Lexbase Social n°458 du 20 octobre 2011 : Rupture du contrat de travail

[Evénement] Variations autour de la rupture du contrat de travail

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N8221BSB

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par Sophia Pillet - SGR Droit social

le 20 Octobre 2011

La rupture du contrat de travail se présente sous diverses formes, chacune répondant à une problématique juridique très différente. Du licenciement à la démission, la construction jurisprudentielle effectuée par la Chambre sociale de la Cour de cassation a particulièrement été importante dans ce domaine pour accompagner les évolutions apportées par le législateur. Pour faire un point sur ce sujet, la Cour de cassation a organisé, le 5 octobre 2011, un colloque, présidé par Alain Lacabarats, Président de la Chambre sociale de la Cour de cassation et introduit par Marie-France Mazars, conseiller doyen de la Chambre sociale de la Cour de cassation, afin de développer l'analyse de certains modes de rupture du contrat du contrat de travail. Lexbase Hebdo - édition sociale y assistait et vous propose un compte-rendu détaillé de cet évènement. I - La rupture pour inaptitude

Pour Jean-Yves Frouin, conseiller à la Chambre sociale de la Cour de cassation, il semble logique de considérer que le contrat de travail d'un salarié puisse être rompu à raison de l'inaptitude physique du salarié. En effet, l'exécution du contrat de travail constitue l'obligation première du salarié. S'il se retrouve donc inapte à l'exécution de sa prestation de travail, il semble alors logique de considérer qu'il y a, là, un motif justificatif possible de rupture.

Cependant, cette affirmation de principe appelle immédiatement une interrogation. Le seul constat de l'inaptitude du salarié suffit-il à justifier la rupture de son contrat de travail ?

Dans un premier temps, il a été admis que l'inaptitude physique du salarié constituait un cas de force majeure propre à justifier la rupture du contrat de travail sans indemnités ni respect d'une quelconque procédure. Cette solution a été abandonnée en 1981 (1) pour l'inaptitude d'origine professionnelle, le législateur ayant décidé, notamment, que la rupture pour inaptitude physique du salarié devait prendre la forme juridique d'un licenciement. Cependant, cette solution a été pour partie maintenue, concernant l'inaptitude d'origine non professionnelle. En effet, si la jurisprudence admit rapidement également que la rupture d'origine non professionnelle devait prendre la forme d'un licenciement, elle considérait, en revanche, que la rupture restait imputable au salarié par une sorte de dissociation entre "initiative et imputabilité de la rupture". Ce raisonnement prit fin à la suite d'un revirement de jurisprudence intervenu en 1990 (2). Ce changement a été déterminant, dans le sens, notamment, où il a permis à la jurisprudence en prenant appui sur l'ancien article L. 240-10-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6034ACH) devenu l'article L. 4624-1 (N° Lexbase : L1874H9B) et sur la nécessité d'une cause réelle et sérieuse de licenciement, d'imposer à l'employeur une obligation préalable de reclassement du salarié déclaré inapte (3). Dans le même temps, une loi de 1990 (4) a prohibé la discrimination en raison de l'état de santé du salarié.

1 - Fondements juridiques

En vertu de l'article L. 1226-12 du Code du travail (N° Lexbase : L1029H9Y), l'employeur ne peut rompre le contrat de travail du salarié que s'il justifie, soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10 (N° Lexbase : L9617IEW), soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions. Cet article a vocation à s'appliquer pour les inaptitudes d'origine professionnelles, mais est tout à fait transposable en cas d'inaptitude non professionnelle. Aux termes de ce texte, la rupture du contrat de travail ne présente donc qu'un caractère subsidiaire. Cependant, encore convient-il que l'inaptitude du salarié ait été régulièrement constatée. Si tel n'était pas le cas, la rupture prononcée le serait alors en raison de l'état de santé du salarié et serait donc prohibée.

