que l’absence de poursuite pour recel de violation d’un secret protégé par la loi ne vise pas l’avocat dès lors que la jurisprudence n’admet pas l’auto-recel.

Une question survient alors : à ces dispositions réprimant la parole interdite ou la parole déplacée, peut-il être opposé le fait justificatif général de l’exercice des droits de la défense ? Rien ne semble formellement s’y opposer et l’avocat pourrait ainsi légitimement révéler une information protégée pour sa défense lorsqu’il est mis en cause (l’avocat agit alors en défendeur). Mais la question vient aussi légitimement se poser pour la défense de son client (l’avocat agissant alors en défenseur), dès lors que cette divulgation serait strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense.

Ainsi, le fait justificatif général de l’exercice des droits de la défense consacré par la jurisprudence [23] et appliqué depuis longtemps au plaideur auteur d’un vol, d’un recel de violation du secret de l’instruction ou encore d’un abus de confiance pourrait être utilement invoqué.

De manière isolée, l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, Mor contre France [24] dans une affaire où une avocate était mise en cause pour s’être exprimée sur un rapport d’expertise couvert par le secret de l’instruction dans une affaire en cours concernant le vaccin de l’hépatite B, avait conduit la cour à faire primer la liberté d’expression consacrée par l’article 10 de la Convention (N° Lexbase : L4743AQQ) sur la violation du secret professionnel, notamment en se fondant sur le respect des droits de la défense, mais également sur l’enjeu du débat d’intérêt général.

Plus précisément, il s’agit de savoir si l’on peut sérieusement envisager ce fait justificatif pour l’avocat en vue de la défense de son client. En apparence, rien ne s’y oppose, sous réserve d’un examen de la proportionnalité de l’atteinte à justifier, comme l’exige tout fait justificatif. En effet, le fait justificatif de l’exercice des droits de la défense a été consacré par la jurisprudence pour pallier une rupture d’égalité des armes, particulièrement au regard du contentieux prud’homal. Or, est-ce qu’une inégalité probatoire peut être établie au détriment de l’avocat ? Rien n’est moins sûr et le fait justificatif pourrait alors ne pas être retenu et la responsabilité pénale de l’avocat serait engagée.

Ainsi, l’activité de défense est susceptible de générer un risque pénal essentiellement caractérisé par la teneur des paroles prononcées par l’avocat en dehors du prétoire.

Si un risque pénal peut être suscité par l’activité de défense, il faut aussi envisager la teneur du risque pénal induit par l’activité de conseil.

II. Le risque pénal généré par l’activité de conseil

Le risque pénal généré par l’activité de conseil mérite attention notamment au regard de ses récentes évolutions, pour ne pas dire glissements. En effet, l’avocat, au regard de sa fonction va devoir respecter plusieurs obligations : il d’abord devoir s’abstenir (A), il va ensuite être tenu de déclarer (B), mais il devra enfin mesurer ses conseils au risque de trop en dire (C).

A. L’obligation de s’abstenir

D’abord, l’obligation de s’abstenir réside dans le fait que l’avocat va être confronté, lorsqu’il assure la défense de clients impliqués dans une procédure pénale, à des agissements frauduleux dont il ne doit pas profiter. En ce sens, il ne saurait, par sa fonction ou ses compétences, faciliter la dissimulation de l’origine infractionnelle d’un bien, au risque de se voir reprocher le délit de blanchiment [25]. Or, il ne faudrait pas tomber dans un cercle vicieux mettant en péril les droits de la défense et consistant à admettre le blanchiment dès lors que l’avocat accepte par exemple le paiement de ses honoraires en ayant défendu l’auteur d’un trafic de stupéfiants ou un proxénète. Et ce d’autant plus que l’agissement semble systématiquement aggravé par les facilités conférées par la fonction [26], sans compter qu’il existe une présomption d’origine délictueuse des fonds [27]. La Chambre criminelle, dans une décision rendue le 20 mai 2009 [28], a pu rejeter le pourvoi formé contre un arrêt qui avait retenu la responsabilité pénale du conseil, notamment « au regard de la particularité des faits s'inscrivant dans le contexte de la défense de celui qui a été déclaré pénalement responsable ». Une telle motivation par les juges du fond, implicitement validée par la Cour de cassation, interroge même si elle demeure isolée. Mais l’actualité, du blanchiment est ailleurs. En effet, en qualité de confident, l’avocat est l’oreille de l’auteur de l’infraction, et le législateur a souhaité l’ériger en relai informel, en véritable indicateur, en vue de prévenir et de lutter contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

