La lettre juridique n°464 du 1 décembre 2011 : Communautaire

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - Novembre 2011

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public, Chaire Jean Monnet, CRDEI, Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 01 Décembre 2011

Le droit de l'Union européenne est l'affaire de toutes les juridictions. D'abord, la Cour de justice, bien évidemment. Ces derniers jours, elle est de nouveau venue apporter quelques précisions sur la distinction entre le marché public de services et la concession de services (CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-348/10). Ensuite, le Tribunal des conflits, lui-même, applique le droit de l'Union pour cantonner la jurisprudence "Septfonds" (T. confl., 16 juin 1923, n° 00732 N° Lexbase : A9729A7H), qui traditionnellement interdit aux juridictions civiles de connaître par la voie de l'exception de la légalité d'un acte administratif (T. confl., 17 octobre 2011, n° 3828). Enfin, la cour administrative d'appel de Douai, dans le contentieux des reconduites à la frontière des ressortissants bulgares et roumains, a retenu une interprétation assez étrange du droit de l'Union, et spécialement des Traités d'adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (CAA Douai, 13 octobre 2011, n° 10DA01513).
  • Précisions sur la distinction entre le marché public de services et la concession de services (CJUE, 10 novembre 2011, aff. C-348/10 N° Lexbase : A9112HZI)

A - Dans cette affaire, la Cour de justice s'est de nouveau penchée sur la distinction entre marché public et concession. Afin d'assurer la cohérence du droit de l'Union, la Cour a, d'abord, précisé que cette distinction devait avoir la même signification dans la Directive (CE) 2004/17 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT) (1), et dans la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (2).

Ces deux Directives définissent la concession de services comme "un contrat présentant les mêmes caractéristiques qu'un marché public de services, à l'exception du fait que la contrepartie de la prestation des services consiste soit uniquement dans le droit d'exploiter le service, soit dans ce droit assorti d'un prix" (3). La Cour de justice rappelle que c'est, notamment, le cas dans les hypothèses où l'exploitant va faire payer un prix aux usagers du service. Mais, il ressort de la jurisprudence que cet élément n'est pas à lui seul suffisant. Pour qu'il y ait concession de services, il faut, également, que "le concessionnaire prenne en charge le risque lié à l'exploitation des services en question. L'absence de transfert au prestataire du risque lié à la prestation des services indique que l'opération visée constitue un marché public de services et non pas une concession de services" (4).

Bien que la jurisprudence de la Cour ne soit pas très claire sur ce point, il semble finalement que ce critère du risque n'est pas un critère subsidiaire, mais plutôt qu'il est le critère de la concession de service. L'indice tiré de la rémunération par les usagers permet, quant à lui, de déceler que le risque de l'exploitation repose sur le cocontractant de l'administration. Dans la mesure où cet indice n'est pas en soi suffisant, quels sont les autres éléments que prend en compte la Cour de justice ?

B - Pour répondre à cette question, la CJUE reprend le raisonnement suivi dans un arrêt rendu le 10 mars 2011 (CJUE, 10 mars 2011, aff. C-274/09 N° Lexbase : A3226G7M). Au moins, in abstracto, l'idée est relativement simple : peu importe que le risque soit limité, il faut qu'il soit transféré au cocontractant.

La Cour précise donc, tout d'abord, que, lorsque le service correspond à des activités d'utilités publiques, le risque est, par nature, limité. Elle remarque que, "d'une part, les modalités de droit public auxquelles est soumise l'exploitation économique et financière du service facilitent le contrôle de l'exploitation de ce dernier et réduisent les facteurs susceptibles de porter atteinte à la transparence et de fausser la concurrence". Elle ajoute que, "d'autre part, il doit demeurer loisible aux pouvoirs adjudicateurs, agissant en toute bonne foi, d'assurer la fourniture de services au moyen d'une concession, s'ils estiment qu'il s'agit de la meilleure manière d'assurer le service public concerné, et cela même si le risque lié à l'exploitation est très limité" (5). Ainsi, les règles de droit public qui limitent le risque sont des règles d'ordre public qui ne peuvent être écartées par les cocontractants et le choix de recourir à la concession un pouvoir discrétionnaire de l'administration.