La constatation régulière de l'inaptitude. Elle ne peut être constatée que par le médecin du travail. En revanche, l'article R. 4624-31 du Code du travail (N° Lexbase : L3891IAD), fixant les conditions de la constatation de l'inaptitude, n'impose pas qu'elle soit faite lors d'un examen médical de reprise, mais après tout examen médical. En outre, l'inaptitude médicale du salarié ne peut résulter que d'une déclaration d'inaptitude. En effet, une déclaration d'aptitude assortie d'importantes réserves ne peut pas être requalifiée en déclaration d'aptitude (5). Enfin, l'inaptitude n'est acquise qu'au terme de deux visites médicales espacées de deux semaines (C. trav., art. R. 4624-31). Un arrêt du 16 décembre 2010 (6) énonce, cependant, que ce délai doit être respecté sauf dans le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour la santé ou la sécurité de l'intéressé ou celle des tiers, et que ce danger ressort de son avis d'inaptitude du travail.

L'obligation de reclassement du salarié. Il s'agit d'une obligation de moyen renforcée qui pèse sur l'employeur dont le respect doit être large et le contrôle strict. La recherche du reclassement du salarié doit avoir lieu après la constatation régulière de l'inaptitude. Le périmètre est très large et s'étend au-delà de l'entreprise. Ainsi, les possibilités de reclassement doivent être recherchées dans toutes les entreprises du groupe, dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel (7). En outre, en cas d'inaptitude d'origine professionnelle, l'employeur a l'obligation de rechercher le reclassement du salarié après avoir consulté les délégués du personnel (C. trav., art. L. 1226-10).

2 - Conséquences juridiques et financières

Aux termes des articles L. 1226-4 (N° Lexbase : L1011H9C) et L. 1226-11 (N° Lexbase : L1028H9X) du Code du travail, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail.

Si l'employeur est donc de facto tenu de rompre le contrat de travail, quelles en sont les conséquences juridiques ?

Le licenciement pour inaptitude ayant deux fondements juridiques, d'une part, l'inaptitude physique du salarié, et, d'autre part, l'impossibilité de reclassement du salarié, la Cour de cassation considère que ces deux éléments doivent nécessairement figurer dans la lettre de licenciement, faute de quoi la lettre ne serait pas suffisamment motivée et le licenciement serait donc automatiquement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Pour le surplus, il faut réaliser une double distinction entre les ruptures réalisées conformément aux exigences légales ou non et, subsidiairement, selon que l'inaptitude est d'origine professionnelle ou non professionnelle.

Ruptures prononcées conformément aux exigences légales. Les conséquences sont celles d'un licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse pour les inaptitudes d'origine non professionnelle. Cette rupture ouvre donc droit pour le salarié à l'indemnité de licenciement mais il ne peut, en revanche, prétendre à l'indemnité de préavis puisqu'il est dans l'impossibilité physique d'exécuter un préavis. Pour les inaptitudes d'origine professionnelle, les conséquences sont celles expressément prévues par l'article L. 1226-14 du Code du travail (N° Lexbase : L1033H97), la rupture ouvre droit à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité de préavis ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui est au moins égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9 (N° Lexbase : L8135IAK).

Une question se pose dans cette hypothèse. En effet, si l'impossibilité du reclassement résulte du refus du salarié d'une ou plusieurs propositions de reclassement, ce refus peut-il être considéré comme fautif et justifier alors un licenciement pour motif disciplinaire ? Concernant la rupture d'origine professionnelle, la question est en partie réglée par la loi puisque l'article L. 1226-14 du Code du travail dispose expressément que "[les] indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif". Pour la Cour de cassation, le salarié perd donc le droit aux "indemnités spéciales de rupture" mais conserve le droit à l'indemnité légale de licenciement. La solution est plus incertaine concernant la rupture d'origine non professionnelle. En effet, il a été jugé à plusieurs reprises que le refus d'un poste de reclassement emportant modification du contrat de travail du salarié ne peut jamais avoir un caractère fautif. En est-il du même du refus d'un poste de reclassement entraînant un simple changement des conditions de travail du salarié ? La doctrine comme la Cour de cassation sont partagées sur cette question, pour Jean-Yves Frouin. La Chambre sociale devra donc trancher.

