Lexbase Social n°843 du 12 novembre 2020 : Accident du travail - Maladies professionnelles (AT/MP)

[Jurisprudence] Précisions par la Cour de cassation des conditions de reconnaissance de la faute inexcusable

Réf. : Cass. civ. 2, 8 octobre 2020, deux arrêts, n° 18-25.021 (N° Lexbase : A05513XP) et n° 18-26.677 (N° Lexbase : A05523XQ), FS-P+B+I

Lecture: 11 min

N5216BYT

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Précisions par la Cour de cassation des conditions de reconnaissance de la faute inexcusable. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/61366607-cite-dans-la-rubrique-b-accident-du-travail-maladies-professionnelles-atmp-b-titre-nbsp-i-precisions
Copier

par Corentin Moynat, juriste-consultant au sein du Cabinet Fayan-Roux, Bontoux et Associés

le 11 Novembre 2020

 


Mots clés : faute inexcusable • conditions de reconnaissance • conscience du danger

La Cour de cassation apporte une précision en matière de faute inexcusable s’agissant de la conscience du danger par l’employeur et des moyens de protections mis en place.

Pourvoi n° 18-25.021 : l’évaluation de la conscience du danger par l’employeur doit être effectuée par l’analyse de l’ensemble des moyens à sa disposition et un risque d’agression n’est pas nécessairement hypothétique.

Pourvoi n° 18-26.677 : l’évaluation des moyens mis en œuvre par l’employeur pour protéger ses salariés doit être effectuée en prenant en compte l’efficacité des mesures et pas seulement leur mise en place.


La Cour de cassation considère que la faute inexcusable de l’employeur est constituée par la réunion de l’inexécution de l’obligation de sécurité et du cumul entre la conscience du danger et l’inaction de l’employeur : « Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

Par deux arrêts du 8 octobre 2020, publiés au bulletin des arrêts des chambres civiles et au bulletin d’information, la Cour de cassation a précisé la notion de conscience du danger (pourvoi n° 18-25.021) (I.) et la notion d’absence ou d’insuffisance de mesures pour protéger le salarié (pourvoi n° 18-26.677) (II.).

I. La conscience du danger par l’employeur

La conscience du danger est nécessaire à la qualification de faute inexcusable [1]. Ainsi, l’absence de conscience du danger constitue une cause d’exonération de la responsabilité de l’employeur [2]. La conscience du danger qui caractérise la faute inexcusable de l'employeur renvoie à la notion de prévision raisonnable du risque. Selon la position traditionnelle de la Cour de cassation, il convient de rechercher si un employeur moyen, dans la même situation, aurait eu conscience de la dangerosité de la situation.

Une attitude proactive est attendue de la part de l’employeur concernant l’évaluation de la conscience du danger. En effet, l’établissement du document unique d’évaluation des risques (DUER) est une obligation, elle est prévue à l’article R. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L9062IPC). C’est-à-dire que les risques pouvant atteindre les salariés doivent être recherchés par l’employeur. La conscience du danger par l’employeur ne doit donc pas seulement résulter de l’information données par le salarié lui-même ou des instances représentatives du personnel. C’est la solution retenue par la Cour de cassation par son arrêt du 8 octobre 2020 (pourvoi n° 18-25.021). En l’espèce, le salarié avait fait l’objet d’une agression physique à bord de l’autobus qu’il conduisait. La cour d’appel a retenu que ni le salarié, ni le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), n’avaient interpellé l’employeur sur le risque d’agression des conducteurs. Elle a ainsi retenu que la connaissance par l’employeur d’un danger n’était pas établie.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt en retenant qu’il résultait des constatations de la cour d’appel que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du risque d’agression physique auquel étaient exposés les conducteurs. En effet, il résulte des constatations de la cour d’appel que le risque d’agression était répertorié au DUER. Si le risque considéré est répertorié dans ce document, il est alors établi que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience de ce risque. La cour d’appel ne pouvait donc pas retenir l’absence de conscience du risque par l’employeur alors que ce dernier l’avait pris en compte dans son évaluation.