La Cour précise, enfin, la nature du risque en cause. Est, ainsi, concerné, le risque qui, "lié à l'exploitation doit être compris comme le risque d'exposition aux aléas du marché [...], lequel peut, notamment, se traduire par le risque de concurrence de la part d'autres opérateurs, le risque d'une inadéquation entre l'offre et la demande de services, le risque d'insolvabilité des débiteurs du prix des services fournis, le risque d'absence de couverture des dépenses d'exploitation par les recettes, ou encore le risque de responsabilité d'un préjudice lié à un manquement dans le service" (6). Ne sont, en revanche, évidemment pas concernés les "risques tels que ceux liés à une mauvaise gestion ou à des erreurs d'appréciation de l'opérateur économique qui ne sont pas déterminants aux fins de qualifier un contrat de marché public ou de concession de services, de tels risques étant, en effet, inhérents à tout contrat, que celui-ci corresponde à un marché public de services ou à une concession de services" (7). La nature du risque à prendre en compte étant précisée, il convient donc, ensuite, de déterminer, en fonction du droit national applicable et du montage contractuel adopté, sur qui repose le risque.

C - Cette opération de qualification devrait plutôt reposer sur la juridiction nationale, mais l'on sait bien que la frontière entre interprétation et qualification est plus que poreuse. En dépit des controverses qui semblent avoir eu lieu le jour de l'audience, la Cour de justice relève qu'il résulte tant du droit national applicable que du montage contractuel que le risque repose sur le pouvoir adjudicateur, notamment parce que le cocontractant doit être indemnisé de ces pertes d'exploitation. La Cour note, également, que l'administration compense "la perte de recettes due au fait que le donneur d'ordres a imposé des réductions tarifaires à l'égard de différentes catégories de passagers, et les dépenses engendrées par le respect des normes qualitatives imposées alors que la fourniture du service a déjà commencé, dès lors que ces normes entraînent des dépenses supplémentaires par rapport aux conditions de qualité préalablement exigées" (8).

Ce dernier aspect est particulièrement intéressant car il pourrait implicitement indiquer que dès qu'il y a compensation de service public, il n'y a plus concession de service, mais marché de services. Les liens entre la jurisprudence "Altmark" (CJCE, 24 juillet 2003, aff. C-280/00 N° Lexbase : A2343C9N) et les règles de passation des contrats portant sur le service public devront donc être plus clairement élucidés.

A - Dans son arrêt rendu le 17 octobre 2011, le Tribunal des conflits a, tout d'abord, estimé que, "si en cas de contestation sérieuse portant sur la légalité d'un acte administratif, les tribunaux de l'ordre judiciaire statuant en matière civile doivent surseoir à statuer jusqu'à ce que la question préjudicielle de la légalité de cet acte soit tranchée par la juridiction administrative, il en va autrement lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal". Cette opération de cantonnement menée par le Tribunal des conflits s'est faite, au nom du droit interne, mais le droit européen n'est pas absent, au moins implicitement, de son raisonnement.

Le maintien, en principe de la jurisprudence "Septfonds", se fonde logiquement sur la loi des 16-24 août 1790 et du décret du 16 fructidor An III, selon laquelle affirme, le Tribunal, "sous réserve des matières réservées par nature à l'autorité judiciaire et sauf dispositions législatives contraires, il n'appartient qu'à la juridiction administrative de connaître des recours tendant à l'annulation ou à la réformation des décisions prises par l'administration dans l'exercice de ses prérogatives de puissance publique". L'on aura évidemment reconnu la formulation du principe fondamental reconnu par les lois de la République dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision "Conseil de la concurrence" (Cons. const., n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 N° Lexbase : A8153ACX). Il est évidemment piquant de rappeler que, si le Conseil constitutionnel avait dégagé ce principe, c'est parce qu'il a estimé que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires, tel qu'il découle de la loi des 16-24 août 1790 n'avait pas valeur constitutionnelle. L'opération consistant à intégrer le principe fondamental reconnu par les lois de la République dans une interprétation new look de la loi des 16-24 août 1790 n'a qu'une faible valeur ajoutée.