Ruptures prononcées en méconnaissance des exigences légales. Si la rupture a été irrégulièrement constatée, et quelle que soit l'origine de l'inaptitude, le licenciement est alors illicite. Le salarié doit alors être réintégré dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis, et en l'absence de réintégration, le salarié a droit aux indemnités de rupture. En revanche, si l'employeur n'a pas respecté son obligation de reclassement, il est nécessaire de distinguer selon l'inaptitude professionnelle ou non du salarié. Si cette dernière est d'origine non professionnelle, les conséquences sont alors celles d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors que si l'inaptitude est d'origine professionnelle, la situation ouvre droit au salarié aux indemnités prévues par l'article L. 1226-14 du Code du travail (N° Lexbase : L1033H97).

Pour conclure, le droit relatif à l'inaptitude du salarié est donc d'une incroyable complexité et source d'un très important contentieux. Comme l'a souligné le Professeur Mazeaud, la construction jurisprudentielle n'a peut être pas la visibilité persuasive qu'elle assure dans d'autres domaines. Enfin, ce droit ne remplit pas encore tout à fait son objectif premier, qui est le maintien dans l'emploi du salarié déclaré inapte. En effet, le droit de l'inaptitude est très souvent instrumentalisé dans une logique d'indemnisation et non de maintien dans l'emploi. Ainsi, comme le rapporte le Professeur Verkindt, "il faudra bien un jour se décider à revoir de fond en comble le dispositif juridique encadrant la constatation de l'inaptitude médicale et de ses effets".

II - La rupture conventionnelle

Pour Pascale Lagesse, avocat associée au barreau de Paris, cabinet Bredin Prat, l'instauration du régime de la rupture conventionnelle du contrat de travail entraîne le retour par la grande porte du droit civil, et notamment de l'article 1134 (N° Lexbase : L1234ABC), dans le droit social.

1 - Articulation avec la rupture amiable de droit commun

La rupture conventionnelle permet-elle encore aujourd'hui de conclure des ruptures amiables du contrat de travail de régime civiliste, ou faut-il désormais systématiquement appliquer les dispositions spécifiques du Code du travail relatives à la rupture conventionnelle ?

Cette question n'est toujours pas réglée entre civilistes et travaillistes.

Tout d'abord, pour y répondre, Pascale Lagesse s'intéresse à la place des dispositions relatives à la rupture conventionnelle dans le Code du travail. En effet, ces articles s'insèrent dans le Titre 3 "Rupture du contrat de travail à durée indéterminée". En outre, les dispositions qui définissent le régime de la rupture conventionnelle semblent prendre la forme de dispositions impératives, tel l'article L. 1237-11 du Code du travail (N° Lexbase : L8512IAI).

Une décision de la cour d'appel de Dijon, en date du 30 juin 2011, a consacré l'exclusivité de la rupture conventionnelle. Dans cette affaire, les juges du fond considèrent qu'il y a eu un licenciement abusif pare que la convention signée ne respectait pas les conditions relatives à la rupture conventionnelle, posées notamment aux articles L. 1237-12 (N° Lexbase : L8193IAP) et L. 1237-14 (N° Lexbase : L8504IA9) du Code du travail.

2 - Frontière avec la transaction

Un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 15 décembre 2010 (8), réitère la nécessité de distinguer le régime de la rupture amiable en axant essentiellement sur l'existence d'un différend. Aux termes de cet arrêt, est privée d'effet la clause de l'accord de rupture amiable selon laquelle une salariée "se déclare remplie de l'intégralité de ses droits pouvant résulter de l'exécution comme de la rupture de son contrat de travail et renonce à toute contestation des conditions et du motif de la rupture de son contrat de travail". Ainsi, dès lors que l'acte de rupture est précédé d'un différend, alors les juges ne pourront pas retenir l'existence d'une rupture amiable. En droit commun de la rupture amiable, la frontière est donc, d'ores et déjà, bien tranchée. Il semble alors logique de considérer que la Haute juridiction gardera ce même raisonnement et cette même jurisprudence concernant les ruptures conventionnelles.

Dans certaines décisions récentes, l'existence du différend va fondamentalement changer les choses. Par exemple, le conseil de prud'hommes de Rambouillet, le 16 novembre 2010 (9), a jugé que la conclusion d'un accord de rupture conventionnelle supposait au préalable l'absence de litige entre le salarié et l'employeur. Pour les juges du fond, dans un contexte conflictuel, seule la voie du licenciement est donc ouverte comme mode de rupture du contrat de travail.

