Lexbase Public n°221 du 3 novembre 2011 : Institutions

[Questions à...] Pour des nominations plus équilibrées au Conseil constitutionnel - Questions à Pascal Jan, vice-président du Cercle des constitutionnalistes et professeur à l'IEP de Bordeaux

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[Questions à...] Pour des nominations plus équilibrées au Conseil constitutionnel - Questions à Pascal Jan, vice-président du Cercle des constitutionnalistes et professeur à l'IEP de Bordeaux. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/5619226-questions-a-pour-des-nominations-plus-equilibrees-au-conseil-constitutionnel-questions-a-b-pascal-ja
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 03 Novembre 2011

Les nominations au Conseil constitutionnel intervenues depuis quelques années ont suscité de vives réactions. Accusé d'être trop partisan par certains, le Conseil des "Sages" a souvent été attaqué pour son manque de transparence et de légitimité démocratique. Lorsqu'une décision du Conseil constitutionnel tranche une question importante de droit soulevée par un texte législatif à signification politique très marquée, les critiques contre cette institution qui serait composée de membres dépourvus de légitimité démocratique s'amplifient, voire s'intensifient à l'approche de rendez-vous électoraux. L'affaire récente ayant entouré la validation litigieuse des comptes de campagne des candidats Chirac et Balladur à l'élection présidentielle de 1995 n'a pas été un facteur de clarification du débat. Pour réfléchir à des pistes de réformes pouvant mener vers plus de transparence, de compétence et d'efficacité, Lexbase Hebdo - édition publique a rencontré Pascal Jan, vice-président du Cercle des Constitutionnalistes et professeur à l'IEP de Bordeaux. Lexbase : Les critiques concernant les nominations des membres du Conseil constitutionnel vous semblent-elles fondées ?

Pascal Jan : Les neuf conseillers constitutionnels nommés le sont à parité par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat, le chef de l'Etat nommant, en sus, le président du Conseil constitutionnel. Les critiques visant les membres de cette institution, qui concernent, également, les membres de droit que sont les anciens Présidents de la République, portent sur leur prétendue politisation, sentiment accentué par le pedigree très politique de certains membres du Conseil (anciens ministres et/ou parlementaires). Elles sont récurrentes depuis que l'office du juge constitutionnel est ouvert à une minorité parlementaire par la réforme constitutionnelle du 29 octobre 1974 (loi n° 74-904 du 29 octobre 1974, portant révision de l'article 61 de la Constitution N° Lexbase : L9947IGI). Elles ne surprennent pas car les faits renforcent cette opinion. Ainsi, le dernier renouvellement du Conseil constitutionnel, en février 2010, a vu les nominations d'anciennes hautes personnalités politiques telles que Michel Charasse (sénateur nommé par le Président de la République), Jacques Barrot (ancien commissaire européen désigné par le président de l'Assemblée nationale), ou encore Hubert Haenel (sénateur choisi par le président du Sénat).

Mais au-delà des apparences, il y a des réalités. Les nominations relèvent, certes, d'autorités étatiques politiques. Cette origine des nominations peut choquer, mais c'est oublier que tous les juges constitutionnels des Etats démocratiques sont nommés totalement, ou en grande majorité, par des responsables politiques. La nomination a donc nécessairement un parfum de politisation. C'est aussi faire l'impasse sur la désignation par le passé de professeurs d'université, agrégés de droit pour la plupart, d'anciens chefs des juridictions suprêmes (conseil d'Etat et Cour de cassation), ou encore d'anciens secrétaires généraux de l'Assemblée nationale... Il n'empêche que, trop souvent, et les nominations de 2010 l'illustrent, les personnalités entrant au Conseil constitutionnel y terminent une carrière politique ou administrative. Au déséquilibre entre politiques et juristes s'ajoute celui "récompensant" les services rendus et le mérite, sans compter celui résultant de l'absence de parité. Bref, le Conseil des Sages se différencie sur ces points de la plupart des juridictions constitutionnelles.

Les conditions de nomination des Sages du Conseil constitutionnel sont certes plus transparentes depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 (loi n° 2008-724 du 23 juillet 2008, de modernisation des institutions de la Vème République N° Lexbase : L7298IAK). Les commissions permanentes compétentes de chaque assemblée auditionnent, en effet, les prétendants désignés par les trois Hautes autorités de l'Etat. Cette avancée significative n'est pourtant pas décisive. Nous y reviendrons par la suite. De surcroît, les auditions des trois derniers conseillers nommés n'ont pas franchement donné lieu à des débats et échanges approfondis portant sur leur vision de telle ou telle jurisprudence que sur leur perception du procès constitutionnel, alors même que la question prioritaire de constitutionnalité s'annonçait.