En effet, il est assez évident que le principe fondamental reconnu par les lois de la République ne protège pas la compétence des juridictions administratives pour connaître des questions relatives à la validité des actes administratifs qui se posent devant les juridictions civiles, l'article 111-5 du Code pénal (N° Lexbase : L2064AME) qui permet au juge pénal de se prononcer, par la voie de l'exception, sur la légalité des actes administratifs, en témoigne. Ce principe constitutionnel n'a pas pour effet d'interdire une interprétation de la loi des 16-24 août 1790 plus restrictive, comme celle qui résulte de la jurisprudence "Septfonds". D'ailleurs, le Tribunal des conflits rappelle qu'il découle du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires que "le juge administratif est, en principe, seul compétent pour statuer, le cas échéant par voie de question préjudicielle, sur toute contestation de la légalité de telles décisions, soulevée à l'occasion d'un litige relevant à titre principal de l'autorité judiciaire". L'insertion du principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la loi des 16-24 août 1790 n'a, en réalité, d'autre objectif que de permettre de restreindre le champ de la jurisprudence "Septfonds".

Le Tribunal des conflits estime, en effet, que cette compétence de principe du juge administratif, issue de la jurisprudence "Septfonds" doit être conciliée "tant avec l'exigence de bonne administration de la justice qu'avec les principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions, en vertu desquels tout justiciable a droit à ce que sa demande soit jugée dans un délai raisonnable". La première limite découle de la jurisprudence du Conseil constitutionnel "Conseil de la concurrence", précitée. La seconde paraît plus inédite et fait allusion à une des exigences de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), relative au délai raisonnable des procédures juridictionnelles.

Il en découle que le juge judiciaire reste compétent "lorsqu'il apparaît manifestement, au vu d'une jurisprudence établie, que la contestation peut être accueillie par le juge saisi au principal". S'il est établi depuis longtemps que le juge judiciaire peut, de lui-même, écarter un moyen qui ne lui paraît pas sérieux, le pouvoir qui lui est ici reconnu est inédit puisqu'il lui permet de statuer lui-même sur la validité de l'acte. Ce pouvoir lui est reconnu s'il existe "une jurisprudence bien établie". Il restera donc à déterminer ce que recouvre une telle hypothèse dont la formulation reste plus que vague et qui, pour cette raison, n'est pas de nature à renforcer la sécurité juridique. Surtout, cela annonce à plus ou moins long terme la mort de la jurisprudence "Septfonds".

B - Dans le champ des Traités sur l'Union européenne, la jurisprudence "Septfonds" est, d'ailleurs, bel et bien écartée. Selon le Tribunal des conflits, "il résulte du principe d'effectivité issu des dispositions de ces Traités, telles qu'elles ont été interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, que le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire [...] à cet effet, il doit pouvoir, en cas de difficulté d'interprétation de ces normes, en saisir lui-même la Cour de justice à titre préjudiciel ou, lorsqu'il s'estime en état de le faire, appliquer le droit de l'Union sans être tenu de saisir au préalable la juridiction administrative d'une question préjudicielle, dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne". Le Tribunal rejoint, ainsi, la position de la Cour de cassation (Cass. com., 6 mai 1996, n° 94-13.347 N° Lexbase : A2437ABU) à laquelle il s'était pourtant opposé (T. confl., 19 janvier 1998, n° 03084 N° Lexbase : A5628BQI).

Le Tribunal a repris la motivation de l'arrêt "Simmenthal" (CJCE, 9 mars 1978, aff. C-106/77 N° Lexbase : A5639AUE) de la Cour de justice. Dans cette affaire, la juridiction communautaire avait condamné la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne qui interdisait au juge ordinaire de se prononcer sur la compatibilité de la loi avec le droit communautaire et considérait qu'il y avait lieu de lui poser une question préjudicielle. Ce monopole de la Cour constitutionnelle pour apprécier la compatibilité de la loi avec le droit communautaire méconnaissait l'immédiateté de la primauté de la norme communautaire. Dans la mesure où la jurisprudence "Septfonds" a pour effet de priver le juge civil d'apprécier, par lui-même, la compatibilité d'un acte administratif avec le droit de l'Union, il était difficile de soutenir sa compatibilité avec la jurisprudence "Simmenthal". En outre, dans le contexte sensiblement différent de la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour de justice avait, dans la jurisprudence "Melki" (CJUE, 22 juin 2010, aff. jointes C-188/10 et C-189/10 N° Lexbase : A1918E3G), réitéré cette exigence de l'immédiateté et de l'efficacité de la primauté du droit de l'Union.

