La lettre juridique n°464 du 1 décembre 2011 : Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - Décembre 2011

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par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 01 Décembre 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en droit fiscal des entreprises réalisée par Frédéric Dal Vecchio, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette chronique, entièrement dévolue au droit fiscal international, a trait à la notion d'établissement stable dont les circonstances de fait, déterminantes dans la décision commentée, permettent à l'administration fiscale française de rattacher la base imposable à la France et d'en tirer les conséquences pour la société et les associés. En effet, deux décisions rendues par le Conseil d'Etat et traitant de la même affaire ont trait, pour la première, à la détermination du lieu de l'établissement stable d'une société dont le siège a été déclaré au Luxembourg (CE 10° et 9° s-s-r., 2 novembre 2011, n° 312407, inédit au recueil Lebon), et, pour la deuxième, aux conséquences de la détermination de l'établissement stable de la société en France, au domicile de ses associés et seuls salariés (CE 10° et 9° s-s-r., 2 novembre 2011, n° 312408, inédit au recueil Lebon). Par le biais de ces deux décisions, le juge revient sur les critères de l'établissement stable, au regard, en l'espèce, de la Convention fiscale liant la France et le Luxembourg. Dans une troisième décision, il est question de la taxe de 3 % assise sur la valeur vénale des immeubles, due par les sociétés étrangères possédant un immeuble en France et établies dans un Etat qui n'a pas signé avec la France de convention fiscale comprenant une clause d'assistance administrative mutuelle. Le juge s'est prononcé sur la conformité de cette taxe au regard du droit communautaire et sur les conséquences de la non déclaration de la base imposable mais exonérée, par une société établie dans un territoire d'outre-mer (Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-14.466, FS-P+B).
  • Etablissement stable d'une société luxembourgeoise au domicile de ses associés : conséquences pour la société et ses associés

La société en question, dont le siège social était prétendument situé au Luxembourg, avait pour objet la vente et la conception de panneaux publicitaires. A la suite d'investigations menées par l'administration fiscale, notamment d'une procédure d'examen d'ensemble de la situation fiscale de ses associés (LPF, art. L. 12 N° Lexbase : L6793HWI), par ailleurs uniques salariés de la société, et des informations obtenues par le service au moyen de l'assistance administrative (Convention France - Luxembourg, signée à Paris le 1er avril 1958, art. 22 (1) N° Lexbase : L6716BH9), l'administration fiscale a émis des redressements, d'une part, à l'encontre de la société, portant sur les cotisations d'impôt sur les sociétés et la contribution additionnelle de 10 % pour l'exercice 1999 et, au terme d'une procédure de taxation d'office, pour les exercices 2000 et 2001 ; d'autre part, à l'encontre des associés de la société, au titre de l'impôt sur le revenu. Les procédures menées à l'encontre de la société (A) et des associés (B) sont riches d'enseignements en droit fiscal international.

A - Conséquences pour la société : le juge qui détermine le lieu de l'établissement stable en France d'une société luxembourgeoise au domicile de ses associés et uniques salariés a bien recherché si l'activité exercée depuis le lieu d'affaires avait ou non un caractère préparatoire ou auxiliaire (CE 10° et 9° s-s-r., 2 novembre 2011, n° 312407, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5143HZI)

Sur le plan procédural, l'invocabilité, par la société redressée, d'une irrégularité de la procédure d'imposition pour défaut de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires (LPF, art. L. 59 A N° Lexbase : L8737G84) ne pouvait être suivie d'effet, dès lors que ladite commission ne statuait pas en droit (2) pour les années considérées, alors que le point litigieux avec l'administration portait sur la détermination d'un établissement stable en France (v. également : CAA Paris, 7ème ch., 25 mars 2011, n° 09PA00030 N° Lexbase : A3870HS7 ; CAA Marseille, 4ème ch., 7 juillet 2005, n° 02MA00893, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0699DMT ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 19 mai 2011, n° 10BX00528, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8662HSM ; quant à la territorialité en matière de TVA : CAA Bordeaux, 5ème ch., 18 mai 2009, n° 07BX01248, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1067EMH ; CAA Bordeaux, 2ème ch., 11 décembre 1995, n° 93BX00719, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1970BEP). De plus, la commission ne peut être saisie lors d'une procédure de taxation d'office, sauf exception en matière d'ESFP (LPF art. L. 76 (3) N° Lexbase : L5568G4Y), hypothèse qui ne peut intéresser que des personnes physiques.

