La lettre juridique n°816 du 12 mars 2020 : Avocats/Déontologie

[Textes] Quelles fonctions un avocat peut-il exercer dans une société ? Situation après le décret n° 2020-58 du 29 janvier 2020...

Réf. : Décret n° 2020-58 du 29 janvier 2020 modifiant l'article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L7217LUT)

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par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre Avocats

le 12 Mars 2020

Mots-clefs : Commentaire • Texte • Avocats • Incompatibilités • Activités commerciales • Associé

Résumé : Un décret n° 2020-58 en date du 29 janvier 2020 est venu retoucher l’article 111 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat (N° Lexbase : L8168AID) [1]. L’article 111 est relatif aux incompatibilités de la profession d’avocat avec toute une série de situations. L’avocat doit conserver l’indépendance nécessaire à l’exercice de ses fonctions, et cela passe par l’incompatibilité de sa profession avec un certain nombre de positions qu’il pourrait être tenté d’exercer au sein d’une entreprise qui ne serait pas son cabinet.


 

Le texte précité déclare ainsi que la qualité d’avocat est incompatible avec deux séries de situations : les unes sont interdites du fait de la commercialité de l’activité exercée, les autres visent des positions et mandats sociaux dans différentes sociétés. On pourra revenir sur les différentes situations d’incompatibilités, en précisant incidemment l’apport du décret de 2020 (I), avant de s’interroger sur la solution à adopter pour les situations pour lesquelles les textes demeurent muets (II).

I - Les différentes situations d’incompatibilité envisagées par les textes

Interdiction des activités commerciales. Est édictée tout d’abord par l’article 111 du décret de 1991, en son (a), une incompatibilité « avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée ». Au vrai, l’incompatibilité avec l’exercice d’une activité commerciale par personne interposée pourrait déjà, si on l’interprétait largement, interdire l’exercice de tout mandat social dans une société commerciale. On pourrait par exemple considérer que l’administrateur d’une société anonyme (SA), société à objet commercial par la forme [2], exerce une activité commerciale par personne interposée. Mais il faut sans doute comprendre que l’hypothèse visée est plus restreinte. Se trouverait certainement dans la situation visée par l’interdiction l’avocat qui, par exemple, fournirait à une autre personne les moyens d’une activité commerciale, donnerait à cet agent des instructions, et percevrait les bénéfices de cette activité.

S’agissant de l’avocat administrateur, il faut d’ailleurs observer que le législateur autorise expressément ce cumul de qualités, puisque l’article 6 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que les avocats « peuvent, s'ils justifient de sept années d'exercice d'une profession juridique réglementée, remplir les fonctions de membre du conseil de surveillance d'une société commerciale ou d'administrateur de société », étant précisé que la condition de l’ancienneté peut faire l’objet d’une dispense. Précisément, la même disposition légale prévoit que « Le conseil de l'Ordre peut accorder une dispense d'une partie de cette durée ». On pourra critiquer la rédaction du texte, qui évoque la position de membre du conseil de surveillance « d’une société commerciale » mais est beaucoup plus large lorsqu’il s’agit d’autoriser l’accès à la position d’administrateur, puisque le mandat doit être exercé dans une « société » sans plus de précision. La réponse est, toutefois, claire s’agissant de l’accès au mandat d’administrateur : il est possible.

Interdiction de certaines positions et de certains mandats sociaux. Après l’interdiction de l’exercice, direct ou non, d’une activité commerciale, l’article 111 du décret de 1991 énumère en un (b) une série de positions et une série de mandats sociaux interdits aux avocats.

Les positions interdites sont celles d’associé dans une société en nom collectif (SNC), et celle d’associé commandité dans une commandite simple ou dans une commandite par actions. Pour le coup, on peut douter de l’utilité de la précision dès lors que le (a) a interdit à l’avocat les « activités de caractère commercial ». La qualité d’associé d’une SNC confère automatiquement celle de commerçant [3], et il en va de même pour le commandité, tant dans les commandites simples [4] que dans les commandites par actions [5].