B. L’obligation de vigilance

C’est ensuite une obligation de dire qui va s’imposer à l’avocat. Une double obligation repose sur lui. D’un côté, l’avocat est assujetti à une obligation de vigilance et d’identification de ses clients [29]. Concrètement, ce sont les fameuses obligations de KYC « know your client » : il doit connaître ses clients et les co-contractants de ses clients, à savoir les bénéficiaires effectifs des opérations dans lesquelles il peut être amené à conseiller ou assister son client. L’impossibilité de recueillir de telles information constituent un obstacle dirimant à l’avocat qui doit cesser toute mission.

Le champ de vigilance de l’avocat concerne des opérations limitativement énumérées par la loi [30] et qu’il mène en qualité de mandataire ou en tant qu’assistant préparant la rédaction d’actes ou encore lorsque l’avocat intervient en qualité de fiduciaire mais aussi depuis l’ordonnance du 12 février 2020 [31] (N° Lexbase : L9352LUW) en matière de conseil fiscal. Par exemple, sont ainsi concernés l’achat ou la vente immobilière ou de fonds de commerce, l’ouverture d’un compte en banque, l’organisation des apports en sociétés et plus largement, la gestion et la direction des sociétés.

En revanche, l’avocat qui intervient dans le cadre d’une procédure juridictionnelle ou d’une consultation juridique n’est pas soumis à l’obligation de vigilance, sauf naturellement si la consultation a précisément pour conséquence le blanchiment de capitaux ou le financement du terrorisme.

D’un autre côté, l’avocat est soumis à une obligation de déclaration en cas de soupçon de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. Cette déclaration n’est pas faite directement à Tracfin mais transite par le bâtonnat : il n’y a en réalité aucune relation directe entre Tracfin et l’avocat qui, par cette déclaration, enfreint le secret professionnel et bénéficie en contrepartie d’une immunité. Il va sans dire que ce dispositif place l’avocat dans une position suffisamment inconfortable pour que, sur l’année 2019, Tracfin n’ait recensé que douze déclarations provenant des avocats (sur 56 000 signalements) [32]. Conscient de cette difficulté, et comme une marque de défiance à l’endroit des avocats, le législateur en transposant la 5ème directive anti-blanchiment par l’ordonnance du 12 février 2020 (N° Lexbase : L9352LUW) a élevé les CARPA au rang d’assujetties, au même titre que les avocats.

Il faut alors bien comprendre qu’une déclaration de soupçon par l’avocat ne le protège que d’une violation du secret professionnel. Il n’en demeure pas moins qu’ici, le secret de l’avocat fond devant l’impératif de l’intérêt général et de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, sans que la Cour européenne des droits de l’homme n’y voit une atteinte disproportionnée au secret professionnel, comme elle a pu l’affirmer dans l’arrêt Michaud contre France rendu le 23 juillet 2010 [33].

Que se passe-t-il en cas de non-respect de l’obligation de déclaration à TRACFIN ?

En soi, l’abstention n’est pas érigée en délit mais il est indéniable qu’une telle omission constituerait une preuve préconstituée permettant d’établir l’élément intentionnel de la complicité de blanchiment, en passant là-encore par la théorie de la connaissance obligée et des présomptions en chaîne : l’avocat ne pouvait ignorer l’origine ou la destination infractionnelle des fonds. Or, nous avons rappelé que dès lors que l’avocat est soupçonné d’avoir commis une infraction, la perquisition de son cabinet est possible [34], ou encore des écoutes lesquelles pourraient inclure des conversations relevant des échanges avec son client puisqu’en la matière, seule leur retranscription est impossible à peine de nullité [35]. C’est dire qu’il reste peu de chose du secret des avocats, lequel devient perméable.

À ce stade, les mauvaises langues diraient que l’avocat peut être aisément appréhendé en qualité de suspect ou bien de délateur d’un agissement pénal. Mais c’est sans compter la complicité dont l’avocat - et même le très bon avocat - pourrait être suspecté en cas de fraude fiscale.