Au fond, quant à l'interrogation portée devant le juge de l'impôt, relative au droit fiscal international, la localisation de la base imposable reste un enjeu déterminant pour les différents Etats qui s'interrogent régulièrement sur l'efficacité de leur système de taxation (4). Cette problématique n'échappe pas aux contribuables qui peuvent être tentés, et plus particulièrement pour des prestations de services, d'installer en apparence le siège de leur entreprise sous des cieux réputés plus cléments. La décision commentée illustre concrètement la notion d'établissement stable, c'est-à-dire une installation fixe d'affaire définie -non limitativement- par chaque convention fiscale bilatérale révélée, sur le territoire national, par des indices exposés avec le plus grand soin par l'administration fiscale dans ses mémoires devant le juge de l'impôt, en réponse à la frénétique imagination des contribuables dans ce domaine. Il n'existe donc pas un critère unique permettant de déterminer avec certitude la présence d'un établissement stable en France mais les contribuables peuvent, en cas de doute, solliciter l'administration fiscale au moyen d'un rescrit (5) (LPF art. L. 80 B 6° N° Lexbase : L4375IQ4) dont l'existence, au cas particulier, n'est pas rapportée.

Cette notion d'établissement stable, clef de voûte des conventions fiscales internationales, permet à l'administration fiscale de localiser incontestablement la base imposable en France compte tenu des principaux éléments issus de la procédure menée par le service dans cette affaire :
- existence d'une correspondance commerciale de la société contrôlée, sur laquelle figuraient les numéros de téléphone des domiciles personnels, en France, des associés où étaient reçus ou adressés notamment des appels téléphoniques ;
- siège social prétendument situé au Luxembourg dans un studio d'habitation ne comportant pas de ligne téléphonique, ni de préposés. Or, d'après la documentation administrative (D. adm. 4 H 1422 n° 9, 1er mars 1995) : "l'installation d'affaires doit avoir une activité propre, ce qui implique normalement la présence sur place de personnels de l'entreprise".