Les mandats sociaux interdits par l’article 111 en son (b) ne concernent expressément que certaines positions au sein de certaines formes sociales.

La position interdite de gérant d’une SARL. Dans les sociétés à responsabilité limitée, il est interdit à un avocat d’exercer la gérance. On peut penser que l’exercice de ce mandat social concentrant de larges pouvoirs, au moins à l’égard des tiers, était déjà interdit par le (a) de l’article 111. Si, « dans les rapports avec les tiers, le gérant [de la SARL] est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société, sous réserve des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés » [6], ces pouvoirs devraient être déjà assimilés à l’exercice indirect d’une activité commerciale, la SARL faisant également partie des sociétés commerciales par la forme.

Positions interdites au sein d’une SA. Avant l’intervention du décret de 2020, trois positions se trouvaient interdites. Deux le demeurent.

La position désormais autorisée de président du conseil d’administration. Antérieurement à l’adoption du décret de 2020, la première position que l’avocat se voyait interdire dans une SA par le décret de 1991 était celle de « président du conseil d’administration ». Le texte ne distinguait pas selon que la SA avait choisi de dissocier ou non la fonction de président du conseil de celle de directeur général (DG). A l’époque où le décret de 1991 a été écrit, le président du conseil exerçait nécessairement, en même temps que la présidence du conseil, la fonction de DG (d’où l’appellation courante de « P-DG »). La loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 (N° Lexbase : L8295ASZ) sur les nouvelles régulations économiques (NRE) a cependant permis aux SA de confier la présidence du conseil et la direction générale de la société à deux personnes distinctes. Avec une vingtaine d’années de décalage, le décret du 29 janvier 2020 tire donc les conséquences de cette évolution du droit des sociétés et autorise l’avocat à présider un conseil d’administration. Trois précisions peuvent être faites. Tout d’abord, la désignation d’un avocat au poste de président du conseil suppose qu’il soit d’abord un administrateur, dès lors que le conseil d’administration élit son président « parmi ses membres » [7]. Ensuite, et même si le décret de 2020 ne le précise pas, il serait logique de considérer que l’avocat administrateur peut également être délégué par le conseil dans les fonctions de président, en cas d’empêchement temporaire ou de décès de ce dernier [8]. Enfin, la désignation d’un avocat à la présidence du conseil d’administration d’une SA suppose dans tous les cas que la société concernée ait choisi, par la voix de son conseil, d’opter pour la dissociation de la présidence et de la direction générale [9].

La position toujours interdite de « directeur général ». Le décret de 2020 n’a pas levé l’interdiction d’exercer la fonction de DG d’une SA. Disons que le seul (a) de l’article 111 du décret de 1991 devait déjà suffire à interdire de détenir ce mandat social, selon le même raisonnement que celui exposé à propos du gérant de la SARL : les très larges pouvoirs exercés dans une société commerciale par la forme par ce mandataire social sont assimilables à l’exercice indirect d’une activité commerciale [10]. Le décret de 1991 avait tout de même pris la peine d’interdire à l’avocat le mandat de DG, mais à l’époque où ce texte était intervenu, le DG qui était visé n’était pas celui d’aujourd’hui. En 1991, le « directeur général » d’une SA correspondait au directeur général délégué d’aujourd’hui. Le président du conseil d’administration était alors nécessairement en charge de la direction générale, et il pouvait se faire assister par des « directeurs généraux » [11]. La loi NRE, en permettant de dissocier la présidence du conseil et la direction générale, a fait apparaître le « DG non président ». Parce qu’il fallait distinguer ce « nouveau DG » des « anciens DG », ces mandataires sociaux chargés d’assister la personne chargée de la direction générale ont été rebaptisés en 2001 « directeur généraux délégués » (DGD). L’interdiction qui demeure à l’article 111 (b) du décret de 1991 vise encore aujourd’hui le « DG ». Parce que le texte avait initialement dans son viseur les « DG » de l’époque, qui avait des pouvoirs moins importants que le DG d’aujourd’hui, il faut penser que cette fonction, au sens actuel, est clairement interdite. La modification apportée au texte par le décret de 2020 peut d’ailleurs être lue comme une « mise à jour » de l’article 111 (b) qui conduit à dire que ce texte doit bien viser le DG au sens actuel.

