La lettre juridique n°486 du 24 mai 2012 : Transport

[Chronique] Chronique trimestrielle de droit des transports - Mai 2012

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

le 24 Mai 2012

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en droit des transports, sous la plume de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole. Ce trimestre, l'auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts rendus par la Cour de cassation. Dans le premier, en date du 6 décembre 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la question de la prescription applicable à l'action directe du transporteur, dans le cadre d'un transport routier international de marchandises et plus précisément sur le fait de savoir s'il convient de soumettre l'action en paiement du prix diligentée en vertu de la loi française à la prescription édictée par la même loi, c'est-à-dire l'article L. 133-6 du Code de commerce ou à la CMR. Christophe Paulin a, ensuite, choisi de revenir sur un arrêt rendu le 10 janvier 2012, par la même Chambre commerciale qui, s'il n'apporte pas d'enseignement juridique original, révèle, assurément, les subtilités que peut receler la responsabilité du commissionnaire de transport. C'est, enfin, sur une demande de renvoi de QPC que l'auteur de cette chronique a décidé de conclure : en effet, le 13 avril 2012, les juges du Quai de l'Horloge refusent de transmettre la question de constitutionnalité pertinente portant sur l'article L. 132-8 du Code de commerce, mais développent des arguments intéressants, notamment sur la manifestation de volonté pour l'adhésion au contrat de transport le double paiement ou l'établissant d'un droit de recours.
  • Transport routier international de marchandises et prescription applicable à l'action directe du transporteur (Cass. com., 6 décembre 2011, n° 10-23.466, FS-P+B N° Lexbase : A1855H4H)

Dans un arrêt du 6 décembre 2011, la Chambre commerciale de la Cour de cassation se prononce sur la question de la prescription applicable à l'action directe du transporteur, dans le cadre d'un transport routier international de marchandises. En l'espèce, une société faisait transporter diverses marchandises de l'Italie vers la France. Un des transporteurs sous-traitants, impayés, invoquait l'action directe en paiement de l'article L. 132-8 du Code de commerce, afin d'agir contre le destinataire. Une telle action est en effet parfaitement concevable, même dans le cas d'un contrat international. Si l'article L. 132-8 ne mérite pas le statut de loi de police (Cass. com., 13 juillet 2010, n° 10-12.154, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3566E4T, Revue de droit des transports, 2010, comm. 183, nos obs.), il est naturellement applicable au contrat lorsque la loi française elle-même s'applique, conformément aux règles de conflit posées par le Règlement du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Règlement n° 593/2008 N° Lexbase : L7493IAR). En l'espèce, la loi française s'appliquait sans doute en ce qu'elle était celle du lieu de résidence du transporteur et du lieu de livraison.

Cependant, s'agissant d'un transport routier international, il était également régi par une convention, la convention de Genève du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route (dite "CMR" N° Lexbase : L4084IPX). Or, si ce texte ne règle pas la question du paiement du prix, nécessitant l'application d'une loi nationale, il contient, en revanche, une disposition concernant la prescription. D'où la question de savoir s'il convient de soumettre l'action en paiement du prix diligentée en vertu de la loi française à la prescription édictée par la même loi, c'est-à-dire l'article L. 133-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L4810H9Z), ou à la convention. L'enjeu peut être important. En effet, si les deux textes établissent une prescription annale, la loi française fait partir celle-ci de la livraison de la marchandise tandis que la convention fixe le point de départ à trois mois à compter de la conclusion du contrat, ce qui est généralement postérieur à la livraison. La convention permet ainsi au demandeur de jouir d'un délai supplémentaire, évitant l'irrecevabilité de l'action.