S'agissant de l'application de la loi fiscale en présence d'une convention fiscale internationale bilatérale, la Haute juridiction reprend le considérant de principe énoncé dans la décision "Société Schneider Electric" (CE Assemblée, 28 juin 2002, n° 232276, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0219AZ7 ; CE 3° et 8° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 290266, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2858DX7), imposant au juge de l'impôt, dans de telles circonstances, "de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification", puis de rapprocher cette qualification des stipulations de la convention, afin de déterminer "-en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office- si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale". Enfin, le juge de cassation dit pour droit qu'il appartenait aux juges du fond de rechercher d'office si le domicile privé des époux devait être considéré comme un établissement stable même si les stipulations de la convention fiscale bilatérale n'étaient pas invoquées devant les juges d'appel. En effet, le moyen tiré du champ d'application d'une convention fiscale internationale est d'ordre public (6) et doit être soulevé d'office, après information aux parties et fixation d'un délai de présentation de leurs observations (CJA, art. R. 611-7, N° Lexbase : L3102ALH ; CE 9° et 10° s-s-r., 1er mars 2004, n° 212986, mentionné aux tables du recueil Lebon (7) N° Lexbase : A4244DBS). Il en est ainsi (8) lorsqu'une convention fiscale bilatérale conclue entre la France et un Etat étranger s'oppose à ce que soit pratiquée la retenue à la source sur les bénéfices distribués au sens de l'article 109 du CGI (N° Lexbase : L2060HLU) par une société française à une société dont le siège est dans cet Etat étranger (dans le cas des relations avec l'Allemagne : CE 7° et 8° s-s-r., 19 décembre 1986, n° 54101, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4624AM9 ; dans le cas des relations avec la Suisse : CE 7° et 9° s-s-r., 27 janvier 1989, n° 58272, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0847AQG) ; ou quant à l'application des dispositions de l'article 81 A du CGI (N° Lexbase : L2447HNX), relatif aux conditions d'imposition des salariés détachés durablement à l'étranger (dans le cas des relations avec la Roumanie : CAA Lyon, 1e ch., 27 juin 1989, n° 89LY01231, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3767A8Z) ; ou encore sur la question de l'application d'une convention fiscale bilatérale relative à l'impôt sur le revenu et à l'impôt sur la fortune, alors que les faits de l'espèce concernaient la taxe sur la valeur ajoutée (CE 8° et 3° s-s-r., 24 juillet 2009, n° 309278, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1082EKB). Le caractère remarquable de la décision commentée provient du fait que le juge de cassation estime qu'il ne peut être fait grief aux juges d'appel de s'être abstenus "de rechercher si l'activité exercée depuis le lieu d'affaires avait ou non un caractère préparatoire ou auxiliaire" car, dès lors qu'avait été démontrée l'existence d'un établissement stable en France au domicile privé des associés, il avait été nécessairement procédé à cet examen sur la base des circonstances de fait mentionnées par la juridiction d'appel. Selon la convention modèle OCDE, ne constitue pas un établissement stable "une installation fixe d'affaires qui exerce uniquement, pour l'entreprise, des activités de caractère préparatoire ou auxiliaire". Dans les conventions conformes au modèle OCDE, certaines activités ne sont pas considérées comme des établissements stables : c'est le cas, par exemple, d'un entrepôt utilisé pour stocker de la marchandise ou une installation fixe d'affaires exerçant des activités de caractère préparatoire ou auxiliaire tels que des bureaux effectuant des travaux de publicité ou de recherche, à la condition toutefois que l'objet de l'entreprise ne soit pas la publicité ou la recherche (v. dans le cas des relations avec la Suisse (9) : CE 9° s-s., 6 octobre 2010, n° 307680, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4479GCU ; CE 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 297933, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1254EKN ; CE 7° et 8° s-s-r., 6 juillet 1983, n° 37410, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8132ALR). Au cas d'espèce, la Convention signée entre la France et le Luxembourg vise également cette hypothèse (art. 2 (10)). Ces deux éléments étant, par définition, incompatibles, car il ne peut y avoir d'établissement stable si l'activité a un caractère exclusivement préparatoire ou auxiliaire au profit de l'entreprise, la qualification d'établissement stable retenue par les juges du fond impliquait nécessairement de leur part -même s'ils ne l'ont pas rédigé ainsi dans l'arrêt soumis à la censure du juge de cassation- la confrontation des faits de l'espèce avec la qualification d'installation fixe d'affaires exerçant uniquement pour l'entreprise des activités préparatoires ou auxiliaires.

B - Conséquences pour les associés : peu importe le lieu de l'établissement stable en France d'une société, dès lors que le contribuable est redressé sur le montant de revenus réputés distribués qu'il a perçus et sur lesquels il est redevable de l'impôt (CE 10° et 9° s-s-r., 2 novembre 2011, n° 312408, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5144HZK)

