Lexbase Fiscal n°852 du 28 janvier 2021 : Fiscalité internationale

[Conclusions] Répartition du droit d’imposition dans une convention : exemple de la convention fiscale franco-brésilienne - Conclusions du Rapporteur public

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 11 décembre 2020, n° 440307, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A654939G)

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[Conclusions] Répartition du droit d’imposition dans une convention : exemple de la convention fiscale franco-brésilienne - Conclusions du Rapporteur public. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64530674-conclusions-repartition-du-droit-dimposition-dans-une-convention-exemple-de-la-convention-fiscale-fr
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par Karin Ciavaldini, Rapporteure publique au Conseil d’État

le 05 Février 2021


Mots-clés : convention fiscale • imposition • plus-value immobilière

L’article 13 de la convention fiscale franco-brésilienne, en prévoyant que certains gains sont imposables dans l’État où ces biens sont situés, n’a ni pour objet, ni pour effet d’exclure toute possibilité pour l’État dont le contribuable est résident, d’imposer également ces gains.

👉L’État de la source (le Brésil) ne dispose pas d’un droit exclusif d’imposition.

Telle est la solution retenue par le Conseil d’État dans un arrêt en date du 11 décembre 2020. Lexbase Hebdo Édition Fiscale vous propose les conclusions de la Rapporteure publique, Karin Ciavaldini.


 

 

Mme Guilhem de P. a cédé en 2008 des actions d’une société de droit brésilien dont l’actif était principalement composé de biens immobiliers. Elle a estimé que la plus-value réalisée n’était imposable qu’au Brésil. Dans le cadre d’un contrôle sur pièces, l’administration fiscale a au contraire estimé que cette plus-value était imposable en France, tout en acceptant l’imputation sur l’impôt français de l’impôt acquitté au Brésil. Mme Guilhem de P. a contesté sans succès les cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de contributions sociales mises à sa charge devant le tribunal administratif de Lyon, mais elle a obtenu gain de cause devant la cour administrative d’appel de Lyon, par un arrêt du 12 mars 2020 contre lequel le ministre se pourvoit en cassation.

La plus-value en litige était imposable en France en vertu de la loi fiscale française mais les juges du fond se sont divisés sur le point de savoir si la convention fiscale du 10 septembre 1971 entre la France et le Brésil (N° Lexbase : E0486EUK) faisait obstacle à cette imposition. L’article 13 de cette convention stipule, en son paragraphe 1, que : « Les gains provenant de l’aliénation de biens immobiliers … ou de l’aliénation de parts ou de droits analogues dans une société dont l’actif est composé principalement de biens immobiliers sont imposables dans l’État contractant où ces biens immobiliers sont situés ». Le dossier pose l’unique question de savoir comment interpréter les clauses des conventions fiscales ainsi rédigées : en énonçant que des revenus « sont imposables » dans l’un des Etats contractants, ces clauses retirent-elles ou non à l’autre État le droit d’imposer également ?

Dans son ouvrage Les impôts dans les affaires internationales, Bruno Gouthière estime que la jurisprudence sur ce point est un peu hésitante [1]. Elle est, en outre, très peu fournie.

Certaines formulations des conventions fiscales sont dépourvues d’ambiguïté : tel est le cas de celles qui indiquent que certains revenus « ne sont imposables que » dans un Etat (cf. le paragraphe 2 de l’article 13 de la convention franco-brésilienne) ou que certains revenus « sont imposables dans les deux Etats contractants » (cf. le paragraphe 3 de l’article 13 de la convention franco-brésilienne). Comme le rappelle aussi Bruno Gouthière, les formules utilisées par les conventions fiscales ne sont pas neutres. Nous en tirons comme première conclusion que la formule « sont imposables … » ne doit pas être lue comme ayant exactement la même portée que la formule « ne sont imposables que … ». La motivation de l’arrêt de la Cour de cassation du 24 mars 1992, n° 572 P, « Le Marois d’Andlau » [2] nous paraît donc contestable, en ce qu’elle énonce que la stipulation : « la fortune constituée par des biens immobiliers … est imposable dans l’État contractant où les biens sont situés », dénuée d’équivoque, réserve à l’État où les immeubles sont situés le droit de les imposer. Nous contestons à la fois l’appréciation portée par la Cour de cassation sur la clarté d’une telle stipulation, prise à elle seule, et l’interprétation que l’arrêt donne de celle-ci.

À la différence des deux autres que nous avons précédemment citées, la formule ici en cause ne nous paraît donner, en elle-même, aucune indication sur le droit ou non d’imposer pour l’autre État contractant. C’est la position de Bruno Gouthière, qui indique dans son ouvrage précité : « cette expression ne dit rien de ce qui peut se passer dans l’autre Etat, et certainement pas que ces revenus n’y sont pas imposables » [3].

