La lettre juridique n°850 du 14 janvier 2021 : Sociétés

[Jurisprudence] Convocation de l’AG par les commanditaires : l’exigence de l’intérêt social

Réf. : CA Paris, Pôle 1, 2ème ch., 17 décembre 2020, n° 20/14832 et 20/14821 (N° Lexbase : A81844AD)

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[Jurisprudence] Convocation de l’AG par les commanditaires : l’exigence de l’intérêt social. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64018255-document-elastique
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par Bernard Saintourens, Professeur à l'Université de Bordeaux

le 13 Janvier 2021


Mots-clés : société en commandite par actions (SCA) • commanditaires • convocation d'une AG • preuve de la conformité à l'intérêt social

La cour d'appel de Paris reprend une ancienne jurisprudence des juges du fond, établie à propos des SA et l'étend à une société en commandite par actions, exigeant que la demande de convocation d'une AG formulée par des commanditaires, sur le fondement de l'article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce, soit conforme à l'intérêt social. Une telle exigence ne manque pas de susciter des interrogations quant à sa pertinence, voire à ses conséquences quant à l'opportunité pour des investisseurs de s'engager en cette qualité pour le financement d'une entreprise sociétaire relevant du droit français.


Le contentieux suscité par le fonctionnement des sociétés en commandite, et singulièrement des commandites par actions, est assez rare pour que l’attention soit opportunément attirée par l’arrêt de la cour d’appel de Paris qui s’est prononcée dans le cadre d’un litige concernant une société de premier plan. Au-delà de la spécificité de l’affaire et de l’appréciation portée, en la circonstance, par les conseillers parisiens sur la pertinence de la demande de convocation d’une assemblée générale formulée par des actionnaires commanditaires, la décision témoigne d’une certaine conception du rôle que peuvent jouer ces actionnaires dans le contrôle de la société. Pour le dire clairement, la position de principe adoptée peut être de nature à faire fuir les investisseurs de cette catégorie de sociétés.

Rapportée à la question juridique en cause, la situation qui est à l’origine de l’affaire porte sur la demande exprimée par des actionnaires commanditaires d’une réunion d’une assemblée générale de la société en commandite par actions concernée, ayant pour ordre du jour la recomposition partielle du conseil de surveillance. Cette demande, adressée dans un premier temps auprès du gérant de la société ayant fait l’objet d’un refus, les commanditaires ont saisi, sur le fondement de l’article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce (N° Lexbase : L6007ISB), le président du tribunal de commerce de Paris pour voir désigner un mandataire ad hoc chargé de procéder à cette convocation sur l’ordre du jour déterminé. Par ordonnance du 14 octobre 2020, le tribunal les a déboutés de leur demande et, par l’arrêt sous examen, la cour d’appel de Paris a confirmé ladite ordonnance.

Le motif invoqué pour débouter les commanditaires tient à ce qu’il n’a pas été démontré que les demandes « tendent à des fins conformes à l’intérêt social ». Sous l’apparence de l’évidence, la formulation suscite tout de même quelques remarques puisqu’il ressort de cet arrêt que la mise en œuvre de la prérogative reconnue par le texte du Code de commerce susvisé serait donc sous la condition d’une conformité à l’intérêt social, ce que son libellé ne mentionne pas.

La cour d’appel de Paris conduit, sans doute opportunément, à devoir revenir sur l’existence du droit de convocation de l’AG par des commanditaires (I), avant de s’interroger sur la consistance de ce droit (II).

I. L’existence du droit de convocation d’une AG par les associés commanditaires

Dans la mesure où le régime juridique des sociétés en commandite par actions est, pour l’essentiel, constitué par les règles applicables à la société anonyme, compte tenu du renvoi de principe exprimé à l’article L. 226-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L7230LQT), il y a lieu de se reporter vers les règles édictées pour cette dernière lorsqu’il n’y a pas de règle spéciale à la SCA sur le point de droit en cause. En ce qui concerne la convocation des assemblées générales à l’initiative des actionnaires commanditaires, c’est bien le droit des SA qui doit être invoqué, mais l’importation de la règle n’aboutit pas nécessairement à sa parfaite assimilation dans le cadre de la SCA.

L’importation formelle de la règle relative aux SA. L’article L. 225-103 du Code de commerce, qui établit les règles relatives à la convocation de l’assemblée générale de la société anonyme, a vocation à fournir le cadre normatif de référence lorsque l’on se trouve en présence d’une société en commandite par actions. Certes, le mode normal de convocation résulte de l’initiative prise en ce sens par le gérant de la SCA, mais, par l’effet du renvoi au 2° du paragraphe 2 du texte susvisé, à défaut, l’AG peut être également convoquée « par un ou plusieurs actionnaires réunissant au moins 5 % du capital social ». Le renvoi vers la règle prévue pour les sociétés anonymes ne comporte aucune adaptation ; les commanditaires sont donc considérés, mécaniquement, comme les actionnaires de SA lorsqu’ils entendent, sur ce fondement, solliciter la réunion d’une assemblée générale.