L'arrêt commenté tire les conséquences des éléments de faits rassemblés par l'administration fiscale dans le cadre d'un ESFP mené à l'encontre des associés de la société et de l'exercice de son droit de communication. En application des stipulations de la Convention franco-luxembourgeoise (art. 14), les associés ont vu leurs salaires imposés en France ainsi que les bénéfices de la société, du fait des dispositions de l'article 109-1° du CGI, texte redoutable quant aux conséquences pour les contribuables visés : l'administration, avec la bienveillance du législateur, a pris acte de la tentation de certains dirigeants de s'octroyer des revenus présentés sous une autre forme et de les imposer au titre des distributions "camouflées" (CGI art. 109-1 (11) N° Lexbase : L2060HLU), ce qui suppose un exercice bénéficiaire (CE Section, 10 mars 1972, n° 79927, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7080B7D), "présumées" (CGI art. 111-a N° Lexbase : L2066HL4) ou " occultes " (CGI art. 111-c N° Lexbase : L2066HL4 ; M. Cozian et F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, LexisNexis, coll. : Litec Fiscal, 35ème édition, 2011, p. 355 et s. ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5e édition, 2009, p. 672 et s.). Nous ajoutons notre contribution à cette imagerie fiscale en mettant en évidence un caractère apprécié des contribuables et commun à toutes ces distributions : dans leur esprit, elles paraissent "furtives", tant que l'administration fiscale ne les remet pas en cause. Directement ou par le truchement de personnes physiques ou morales interposées (CE 7° et 8° s-s-r., 26 février 1992, n° 86511, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5243ARM), ces distributions se traduisent par des prêts jamais remboursés ou à une échéance hypothétique (CE 7° et 8° s-s-r., 2 mars 1983, n° 28062, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8992ALM) ; ou par la vente des biens sociaux à une valeur moindre que leur valeur vénale (pour un immeuble : CE 7° et 9° s-s-r., 10 juin 1983, n° 27391, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A8580ALD ; CE 7° s-s., 20 juin 1984, n° 35964, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5049ALL) ou leur acquisition pour un montant survalorisé (v. dans l'hypothèse de l'apport ou de l'acquisition d'un fonds de commerce à une société pour une valeur excédant sa valeur vénale : CAA Nantes, 1ère ch., 28 juillet 2004, n° 01NT00530, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A2444DEA ; CAA Nantes, 1ère ch., 30 octobre 2006, n° 05NT00009, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5548DTN) ; ou encore par la surfacturation de loyers d'un immeuble appartenant à une société civile immobilière et loué à une société anonyme dont les dirigeants sont communs (CAA Douai, 3ème ch., 4 octobre 2005, n° 03DA00154, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9720DK9). La jurisprudence témoigne de son actualité sans cesse renouvelée (CE 9° et 10° s-s-r., 31 décembre 2008, n° 296472, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3620EG8 ; pour des sommes comptabilisées en salaires : CAA Marseille, 4ème ch., 6 janvier 2009, n° 06MA01264, inédit au recueil Lebon ; CAA Bordeaux, 4ème ch., 26 avril 2007, n° 04BX01831, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8326DXN), sans préjudice d'une éventuelle qualification pénale.

L'apport de cette décision réside dans le fait que, qualifier d'établissement stable le domicile des associés, pour l'imposition de la société, n'a pas d'incidence pour les suppléments de cotisations d'impôt sur le revenu mis à leur charge. Par conséquent, dès lors qu'il n'est pas contesté que les associés étaient bien domiciliés fiscalement en France, le caractère auxiliaire ou préparatoire de l'établissement stable est indifférent quant à la solution donnée par le juge en matière d'impôt sur le revenu : il ne peut alors être reproché aux juges du fond de ne pas avoir répondu à ce moyen considéré par le juge de cassation comme étant inopérant, c'est-à-dire comme étant dépourvu d'influence sur le litige à trancher. On pourra rapprocher la présente décision de celles relatives à la notion d'indépendance des procédures fiscales, selon lesquelles l'éventuel vice entachant la procédure suivie par l'administration à l'égard de la société est sans incidence sur les impositions de leurs associés (CE Assemblée, 27 juillet 1988, n° 43939, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6609APH ; CE 3° et 8° s-s-r., 26 octobre 2001, n° 212456, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1871AXL).

  • Taxe de 3 % assise sur la valeur vénale des immeubles et souscription hors délais des déclarations par une société polynésienne (Cass. com., 2 novembre 2011, n° 10-14.466, FS-P+B N° Lexbase : A5185HZ3)