Dans une autre mesure, certaines décisions semblent, sans pour autant remettre en cause la jurisprudence établie par la Cour de cassation en matière de rupture amiable, la circonscrire. Ainsi, le 18 janvier 2011 (10), la cour d'appel de Riom a jugé que la rupture conventionnelle pouvait être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsque les juges constatent que le consentement du salarié à la rupture du contrat n'a pas été donné librement, même à défaut de rétractation du salarié dans le délai prévu à l'article L. 1237-13 du Code du travail (N° Lexbase : L8385IAS), et, le 27 avril 2010 (11), la cour d'appel de Rouen a considéré que la rupture conventionnelle homologuée n'encourait pas la requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse dès lors qu'il n'était pas avéré qu'une situation conflictuelle ait existé entre les parties avant que la rupture soit envisagée, et qu'elle ait perduré jusqu'à l'entretien préalable.

3 - Frontière avec le motif économique

Cette limite très importante constitue, pour Pascale Lagesse, une "frontière poreuse". Aux termes de l'article L. 1237-16 du Code du travail (N° Lexbase : L8479IAB), le recours à la rupture conventionnelle est écarté dans le cadre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les conditions définies par l'article L. 2242-15 (N° Lexbase : L2393H9I) et des plans de sauvegarde de l'emploi dans les conditions définies par l'article L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N).

Pour Pascale Lagesse, le législateur a pris certaines libertés lorsqu'il a modifié l'article L. 1233-3 § 2 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7). Aux termes de ce texte, les dispositions relatives au licenciement pour motif économique sont applicables à toute rupture du contrat de travail à l'exclusion de la rupture conventionnelle. Or, à l'origine, le motif économique concerne toute rupture, et y compris les départs volontaires et les ruptures amiables. Ce texte pose aujourd'hui de grandes difficultés. La Chambre sociale de la Cour de cassation, le 9 mars 2011 (12), a décidé que "lorsqu'elles [avaient] une cause économique et s'inscrivent dans un processus de réduction des effectifs dont elles constituent la ou l'une des modalités, les ruptures conventionnelles doivent être prises en compte pour déterminer la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel applicable ainsi que les obligations de l'employeur en matière de plan de sauvegarde de l'emploi".

III - Prise d'acte de la rupture du contrat de travail

Comme le rapporte Laurence Pécaut-Rivolier, conseiller référendaire à la Chambre sociale de la Cour de cassation, la prise d'acte de la rupture du contrat de travail était au départ un outil de gestion pour l'employeur. Ce procédé a été condamné par les arrêts "Perrier" en 1974 (13) aux termes desquels, compte tenu du pouvoir exercé par l'employeur sur le salarié, l'employeur doit utiliser une procédure spécifique mise en place par le législateur pour rompre le contrat de travail de son salarié. Ce raisonnement a ensuite été repris en 2003 (14) par la Haute juridiction qui juge que "l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail ou qui le considère comme rompu du fait du salarié doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement ; à défaut, la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse".

Concernant le salarié, le raisonnement de la Chambre sociale de la Cour de cassation a été inverse. Pendant longtemps, le salarié ne pouvait rompre son contrat de travail que par une démission. Il aura fallu attendre, là encore, les arrêts rendus en 2003, précédemment mentionnés, pour que la prise d'acte devienne un mode autonome de rupture du travail, la Haute juridiction ayant jugé également que "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". La prise d'acte est directement inspirée de la pensée du Professeur Supiot, pour Laurence Pécaut-Rivolier, en ce qu'elle ne constitue absolument pas un pendant du droit de l'employeur de licencier le salarié mais constitue, en revanche, la possibilité d'agir du salarié face à un abus de la part de son employeur.

Ainsi Laurence Pécaut-Rivolier estime que la prise d'acte de la rupture présente un risque pour le salarié, d'une part, car la prise d'acte et susceptible d'être requalifiée en démission, et, d'autre part, car le salarié se retrouve dans tous les cas pendant une période plus ou moins longue sans aucune indemnisation possible.

