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N8613BSS
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par Thierry Charles, Docteur en droit, Directeur des Affaires Juridiques d'Allizé-Plasturgie, membre du Comité des Relations Inter-industrielles de Sous-Traitance (CORIST) au sein de la Fédération de la Plasturgie et du Centre National de la Sous-Traitance
le 24 Novembre 2011
En préambule, trois exposés ont dépeint l'état des lieux de la situation industrielle en France et en Europe (la sous-traitance industrielle française restant la troisième au niveau européen, loin derrière l'Allemagne, mais proche de l'Italie).
A cet égard, l'exposé de Jean-Marc Cholet, de la Direction générale de la Compétitivité, de l'industrie et des services au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (DGCIS) "Structure et conjoncture de la sous-traitance industrielle française", a démontré la grande variété de la sous-traitance industrielle ainsi que le contraste de croissance/récession entre les différents marchés (même si des niches existent).
Quant au thème concernant "L'enjeu de la compétitivité industrielle française : leviers, actions, résultats", développé par Denis Ferrand, Directeur général de COE-Rexecode, il a permis de comparer la compétitivité industrielle en France et en Allemagne depuis 10 ans et d'observer le très net décrochage dû, certes, à des différences structurelles (culture et mentalités), mais, surtout, aux divergences des politiques économiques des Etats (coûts du travail, fiscalité, banques, difficultés relationnelles avec les donneurs d'ordres, etc.).
La réalité économique des chiffres de la sous-traitance française est ainsi violemment ramenée à sa plus simple expression statistique !
Le point de vue allemand sur les difficultés d'approvisionnement en matières premières ("Matières Premières : le rôle de la sous-traitance dans la Supply chain" : intervention d'Andreas Mohlenkamp, Directeur général de WSM de Wirtschaftverband Stahl und Metalverarbeitung), a mis en avant le caractère de plus en plus aléatoire des prix et délais : "Nous devons unir nos forces au niveau européen pour garantir nos sources d'approvisionnement et limiter la spéculation".
II - Soft law ou méthode plus hard ?
Le débat à propos des relations commerciales a fait ressurgir le bras de fer entre le Centre national de la sous-traitance (CENAST) et la médiation interentreprises, dirigée par Jean-Claude Volot ("Table ronde donneurs d'ordres : quelle industrie ensemble demain ?" avec Eric Eckert, responsable des achats industriels Europe et investissements du Groupe Rhodia, Jacques Fay, Président Directeur Général du Groupe PCM SA (Pompes industrielles), André Truchot, Directeur des achats du Groupe Liebherr et Patrice Houdu, Rolling Stock Mainline Strategy vice-Président, Alstom Transport).
Les relations commerciales ne sont plus simplement entre donneurs d'ordres et sous-traitants (ils nous diront bientôt qu'elles n'existent pas : c'est leur manière habituelle de se défaire des difficultés), mais interindustrielles, ce qui avalise une nouvelle conception des échanges, collaboratifs, plus intensifs en qualité et en quantité, en particulier pour les conceptions complexes et l'anticipation. A cette occasion, les intervenants sont revenus sur la nécessité de se projeter ensemble dans l'avenir, de grandir ensemble, d'atteindre des tailles critiques (entreprise de taille intermédiaire ou ETI), pour accompagner les groupes et gagner à l'international, même si les concurrences low-cost posent des problématiques de prix non négligeables, faisant ressortir les problèmes de taux de change et de pratiques protectionnistes, alors que l'Europe reste encore trop passive.
Aussi dans ce contexte, c'est sans surprise que les donneurs d'ordres, faute de pouvoir renouveler la chanson, s'ingénient à en varier au moins l'air, et restent fidèle à une modernisation des relations interindustrielles "soft law", désignant l'ensemble des textes de droit (charte, code de performance, pacte, bonnes pratiques, etc.) non contraignants et pouvant être librement interprétés.
Or seule, "la loi est garante de la prise en compte de la relation dans sa réalité, au-delà des mythes" (1).