Il faut, enfin, noter que cette jurisprudence devrait parallèlement étendre la compétence du juge administratif. En effet, ce dernier est incompétent pour connaître d'une question portant sur la validité d'un acte de droit privé, par exemple une convention collective, et il y a matière à question préjudicielle devant la juridiction judiciaire (CE 6° et 2° s-s-r., 20 février 1987, n° 60311, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3218APU). La jurisprudence de la Cour de justice va, d'ailleurs, en ce sens (voir CJCE, 7 février 1991, aff. C-184/89 N° Lexbase : A9822AUC).

C - Le Tribunal des conflits n'a, toutefois, pas souhaité étendre cette exception fondée sur le droit de l'Union à toutes les hypothèses dans lesquelles est en cause la conventionnalité d'un acte administratif. Il estime que "les dispositions de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L1320A9R) conférant aux Traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois ne prescrivent ni n'impliquent aucune dérogation aux principes [de la séparation des autorités administratives et judiciaires] régissant la répartition des compétences entre ces juridictions, lorsque est en cause la légalité d'une disposition réglementaire, alors même que la contestation porterait sur la compatibilité d'une telle disposition avec les engagements internationaux". Il condamne, ainsi, la jurisprudence de la Cour de cassation qui avait cru pouvoir écarter la jurisprudence "Septfonds", lorsqu'était en cause la conventionnalité de l'acte administratif (Cass.civ. 1, 3 avril 2001, n° 00-05.026 N° Lexbase : A0364AXR).

Il est vrai que la distinction opérée par la Cour de cassation entre conventionnalité et légalité, pour écarter la jurisprudence "Septfonds", si elle peut être séduisante sur un plan purement théorique, n'a guère de pertinence dans le cadre du contrôle de la validité des actes administratifs. En outre, si l'article 55 de la Constitution, tel qu'il est interprété par le Conseil constitutionnel, habilite les juridictions ordinaires à contrôler la conventionnalité des lois, cette compétence n'affecte en aucune manière la répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, issue du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

Il n'en demeure pas moins que le maintien de la jurisprudence "Septfonds" dans le cadre du contrôle de conventionnalité n'est pas d'une totale cohérence. Il y a quelque paradoxe à considérer que le juge judiciaire puisse contrôler la conventionnalité d'une loi, sans pouvoir contrôler celle d'un acte administratif. Il en résulte, en outre, une grande complexité pour le justiciable. Dans toutes les hypothèses, et elles sont les plus fréquentes, où le contrôle de conventionnalité de l'acte administratif nécessite, également, un contrôle de conventionnalité de la loi, il est possible de supposer que, bien souvent, aura été développé parallèlement un moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi. Dès lors, le juge judiciaire devra surseoir à statuer, les parties feront un recours en appréciation de validité de l'acte administratif devant le juge administratif, qui, lui-même, devra surseoir à statuer, puis transmettre au Conseil d'Etat qui posera une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Les considérations tirés de l'exigence de célérité des procédures, par ailleurs, invoquée par le Tribunal des conflits devraient également le conduire à écarter la jurisprudence "Septfonds" dès que se pose un problème de constitutionnalité et de conventionnalité de la loi qui constitue le fondement de l'acte administratif en cause. Si une telle exception était admise, la jurisprudence "Septfonds" ne serait alors plus qu'une exception au principe de la plénitude de compétence du juge civil pour apprécier la légalité des actes administratifs par voie d'exception.

  • Les ambiguïtés du statut des ressortissants bulgares et roumains au regard du droit des étrangers (CAA Douai, 13 octobre 2011, n° 10DA01513 N° Lexbase : A0403HZX)

L'on sait que de nombreuses décisions de reconduite à la frontière sont prises à l'encontre de ressortissants bulgares et roumains alors qu'ils ont la qualité de citoyens européens. Les autorités françaises se fondent sur les protocoles annexés au Traité d'adhésion qui prévoient des périodes transitoires qui permettent aux anciens Etats membres de ne pas appliquer les règles relatives à la libre circulation des travailleurs et à la libre prestation de services. Dans cette affaire, était en cause une décision de reconduite à la frontière à l'encontre d'une ressortissante bulgare exerçant la profession de prostituée. La cour administrative d'appel de Douai, en se fondant sur une motivation assez curieuse, a admis la légalité de cette décision.