Qui peut prendre acte ? Tout d'abord, tous les salariés en contrat à durée indéterminée peuvent prendre acte de la rupture de leur contrat de travail, et même les salariés titulaires de mandats représentatifs (15). Le Conseil d'Etat (16) est, également, allé en ce sens, en jugeant que le contrat de travail d'un salarié protégé était rompu dès la prise d'acte, par ce dernier, de la rupture de ce contrat, sans que puissent avoir une incidence sur cette rupture les agissements ultérieurs de l'employeur et que l'Administration n'avait donc plus compétence pour statuer sur la demande d'autorisation de licenciement.

Comment prendre acte ? Pour la Chambre sociale, la prise d'acte ne répond à aucun formalisme particulier, et, en cas d'écrit, ce dernier ne fixe pas les limites du litige, a contrario de ce qui se passe pour le licenciement. Pour autant et de manière paradoxale, il n'est pas non plus possible de dire que la prise d'acte n'est soumise à aucune forme, dans le sens où, faite sans forme, la rupture du contrat de travail ne peut être considérée que comme une démission. Ainsi, aucun formalisme n'est exigé, cependant, il est nécessaire d'apporter au moment de la prise d'acte un énoncé des griefs que le salarié a à l'encontre de son employeur.

Pourquoi prendre acte ? Selon la Chambre sociale, le salarié peut prendre acte en cas de manquements suffisamment graves de l'employeur pour justifier une rupture du contrat. Ainsi, il n'est pas question d'une faute mais d'un "manquement" de l'employeur. Dans un arrêt très important en date du 30 mars 2010 (17), la Haute juridiction a posé une limite : la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail seulement en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail. Ainsi, la prise d'acte ne peut avoir pour vocation de permettre au salarié de quitter l'entreprise dans de meilleures conditions, mais juste de sanctionner le manquement de l'employeur de nature à faire obstacle à la poursuite du contrat de travail.

Quels sont les effets de la prise d'acte ? Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. En outre, la prise d'acte a pour effet de rompre immédiatement le contrat de travail, c'est-à-dire le jour où le salarié prend acte (18). Il en ressort que l'employeur est tenu ce jour là de remettre au salarié tous les documents qui attestent de la fin du contrat de travail. Le salarié n'est pas non plus tenu d'effectuer un préavis. Cependant, si la prise d'acte est requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors l'employeur devra au salarié l'indemnité de préavis et la réciproque est également la même. En effet, aux termes d'un arrêt du 8 juin 2011 (19), lorsqu'une prise d'acte de la rupture du contrat qui n'est pas justifiée produit les effets d'une démission, le salarié doit à l'employeur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis résultant de l'application de l'article L. 1237-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1389H9C). Dans un arrêt du 28 septembre 2011 (20), la Haute juridiction juge, également, que l'ancienneté du salarié doit se calculer à la date du jour de la prise d'acte. Enfin, une fois la prise d'acte effectuée, le salarié est dans l'impossibilité de se rétracter.

Sur qui pèse la charge de la preuve ? Pour la Haute juridiction, la charge de la preuve des manquements de l'employeur à l'origine de la prise d'acte pèse sur l'employeur (21). Cette solution semble plus ou moins remise en question par un arrêt en date du 12 janvier 2011 (22) dans lequel les juges considèrent qu'il appartient à l'employeur qui considère injustifiée la prise d'acte de la rupture par un salarié qui, étant victime d'un accident du travail, invoque une inobservation des règles de prévention et de sécurité, de démontrer que la survenance de cet accident est étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat. Cependant, pour Laurence Pécaut-Rivolier, la situation différait dans cette espèce. En effet, dans cette affaire, le problème portait sur l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur.

IV - Le licenciement pour trouble objectif

Comme le souligne Paul-Henri Antonmattei, Professeur à l'Université Montpellier I, avocat au Barreau de Paris, cabinet Barthélémy avocats, c'est la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a initié, il y a vingt ans, ce mouvement de construction et de distinction entre la vie personnelle et la vie professionnelle, dont l'intérêt était de protéger le salarié dans cette dimension de vie : la vie personnelle.

