Réf. : Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-13.714, F-P+B+I (N° Lexbase : A41403WA)
Lecture: 17 min
N5210BYM
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Magali Gadrat, Maître de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord
le 11 Novembre 2020
Afin de rationaliser et de sécuriser les procédures de grand licenciement collectif dans les entreprises de cinquante salariés au moins imposant l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la loi du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi (N° Lexbase : L0394IXU) a confié le contrôle de la régularité de la procédure d’information/consultation des représentants du personnel sur le projet de grand licenciement collectif et le PSE qui l’accompagne à l’administration du travail [1]. Ainsi, en application de l’article L. 1233-57-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0642IX3), si les représentants du personnel estiment que l’employeur ne respecte pas les dispositions relatives à leur information/consultation dans le cadre d’un projet de licenciement collectif imposant l’établissement d’un PSE, ils doivent saisir la Direccte d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint à l’employeur de se conformer aux règles de procédure ou de fournir des éléments d’information relatifs à cette procédure. Les décisions rendues par l’administration dans le cadre de cette procédure d’injonction ainsi que la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui afférent à la décision administrative d’homologation/validation du projet et du PSE qui l’accompagne en application de l’article L. 1235-7-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0653IXH). Ces principes sont rappelés par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 30 septembre 2020, dans lequel elle estime, sans surprise, que le juge judiciaire est incompétent pour ordonner en référé la suspension de la mise en œuvre d’une restructuration imposant l’élaboration du PSE tant que la procédure d’information/consultation des représentants du personnel n’est pas achevée (I.). Une telle demande relève de la compétence exclusive de la Direccte avant toute homologation/validation du projet de grand licenciement collectif et du PSE qui l’accompagne, seule à même d’enjoindre à l’employeur de respecter son obligation d’information/consultation des représentants du personnel à ce stade (II.). Cette solution, rendue dans une affaire dans laquelle le CHSCT et le comité d’entreprise étaient consultés, est transposable en présence d’un comité social et économique (CSE).
I. L’incompétence du juge judiciaire pour suspendre en référé la mise en œuvre d’une restructuration impliquant l’élaboration d’un PSE
En l’espèce, une société employant 496 salariés et comptant 31 magasins en France envisageait de procéder à une restructuration consistant à fermer 21 magasins, à licencier 227 salariés et à ne pas renouveler 35 CDD. L’employeur avait ainsi convoqué, le 10 septembre 2018, le CHSCT et le CE à deux réunions prévues le 17 septembre suivant et leur avait communiqué, à cet effet, le projet de restructuration prévoyant la fermeture de certains magasins à compter du 30 septembre 2018 et un projet d’accord collectif relatif au PSE. Estimant que l’employeur ne respectait pas le principe d’antériorité de la consultation des représentants du personnel avant toute mise en œuvre d’une restructuration destructrice d’emploi, les représentants du personnel et un syndicat saisirent le tribunal de grande instance (TGI) en référé d’une demande de suspension sous astreinte de la fermeture de magasins et de toute mise en œuvre du projet de restructuration avant que ne soit achevée la procédure d’information/consultation des instances représentatives du personnel. Le TGI, puis la cour d’appel, déclarèrent ces demandes irrecevables devant le juge judiciaire, solutions confirmées sans surprise par la Cour de cassation dans cet arrêt du 30 septembre 2020.
En effet, il résulte de l’article L. 1235-7-1 du Code du travail que le législateur de 2013 a souhaité confier au juge administratif un bloc de compétences en matière de grand licenciement collectif dans une entreprise employant au moins cinquante salariés dans la mesure où ce texte dispose que la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peut faire l'objet d'un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d'homologation du projet de licenciement collectif et du PSE qui l’accompagne, litige relevant de la compétence, en premier ressort, du tribunal administratif, à l'exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.