L’assimilation difficile de la règle au sein des SCA. Retenir, sur le point de droit en cause, que les commanditaires doivent être traités à l’identique des actionnaires de SA peut susciter de légitimes interrogations, comme l’arrêt rapporté en porte témoignage. Le rôle des commanditaires au sein de la SCA n’est pas véritablement le même que celui que jouent les actionnaires d’une SA. Pour ne retenir que le point sensible en jeu dans l’affaire, les commanditaires, à la différence des actionnaires, sont rigoureusement tenus à l’écart de la direction de la société. Non seulement, ils ne jouent qu’un rôle subalterne dans le choix des dirigeants puisque les gérants sont désignés avec l’accord de tous les associés commandités (C. com., art. L. 226-2, al. 2 N° Lexbase : L6143AID), mais en outre, il leur est strictement interdit de s’immiscer dans la gestion de la société, étant privés du droit d’exercer la fonction de gérant (C. com., art. L. 222-6 N° Lexbase : L5819AID, sur renvoi de C. com., art. L. 226-1, al. 2). La différence entre les deux collectivités est donc sensible : les actionnaires de SA désignent les membres du conseil d’administration et ont vocation à être administrateurs, alors que les commanditaires sont privés de ces deux droits. Le renvoi indifférencié vers les dispositions relatives à la société anonyme ne saurait cacher la singularité de la situation des commanditaires et, pourtant, l’assimilation supposée s’aggrave lorsque l’on envisage, en suivant la solution retenue par l’arrêt commenté, la consistance réelle du droit de convocation d’une assemblée générale.

II. La consistance du droit de convocation d’une AG par les commanditaires

Le raisonnement suivi par les juges parisiens repose sur deux étapes : la demande de convocation de l’AG suppose, bien sûr, l’existence d’un intérêt propre aux commanditaires mais, impose, surtout, qu’elle soit conforme à l’intérêt de la société.

Un intérêt propre incontesté. Bien évidemment, il ne saurait être discuté que les commanditaires, remplissant la condition de détention minimale de fraction du capital social visée par l’article L. 225-103, II, 2° du Code de commerce, répondent à l’exigence de l’intérêt à agir, au sens de l’article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). L’« intérêt légitime » à l’action en désignation d’un mandataire ad hoc en vue de réunir l’assemblée générale, n’apparaît pas en cause, dès lors qu’il n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action [1]. Malgré l’usage peut être inadapté du terme, la cour d’appel reconnaît que les commanditaires, demandeurs à l’action, disposaient, de manière « incontestable » (page 12) d’un « intérêt propre » (ibidem) à participer au conseil de surveillance, dont la composition résulte de la décision prise au cours de l’AG dont ils demandaient la réunion. Ce point relevé comme ne posant pas de problème aurait pu paraître suffisant pour faire droit à leur demande. Pourtant, la juridiction parisienne enclenche une seconde étape du raisonnement, conduisant à faire place à la prise en compte de l’intérêt social, en relevant « qu’il n’est pour autant pas établi que cet intérêt propre converge en l’espèce avec celui de la société » (ibidem).