Il nous semble qu’en présence de cette formule, c’est dans d’autres stipulations de la convention, en l’occurrence celles tendant à l’élimination de la double imposition, qu’il faut chercher la réponse à la question de savoir si l’autre État peut, lui aussi, imposer les mêmes revenus. C’est d’ailleurs le sens de votre décision du 26 février 1992, « Malet » [4] (CE 7° et 8° ssr., 26 février 1992, n° 83461 N° Lexbase : A0976AIY). Etaient en cause des revenus relevant de la clause balai de l’article 22-1-a de la convention franco-américaine du 28 juillet 1967 [5], qui prévoyait que de tels revenus provenant d’un État contractant étaient imposables dans cet Etat contractant. Les revenus en litige provenaient des États-Unis et, pour juger qu’ils n’étaient pas imposables en France, vous vous êtes référés à l’article 23 de la convention, relatif à l’élimination de la double imposition, qui prévoyait que de tels revenus étaient, en France, exonérés d’impôt sur le revenu. Dans les conclusions sur cette décision, le Président Fouquet indiquait : « si, a priori, le caractère ʺimposableʺ dans un État n’exclut pas l’imposition dans l’autre État, c’est sous réserve des stipulations de la clause d’élimination de la double imposition ». Bruno Gouthière ne nous paraît d’ailleurs pas en désaccord avec cette approche puisqu’il justifie la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt « Le Marois d’Andlau » par l’absence de clause d’élimination de doubles impositions et par le fait qu’aucune stipulation de la convention fiscale franco-suisse ne donnait à la France le droit d’imposer, ce qui équivaut à une interdiction.

Il est vrai qu’une autre de vos décisions semble aller pleinement dans le sens de l’arrêt de la Cour de cassation (CE 8° et 9° ssr., 9 février 2000, n° 178389, publié au recueil Lebon Société suisse Hubertus AG N° Lexbase : A9245AGI[6]. Mais le motif en cause fait seulement l’objet d’une incidente, la portée de la décision étant de juger que l’article correspondant de la convention fiscale n’était pas applicable au litige. Cette décision ne nous paraît donc pas trancher réellement la question.

Enfin, le ministre invoque les commentaires du modèle de convention de l’OCDE de 1963, antérieurs à la convention fiscale franco-brésilienne. Ces commentaires explicitent, de manière générale, les formulations précitées en les mettant en relation avec l’objet même des conventions, qui est l’élimination des doubles impositions. Le Brésil n’étant pas membre de l’OCDE, il est délicat de s’appuyer pleinement sur ces commentaires pour éclairer la portée des formulations retenues par la convention franco-brésilienne, en l’absence de certitude que les parties contractantes ont entendu s’y référer. Cependant, on peut constater qu’ils confortent l’approche que nous avons proposée plus haut. Ils indiquent que, lorsque l’État de la source abandonne son droit d’imposition, l’article correspondant déclare que le revenu et la fortune en question « ne sont imposables que » dans l’autre État. En revanche, lorsque l’État de la source ne renonce pas à l’impôt – dans ce cas, l’article correspondant stipule que les revenus ou la fortune « sont imposables » dans l’État de la source –, l’État de la résidence doit accorder une déduction de façon à éviter la double imposition. Toujours selon les commentaires, la formule « sont imposables » dans l’État de la source a pour effet d’accorder une priorité d’imposition à cet État, ce qui a pour conséquence que c’est à l’État de la résidence qu’incombe le soin d’éviter la double imposition.

Il est temps de revenir à l’arrêt attaqué, pour constater que la cour semble bien avoir estimé devoir combiner la stipulation de l’article 13, paragraphe 1, de la convention franco-brésilienne avec celles de l’article 22, relatif à l’élimination des doubles impositions, qu’elle a également citées. Mais le motif déterminant de la solution retenue par la cour reste, néanmoins, nous semble-t-il, la seule comparaison entre la formule du paragraphe 1 de l’article 13 : « sont imposables dans l’État contractant où les biens immobiliers sont situés » et celle du paragraphe 3 du même article : « sont imposables dans les deux États contractants ». Sur le fondement de cette différence de rédaction, elle semble avoir estimé que le paragraphe 1 de l’article 13 devait être lu comme réservant l’imposition à l’État contractant où les biens immobiliers sont situés.