C. L’obligation de conseil légal

Enfin, l’obligation de ne pas trop en dire implique pour l’avocat de ne pas aller sur le terrain glissant qui serait celui de l’optimisation fiscale car, à trop bien conseiller la réduction de l’impôt, il pourrait conduire son client à éviter cet impôt. Ainsi, de l’optimisation à la fraude, la ligne de démarcation est floue au regard du droit pénal. Deux formes de complicités de fraude fiscale fondées sur l’article 1741 du Code général des impôts (N° Lexbase : L6015LMQ) apparaissent : une complicité pénale et une complicité fiscale.

Classiquement, la complicité pénale pourrait être celle d’une fraude fiscale en application de l’article 1742 (N° Lexbase : L1734HNK) qui prévoit que « Les articles 121-6 (N° Lexbase : L2282AMH) et 121-7 (N° Lexbase : L5525AIH) du Code pénal sont applicables aux complices des délits visés à l'article 1741 (N° Lexbase : L6015LMQ) ». L’avocat fiscaliste est ainsi, de manière assumée par les pouvoirs publics, expressément visé et suspecté lorsqu’il est l’avocat d’un contribuable qui s’est frauduleusement soustrait à l’impôt. Or, l’établissement de la soustraction frauduleuse à l’impôt, qui va jouer ici le rôle de fait principal punissable indispensable à l’établissement de la complicité, implique surtout de démontrer la matérialité du fait. En effet, pour ce qui est de son intention, elle est déduite de cette même matérialité et ne soulève pas grande difficulté. Aussitôt le fait principal punissable établi, l’acte de complicité va résider dans une aide et plus précisément dans une assistance à la réalisation d’actes comme la constitution d’une société ou la déclaration d’impôts.

Mais ce peut aussi être de simples conseils que le client aura suivi. Est-il alors possible d’écarter l’élément intentionnel du contribuable qui aurait aveuglément suivi les conseils de son avocat ? Si le cas d’école venait à se réaliser, il est peu probable que l’absence d’infraction effectivement réprimée pour l’auteur principal soit un obstacle dirimant pour appréhender l’avocat complice dès lors la Cour de cassation depuis un arrêt du 8 janvier 2003 [36] admet la complicité d’un fait qui ne peut pas être reproché à l’auteur principal faute d’élément moral.

Concrètement, l’acte doit être antérieur ou concomitant mais s’il ne l’est pas, autrement dit si le fait est postérieur, demeure la possibilité d’envisager le recel [37] et cela conduit à faire de la circonstance temporelle un obstacle facilement surmontable.

De manière plus atypique, à côté de la complicité pénale classique, une complicité dite fiscale de fraude fiscale existe depuis peu. En effet, la loi du 23 octobre 2018 (N° Lexbase : L5827LMR) [38] a créé un article 1740 A bis du Code général des impôts (N° Lexbase : L0572LZ9) prévoyant que : « lorsque l'administration fiscale a prononcé à l'encontre du contribuable une majoration de 80 % […], toute personne physique ou morale qui, dans l'exercice d'une activité professionnelle de conseil à caractère juridique, financier ou comptable ou de détention de biens ou de fonds pour le compte d'un tiers, a intentionnellement fourni à ce contribuable une prestation permettant directement la commission par ce contribuable des agissements, manquements ou manœuvres ainsi sanctionnés est redevable d'une amende [égale à 50 % des revenus tirés de la prestation fournie au contribuable, sans que son montant ne puisse être inférieur à 10 000 euros] ». C’est bien par abus de langage que l’on parle de complicité fiscale puisque le fait principal ne doit pas seulement être punissable, mais il doit avoir été effectivement puni.

Toutefois la coloration pénale du texte réapparaît lorsque l’on comprend que cette forme de complicité ne peut pas être retenue lorsque le professionnel fait déjà l’objet de poursuites fondées sur l’article 1742 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1734HNK), à savoir la vraie complicité pénale. En revanche, le cumul est toujours possible avec d’éventuelles poursuites de l’avocat pour blanchiment de fraude fiscale, délit qui n’est pas soumis au verrou de Bercy et qui voit sa caractérisation d’autant plus facilitée par l’existence d’une présomption d’origine illicite de capitaux de l’article 324-1-1 du Code pénal (N° Lexbase : L9415IYD).