En l'espèce, faisant application de l'article L. 133-6, la cour d'appel déclarait l'action irrecevable. La Cour de cassation censure l'arrêt (CA Paris, 10 juin 2010, Pôle 5, 5ème ch., n° 08/03002 N° Lexbase : A6318E3E), pour violation de l'article 32 de la CMR et de l'article L. 132-8. La prescription, en effet, devait être régie par la convention, même s'agissant d'une action fondée sur une loi nationale. Il aurait semblé difficile de statuer autrement. En effet, il est bien acquis que, s'agissant des points qu'elle traite, la CMR prime les droits nationaux. Or, la prescription est bien régie par le texte, en des termes très larges puisque visant "les actions auxquelles peuvent donner lieu les transports [...]", de sorte qu'il est délicat d'en exclure l'action en paiement. La Cour avait déjà établi sa position dans une décision antérieure, qui avait toutefois donné lieu à critique (Cass. com., 24 mars 2004, n° 02-16.573, FS-P+B+I N° Lexbase : A6329DBZ, Bull. civ. IV, n° 63). On avait souligné le paradoxe qu'il y avait à ne pas soumettre l'action et sa prescription à la même loi (CA Paris, 10 juin 2010, préc., Revue de droit des transports, 2010, comm. 216, note O. Staès). La Cour confirme ici sa jurisprudence.

  • Les subtilités de la responsabilité du commissionnaire de transport. (Cass. com., 10 janvier 2012, n° 10-26.378, F-D N° Lexbase : A8152IA8)

S'il n'apporte pas d'enseignement juridique original, l'arrêt révèle, en revanche, les subtilités que peut receler la responsabilité du commissionnaire de transport. En l'espèce, la société Chanel confie à la société Schenker l'organisation de transports de produits cosmétiques de métropole en Martinique. La société Schenker remet alors les marchandises à un agent de handling en vue de leur étiquetage préparatoire à un transport aérien. A cette occasion, les marchandises disparaissent. La société Chanel et son assureur assignent alors la société Schenker en responsabilité. La cour d'appel, pour retenir celle-ci, considère que "la société Schenker, désignée comme transporteur sur la lettre de transport aérien, sur tous les autres documents et qui a pris la charge matérielle des marchandises par l'entremise de son agent de handling au point de départ de la marchandise conditionnée pour l'expédition, n'a pas agi en qualité de transporteur aérien chargé de l'expédition". L'arrêt est cassé : "en statuant ainsi, alors que la lettre de transport aérien mentionne en qualité d'émetteur la société Air France et que la société Schenker n'y figure qu'en qualité d'agent du transporteur émetteur, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ce document et violé l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC)". Il est assez difficile de contredire les juges : l'agent du transporteur -dont le statut n'est pas précisément défini- n'est évidemment pas le transporteur. La lettre de transport aérien le mentionne sur une case spécifique afin, justement, de bien l'en distinguer. On notera de plus que la lettre de transport aérien, qui symbolise le contrat de transport, lie normalement la société Schenker et la société Air France, et non les sociétés Schenker et Chanel.

Si la solution n'est pas contestable, il est plus malaisé de la comprendre, d'autant plus qu'un contrat de commission de transport avait certainement été conclu en l'espèce, de sorte que la responsabilité de la société Schenker était, dans son principe, établie.

