Réf. : Cass. civ. 3, 1er octobre 2020, n° 18-16.888, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A69373WT)
Lecture: 4 min
N4765BY7
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Vincent Téchené
le 07 Octobre 2020
► Le délai de deux mois, prévu par l’article 2379, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1356HI3), dans lequel le vendeur privilégié, ou le prêteur qui a fourni les deniers pour l’acquisition d’un immeuble, doit prendre une inscription pour conserver son privilège n’est pas applicable dans les départements d’Alsace et Moselle.
Faits et procédure. Par acte du 30 décembre 2015, dressé un notaire à Strasbourg, une société civile de construction a vendu un immeuble en l’état futur d’achèvement. Le notaire a déposé une requête tendant à l’inscription du privilège du vendeur, laquelle a été rejetée par le juge du livre foncier de Strasbourg. Le juge du livre foncier ayant maintenu son opposition, le notaire a formé un pourvoi immédiat contre son ordonnance. L’arrêt d’appel ayant rejeté le pourvoi formé contre la décision du juge du livre foncier, le notaire a ensuite formé un pourvoi en cassation.
Décision. La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des 2379, alinéa 1er, du Code civil et les articles 36, 36-1, 38, 45 et 52 du chapitre III de la loi du 1er juin 1924.
La Cour rappelle que selon l’article 2379, alinéa 1er, du Code de commerce, le vendeur privilégié, ou le prêteur qui a fourni les deniers pour l’acquisition d’un immeuble, conserve son privilège par une inscription qui doit être prise, à sa diligence, en la forme prévue aux articles 2426 (N° Lexbase : L5315IMS) et 2428 (N° Lexbase : L5316IMT), et dans le délai de deux mois à compter de l’acte de vente. Le privilège prend rang à la date dudit acte.
Elle énonce alors que cette disposition, qui conditionne l’efficacité du privilège, est une disposition de fond dès lors que, en application de l’article 2386 du Code civil (N° Lexbase : L1312HIG), si le délai n’est pas respecté, le privilège dégénère en hypothèque et ne prend rang, à l’égard des tiers, que de la date de l’inscription.
Par ailleurs, la Haute juridiction relève que la loi du 1er juin 1924 a mis en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
Or, selon les articles 36 et 36-1 de cette loi, dans ces départements, les droits sur les immeubles, les privilèges et les hypothèques sont ceux prévus par la législation civile française et les règles concernant l’organisation, la constitution, la transmission et l’extinction des droits réels immobiliers et autres droits et actes soumis à publicité sont celles de la législation civile française, sous réserve de plusieurs dispositions.
Il résulte ainsi, selon la Cour, de ses articles 38, 45 et 52 que les privilèges sont inscrits au livre foncier, aux fins d’opposabilité aux tiers, que la date et le rang de l’inscription sont déterminés par la mention du dépôt de la requête, portée au registre des dépôts, et que l’inscription des privilèges et des hypothèques est sans effet rétroactif.
Par ailleurs, selon l’article 52 du décret n° 55-22, du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière (N° Lexbase : L9182AZ4), il n’est pas dérogé aux dispositions du chapitre III de la loi du 1er juin 1924, régissant les droits sur les immeubles situés dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
Par conséquent, les dispositions spécifiques du droit local, qui n’ont pas été abrogées par le décret du 4 janvier 1955 et qui instituent un régime spécial avec des règles de fond différentes de celles du droit général, continuent à s’appliquer dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.
La Cour en conclut dès lors que le délai de deux mois prévu par l’article 2379, alinéa 1er, du Code civil n’est pas applicable dans ces départements. Or, pour rejeter le pourvoi formé contre la décision de rejet de la requête en inscription du privilège du vendeur par le juge du livre foncier, l’arrêt d’appel a retenu que le délai de deux mois imposé par l’article 2379 du Code civil n’est pas une règle de publicité foncière à laquelle le droit local pourrait déroger, mais une disposition de fond qui fixe la condition d’efficacité du privilège du vendeur et que cette disposition est applicable en Alsace-Moselle ; la cour d’appel a donc violé les textes visés.
Pour aller plus loin : V. ÉTUDE : Les privilèges, La publicité du privilège du vendeur d'immeubles (N° Lexbase : E8419EPI) et Le privilège du prêteur de deniers pour l'acquisition d'un immeuble (N° Lexbase : E8420EPK), in Droit des sûretés, Lexbase. |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:474765