Il ressort de ce panel très incomplet du risque pénal encouru par l’avocat un secret professionnel considérablement affaibli et une responsabilité pénale qui, petit à petit, vient se déployer sur les missions mêmes de l’avocat.

 

[1] La responsabilité pénale de l’avocat et du notaire (dir.) M. Bénéjat, Travaux de l’Institut de Sciences Criminelles et de la Justice de Bordeaux, vol. 3, éd. Cujas, 2011.

[2] Cass. crim., 27 mai 2013, bull. 112, n° 12-83.667.

[3] Cass. crim., 10 novembre 1999, n° 98-81762 (N° Lexbase : A5591AWY).

[4] Cass. crim., 17 décembre 2003, n° 02-87151.

[5] C. pén., art. 434-35 (N° Lexbase : L1228LDT) (la peine encoure étant aggravée lorsque l’auteur est habilité par ses fonctions à pénétrer dans un établissement pénitentiaire ou à approcher, à quelque titre que ce soit, des détenus), Cass. crim., 12 mai 1992, n° 91-82.973 (N° Lexbase : A0614ABD).

[6] Cass. crim., 24 janvier 2018, n° 16-83045, FS-P+B (N° Lexbase : A8519XB7).

[7] Cons. const., décision n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, cons. 52 et 53 (N° Lexbase : A4215KM3). En effet, le texte législatif soumis au contrôle a priori du conseil constitutionnel (devenue la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 pour la transparence de la vie publique N° Lexbase : L3622IYS) contenait une disposition modifiant l’article L.O. 146 du Code électoral (N° Lexbase : L7397LG3) qui avait pour objet d'interdire à un parlementaire de continuer à exercer une fonction de conseil, quelle qu'en soit la nature, lorsqu'il ne l'exerçait pas avant le début de son mandat dans le cadre d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé. Le conseil a ainsi estime que « le législateur a institué des interdictions qui, par leur portée, excèdent manifestement ce qui est nécessaire pour protéger la liberté de choix de l'électeur, l'indépendance de l'élu ou prévenir les risques de confusion ou de conflits d’intérêts ». Et ce alors qu’en toute hypothèse, l’article L.O. 149 du Code électoral (N° Lexbase : L9621LE3) interdit à tout avocat élu de plaider ou consulter pour des entreprises publiques dès lors qu’il n’était pas leur conseil habituel avant l’élection.

[8] M. Bénéjat, La responsabilité pénale professionnelle, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque des Thèses, vol. 111, 2012.

[9] C. proc. pén., art. 56-1 (N° Lexbase : L0488LTA) et s..

[10] C. proc. pén., art. 100-7 (N° Lexbase : L5915DYQ).

[11] C. proc. pén., art. 60-1 (N° Lexbase : L7424LPN) et s. et 77-1-1 (N° Lexbase : L5533LZX) et s.

[12] Et ce quand bien même les conditions renforcées des fadettes impliquant le consentement de la personne protégée ne sont pas applicables lorsque les factures détaillées visent une personne protégée mais sont livrées par son opérateur par exemple, Cass. crim., 14 mai 2013, n° 11-86.626, FS-P+B (N° Lexbase : A5105KDG), Procédure 2013, n° 220 ; AJ Pénal 2013. 467.

[13] C. proc. pén., art. 56-1 (N° Lexbase : L0488LTA).

[14] D. Bouthors, La responsabilité des avocats. Les frontières entre civil, pénal et disciplinaire, RLDC 2020, n° 179, p. 25. Dans le même sens, M. Bénéjat, La responsabilité pénale de l’avocat, in La responsabilité pénale de l’avocat et du notaire (dir.) M. Bénéjat, Travaux de l’Institut de Sciences Criminelles et de la Justice de Bordeaux, vol. 3, éd. Cujas, 2011, p. 13.

[15] Cass. crim., 18 décembre 2001, n° 01-84.170, FS-P+F (N° Lexbase : A8328AXQ).