Parallèlement à la résurrection de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en 1989, qui ne frappe que les personnes physiques, le législateur a introduit une taxe de 3 % (CGI, art. 990 D N° Lexbase : L5483H9X), assise sur la valeur vénale des immeubles situés en France et possédés par toute entité juridique afin de décourager certains contribuables de recourir à des montages fiscalement attrayants : il était tentant de constituer, par exemple, une société dans un pays n'ayant pas conclu avec la France une convention d'assistance administrative, propriétaire de l'immeuble français dont les associés se réservaient, de fait, la jouissance (12). Ce dispositif a suscité, de la part des contribuables, des critiques quant à son application au regard du droit interne (N° Lexbase : L5484H9Y ; Cons. const., décision n° 2011-165 QPC du 16 septembre 2011 (13) N° Lexbase : A7449HX8), mais également quant à sa compatibilité avec le Traité CE (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 02-10.359, FS-P+B N° Lexbase : A9787DL3 ; CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 N° Lexbase : A7180DYL ; Cass. com., 8 avril 2008, n° 02-10.359, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8041D7X), révélant ainsi une qualité substantielle du droit communautaire : la très forte incitation à l'immédiateté de la refonte des textes français lorsque les intérêts financiers de l'Etat sont concernés (loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007, de finances rectificative pour 2007 N° Lexbase : L5490H3Q ; CGI, art. 990 D N° Lexbase : L5483H9X), ainsi que des commentaires de l'administration fiscale (instruction du 7 août 2008, BOI 7 Q-1-08 N° Lexbase : X3940AEN), prenant grand soin de préciser que la jurisprudence communautaire précitée était "limitée aux seuls Etats membres de l'Union européenne à l'exclusion des sociétés ayant leur siège hors Union européenne (considérant n° 19), les mouvements de capitaux entre les Etats membres et les pays tiers s'inscrivant dans un contexte juridique différent" (instruction du 10 novembre 2009, BOI 7 Q-2-09 N° Lexbase : X6389AGQ).

La contestation continue avec ce présent arrêt, selon lequel une société domiciliée à Papeete, ayant acquis en 1999 un bien immobilier dans l'Hexagone, s'est vue réclamer le paiement de la taxe de 3 %. En premier lieu, la contribuable entendait se placer sur le terrain de la violation de l'article 73 du Traité CE (devenu article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne N° Lexbase : L2705IPU) : elle prenait appui, notamment, sur le fait que les sociétés établies en France étaient exonérées de la taxe de 3 %, alors qu'était exigée une convention d'assistance administrative conclue entre la France et l'Etat tiers pour les sociétés établies dans un autre Etat ou territoire. Mais, semble-t-il, la situation de ces contribuables, l'une étant située en France et l'autre dans un territoire fiscalement considéré comme étranger, n'est pas comparable. La cour d'appel avait relevé que le bénéfice de l'exonération de ladite taxe était réservé, selon la Convention d'assistance administrative entre la France et les territoires d'outre-mer, aux sociétés ayant déposé leurs déclarations annuelles au plus tard le 15 mai de chaque année, ce qui n'avait pas été fait en l'espèce. Critiquant cette position, la société prétendait, d'une part, que l'administration aurait pu exiger de la société les preuves lui permettant de lever correctement la taxe de 3 % ; d'autre part, qu'elle aurait pu obtenir un échange d'informations auprès de son homologue polynésienne. Mais la Cour de cassation rejette cette branche du moyen en s'appuyant sur un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 5 mai 2011, aff. C-384/09 N° Lexbase : A7690HPI), selon lequel l'application de l'article 63 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (N° Lexbase : L2713IP8) n'est pas incompatible avec une législation propre à un Etat membre subordonnant l'exonération de la taxe de 3 % à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue, en l'espèce, entre la France et la Polynésie française.

Quant à la possibilité de régularisation offerte par le ministre (QE n° 39372 de M. Loncle François, JOAN 27 décembre 1999, p. 7348, réponse publ. 13 mars 2000, p. 1638, 11ème législature N° Lexbase : L9057D7L), il était prévu qu'un contribuable n'ayant pas souscrit la déclaration n° 2746 n'était redevable de la taxe de 3 % que s'il n'avait pas régularisé sa situation dans les trente jours d'une mise en demeure adressée par l'administration fiscale. La contribuable opposait le fait qu'elle avait déposé spontanément une déclaration au titre de l'année 2005 en mai 2005, les déclarations des années 2002 à 2004 ayant été souscrites en juillet 2005 à la suite d'une mise en demeure reçue en juin 2005. Mais l'administration n'a pas voulu décharger la contribuable de la taxe de 3 % pour les années 2002 à 2005, dès lors que le dépôt des déclarations n° 2746 avait été effectué après le 15 mai, ce qui constituait le délai légal, après s'être enquis des conditions d'exonération de la taxe à la suite d'une taxation d'office antérieure au titre des années 2000 et 2001. C'est logiquement que cette branche du moyen sera rejetée par la Cour de cassation, car la possibilité exceptionnelle (14) de régulariser une telle situation, issue de la réponse ministérielle précitée, est réservée aux contribuables qui, de bonne foi, avaient ignoré la législation applicable et demandaient, pour la première fois, une régularisation. Or, au cas d'espèce, l'administration avait déjà taxé d'office la contribuable au titre des années 2000 et 2001 : à ce titre, la société requérante ne pouvait prétendre, à nouveau, au bénéfice de la réponse ministérielle qui n'avait pas prévu une "deuxième chance" pour les contribuables ayant déjà profité de la bienveillance de l'administration. A l'ignorance des textes légaux, succédait également une mémoire bien courte.