On ne peut imaginer un instant que la société Chanel et ses conseils ignoraient le mécanisme de la responsabilité du commissionnaire de transport. A l'inverse, le débat procédait de ce mécanisme de responsabilité. En effet, si le commissionnaire est responsable de son substitué vis-à-vis de son commettant, c'est selon le régime de responsabilité applicable à ce substitué lui-même. Dès lors, naturellement, si le substitué ne connaît pas de régime de responsabilité spécifique, le commissionnaire se trouve soumis au droit commun, notamment en ce qui concerne l'absence de plafonnement légal de sa responsabilité. En l'espèce, s'agissant de l'organisation d'un transport aérien, le commissionnaire pouvait envisager d'invoquer la réglementation de celui-ci, c'est-à-dire la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 ou celle de Montréal du 28 mai 1999. On sait en effet que, selon l'article L. 6422-2 du Code des transports (N° Lexbase : L6158INE), les transports aériens nationaux de marchandises sont régis par la Convention de Varsovie. On s'interroge du reste sur une application de la Convention de Montréal, dont certains considèrent qu'elle "succède" à celle de Varsovie (il est d'ailleurs intéressant de noter que le pourvoi invoque la Convention de Montréal). Le commissionnaire avait alors intérêt à l'application de ces conventions, qui lui permettaient de limiter sa responsabilité. Le problème venait de ce que les conventions concernent la responsabilité du transporteur lorsque le dommage s'est produit pendant le transport aérien, c'est-à-dire alors que les marchandises sont sous la garde du transporteur aérien. Or, les marchandises n'avaient pas été remises à celui qui devait manifestement réaliser le transport aérien, la société Air France, puisqu'elles avaient été perdues chez l'agent de handling. La société Schenker ne pouvait alors invoquer de plafond légal d'indemnisation. C'est pour cette raison que cette société a élaboré la subtile construction tendant à se présenter comme transporteur et invoquant pour cela la lettre de transport aérien. Cette ruse a parfaitement fonctionné avec la cour d'appel qui, retenant la responsabilité de la société Schenker et la condamnant au paiement de la somme de 6 800 euros rend en réalité une décision favorable à son égard, puisque appliquant les limitations légales de responsabilité. La censure ne doit pas alors être interprétée comme dégageant la société Schenker de sa responsabilité, mais, à l'inverse, comme excluant l'application à celle-ci des règles avantageuses de la responsabilité du transporteur aérien.

  • Refus de transmission de la QPC sur la constitutionnalité de l'action directe en paiement du transporteur terrestre de marchandises de l'article L. 132-8 du Code de commerce (Cass. QPC, 13 avril 2012, n° 12-40.016, FS-D N° Lexbase : A6943IIY)

L'action directe en paiement du transporteur terrestre de marchandises, intégrée dans l'article L. 132-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L5640AIQ), a été instaurée en 1998, par la loi du 6 février tendant à améliorer les conditions d'exercice de la profession de transporteur routier, dite loi "Gayssot" (loi n° 98-69 N° Lexbase : L4769GU8). Cette faculté permet au transporteur, rappelons le, d'obtenir paiement du prix non seulement auprès de celui avec qui il a conclu le contrat, mais également auprès des autres participants à l'opération, réputés également parties au contrat de transport. Si les transporteurs se sont rapidement et avec délices emparés de cette nouvelle prérogative, l'hostilité des utilisateurs de transport n'a fait que croître avec le temps. Que penser, en effet, de l'expéditeur qui a déjà payé le prix du transport auprès d'un commissionnaire ou du transporteur principal et qui doit de nouveau payer, pour la même prestation, le sous-traitant ? Ou de la plate-forme de distribution, contrainte de payer le transporteur au motif qu'elle a pris réception des marchandises destinées à son client ?

Il n'est alors pas surprenant que, quatorze ans après sa promulgation, le texte se trouve encore contesté. La Chambre commerciale de la Cour de cassation a ainsi été appelée à se prononcer sur une question prioritaire de constitutionnalité, concernant la compatibilité de l'article L. 132-8 avec diverses dispositions et principes à valeur constitutionnelle. La démarche était d'autant plus judicieuse que, manifestement, la loi paraît en effet contrarier plusieurs règles fondamentales.

La Cour était ainsi interrogée sur le respect du principe de clarté de la loi (Constit., art. 34 N° Lexbase : L1294A9S), de l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité (DDHC, art. 4 N° Lexbase : L1368A9K, 5 N° Lexbase : L1369A9L, 6 N° Lexbase : L1370A9M et 16 N° Lexbase : L1363A9D), du principe de liberté contractuelle (DDHC, art. 4) du droit de propriété (DDHC, art 2 N° Lexbase : L1359A99 et 17 N° Lexbase : L1364A9E) et du principe d'égalité devant la loi.