Certes, ce texte ne visant que la régularité de la procédure de licenciement collectif et non celle d’information/consultation relative au projet de restructuration, on aurait pu penser que le juge judiciaire restait compétent pour apprécier le respect par l’employeur de la procédure d’information/consultation des représentants du personnel relative à l’opération de restructuration. Fort logiquement, la Cour de cassation juge qu’il n’en est rien à l’instar du Conseil d’Etat qui a affirmé qu’il appartient à l’administration, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, de vérifier si le comité a été mis à même d'émettre régulièrement un avis, d'une part, sur l'opération projetée et ses modalités d'application et, d'autre part, sur le projet de licenciement collectif et le plan de sauvegarde de l'emploi [2]. En effet, comme le souligne le numéro spécial de la lettre de la Chambre sociale d’octobre 2020, « l’intention du législateur était d’investir l’administration de l’ensemble du contrôle de la régularité de la procédure de consultation du comité d’entreprise lorsque celle-ci est en cours et de fermer la voie, jusque-là ouverte, de saisine du juge des référés judiciaire sur le fondement d’un trouble manifestement illicite lié à l’absence de régularité de la consultation » [3]. Dès lors, la Cour de cassation estime que le juge judiciaire ne saurait suspendre en référé la mise en œuvre d’une restructuration destructrice d’emploi jusqu’à l’achèvement de la procédure d’information/consultation des représentants du personnel.
Cette solution fait écho à celle rendue le 28 mars 2018 [4], dans laquelle la Chambre sociale de la Cour de cassation affirme qu’il résulte des articles L. 1233-57-5 (N° Lexbase : L0642IX3) et L. 1235-7-1 (N° Lexbase : L0653IXH) du Code du travail que le juge judiciaire est incompétent pour statuer en référé sur une demande de communication de pièces formulée à l'encontre de l'employeur par l'expert-comptable, désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d'entreprise prévue à l'article L. 1233-30 du Code du travail (N° Lexbase : L8096LGX) en cas de grand licenciement collectif donnant lieu à l’établissement d’un PSE, solution également valable en présence d’un CSE.
La solution adoptée par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 30 septembre dernier s’inscrit également dans la droite ligne de l’arrêt rendu le 8 juin 2020 par le Tribunal des conflits qui dénie toute compétence au juge judiciaire des référés en cas de demande de suspension d’un projet de réorganisation donnant lieu à l’établissement d’un PSE jusqu'à ce qu'il soit mis fin au trouble manifestement illicite résultant de l'absence de mesures d'identification et de prévention des risques psychosociaux et de la souffrance au travail des salariés [5]. En effet, selon le Tribunal des conflits, dans le cadre d'une réorganisation qui donne lieu à élaboration d'un PSE, il appartient uniquement à l'autorité administrative de vérifier le respect, par l'employeur, de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. A cette fin, elle doit contrôler, tant la régularité de l'information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l'employeur est tenu en application de l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8043LGY) au titre des modalités d'application de l'opération projetée, ce contrôle n'étant pas séparable de celui mis en œuvre dans le cadre de l’examen de la demande d’homologation/validation du projet de licenciement collectif et du PSE qui l’accompagne, étant précisé qu’il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître de la contestation de la décision prise par l'autorité administrative.
Ainsi, si les représentants du personnel estiment que l’employeur ne respecte pas la procédure d’information/consultation afférente au projet de restructuration et de grand licenciement collectif assorti d’un PSE, ils n’ont d’autre choix que de saisir la Direccte pour que celle-ci enjoigne à l’employeur de se conformer aux exigences légales ou conventionnelles afférentes à cette procédure. En effet, la Direccte, sous le contrôle du juge administratif, est seule compétente pour se prononcer sur l’application et le respect de stipulations conventionnelles afférentes à la procédure de grand licenciement collectif et au PSE (telles qu’un accord de méthode) [6], à l’exclusion de toute compétence au profit du juge judiciaire [7].
II. La procédure d’injonction, seule voie de recours en cours de procédure
La Cour de cassation affirme, dans cet arrêt du 30 septembre 2020, que la procédure d’injonction administrative, prévue par l’article L. 1233-57-5 du Code du travail (N° Lexbase : L0642IX3), est le seul recours offert, avant l’homologation/validation du projet de licenciement et du PSE, aux représentants du personnel qui estimeraient que l’employeur méconnaît son obligation de les informer/consulter sur le projet de restructuration donnant lieu à une compression d’effectif ou sur celui de grand licenciement collectif en résultant et sur le PSE l’accompagnant.