[16] C. proc. pén., art. 103 (N° Lexbase : L3436AZB), 331 (N° Lexbase : L7526LPG) et 437 (N° Lexbase : L3445IGP), ce dernier dispose que « Toute personne citée pour être entendue comme témoin est tenue de comparaître, de prêter serment et de déposer sous réserve des dispositions des articles 226-13 (N° Lexbase : L5524AIG) et 226-14 (N° Lexbase : L8549LXW) du Code pénal ».

[17] Cass. crim. 24 mai 1862, S. 1862.1.995.

[18] Cass. crim., 30 octobre 2001, n° 01-84.779 (N° Lexbase : A5873CKQ).

[19] La loi a modifié le champ de l’intention, passant d’une révélation « de nature à » à une révélation faite sciemment « dans le but d’entraver ».

[20] Lesquelles étaient à l’origine de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende ; elles ont été abaissées à trois ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende.

[21] Cass. crim., 7 juin 2011, n° 10-88.260, F-D (N° Lexbase : A8460HTI).

[22] Cass. crim., 27 mars 2012, n° 11-88.321, F-P+B (N° Lexbase : A9846III), Bull. crim., n° 82 ; Cass. crim., 8 novembre 2011, n° 10-88.260, F-D (N° Lexbase : A7667H8H).

[23] Cass. crim., 11 mai 2004, n° 03-80.254, FS-P+F+I (N° Lexbase : A5245DCA), D. 2004. 2326 ; RSC 2004. 635 et 866 ; JCP 2004. II. 10124 ; Dr. pénal 2004. 122 ; LPA, septembre 2004.

[24] CEDH, 15 décembre 2011, n° 28198/09, Mor c. France (N° Lexbase : A6142IAQ), D., 2012, 100 ; JCP, 2012, 26. Dans le même sens, pour ce qui concerne l’affaire dite du juge Borrel, CEDH, 23 avril 2015, n° 29369/10, Morice c. France (N° Lexbase : A0406NHI), D., 2015, 974 ; AJ pénal, 2015, 428 ; RSC, 2015, 740 ; D., 2016, 225.

[25] C. pén., art. 324-1 (N° Lexbase : L1789AM9) en ses alinéas 1 et 2 réprime « le fait de faciliter, par tout moyen, la justification mensongère de l'origine des biens ou des revenus de l'auteur d'un crime ou d'un délit ayant procuré à celui-ci un profit direct ou indirect.

Constitue également un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. »

[26] C. pén., art. 324-2 (N° Lexbase : L1958AMH).

[27] C. pén. art. 324-1-1 (N° Lexbase : L9415IYD).

[28] Cass. crim., 20 mai 2009, n° 08-86.786, F-D (N° Lexbase : A5986EIK) ; E. Daoud et M. Sobel, La fraude fiscale, le blanchiment et l’avocat, AJ pénal, 2013, 648.

[29] C. mon. fin., art. L. 561-2, 13° (N° Lexbase : L0451LZQ).

[30] C. mon. fin., art. L. 562-3 (N° Lexbase : L6209LYM).

[31] Ordonnance n° 2020-115 du 12 février 2020 renforçant le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (N° Lexbase : L9352LUW).

[32] Il faut toutefois noter que douze déclarations en 2019, c’est douze fois plus qu’en 2018, Rapport d’activité et d’analyse de Tracfin, 2019.

[33] CEDH, 6 décembre 2012, n° 12323/11, Michaud c. France (N° Lexbase : A3982IY7), AJDA, 2012, 165 ; D., 2013, 284 et 1647 ; D., 2014, 169 ; AJ pénal, 2013, 160 ; Dalloz. avocats, 2013, 8 et 96 ; RFDA, 2013, 576 ; RSC, 2013,. 160 ; RTD eur., 2013, 664 ; Rev. UE, 2015, 353.

[34] C. proc. pén., art. 56-1 (N° Lexbase : L0488LTA).

[35] C. proc. pén., 100-5 (N° Lexbase : L3498IGN).

[36] Cass. crim., 8 janvier 2003, n° 01-88.065, F-P+F (N° Lexbase : A5987A4I), JCP G, 2003, II, 10059 ; D., 2004, 310 ; D., 2003, 2661.

[37] C. pén., art. 321-1 (N° Lexbase : L1940AMS).

[38] Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude (N° Lexbase : L5827LMR).

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