La position toujours interdite de membre de directoire d’une SA. Le membre du directoire fait partie d’un organe en principe collégial en charge de la direction de la SA. Il n’a pas été considéré que ce caractère collégial établissait une séparation avec l’activité sociale, justifiant que l’avocat puisse accéder à cette fonction.

La position interdite de gérant d’une société civile. Là où l’article 111 du décret va le plus loin, c’est lorsqu’il interdit à l’avocat d’accéder à la position de gérant d’une société civile. Pour le coup, sauf à ce que la société soit à forme civile mais à objet commercial, cette incompatibilité ne peut être rattachée à celles édictées par le (a) de l’article 111. L’avocat ne peut donc pas, par exemple, assumer la gestion d’une société civile immobilière. Heureusement, une double dérogation, commune aux différents mandats sociaux énumérés par l’article 111 (b) est prévue.

Double dérogation. L’article 111 (b) se conclut par une double exception : les fonctions énumérées sont interdites « à moins que celles-ci n'aient pour objet la gestion d'intérêts familiaux ou l'exercice de la profession d'avocat ». La seconde dérogation se comprend fort bien : une société d’exercice prenant la forme d’une SARL ou d’une SELARL doit pouvoir être gérée par un avocat, soit. La première dérogation est moins saisissable : qu’est-ce, en effet, qu’une société ayant pour objet la « gestion d’intérêts familiaux » ? On a sans doute voulu permettre à l’avocat de prendre la direction de la SCI détenant l’immeuble où est logé le professionnel avec sa famille. Mais à la lettre, le texte ne permet-il pas à un avocat de devenir le DG d’une SA gérant les intérêts d’une famille d’actionnaires ? Il nous semble que non, la dérogation ne devant de toute façon pas permettre à l’avocat l’exercice – serait-ce par voie indirecte – d’une activité de nature commerciale [12]. Une autre question que pose le texte sans y répondre est celle de savoir si les intérêts familiaux dont on parle doivent être exclusivement ceux de l’avocat ou non.

II - Les positions non visées par les textes.

Positions non visées dans les SA. On a évoqué précédemment la reconnaissance expresse par le législateur de l’accès de l’avocat aux fonctions d’administrateur et de membre du conseil de surveillance [13]. Entre ces fonctions autorisées et les fonctions clairement interdites, il en est une qui n’est aujourd’hui pas expressément visée par l’article 111 (b) du décret de 1991 : la fonction de DGD. C’était cependant elle que les rédacteurs du décret avaient en tête en 1991, ainsi qu’on l’a vu [14]. En outre, les larges pouvoirs du DGD, au moins à l’égard des tiers, doivent conduire nous semble-t-il à l’assimiler au DG. Il faut rappeler que, aux termes de l’article L. 225-56, II du Code de commerce, « Les directeurs généraux délégués disposent, à l’égard des tiers, des mêmes pouvoirs que le directeur général ». L’argument de rattachement de la situation au (a) de l’article 111 a également vocation à jouer ici [15]. Pour ces différentes raisons, le mandat social de DGD doit être incompatible avec la qualité d’avocat [16]. En revanche, il doit être possible à l’avocat administrateur ou membre du conseil de surveillance d’occuper des fonctions particulières dans les différents comités constitués par le conseil.