En l’espèce, après avoir été déboutés par le TGI en référé de leur demande de suspension de la mise en œuvre de la restructuration tant que la procédure d’information/consultation n’était pas achevée, les représentants du personnel ont saisi la Direccte, sur le fondement de ce texte, d’une demande à ce qu’elle enjoigne à l’employeur de suspendre la mise en œuvre de la restructuration et notamment les projets de fermeture imminente de magasins et qu’elle impose à l’employeur de rouvrir ceux qui avaient été fermés alors que la procédure de consultation n’était pas achevée. La Direccte a fait partiellement droit à leur demande le 26 octobre 2018. Elle a enjoint à la société notamment de suspendre sa réorganisation pendant la période déterminée de la procédure d’information/consultation, afin que l’employeur se conforme à la règle de procédure prévue en matière de PSE, mais elle a rejeté la demande relative à la remise en état de l’un des magasins fermés, au motif qu’une telle remise en état ne relevait pas de ses attributions énumérées par l’article L. 1233-57-5.
Il convient de préciser que cette affaire a donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) : « les articles L. 1235-7-1 et L. 1233-57-5 du Code du travail […], en ce que ces dispositions ne prévoient pas le droit des représentants du personnel d'accéder de manière utile et effective à un juge afin de faire cesser le trouble illicite résultant de la mise en œuvre anticipée d'un projet de réorganisation avant l'achèvement de la procédure légale de consultation des instances représentatives du personnel dans un contexte de compression des effectifs et d'ouverture d'un plan de sauvegarde de l'emploi, portent-t-ils atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, précisément à l'article 16 de la Déclaration de 1789 et à l'alinéa 8 du préambule de la Constitution ? ».
La Cour de cassation a refusé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel au motif, d’une part, qu’elle n’était pas nouvelle et, d’autre part, et surtout, qu’elle ne présentait pas un caractère sérieux « en ce qu'il ne résulte ni des dispositions législatives contestées ni d'une interprétation jurisprudentielle constante de la Cour de cassation ou du Conseil d'Etat que les représentants du personnel sont privés d'accéder de manière utile et effective à un juge, afin de faire cesser le trouble illicite résultant de la mise en œuvre anticipée d'un projet de réorganisation avant l'achèvement de la procédure légale de consultation des instances représentatives du personnel dans un contexte de compression des effectifs et d'ouverture d'un plan de sauvegarde de l'emploi » [8].
Or, il est faux de prétendre que les représentants du personnel peuvent saisir un juge pour faire cesser le trouble illicite résultant de la mise en œuvre anticipée d'un projet de restructuration avant l'achèvement de la procédure d’information/consultation, dans la mesure où ils ne peuvent ni saisir le juge judiciaire des référés comme l’affirme l’arrêt ici étudié, ni le juge administratif des référés en cours de procédure. En effet, le Conseil d’Etat décide qu’une « demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de communiquer des pièces à l'expert-comptable désigné dans le cadre de la procédure de consultation du comité d'entreprise en cas de licenciements collectifs pour motif économique prévue à l'article L. 1233-30 du Code du travail ne peut être adressée qu'à l'autorité administrative et ne peut faire l'objet d'un litige distinct du litige relatif à la décision de validation ou d'homologation mentionnée à l'article L. 1233-57-4 de ce Code » [9]. Le juge administratif des référés doit donc déclarer irrecevable toute demande tendant à ce que l’employeur communique à l’expert les documents qu’il sollicite et, plus largement, toute demande tendant à ce qu’il se conforme à une règle de procédure afférente à l’information/consultation des représentants du personnel avant l’homologation/validation du projet de grand licenciement collectif et du PSE qui l’accompagne. La Direccte est seule compétente pour faire droit à une telle demande dans le cadre de la procédure d’injonction, étant précisé que sa décision ne pourra pas être contestée dans le cadre d’un litige distinct de celui afférent à sa décision d’homologation/validation du projet.
De ce point de vue, si la Direccte ne fait pas droit à la demande d’injonction des représentants du personnel que l’employeur respecte son obligation d’information/consultation préalable à la mise en œuvre d’une restructuration accompagnée d’un projet de licenciement collectif impliquant l’élaboration d’un PSE ou si l’employeur ne se conforme pas à l’injonction administrative, les représentants du personnel sont dépourvus de tout recours juridictionnel avant l’achèvement de la procédure pour contester la décision administrative refusant l’injonction ou pour obtenir de l’employeur qu’il se conforme à la décision d’injonction rendue (certes, s’il ne s’y conforme pas, la Direccte n’homologuera/validera certainement pas le projet paralysant ainsi le prononcé des licenciements [10]). C’est pourquoi, les représentants du personnel estimaient, dans le pourvoi ayant donné lieu à l’arrêt du 30 septembre 2020, que le fait qu’ils ne puissent solliciter auprès du juge judiciaire des référés la suspension de la mise en œuvre de la restructuration avant l’achèvement de la procédure d’information consultation méconnaissait le droit à un recours effectif devant un juge, garanti par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH).