La cour administrative d'appel considère que les dispositions transitoires sont applicables à la situation de l'intéressée et mentionne, ainsi, l'annexe VII "libre circulation des personnes" du protocole relatif aux conditions et modalités d'admission de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. L'on notera, toutefois, que l'annexe VII est applicable à la Roumanie et que c'est l'annexe VI qui est applicable à la Bulgarie. Cette erreur n'a, cependant, guère d'importance dans la mesure où les deux textes sont identiques.

Mais, force est de constater que ces dispositions n'étaient pas opposables à Emilia X. La cour note, en effet, qu'"il ressort des pièces du dossier, et des propres déclarations de Mme X, que celle-ci est entrée en France depuis plus de dix ans [et] se livre, de manière habituelle, depuis son entrée, à la prostitution [...] à ce titre, elle a la qualité de travailleur indépendant". Sa situation relève donc de la liberté d'établissement qui n'est pas couverte pas l'annexe VI. Cette liberté est, en effet, applicable aux travailleurs indépendants qui exercent leur activité à titre permanent sur le territoire de l'Etat membre dont ils ne sont pas ressortissants. La Cour de justice a, d'ailleurs, déjà jugé que la prostitution relevait bien du champ d'application de la liberté d'établissement (CJCE, 20 novembre 2001, aff. C-268/99 N° Lexbase : A5827AX4). Le préfet ne pouvait donc prendre un arrêté de reconduite à la frontière sur un tel fondement.

Il est vrai que la rédaction du Code de l'entrée et du séjour des étrangers en France est tout à fait ambiguë. Selon son article L. 121-2, alinéa 3 (N° Lexbase : L9196H3Y), "demeurent soumis à la détention d'un titre de séjour durant le temps de validité des mesures transitoires éventuellement prévues en la matière par le Traité d'adhésion du pays dont ils sont ressortissants, et sauf si ce Traité en stipule autrement, les citoyens de l'Union européenne qui souhaitent exercer en France une activité professionnelle". Le terme "activité professionnelle" est trompeur car trop générique, eu égard aux champs d'application des annexes VI et VII "libre circulation" du protocole relatif aux conditions et modalités d'admission de la République de Bulgarie et de la Roumanie à l'Union européenne. La Cour avait, toutefois, l'obligation d'interpréter le droit national à la lumière des exigences du droit de l'Union européenne, et donc de retenir une interprétation de la notion "d'activité professionnelle" conforme au Traité d'adhésion (CJCE, 10 avril 1984, aff. C-14/83 N° Lexbase : A8698AUP).

L'arrêt devient quelque peu surréaliste lorsqu'il indique que l'intéressée aurait dû solliciter une autorisation de travail au sens de l'article L. 5221-2 du Code du travail (N° Lexbase : L2509H9S), autorisation nécessaire pour l'exercice d'une activité salariée... En outre, les considérations tirées de ce que la requérante "avait été interpellée par la police alors qu'elle se livrait à la prostitution et au racolage sur la voie publique" sont totalement hors-sujet. Si le préfet considérait que Emilia X constituait une menace à l'ordre public, il lui appartenait de prendre un arrêté d'expulsion, en respectant les conditions de procédure et de forme qui s'imposent à une telle décision.

L'on regrettera donc que pour une difficulté d'interprétation des textes nationaux et de l'Union qui était finalement une question de principe, la cour administrative d'appel de Douai n'ait pas décidé de statuer en formation collégiale. La politique du chiffre ne fait donc pas que des dégâts dans l'administration active...


(1) JOCE, n° L 134 du 30 avril 2004, p. 1.
(2) JOCE, n° L 134 du 30 avril 2004, p. 114.
(3) Respectivement article 1, paragraphe 3, b), et article 1, paragraphe 4).
(4) Point n° 41.
(5) Point n° 46.
(6) Point n° 48.
(7) Point n° 49.
(8) Point n° 53.

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