Lexbase : L'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité a-t-elle renforcé ces travers ?

Pascal Jan : Renforcé non, mais mis en exergue, certainement. Jusqu'à l'instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, le débat sur un Conseil constitutionnel "politique" se limitait en fait au cercle des initiés, même si la presse rapportait de temps à autres les propos peu élogieux de ses détracteurs attachés au mythe de la loi souveraine, alors même que celle-ci est subordonnée au respect des normes supranationales et se trouve écartée par les juges en cas d'incompatibilité ! Désormais, les justiciables sont acteurs du contentieux constitutionnel des lois. Le changement est là. Ils exigent -et comment ne pas les comprendre- un procès équitable et impartial. Certes, dans plusieurs décisions QPC, des conseillers constitutionnels ont fait savoir qu'ils ne siégeraient pas, anciens parlementaires pour l'essentiel impliqués dans le processus ayant conduit à l'adoption de la disposition législative incriminée. Il conviendrait, toutefois, que cette situation ne se renouvelle pas trop fréquemment. Mais, surtout, le Conseil constitutionnel a dû affronter récemment une demande de récusation de six de ses membres, de nature à paralyser l'institution. Il n'a pas été fait droit à ces requêtes prévues par le règlement intérieur du Conseil constitutionnel relatif à la question prioritaire de constitutionalité. Preuve s'il en est que les justiciables se sont appropriés le procès constitutionnel, et qu'ils attendent et exigent une décision expurgée de tout doute de partialité, laquelle ne peut être obtenue qu'au prix de certains changements.

Lexbase : Quelles sont vos préconisations pour améliorer le régime de ces nominations ?

Pascal Jan : La nomination des conseillers constitutionnels par des autorités politiques élues ne me paraît pas devoir être remise en cause. Elles jouit d'une légitimité indiscutable. Dans la mesure où le juge constitutionnel examine l'acte des représentants de la Nation et, surtout, interprète la volonté constituante, donc celle du pouvoir suprême, il ne me semble pas, en soi, anormal de remettre entre les mains du Président de la République, (garant politique de la Constitution, faut-il le rappeler en application de l'article 5 de la Constitution N° Lexbase : L0831AHA) et des présidents des assemblées parlementaires la composition du Conseil constitutionnel, sous une réserve qui appelle une variante. Cette réserve tient au fait que le Chef de l'Etat est, comme on l'a dit, garant politique de l'ordre constitutionnel. A ce titre, rien ne justifie qu'il participe à la nomination de trois des neufs conseillers constitutionnels. A la limite, sa prérogative de nommer le président de la juridiction constitutionnelle peut lui être conservée. Une variante consisterait à introduire comme autorités de nomination les présidents des juridictions suprêmes qui désigneraient nécessairement un membre de leur ordre. C'est une voie possible qui ouvre la question des compétences juridiques des conseillers constitutionnels et de leurs modalités de désignation.

Concernant les exigences juridiques attendues des membres nommés, tout d'abord, il faut rappeler qu'à l'heure actuelle aucune condition n'est requise alors que les justiciables sont désormais en mesure de défendre leurs droits et libertés garantis par la Constitution auxquels une disposition législative porterait atteinte. Il semble opportun de poser cette exigence des compétences juridiques des conseillers constitutionnels. Il n'est nullement question de faire du Conseil constitutionnel le réceptacle des professions juridiques et des juristes, avocats, magistrats et professeurs de droit. Un parlementaire peut fort bien avoir acquis une expérience d'expertise juridique, surtout s'il fut membre de la commission des lois ou des finances de son assemblée.