La Cour de cassation ne retient pas l’argument. Elle se contente d’affirmer qu’« ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les demandes du comité d’entreprise et du syndicat tendaient à ce qu’il soit enjoint à la société de suspendre sous astreinte la fermeture de magasins et toute mise en œuvre du projet de restructuration avant l’achèvement de la consultation des instances représentatives du personnel relative au projet de restructuration et au projet de licenciement collectif pour motif économique donnant lieu à l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la cour d’appel en a exactement déduit, sans méconnaître le principe du droit au recours effectif, que ces demandes ne relevaient pas de la compétence du juge judiciaire », sans démontrer le bienfondé de cette assertion.
Certes, les représentants du personnel disposent d’un recours devant la Direccte en cours de procédure par le biais de la demande d’injonction prévue par l’article L. 1233-57-5, mais ce recours n’est pas un recours juridictionnel et la décision de la Direccte ne pourra faire l’objet d’une contestation distincte de celle afférente à la décision d’homologation/validation du projet, contestation qui ne pourra avoir lieu devant le juge administratif avant que la procédure ne soit achevée…
Une saisine de la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de l’article 6 de la CEDH semble ainsi envisageable dans la mesure où, en cours de procédure, les représentants du personnel n’ont aucun recours effectif en justice (certes, ils ont le recours administratif mais le recours au juge des référés tant judiciaire qu’administratif leur est fermé) pour faire cesser la mise en œuvre d’une restructuration destructrice d’emploi au mépris de l’obligation d’information/consultation préalable des représentants du personnel…
[1] Loi n° 2013-504, du 14 juin 2013, relative à la sécurisation de l’emploi (N° Lexbase : L0394IXU) ; C. trav., art. L. 1233-57-1 (N° Lexbase : L0638IXW) et s..
[2] CE, 22 juillet 2015, n° 385816, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9295NM9), RDT, 2015, 514, concl. G. Dumortier ; ibid. 528, note F. Géa ; JCP éd. S, 2015, n° 1346, note J. Martinez et J.-J. Giudicelli ; RJS, 10/2015, n° 630 ; JSL, 2015, n° 395-1, obs. M. Hautefort.
[3] Lettre de la Chambre sociale, Les compétences respectives du juge administratif et du juge judiciaire en cas de licenciement économique collectif, numéro spécial, octobre 2020.
[4] Cass. soc., 28 mars 2018, n° 15-21.372, FS-P+B (N° Lexbase : A8718XIQ), Bull. civ. V, n° 46 ; D. actu., 14 mai 2018, obs. B. Ines ; RJS, 6/2018, n° 413 ; SSL, 2018, n° 1811, p. 11, obs. F. Champeaux ; JCP éd. S, 2018, 1164, obs. A. Bugada.
[5] T. confl., 8 juin 2020, n° 4189 (N° Lexbase : A55163NM).
[6] CE, 4° et 1° ch.-r., 13 avril 2018, n° 404090, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2007XLW), concl. F. Dieu ; SSL, n° 1818, p. 6 ; AJDA, 2018, 829 ; RDT, 2018, 452, obs. F. Géa ; V. également, Des frontières encore à préciser pour le juge du PSE, entretien avec D. Piveteau, SSL, n° 1846.
[7] Cass. soc., 25 mars 2020, n° 18-23.692, FS-P+B (N° Lexbase : A60263KE).
[8] Cass. soc., 9 octobre 2019, n° 19-13.714, FS-P+B (N° Lexbase : A0114ZRN).
[9] CE, 1° et 4° ch.-r., 25 septembre 2019, n° 428510, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A9297ZPZ), RDT, 2019, p. 785, note F. Géa.
[10] C. trav., art. L. 1233-39 (N° Lexbase : L0703IXC).
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:475210