Cette frontière entre la vie professionnelle et personnelle du salarié, aussi évidente qu'elle nous paraît être aujourd'hui, ne s'est donc construite que très récemment.

La construction jurisprudentielle du licenciement pour trouble objectif est extrêmement importante dans la typologie du licenciement.

Comme l'a écrit le Doyen Waquet (23), père fondateur de cette construction jurisprudentielle, "la notion de trouble objectif est capitale car elle permet de résoudre le conflit de logique entre la liberté du salarié et l'intérêt de l'entreprise". C'est d'ailleurs une maturité de notre système de relation sociale que d'admettre que sur le territoire de l'entreprise, des intérêts, dignes les uns et les autres d'être protégés, cohabitent. Le rôle du juge est, notamment, d'arriver à une conciliation de ces intérêts.

Pour Paul-Henri Antonmattei, le point de départ de cette construction a été d'admettre qu'il y avait, en dépit de la règle qu'on ne peut pas tirer de la vie privée un fait susceptible de conduire à un licenciement disciplinaire, des situations dans lesquelles on ne peut pas méconnaître les conséquences dommageables sur le fonctionnement de l'entreprise d'un fait tiré de la vie personnelle du salarié.

Ainsi, si, en principe, il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé à l'entreprise. Pour la Chambre mixte (24), les correspondances privées reçues sur le lieu de travail ne relèvent pas du pouvoir disciplinaire de l'employeur. Cependant, dans un arrêt du 10 décembre 2008 (25), la Chambre sociale a retenu que les agissements d'un salarié dans sa vie personnelle pouvaient être constitutifs d'une cause de licenciement pour faute grave. Ainsi, le licenciement pour un fait tiré de la vie personnelle du salarié ne peut prendre la forme d'un licenciement disciplinaire sauf si le fait se rattache à la vie professionnelle du salarié.

Le contentieux du permis de conduire prend également de plus en plus d'ampleur actuellement. Récemment, dans un arrêt en date du 3 mai 2011 (26), la Chambre sociale a décidé que "le fait pour un salarié de commettre, dans le cadre de sa vie personnelle, une infraction entraînant la suspension ou le retrait de son permis de conduire ne saurait être regardé comme une méconnaissance par l'intéressé de ses obligations découlant de son contrat de travail".

Dans tous les cas, si le salarié, compte tenu de la nature de ses fonctions et de la finalité de l'entreprise, a créé un trouble objectif au sein de l'entreprise, il reste passible d'un licenciement non disciplinaire.

Enfin, Paul-Henri Antonmattei met en garde les juristes à l'égard des clauses de garantie d'emploi contre lesquelles le trouble objectif ne peut faire échec.