L’évaluation des risques par l’employeur constitue ainsi une donnée déterminante dans la constatation de sa conscience du danger. Une évaluation rigoureuse des risques professionnels dans l’entreprise peut permettre d’établir l’absence de conscience du danger si ce dernier ne figure pas au document unique. En effet, lorsqu’un risque particulier ne figure pas dans un DUER correctement établi, il peut être légitimement soutenu que l’employeur n’avait pas conscience de ce risque. Il est en revanche établi que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience d’un danger si ce dernier est répertorié dans ce document. A contrario, l’absence de mention au DUER d’un risque ne fait pas obstacle à ce qu’il soit reconnu que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience de ce danger [3]. En effet, si le risque a été évalué, le juge doit contrôler s’il l’a été à sa juste mesure.

La conscience du danger peut également résulter de la survenance précédemment de ce danger. En effet, l’employeur peut de manière légitime affirmer ne pas avoir eu conscience d’un risque qui ne s’était jamais réalisé. En revanche, l’employeur doit avoir conscience qu’un risque déjà réalisé peut se reproduire [4]. En l’espèce, au jour de l’accident, quatre agressions en vingt mois avaient été signalées sur la ligne occupée par le salarié. Il en résulte que l’employeur avait nécessairement conscience du danger encouru par son salarié.

II. L’absence ou l’insuffisance de mesures pour protéger le salarié

Lorsque l’employeur a conscience d’un danger auquel ses salariés sont exposés, il doit mettre en œuvre les mesures permettant de les protéger. En effet, la conscience du danger suppose que l’employeur prenne les mesures nécessaires à la préservation du salarié dudit danger. L’absence ou l’insuffisance de mesures pour protéger le salarié peut caractériser la faute inexcusable de l'employeur.

Selon l’article L. 4121-3 du Code du travail (N° Lexbase : L9296I3P), lorsque l’employeur a établi le DUER, il doit ensuite mettre en œuvre les actions de prévention permettant de contenir les risques et de garantir la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. L’absence de mise en œuvre des mesures permettant de protéger les salariés alors que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience d’un danger constitue une faute inexcusable. Quel niveau d’efficacité dans la protection est demandée à l’employeur ? Doit-il empêcher totalement toute réalisation du risque, doit-il mettre en œuvre tous les moyens à sa disposition ?

Avant 2015, l’employeur était tenu à une obligation de sécurité de résultat. C’est-à-dire que le manquement à cette obligation était caractérisé par le seul fait matériel de son inexécution. Il ne pouvait alors se libérer de son obligation qu'à la condition de démontrer un cas de force majeure. Autrement dit, la simple survenance d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle suffisait à démontrer la non-réalisation de l'obligation de résultat.

Cette obligation de résultat était clairement affirmée par les célèbres arrêts amiante de 2002 : « Tout manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, notamment révélé par l’accident ou la maladie, a le caractère d’une faute inexcusable si l’employeur avait conscience ou, en raison de son expérience et de ses connaissances techniques, aurait dû avoir conscience du danger encouru par les salariés, et qu’il n’a pas pris les dispositions nécessaires pour les en préserver. » [5]. Cette définition était rapidement étendue aux accidents du travail [6] avant d’être reprise par la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation [7] et consacrée en 2005 par l’Assemblée plénière [8].

Depuis 2015, la Cour de cassation adopte une position plus pragmatique et considère que l’employeur démontrant avoir mis en place et donc respecté des mesures réglementaires de sécurité ne méconnaissait pas son obligation légale de sécurité, même en cas de réalisation du risque connu. La Cour de cassation se référait alors aux articles L. 4121-1 (N° Lexbase : L8043LGY) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L6801K9R) du Code du travail qui prévoient la mise en œuvre de mesures pour assurer la sécurité des travailleurs : « Mais attendu que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail » [9]. Ainsi, la Cour de cassation estime qu’il est nécessaire de rejeter une demande de reconnaissance de la faute inexcusable lorsque le juge constate que l’employeur a pris toutes les mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2 [10].

Par son arrêt du 8 octobre 2020 (pourvoi n° 18-26.677), la Cour de cassation vient apporter une précision sur cette exigence de respect des mesures de prévention visées aux articles L. 4121-1 et L. 4121-2.

La Cour de cassation impose de s’intéresser à l’efficacité des mesures de protections. Ainsi, si les mesures développées par l’employeur pour protéger ses salariés s’avèrent inefficaces, alors celui-ci s’expose à la reconnaissance de sa faute inexcusable.