(1) "1. Les autorités compétentes des deux Etats pourront, soit d'office, soit sur demande, échanger, sous condition de réciprocité, les renseignements que les législations fiscales des deux Etats permettent d'obtenir, dans le cadre de la pratique administrative normale, nécessaires pour une application régulière de la présente Convention. Tout renseignement échangé de cette manière doit être tenu secret et ne peut être révélé qu'aux personnes qui s'occupent de la perception des impôts auxquels se rapporte la présente Convention. Il ne pourra pas être échangé de renseignements qui dévoileraient un secret commercial, bancaire, industriel ou professionnel ou un procédé commercial. 2. Les dispositions du présent article ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à l'un des Etats contractants l'obligation de prendre des mesures administratives dérogeant à sa propre réglementation ou à sa pratique administrative, ou contraires à sa souveraineté, à sa sécurité, à ses intérêts généraux ou à l'ordre public, ou de transmettre des indications qui ne peuvent être obtenues sur la base de sa propre législation et de celle de l'Etat qui les demande".
(2) Contra depuis le 1er janvier 2005 et uniquement quant au caractère anormal d'un acte de gestion, le principe et le montant des amortissements et des provisions, le caractère de charges déductibles des travaux immobiliers.
(3) "Lorsque le contribuable est taxé d'office en application de l'article L. 69 (N° Lexbase : L8559AEQ), à l'issue d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut être saisie dans les conditions prévues à l'article L. 59 (N° Lexbase : L5471H9I)".
(4) V. ainsi la récente interview du directeur du Fonds monétaire international (FMI) : "si on veut une taxation efficace, mieux vaut sans doute l'asseoir sur le secteur d'activité financier, aujourd'hui sous-taxé, et cibler les profils de risques et les établissements financiers qui ont des politiques de rémunération délirantes. C'est plus facile à attraper que des flux de capitaux qui vous filent entre les doigts", Challenges, 2 novembre 2011.
(5) "6° Lorsque l'administration n'a pas répondu dans un délai de trois mois à un contribuable de bonne foi qui a demandé, à partir d'une présentation écrite précise et complète de la situation de fait, l'assurance qu'il ne dispose pas en France d'un établissement stable ou d'une base fixe au sens de la convention fiscale liant la France à l'Etat dans lequel ce contribuable est résident. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent 6°".
(6) "Un moyen d'ordre public est un moyen relatif à une question d'une importance telle que le juge méconnaîtrait lui-même la règle de droit qu'il a mission de faire respecter si la décision juridictionnelle rendue n'en tenait pas compte : c'est l'importance de cette question qui légitime son examen d'office", R. Odent, Contentieux administratif, Dalloz, Tome 1, 2007, p. 958.
(7) Solution transposable aux textes actuellement en vigueur : "considérant qu'il résulte de l'article R. 153-1 du Code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel (plus en vigueur N° Lexbase : L7610AEL), en vigueur à la date de l'arrêt attaqué, que le président de la formation de jugement, en dehors des cas où il statue par ordonnance en application de l'article L. 9 du même code où décide qu'il n'y a pas lieu à instruction, est tenu, lorsque la décision lui paraît susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office, d'en informer les parties et de fixer le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations sur le moyen communiqué ; qu'en ne mettant pas les parties en mesure de présenter leurs observations sur l'irrecevabilité du recours du ministre, qu'elle a relevée d'office, la cour administrative d'appel de Paris a méconnu ces dispositions et entaché son arrêt d'une irrégularité ; qu'il y a lieu, dès lors, pour le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation par la société [...], de prononcer l'annulation de l'arrêt du 17 juin 1999 en tant qu'il a statué sur l'appel incident de cette société".
(8) Navis, CONT IV, § 47360.
