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N8000BS4
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le 06 Octobre 2011
L'occasion était donnée, le mois dernier, de revenir, à la faveur d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 juin 2011 (1), sur le domaine d'application, quant aux personnes, de l'article L. 136-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5770H9L) selon lequel le consommateur et le non-professionnel peuvent mettre fin à tout moment au contrat à compter de la date de reconduction en cas de non-respect de l'information incombant au professionnel. L'arrêt avait ainsi énoncé, sous le visa de l'article L. 136-1 du Code de la consommation dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008 (N° Lexbase : L7006H3U), "que les personnes morales ne sont pas exclues de la catégorie des non-professionnels bénéficiant des dispositions susvisées". Un arrêt de la même première chambre civile du 6 septembre 2011, à paraître au Bulletin, rendu lui aussi au sujet de l'application de l'article L. 136-1 du Code de la consommation, mérite d'être à présent signalé en ce qu'il complète la compréhension que l'on peut se faire du domaine d'application du texte.
En l'espèce, une société avait conclu avec une autre un contrat de prestation de services pour une durée d'un an avec possibilité de reconduction tacite. A la suite d'une contestation sur la reconduction du contrat, l'une des sociétés s'est prévalue des dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation selon lequel le consommateur et le non-professionnel peuvent mettre fin à tout moment au contrat à compter de la date de reconduction en cas de non-respect de l'information incombant au professionnel. Les premiers juges, pour accueillir cette prétention et, ainsi, débouter le cocontractant de sa demande en paiement, ont retenu que la société devait effectivement être considérée en l'espèce comme étant dans la situation d'un non-professionnel car n'intervenant pas dans le domaine de compétence et dans la spécialité du cocontractant, de sorte que les dispositions de l'article L. 136-1 du Code de la consommation lui étaient applicables. Leur décision est cependant cassée, sous le visa de l'article L. 136-1 du Code de la consommation : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en statuant ainsi, alors que l'article L. 136-1 du Code de la consommation, qui s'applique exclusivement au consommateur et au non-professionnel, ne concerne pas les contrats conclus entre sociétés commerciales, le tribunal de commerce a violé le texte susvisé par fausse application".
La solution est sans surprise. Sans doute, en effet, que le texte est applicable aux personnes morales, ce qui, au demeurant, est assez cohérent puisque l'on sait que la jurisprudence décide, sur le terrain de la réglementation des clauses abusives, que la notion de non-professionnel utilisée par le législateur français permettait d'inclure, à côté du consommateur personne physique, les personnes morales parmi les bénéficiaires de la protection légale. Elle avait en effet décidé que, si la Cour de justice des Communautés européennes s'était, par un arrêt remarqué en date du 22 novembre 2001 (2), montrée fidèle à l'article 2 de la Directive européenne du 5 avril 1993, dont le point b) définit le consommateur comme "toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle", tandis que le point c) envisage, lui, la notion de professionnel en se référant tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales, la notion distincte de non-professionnel, utilisée par le législateur français, n'excluait pas les personnes morales de la protection contre les clauses abusives (3). En clair, parce que l'article L. 132-1 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6710IMH), dans son alinéa 1er, réserve le bénéfice de la protection légale au "consommateur ou non-professionnel", la première chambre civile, prenant précisément appui sur cette dernière notion de "non-professionnel", jugée explicitement "distincte" de celle de "consommateur" (4), avait admis, à l'instar d'ailleurs d'autres Etats membres (5), l'extension de la protection légale contre les clauses abusives aux personnes morales (6). Et, naturellement, l'article L. 136-1 se référant, comme l'article L. 132-1 en matière de clauses abusives, aux notions de consommateurs et de non-professionnels pour en déterminer le domaine d'application, il était logique que la jurisprudence décide que les personnes morales faisaient partie, en tant que non-professionnels au sens de la loi, des bénéficiaires du texte.