S'agissant de la première question, les conseillers estiment que "l'article L. 132-8 répond à l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi réalisé par son application jurisprudentielle, qui lui a donné son sens et sa portée". L'affirmation est discutable. D'abord, parce qu'il suffit de lire l'article L. 132-8 pour constater que la clarté de la loi n'est guère respectée, non plus que son intelligibilité. Que penser par exemple d'un texte qui fait de la lettre de voiture la clé de son application, en contradiction avec le caractère consensuel traditionnellement attaché au contrat de transport ? Il est vrai que la jurisprudence a réalisé un important travail de clarification, définissant par exemple, non du reste sans contradiction, les notions fondamentales d'expéditeur et de destinataire. Mais, face à la médiocrité de la loi, cette nécessaire intervention judiciaire engendre précisément le risque d'arbitraire, contraire aux principes constitutionnels. Il est alors paradoxal que le juge rejette le grief justement en se fondant sur l'interprétation jurisprudentielle, rendue nécessaire par la défaillance du législateur.

La question de la conformité de la loi au principe de liberté contractuelle est également rejetée, au motif que l'expéditeur et le destinataire ne sont liés par le contrat de transport qu'en vertu de leur adhésion, manifestée pour ce dernier par l'acceptation de la marchandise. Il est heureux que la Cour de cassation clarifie enfin le mécanisme de l'article L. 132-8. La question pouvait en effet légitimement se poser sur les modalités de l'intégration au contrat de transport des personnes n'ayant pas participé à sa conclusion. Cependant, si l'exigence d'une manifestation de volonté est ici affirmée, on peut se demander si elle n'est pas quelque peu artificielle et si elle ne vise pas seulement à rejeter la critique d'atteinte à la liberté contractuelle et plus exactement à la liberté de contracter. En effet, une adhésion autoritaire et de plein droit au contrat de transport semble bien consacrée par la lettre de l'article et la Cour s'était bien auparavant rangée à cette conception, par exemple en retenant l'action contractuelle du destinataire contre le transporteur nonobstant la perte de la marchandise (Cass. com., 1er avril 2008, n° 07-11.093, FS-P+B sur le deuxième moyen N° Lexbase : A7694D74, Revue de droit des transports, 2008, comm. 94, nos obs.), ou l'action du sous-traitant contre l'expéditeur (Cass. com., 1er février 2011, n° 09-72.309, F-P+B N° Lexbase : A3611GR8, nos obs. in Chronique trimestrielle de droit des transports - Février 2011 (1ère esp.), Lexbase Hebdo n° 240 du 24 février 2011 - édition affaires N° Lexbase : N4953BRU et Revue de droit des transports, 2011, comm. 56), alors qu'aucune de ces personnes n'avaient d'occasion de manifester leur volonté.

Sont pareillement rejetées les questions touchant à l'atteinte au droit de propriété et au principe d'égalité devant la loi. La Cour estime que "la garantie du paiement du prix du transport prévue par l'article L. 132-8 du Code de commerce est au nombre des mesures qui tendent à assurer la conciliation par le législateur des droits patrimoniaux des parties au contrat de transport" et que "le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle différemment des situations différentes, pourvu que la différence de traitement soit en rapport direct avec la loi qui l'établit". Ici encore, les arguments étaient pertinents. Ainsi, l'action directe du transporteur expose les autres parties au contrat au risque d'un double paiement (par exemple, le paiement fait au commissionnaire de transport ne dispense pas d'un nouveau paiement au transporteur auquel ce commissionnaire a eu recours) et donc à un appauvrissement qui pourrait paraître une atteinte au droit de propriété. Il faudrait au moins que la jurisprudence reconnaisse un droit de recours du solvens contre celui qui, ayant conclut le contrat de transport, pourrait être considéré comme le principal débiteur. L'égalité entre les parties au contrat n'est pas non plus certainement assurée, dès lors que, par exemple, celui qui se contente de remettre la marchandise au transporteur sans avoir conclu le contrat n'est pas soumis à l'action directe, tandis que celui qui réceptionne matériellement la marchandise est contraint de payer le transporteur.

En raison de l'importance des intérêts en jeu, il pouvait être difficile de transmettre au Conseil constitutionnel la question de constitutionnalité, même s'il est possible d'estimer que celle-ci était pertinente. La question est, désormais, de savoir si la Cour de cassation va tirer les conséquences de ses propres arguments, notamment en imposant une manifestation de volonté pour l'adhésion au contrat de transport, en excluant le double paiement ou en établissant un droit de recours.

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