Or, il nous semble que les stipulations de l’article 22 de la convention devaient, en l’espèce, conduire à une autre conclusion. Dans le cas de la France, elles prévoient d’abord, dans un a), que les revenus autres que ceux visés aux b et c sont exonérés des impôts français mentionnés au paragraphe 1 de l’article 2, lorsque ces revenus sont imposables au Brésil en vertu de la convention. Si les revenus en litige entraient dans les prévisions de ces stipulations, la solution de la cour serait justifiée (on serait dans la configuration de votre décision Malet précitée). Mais les revenus visés à l’article 13 relèvent du c), qui prévoit qu’« En ce qui concerne les revenus visés aux articles 10, 11, 12, 13, 14, 16 et 17 qui ont supporté l’impôt brésilien conformément aux dispositions desdits articles, la France accorde aux résidents de France percevant de tels revenus de source brésilienne un crédit d’impôt correspondant à l’impôt perçu au Brésil et dans la limite de l’impôt français afférent à ces mêmes revenus ».

Mme Guilhem de P. conteste toutefois que ces stipulations du c) confèrent à la France le pouvoir d’imposer les revenus en cause. Il est vrai que certaines conventions fiscales sont rédigées de manière extrêmement claire sur ce point. Pour prendre un exemple, parmi d’autres, la convention entre la France et la Suisse du 9 septembre 1966 (N° Lexbase : E1728EUK), dans sa version actuellement en vigueur, prévoit, au paragraphe 2 de l’article 25 : « Un résident de France qui possède de la fortune imposable en Suisse conformément aux dispositions des paragraphes 1, 2, 4 ou 5 de l’article 24 est également imposable en France à raison de cette fortune [7]. L’impôt français est calculé sous déduction d’un crédit d’impôt égal au montant de l’impôt payé en Suisse sur cette fortune … » [8]. Mais les stipulations de l’article 22, paragraphe 2, c) de la convention franco-brésilienne, qui font référence à « l’impôt français afférent » aux revenus en cause, nous paraissent suffisantes pour traduire l’intention des parties de permettre à la France d’imposer.

Par ailleurs, une telle stipulation d’élimination de la double imposition n’aurait pas de sens si la stipulation relative aux revenus qu’elle vise avait pour effet d’empêcher l’imposition par l’État de la résidence. On pourrait certes encore objecter que, l’article 13 comportant plusieurs paragraphes formulés de manière différente, la mention de l’article 13 dans l’énumération de l’article 22, paragraphe 2, c) ne pourrait viser que les revenus pour lesquels l’article 13 accorde expressément le droit d’imposer aux deux États (autrement dit, ceux visés au paragraphe 3). Mais figurent également dans l’énumération du c du paragraphe 2 de l’article 22 les articles 16 et 17 de la convention, qui sont rédigés strictement de la même manière que le paragraphe 1 de l’article 13 (i.e. avec la formule : « sont imposables »). Nous en concluons que les stipulations de l’article 22, paragraphe 2, c) autorisent la France à imposer les revenus visés au paragraphe 1 de l’article 13 et prévoient les modalités d’élimination de la double imposition.

Nous vous proposons donc de juger que la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu’il ne résultait pas des stipulations des articles 13 et 22 paragraphe 2 de la convention franco-brésilienne que la plus-value en litige pouvait faire l’objet, non seulement d’une imposition au Brésil, mais aussi d’une imposition en France. Vous annulerez les articles 2 à 4 de l’arrêt attaqué et renverrez, dans cette mesure, l’affaire à la cour administrative d’appel de Lyon. L’État n’étant pas la partie perdante, vous rejetterez les conclusions présentées par Mme Guilhem de P. au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Tel est le sens de nos conclusions.

 

[1] Sur cette question, voir, dans la 13e édition de l’ouvrage, les paragraphes 9560 et 10445 à 10470.

[2] RJF, 6/92 n° 909, Étude de Stéphane Salou et Philippe Juilhard p. 477.

[3] Les impôts dans les affaires internationales, § 10445.

[4] Aux T. et à la RJF, 4/92, n° 534.

[5] Dans sa rédaction applicable aux années d’imposition en litige – 1979 à 1981 –, antérieure à l’avenant du 17 janvier 1984.

[6] Au recueil p. 43 et à la RJF, 3/00, n° 342, cl. J. Arrighi de Casanova au BDCF, 3/00, n° 31.

[7] C’est nous qui soulignons.

[8] Voir aussi, notamment, l’article 20-2-c de la convention fiscale du 21 juillet 1959 entre la France et l’Allemagne (N° Lexbase : E0444EUY), l’article 24-1 de la convention fiscale entre la France et l’Argentine du 4 avril 1979 (N° Lexbase : E4262EX7), l’article 23 de la convention fiscale entre la France et la Corée du 19 juin 1979 (N° Lexbase : E5001EXI).

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