Positions non visées dans les SAS. Plus compliquée à gérer, dans le silence des textes, est la question des mandats détenus dans les sociétés par actions simplifiées (SAS). Certes, cette forme sociale n’existait pas en 1991, mais il est curieux qu’il ne soit pas venu à l’idée du pouvoir réglementaire de préciser l’étendue des incompatibilités applicables aux avocats au regard de cette forme sociale, au vu de l’importance prise par la SAS. Il y a tout de même, aujourd’hui, plus de vingt SAS pour une SA ! La thèse consistant à dire que ce qui n’est pas interdit étant permis, il doit être possible à un avocat d’exercer tout mandat social dans une SAS ne nous semble pas promise au succès. L’attitude la plus raisonnable consiste vraisemblablement à rechercher, pour chaque SAS, quels pouvoirs sont reconnus aux mandataires sociaux par les statuts. Dans cette forme sociale, ce sont les statuts qui déterminent les conditions dans lesquelles la société est dirigée [17]. Au vu de ce qui est compatible avec l’activité d’avocat dans les SA (administrateur, président du conseil d’administration, membre du conseil de surveillance, sans doute président du conseil de surveillance) et de ce qui ne l’est pas (DG, DGD, membre du directoire), il conviendra de décider à quelle catégorie se rattache le mandat social proposé à l’avocat pour savoir s’il peut l’exercer ou non.

Positions non visées dans les sociétés de droit étranger. Au-delà des différentes formes sociales visées, les avocats peuvent être tentés d’exercer un mandat social dans une société de droit étranger. Le décret de 1991 ne comporte pas la précision selon laquelle les mandats sociaux visés sont également interdits lorsque la société concernée est une société de droit étranger. Pour autant, il ne semble pas que l’interprétation restrictive du texte soit ici la bonne, et ce quand bien même le texte à interpréter édicte une exception au principe de la liberté d’entreprendre. C’est d’ailleurs en ce sens que la Cour de cassation avait statué dans l’une des rares décisions rendues en ce domaine [18].


[1] Sur le décret de 2020, v., nos premières observations in JCP éd. E, 2020, act., 109.

[2] C. com., art. L. 210-1 (N° Lexbase : L5788AI9).

[3] C. com., art. L. 221-1 (N° Lexbase : L5797AIK).

[4] C. com., art. L. 221-1.

[5] C. com., art. L. 226-1 (N° Lexbase : L7230LQT).

[6] C. com., art. L. 223-18, al. 5 (N° Lexbase : L2030KGB).

[7] C. com., art., L. 225-47, al. 1er (N° Lexbase : L7146LTT).

[8] C. com., art., L. 225-50 (N° Lexbase : L5921AI7).

[9] C. com., art. L. 225-51-1 (N° Lexbase : L2183ATZ). 

[10] V., supra, n° 8.

[11] V., C. com., art. L. 225-53 (N° Lexbase : L7147LTU), avant sa modification par la loi NRE : « Sur la proposition du président, le conseil d'administration peut donner mandat à une personne physique d'assister le président à titre de directeur général. Deux directeurs généraux peuvent être nommés dans les sociétés dont le capital est au moins égal à 500.000 F, et cinq directeurs généraux dans les sociétés dont le capital est au moins égal à 10.000.000 F à condition que trois d'entre eux au moins soient administrateurs. Le conseil détermine leur rémunération ».

[12] Pour un refus d’application de cette dérogation, v., Cass. civ. 1, 14 mai 2009, n° 08-13.422, FS-P+B (N° Lexbase : A9777EG9), Bull. I, n° 91.

[13] V., supra, n° 4.

[14] V., supra, n° 11.

[15] V., supra, n° 11.

[16] En ce sens, v., A. Charvériat, B. Dondero, F. Gilbert, M.-E. Sébire et B. Mercadal, Mémento Lefebvre Sociétés commerciales, 2019, n° 11230.

[17] C. com., art. L. 227-5 (N° Lexbase : L6160AIY).

[18] Cass. civ. 1, 6 décembre 2007, n° 05-18.795, F-P+B ([LXB=A0278D3P), Bull. I, n° 377 ; BJS, 2008, p. 464, note M. Menjucq.

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