Un intérêt social exigé. Mine de rien, serait-on tenté de dire, la cour d’appel de Paris vient confirmer qu’elle maintient son adhésion à une position jurisprudentielle initiée il y a bien longtemps [2], et à laquelle cette même juridiction avait déjà contribué [3], mais qui n’avait pas été réaffirmée au cours de ces dernières années. On notera que, dans l’arrêt analysé, il est bien indiqué que l’exigence d’une conformité à l’intérêt social ne résulte nullement du texte du Code de commerce mais a été ajoutée par la jurisprudence, illustrant ainsi qu’il s’agit bien d’une source du droit puisqu’à défaut de remplir une condition ajoutée au cadre normatif par les juges, le justiciable se trouve, comme en l’espèce, privé de l’exercice d’un droit. Plusieurs remarques paraissent devoir être formulées pour tenter d’apprécier la portée de cette décision. En premier lieu, on ne peut manquer de souligner que, sauf erreur de notre part, la « jurisprudence » à laquelle la cour d’appel de Paris se réfère ne résulte que de décisions de juges du fond et que la Cour de cassation, au titre de sa fonction de juge du droit, n’a pas été conduite à se prononcer clairement sur le point en discussion. Un bien ancien arrêt de 1966 [4] peut être exhumé, mais il ne fournit pas nécessairement un point de repère crédible dans la mesure où, dans cet arrêt, il était surtout question de discuter du péril social et de l’urgence, aspect qui n’est pas ici en cause et d’ailleurs la cour d’appel de Paris a pu juger, ultérieurement [5], que les actionnaires demandeurs à l’action fondée sur l’article L. 225-103 II, 2° du Code de commerce n’ont pas à faire la preuve que l’urgence justifie leur demande. À ce premier élément, qui pourrait être de nature à relativiser l’impact de l’arrêt commenté, il faut ajouter que la position jurisprudentielle ancienne à laquelle la cour de Paris entend se rattacher n’a été prise qu’à propos de sociétés anonymes et non point de commandites par actions. Au regard de ce qui a été relevé ci-dessus, s’agissant de la différence de régime juridique entre la collectivité des actionnaires de SA et celle qui regroupe les commanditaires d’une SCA, il aurait peut-être été opportun d’indiquer quels sont les arguments qui militent pour appliquer aux commanditaires une position adoptée par des juges du fond à propos d’actionnaires de société anonyme. Enfin, la formulation du motif de rejet de la demande de convocation d’une assemblée générale, s’appuyant sur l’exigence de preuve de ce que la demande soit « conforme à l’intérêt social » (page 13), mérite aussi de retenir l’attention.

Puisque la juridiction parisienne invite elle-même à se placer sur le terrain de l’abus de droit (page 11), pour examiner la suite qu’il convient de donner à la demande formulée par les commanditaires, on ne peut manquer de faire référence à la jurisprudence bâtie par la Cour de cassation à propos de l’abus de minorité. On sait que, sur ce terrain, la Haute juridiction impose de s’assurer que l’attitude du minoritaire, dans l’exercice de son droit, a été « contraire » à l’intérêt social, en ce qu’il aurait interdit la réalisation d’une opération essentielle pour la société, dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés [6]. La question nous paraît légitimement devoir être posée : est-ce que, lorsqu’il s’agit pour des commanditaires de demander la réunion d’un AG, le refus du juge, sur le terrain de l’abus de droit, doit répondre aux mêmes exigences qu’en matière d’abus de minorité ? Il ne semble pas, dans l’affaire examinée, que la réunion sollicitée soit déclarée « contraire » aux intérêts de la société, il est juste indiqué que la preuve n’est pas apportée qu’elle était « conforme » à ses intérêts. La question sera alors de savoir s’il y a place à des nuances. La demande de convocation de l’AG par les commanditaires est-elle, forcément, contraire aux intérêts de la société, alors même qu’elle ne serait pas conforme audits intérêts ? Dans le contexte particulier de la société en commandite par actions, ne serait-il pas plus légitime de vérifier si cette demande n’est pas compatible avec les intérêts de la société ? Une telle approche, plus souple, serait peut-être de nature à tenir compte de la spécificité du régime juridique des sociétés en commandite par actions, conduisant à n’écarter la demande de réunion de l’AG, formulée par les commanditaires, que lorsqu’elle apparaît réellement contraire aux intérêts de la société. Si, sans être rigoureusement conforme à ses intérêts, la demande apparaissait comme étant compatible, elle pourrait alors être jugée bien fondée.  En l’espèce, peut-être en était-il ainsi ? Toutefois, une application mécanique aux commanditaires de la position jurisprudentielle adoptée à propos des actionnaires de SA mérite d’être discutée.

 

[1] Jurisprudence classique sur ce point : v. not. Cass. civ. 1, 17 mai 1993, n° 91-15.761 (N° Lexbase : A3671ACX).

[2] V. not. CA Colmar 24 septembre 1975, D., 1976, p. 348, note Y. Guyon.

[3] V. not. CA Paris, 15 mars 1990, D., 1992, somm., p. 179, note J.-Cl. Bousquet – CA Paris, 1ère ch., sect. A, 15 septembre 1992, n° 92/8479 (N° Lexbase : A9599A7N), Dr. sociétés, 1993, n° 98, note H. Le Nabasque.

[4] Cass. com. 22 avril 1966, n° 64-14.088, publié (N° Lexbase : A6861AYR), Gaz. Pal., 1966, 2, p. 269.

[5] CA Paris, 10 avril 1989, n° 89/ 5398 (N° Lexbase : A9492A7P), Rev. Sociétés, 1989, p. 485, note Th. Forschbach.

[6]  Cf. M. Cozian, A. Viandier, Fl. Deboissy, Droit des sociétés, LexisNexis, 2020, 33ème éd., n° 654.

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