(9) Art. 5 : "1. Au sens de la présente convention, l'expression établissement stable' désigne une installation fixe d'affaires où l'entreprise exerce tout ou partie de son activité. - 2. L'expression établissement stable' comprend notamment : [...] c) un bureau [...] - 3. On ne considère pas qu'il y a établissement stable si : [...] e) une installation fixe d'affaires est utilisée, pour l'entreprise, aux seules fins de publicité, de fournitures d'informations, de recherches scientifiques ou d'activités analogues qui ont un caractère préparatoire ou auxiliaire".
(10) "On ne considérera pas qu'il y a établissement stable' si : [...] d) un lieu d'affaires est maintenu dans le pays aux seules fins d'exposition, de publicité, de fourniture d'informations ou de recherches scientifiques ayant pour l'entreprise un caractère préparatoire ou auxiliaire".
(11) CGI, art. 109-1-1° : l'appréhension du bénéfice -qui doit, par conséquent, exister- se traduit par un désinvestissement au profit d'un associé ou d'un tiers. En revanche, s'agissant de l'application de l'article 109-1-2° qui vise les valeurs sociales, seul un associé peut être concerné par une telle distribution, que le résultat soit bénéficiaire ou déficitaire.
(12) "84. -Selon le gouvernement français, la taxe litigieuse vise à dissuader les contribuables assujettis à l'impôt français sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant des sociétés, qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la République française une convention d'assistance administrative ou un traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité en application de laquelle ces sociétés ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies en France. 85. - La taxe litigieuse viserait, en particulier, à combattre les pratiques consistant dans la création, par des personnes physiques ayant leur domicile fiscal en France et dont les immeubles seraient normalement soumis à l'impôt sur la fortune, de sociétés qui ont leur domicile fiscal dans un autre Etat, duquel la République française ne peut obtenir les informations appropriées sur les personnes physiques détenant des participations dans ces sociétés", CJUE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 (N° Lexbase : A7180DYL).
(13) "5. Considérant qu'en instituant la taxe forfaitaire de 3 % prévue aux articles 990 D et 990 E, le législateur a entendu dissuader les contribuables assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune d'échapper à une telle imposition en créant, dans des Etats n'ayant pas conclu avec la France une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales, des sociétés qui deviennent propriétaires d'immeubles situés en France ; qu'ainsi, il a voulu assurer la mise en oeuvre de l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ; que, pour ce faire, il a notamment prévu, dans le 3° de l'article 990 E, d'exempter de la taxe les entreprises qui communiquent annuellement à l'administration fiscale ou prennent et respectent l'engagement de le faire sur sa demande des informations sur la situation et la consistance des immeubles possédés en France, l'identité et l'adresse des actionnaires, associés ou autres membres, le nombre des actions, parts ou autres droits détenus par chacun d'eux et la justification de leur résidence fiscale ; qu'ainsi, au regard des possibilités de contrôle de l'administration, ces entreprises se trouvent dans une situation différente de celles qui, n'étant pas soumises aux mêmes règles de transmission d'informations, ne présentent pas les mêmes garanties ; que le législateur a donc institué une différence de traitement en rapport direct avec l'objet de la loi ; qu'il s'est fondé sur des critères objectifs et rationnels ; qu'en conséquence, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 13 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1373A9Q) par le 3° de l'article 990 E du CGI doit être écarté ; que cette disposition n'instituant pas une sanction ayant le caractère d'une punition, le grief tiré de la méconnaissance de l'article 9 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1360A9A) est inopérant".
(14) "Cette mesure de tolérance ne s'applique qu'à la première demande de régularisation et pour l'ensemble des années non prescrites. Les contribuables sont expressément informés du caractère exceptionnel de la mesure".

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