En l’espèce, le salarié avait contracté une silicose en travaillant dans une mine. La CPAM avait pris en charge la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels. Quant à l’appréciation de la faute inexcusable de l’employeur, les parties s’accordaient sur la conscience par l’employeur du danger constitué par l'inhalation de poussières de silice. Il existait cependant un débat sur l'existence et l'efficacité des mesures de protection individuelle et collective prises par l'employeur afin de préserver la victime du danger auquel elle était exposée [11]. Selon la cour d’appel, les attestations produites par le salarié ne permettaient pas d’établir l’absence ou l’insuffisance des mesures de protection (celle-ci étant très ancienne). Le juge d’appel a ainsi considéré qu’il ne pouvait apprécier la faute de l’employeur, en raison d’un manque de précision de la part du demandeur sur les moyens de protections. Par ailleurs, la cour d’appel avait constaté que l’employeur respectait une instruction de 1956 qui admettait la foration à sec sur des massifs à faible teneur en silice, et que le travail semblait se dérouler dans des conditions conformes aux normes en vigueur.

Cependant, la Cour de cassation casse l’arrêt de cour d’appel en imposant une vérification de l’efficacité des mesures mises en œuvre pour protéger les salariés. En effet, la Cour de cassation a estimé, contrairement la cour d’appel, qu’il résultait de ses constatations une inefficacité des mesures de protection mises en œuvre par l’employeur.

C’est à l’employeur de démontrer l’efficacité des moyens de protections et non au salarié de démontrer leur inefficacité.

La Cour de cassation vient ainsi contrôler l’appréciation par les juges du fond des moyens mis en œuvre par l’employeur pour protéger ses salariés. En effectuant un contrôle de l’efficacité des mesures de protection mises en œuvre par l’employeur, la Haute juridiction indique que l’employeur ne doit pas uniquement justifier avoir pris des mesures de protection. Il doit également justifier l’effectivité de ces mesures et leur efficacité. La cassation intervient au visa des articles L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5300ADN), L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail. L’article L. 4121-2 du Code du travail précise que l’employeur doit mettre en œuvre des mesures de prévention afin notamment d’éviter les risques. L’employeur doit ainsi mettre en œuvre des mesures efficaces, ce qui suppose de démontrer un travail rigoureux de réflexion autour de la prévention dans le but de réduire de manière effective les dangers auxquels sont exposés les salariés.

La définition de la faute inexcusable et donc, ses conditions de caractérisation, sont jurisprudentielles. L’essence même de la faute inexcusable est de permettre au salarié victime d’une telle faute de prétendre à une réparation presque intégrale de ses préjudices. Du point de vue de la réparation du préjudice, il est important de ne pas trop restreindre les conditions de la caractérisation de la faute inexcusable. Cependant, du point de vue de la prévention des risques en entreprise, il est également important de donner du poids aux moyens mis en œuvre par l’employeur dans l’appréciation de la faute inexcusable. Il semble que la Cour de cassation impose aux employeurs de mettre en œuvre des plans de prévention ambitieux, réfléchis et résolument tournés vers la réduction effective des risques.

 

[1] Cass. civ. 2, 5 avril 2012, n° 11-13.946, F-D (N° Lexbase : A1275II3).

[2] Cass. civ. 2, 2 mai 2007, n° 06-10.083, FS-D (N° Lexbase : A0609DWH).

[3] Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-19.975, F-D (N° Lexbase : A9931RWQ).

[4] Cass. civ. 2, 7 juillet 2016, n° 15-19.975, F-D, préc..

[5] Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051 (N° Lexbase : A0806AYI), n° 99-18.389 (N° Lexbase : A0766AYZ), n° 99-18.390 (N° Lexbase : A0602AYX), n° 99-21-255 (N° Lexbase : A0773AYB) et n° 99-17.201 (N° Lexbase : A0761AYT), FP-P+B+R+I.

[6] Cass. soc., 11 avril 2002, n° 00-16.535, publié, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4836AYR).

[7] Cass. civ. 2, 16 septembre 2003, n° 01-20.780, inédit (N° Lexbase : A5375C9X).

[8] Ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038 (N° Lexbase : A8502DIQ).

[9] Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A7767NXX).

[10] Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2663RR3).

[11] CA Metz, 25 octobre 2018, n° 17/00267 (N° Lexbase : A2174YID).

newsid:475216

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.