J'émettrai, toutefois, une réserve s'agissant des nominations "pour services rendus" qui marquent l'aboutissement d'une fin de carrière comme haut fonctionnaire de l'Etat ou des assemblées parlementaires ou comme parlementaire. Pour faire échec à ces nominations, une limite d'âge pourrait être instituée. Par ailleurs, si l'extension du droit de nomination aux chefs des juridictions suprêmes est retenue, l'exigence de compétences juridiques se fait moins pressante. Cette dernière est, au contraire, une nécessité si les autorités de nomination restent ce qu'elles sont aujourd'hui. L'augmentation éventuelle des membres nommés, portés à douze dès lors qu'on ôte au Président de la République sa compétence, serait de surcroît tout à fait opportune pour le bon fonctionnement du Conseil confronté depuis l'instauration de la QPC à une forte croissante de son contentieux constitutionnel des lois. Ces réformes souhaitables permettraient assurément de renforcer l'autorité du Conseil et préviendraient les déports des juges constitutionnels qui se multiplient depuis quelques mois. Car, et ce n'est pas secondaire du point de vue de l'apparence du procès impartial, est-il acceptable que des conseillers, anciennement parlementaires pour un grand nombre, jugent des lois auxquels ils ont participé par leur vote ? On le voit, il faut trouver une voie médiane, leur présence n'étant pas -il faut y insister- dépourvue d'intérêt dans l'appréciation de la portée d'une décision. Dans l'idéal, le bon dosage est une répartition paritaire entre personnalités politiques, hauts fonctionnaires et juristes, universitaires ou magistrats.

Concernant les modalités de désignation, ensuite, le rejet des propositions de nomination à l'addition des votes négatifs dans chaque commission parlementaire chargée des lois à l'Assemblée nationale et au Sénat représentant au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions doit être amendé. Dans l'hypothèse où la compétence présidentielle de nomination est maintenue et compte tenu du fait majoritaire, cette majorité qualifiée négative est telle qu'elle ne sera jamais atteinte pour les propositions présidentielles. Quant aux propositions par les présidents des chambres parlementaires, par définition le choix sera entériné par la majorité des parlementaires, dont ils sont issus chacun dans leur assemblée. Dès lors, cette procédure en apparence respectueuse d'une certaine transparence n'offre en rien une garantie contre le procès de politisation du Conseil constitutionnel. La question ne se pose pas réellement pour les choix arrêtés par les chefs des deux juridictions suprêmes. Il convient, en réalité, de subordonner la validation de toutes les propositions de nomination à l'obtention (et non au rejet) d'une majorité des trois cinquièmes au sein des deux commissions parlementaires compétentes. Le compromis, le respect du pluralisme des courants et des opinions politiques, le choix de personnalités consensuelles en seront les conséquences naturelles. Mais même cette évolution, plus que souhaitable, ne saurait à elle seule faire du Conseil constitutionnel une institution à l'abri des mauvaises critiques.

Enfin, à titre subsidiaire mais symbolique, la suppression des membres de droit (anciens Présidents de la République) est une évidence qui n'est plus guère contestée aujourd'hui. Autoriser le Conseil constitutionnel à recruter en toute transparence des assistants constitutionnels mis à disposition des conseillers renforcerait, enfin, le fonctionnement de l'Institution plutôt rudimentaire actuellement.

Lexbase : Quelle est la situation des juges supérieurs étrangers spécialisés dans le contrôle du respect de l'ordre constitutionnel ?

Pascal Jan : Elle est simple et claire. Les tribunaux constitutionnels sont composés d'hommes et de femmes désignés ou élus en totalité ou très largement par des autorités politiques. Toute nomination est politique en la matière. Aux Etats-Unis, les juges de la Cour Suprême sont nommés par le Président après avis mais avec le consentement du Sénat, lequel organise des auditions publiques (hearing) au cours desquelles les postulants choisis par le chef de l'exécutif sont tenus de répondre à une batterie de questions permettant de mieux cerner leur personnalité, leurs motivations, leur conception des droits constitutionnels et leurs opinions sur les grands problèmes de la société. Cette procédure n'empêche pas la nomination de magistrats partageant les orientations politiques du chef de la Maison-Blanche. En Allemagne, les seize juges du Tribunal constitutionnel sont élus par les deux assemblées du Parlement (huit par chambre) à la majorité des deux tiers. En Espagne et en Italie, la désignation des juges constitutionnels appartient respectivement au pouvoir exécutif, au pouvoir législatif, ainsi qu'au pouvoir judiciaire. Mais, dans ces démocraties constitutionnelles, une exigence de compétence professionnelle juridique est exigée ou fortement encouragée, lorsque ce ne sont pas tout simplement des limites d'âge qui restreignent le choix des impétrants, comme en Belgique et en Autriche.

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