Réf. : Cass. soc., 13 janvier 2021, n° 19-13.977, FS-P+R+I (N° Lexbase : A23024CA)
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par Charlotte Moronval
le 21 Janvier 2021
► Il résulte de l’article L. 2262-15 du Code du travail (N° Lexbase : L7758LGG), issu de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 (N° Lexbase : L7631LGQ), que, en cas d’annulation par le juge de tout ou partie d’un accord ou d’une convention collective, celui-ci peut décider, s’il lui apparaît que l’effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l’annulation ne produira ses effets que pour l’avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement.
Faits et procédure. Une cour d’appel annule la clause d’une convention collective fixant la rémunération de certains artistes interprètes. Plusieurs pourvois sont formés contre cette décision. Le dossier est d’abord examiné par la première chambre civile de la Cour de cassation qui rejette la partie des pourvois contestant l’annulation de la clause. Puis le dossier est transmis à la Chambre sociale sur la question de la modulation de la décision d’annulation que la cour d’appel avait décidé de mettre en oeuvre.
En effet, la cour d’appel a, sur le fondement de l’article L. 2262-15 du Code du travail, décidé de reporter les effets de l’annulation de la clause à neuf mois, au motif, d’une part, que l’annulation conduisait à la remise en cause des sommes perçues par les salariés depuis une dizaine d’années, supposant un travail considérable, compliqué par l’ancienneté des situations établies avec une collecte de données de grande ampleur pour un résultat incertain en vue d’une reconstitution des droits de chacun, d’autre part, que le maintien de la clause pour le passé n’était pas de nature à priver les salariés de contrepartie et enfin qu’il convenait de laisser un délai raisonnable aux partenaires sociaux pour convenir d’une nouvelle clause de rémunération licite.
La solution. Énonçant la solution susvisée, la Chambre sociale casse et annule l’arrêt rendu par la cour d’appel.
Étant rappelé que, de l'article L. 2262-15 du Code du travail, il résulte qu'« en cas d'annulation par le juge de tout ou partie d'un accord ou d'une convention collective, celui-ci peut décider, s'il lui apparaît que l'effet rétroactif de cette annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, que l'annulation ne produira ses effets que pour l'avenir ou de moduler les effets de sa décision dans le temps, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de sa décision sur le même fondement ».
→ Sur l'applicabilité de la modulation aux accords conclus avant l'entrée en vigueur de la loi. La Chambre sociale énonce qu’en l'absence de dispositions transitoires spécifiques, l'article L. 2262-15 est d'application immédiate, quelle que soit la date à laquelle l'accord collectif a été conclu.
→ Sur les conditions d'application du dispositif. La Chambre sociale retient que la cour d'appel a caractérisé les conditions de mise en œuvre de l'article L. 2262-15, en soulignant l'importance des conséquences de l'annulation au regard du nombre de salariés concernés et du temps écoulé, la complexité d'une application rétroactive, et en relevant que la non-rétroactivité ne privait pas les salariés d'une contrepartie compte tenu de la clause restant applicable. Les juges ont ainsi caractérisé l'existence d'un intérêt général l'autorisant à reporter les effets de l'annulation de la clause. Elle estime que la cour d'appel pouvait non seulement dire que la décision ne prendrait effet que pour l'avenir, mais en outre donner un délai raisonnable aux parties pour négocier un nouvel accord.
→ Sur l'incidence de la modulation sur les actions contentieuses déjà engagées. En l’espèce, ce n’étaient pas des personnes physiques mais des organisations syndicales qui avaient agi en nullité. Et elles sollicitaient des dommages et intérêts pour atteinte à l’intérêt collectif de la profession. La cour d’appel les en a déboutés au motif que la non rétroactivité les empêchait de se prévaloir de l’irrégularité passée de la clause au titre de leur préjudice. Par un moyen relevé d’office, la Chambre sociale censure ce raisonnement contraire aux termes de l’article L. 2262-15 et au droit au juge. La modulation des effets de la décision de l’annulation ne peut être opposée à l’encontre des demandes contentieuses formées par les parties avant la décision, que ces parties soient des personnes physiques ou des personnes morales. La demande au titre de l’atteinte que l’illicéité de la clause pouvait avoir porté à l’intérêt collectif de la profession devait donc être examinée.
A retenir. Dans cet arrêt, la Chambre sociale statue pour la première fois sur la mise en oeuvre des dispositions issues de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 prévoyant la possibilité pour le juge de moduler les effets dans le temps de sa décision en cas d’annulation d’une clause d’un accord collectif. Pour en savoir plus. Lire la note explicative. |
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