(1) Loi n° 81-3 du 7 janvier 1981, relative à la protection de l'emploi des salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle (N° Lexbase : L1666IR7).
(2) Cass. soc., 29 novembre 1990, n° 87-43.243, publié (N° Lexbase : A1442AAN).
(3) Cette obligation a été transposée par la loi n° 92-1446 du 31 décembre 1992, relative à l'emploi, au développement du travail à temps partiel et à l'assurance-chômage (N° Lexbase : L0944AIS).
(4) Loi n° 90-602 du 12 juillet 1990, relative à la protection des personnes contre les discriminations en raison de leur état de santé ou de leur handicap (N° Lexbase : L4737GUY).
(5) Voir Cass. soc., 28 janvier 2010, n° 08-42.616, FS-P+B (N° Lexbase : A7668EQ3). Dès lors qu'elle n'a pas été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail, une salariée ne peut être licenciée pour inaptitude, même si l'avis d'aptitude comporte d'importantes restrictions quant aux tâches qu'elle est en mesure d'effectuer.
(6) Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-66.954, F-P+B (N° Lexbase : A2535GN9).
(7) Voir Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.708, F-P+B (N° Lexbase : A1977EEX) et les obs. de G. Auzero, Périmètre de l'obligation de reclassement du salarié inapte et indemnité spéciale de licenciement, Lexbase Hebdo n° 349 du 7 mai 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N0551BKM).
(8) Cass. soc., 15 décembre 2010, n° 09-40.701, F-P+B (N° Lexbase : A2473GNW) et voir les obs. de L. Casaux, Rupture amiable du contrat de travail et transaction : une distinction d'ordre public, Lexbase Hebdo n° 423 du 13 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1458BRG).
(9) CPH Rambouillet, 18 novembre 2010, n° 10/00042 (N° Lexbase : A7114GMG) et voir, Rupture conventionnelle du contrat de travail : 'L'employeur ne doit pas hésiter à recourir à un avocat, en cas de doutes sur les démarches à suivre' - Questions à Maître Xavier Berjot, avocat associé JBV Avocats, Lexbase Hebdo n° 426 du 3 février 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N3375BRG).
(10) CA Riom, 4ème ch., 18 janvier 2011, n° 10/00658 (N° Lexbase : A0868GRL).
(11) CA Rouen, 27 avril 2010, n° 09/04140 (N° Lexbase : A1306EXN).
(12) Cass. soc., 9 mars 2011, n° 10-11.581, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A3242G79) et voir les obs. de Ch. Willmann, La Cour de cassation assimile les ruptures conventionnelles à des licenciements pour motif économique, Lexbase Hebdo n° 433 du 24 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7642BRH).
(13) Cass. mixte, 21 juin 1974, n° 72-40.054, publié (N° Lexbase : A9334AAX).
(14) Cass. soc., 25 juin 2003, FP-P+B+R+I, 5 arrêts, n° 01-40.235 (N° Lexbase : A8974C8U, n° 01-41.150 (N° Lexbase : A8975C8W), n° 01-42.335 (N° Lexbase : A8976C8X), n° 01-42.679 (N° Lexbase : A8977C8Y) et n° 01-43.578 (N° Lexbase : A8978C8Z) et voir les obs. de Ch. Radé, "Autolicenciement" : enfin le retour à la raison !, Lexbase Hebdo n° 78 du 3 juillet 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N8027AAK).
(15) Voir, Cass. soc. 13 juillet 2004, n° 02-42.681, FS-P+B (N° Lexbase : A1076DD9) et Cass. soc. 5 juillet 2006, n° 04-46.009, FS-P+B (N° Lexbase : A3701DQ7) : Lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat électif ou de représentation prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit soit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d'une démission.
(16) CE 4° et 5° s-s-r., 17 décembre 2008, n° 310889, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8879EBH).
(17) Cass. soc., 30 mars 2010, n° 08-44.236, FS-P+B (N° Lexbase : A4043EUB) et voir les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte : la Cour de cassation plus stricte ?, Lexbase Hebdo n° 391 du 15 avril 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7424BNB).
(18) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-46.280, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0481DSM) : "la prise d'acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu'il reproche à l'employeur entraîne la cessation immédiate du contrat de travail".
(19) Cass. soc., 8 juin 2011, n° 09-43.208, FS-P+B (N° Lexbase : A4981HTN) et voir les obs. de S. Tournaux, Prise d'acte de la rupture du contrat de travail : un régime équilibré, Lexbase Hebdo n° 445 du 23 juin 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N5799BSL).
(20) Cass. soc., 28 septembre 2011, n° 09-67.510, FS-P+B (N° Lexbase : A1317HYG).
(21) Cass. soc., 19 décembre 2007, n° 06-42.550, FS-P+B (N° Lexbase : A1321D3C) et voir les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte : la Cour de cassation n'entend pas se laisser déborder, Lexbase Hebdo n° 288 du 17 janvier 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6186BDH).
(22) Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.838, FS-P+B (N° Lexbase : A9810GPZ) et voir les obs. de S. Tournaux, Prise d'acte, obligation de sécurité et charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1679BRM).
(23) Lire, Ph. Waquet , L'entreprise et les libertés du salarié, Liaisons, 2003.
(24) Cass. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803, P+B+R+I (N° Lexbase : A3179DWN).
(25 Cass. soc., 10 décembre 2008, n° 07-41.820, FS-P+B (N° Lexbase : A7240EBR).
(26) Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-67.464, FS-P+B (N° Lexbase : A2484HQ3) et voir les obs. de S. Tournaux, Le retrait du permis de conduire, un fait tiré de la vie personnelle comme les autres ?, Lexbase Hebdo n° 440 du 20 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N2778BSP).

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