C'est ce qui a été rappelé avec force lors de l'ultime table ronde autour des "Relations inter industrielles : mythe ou réalité ?". Les témoignages des directions juridiques de la fédération de la Plasturgie et d'Allizé-Plasturgie (Thierry Charles) de la Fédération des Fondeurs de France (Wilfrid Boyault), de la Fédération des industries mécaniques (Yves Blouin), et de Jean-Claude Monier, vice-Président de la FIM et Président du CENAST, ont évoqué à nouveau la nécessité de remédier efficacement à certaines pratiques abusives en ne se limitant pas à la médiation prôné par la geste médiatrice de Jean-Claude Volot.
Dans notre récent ouvrage, "Plaidoyer pour la sous-traitance industrielle" (2), nous montrons que les PME sous-traitantes sont porteuses de richesses économiques, au coeur des territoires, qui sont actuellement menacées. Il y a bien urgence.
Les différents aspects juridiques soulignent une double nécessité : faire appliquer les lois alors que certains donneurs d'ordre sont dans la totale illégalité et améliorer les lois à travers le double projet de la plasturgie (cf., la proposition de loi du 13 juillet 2011 de modernisation de la sous-traitance industrielle et la proposition de loi du 22 juin 2011, visant à permettre la renégociation d'un contrat en cas de changements de circonstances imprévisibles durant son exécution ou théorie de l'imprévision) soutenu par le Comité nationale de la sous-traitance (CENAST) ou comment "briser la loi du silence".
En guise d'illustration de textes non normatifs ou d'une portée normative incertaine, Wilfrid Boyault a pris l'exemple de la rupture brutale de la relation commerciale établie, en démontrant tout l'intérêt d'une loi claire sur des chartes qui laissent une large part à l'interprétation.
Ainsi, quand l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce (N° Lexbase : L8640IMX) prévoit que "I - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, [...] 5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée... Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure", la charte de la médiation du crédit et de la Compagnie des Dirigeants et Acheteurs de France (CDAF) propose seulement :
Engagement 4 - Impliquer les Donneurs d'Ordres dans leur filière :
"Dans sa relation bilatérale avec les fournisseurs dans sa filière, le grand donneur d'ordres s'engage à rechercher : [...] la protection de la filière en évitant, dans la mesure du possible, de réintégrer brutalement des opérations en cas de crise [...]".
Pour sa part, le représentant du Médiateur interentreprises -le jugement soudé à l'arc- s'est dit totalement engagé dans le respect du droit actuel, en équilibrant et en humanisant les relations ("argument ad Verecundiam"). Il a insisté sur l'importance de faire évoluer la culture des relations clients/fournisseurs en l'inscrivant dans une véritable démarche collective négociée.
Enfin, en conclusion, Claude Vajsman, Chargé de mission auprès du Président du Groupe PSA Peugeot Citroën, a prôné la nécessité de groupes de travail plus ouverts et plus internationaux, dans la filière automobile en pleine mutation, pour "analyser, débattre, anticiper, décider et agir". Il se dit même prêt à des délais de paiement à 30 jours (3).
Les sous-traitants craignent davantage le projet de loi renforçant les droits, la protection et l'information des consommateurs adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 11 octobre 2011 et dont l'article 1er bis A prévoit rien de moins que de pérenniser les dérogations au délai de paiement maximum sans le garde-fous antérieur de la signature par des organisations professionnelles.
Les sous-traitants ont ainsi le sentiment de "vivre le supplice de Sisyphe". Une maille à l'endroit, une maille à l'envers, c'est ainsi que l'on peut indéfiniment tricoter l'univers de la sous-traitance.
(1) W. Boyault, responsable du service juridique des Fondeurs de France.
(2) Th. Charles, Plaidoyer pour la sous-traitance industrielle, éditions l'Harmattan ; pour une présentation de l'ouvrage, cf. Lexbase Hebdo n° 249 du 5 mai 2011 - édition affaires (N° Lexbase : N1425BSL).
(3) Pour en savoir plus, Conférence, "La sous-traitance maltraitée en France", les journées de l'économie du 9 au 11 novembre 2011 à Lyon, avec notamment, l'intervention de Thierry Charles.
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