Mais l'applicabilité du texte spécial aux personnes morales ne signifie évidemment pas qu'elles soient ipso facto protégées. Encore faut-il, naturellement, qu'elles n'agissent pas à l'occasion ou pour les besoins de leur activité professionnelle. Or, comme le relève l'arrêt, la protection légale n'est pas applicable aux contrats conclus entre sociétés commerciales. L'arrêt est à rapprocher d'un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 11 décembre 2008 qui, en matière de lutte contre les clauses abusives, avait nettement affirmé que les dispositions de l'article L. 132-1 du Code de la consommation, selon lesquelles sont réputées non écrites, parce qu'abusives, certaines clauses des contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales (7). On remarquera d'ailleurs que, ici, la Cour de cassation ne prend pas la peine de répondre à la question de savoir s'il existait ou non un rapport direct entre l'activité professionnelle du contractant et l'objet du contrat, qui est pourtant le critère qu'elle utilise traditionnellement depuis 1995 pour délimiter le domaine de la protection consumériste (8). Il faut sans doute y voir une confirmation de la tendance consistant, en fait, à restreindre les bénéficiaires de la protection légale et, ainsi, exclure, pour d'ailleurs de bonnes raisons suffisamment connues pour ne pas avoir à être reprises ici, les professionnels, quelle que soit leur compétence véritable, de la législation spéciale (9).
La cession de créance, définie comme l'opération juridique par laquelle un créancier, le cédant, transfère à un cessionnaire sa créance contre son débiteur, appelé débiteur cédé (10), suscite, en dehors des difficultés traditionnelles que l'on connaît sur le terrain substantiel, un certain nombre de difficultés d'ordre procédural, notamment lorsqu'elle intervient pendant une instance en cours. On laissera aux spécialistes le soin d'examiner la question sous l'angle du droit international privé, la cession de créance conduisant, en présence d'un élément d'extranéité, à s'interroger sur la loi applicable (11), pour ne l'envisager ici que sous l'angle du seul droit interne. Ainsi, par exemple, la Cour de cassation, dont on sait qu'elle admet, au titre des exceptions au principe de l'irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel, la recevabilité des prétentions pour faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers à la condition qu'il ne s'agisse pas de soumettre un litige nouveau et de demander des condamnations personnelles n'ayant pas subi l'épreuve du premier degré de juridiction (12), a censuré une cour d'appel qui avait déclaré irrecevable l'intervention volontaire du banquier cessionnaire, alors qu'elle avait relevé que l'indemnisation du préjudice né des pertes d'exploitation avait été réclamée en première instance par le maître de l'ouvrage cédant, et que le banquier cessionnaire tirait son droit éventuel de la subrogation dans les droits de ce maître de l'ouvrage par suite de la cession de créance, l'intervention de cette banque ne créant dès lors aucun litige nouveau, procédant directement de la demande originaire et tendant aux mêmes fins (13). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 septembre 2011, à paraître au Bulletin, ayant eu à se prononcer sur la question de savoir si le cessionnaire d'une créance avait qualité pour saisir la juridiction de renvoi après cassation alors que la cession avait été faite en cours de procédure, mérite, sous cet aspect, d'être ici signalé.
En l'espèce, une société avait donné en location à la commune de Dunkerque du matériel informatique pour une durée de trois ans. La troisième annuité n'ayant pas été payée à son échéance, elle a résilié le contrat et assigné son cocontractant en paiement devant une juridiction de l'ordre judiciaire. Dans le même temps, elle cédait sa créance, signifiée à la commune par acte du 5 juillet 2005. Mais l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 16 décembre 2004, qui avait condamné la commune au paiement d'une certaine somme à la société, ayant été cassé par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 23 janvier 2007 donnant acte au cessionnaire de la créance de son intervention, ce dernier a entendu saisir la cour d'appel de renvoi. Or celle-ci, pour déclarer irrecevable sa saisine par le cessionnaire, a énoncé qu'il est de principe que seules les personnes ayant été parties à l'instance devant la juridiction dont la décision a été cassée peuvent saisir la juridiction de renvoi et qu'il en résulte que la société cessionnaire, intervenue pour la première fois devant la Cour de cassation au soutien de la société cédante, n'avait pas qualité pour la saisir. Cette décision est cassée, sous le visa des articles 1690 (N° Lexbase : L1800ABB) et 1692 (N° Lexbase : L1802ABD) du Code civil, ensemble l'article 631 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6792H7P). Après en effet avoir affirmé, dans un attendu de principe, que "lorsqu'une cession de créance est intervenue au cours d'une instance d'appel relative au recouvrement de celle-ci, engagée par le cédant et poursuivie par ce dernier postérieurement à la cession signifiée au cours de l'instance en cassation, le cessionnaire, substitué de plein droit au cédant dans les actions lui appartenant, intervenu volontairement devant la Cour de cassation et devenu ainsi partie à cette instance, a qualité pour saisir la cour d'appel de renvoi", la Haute juridiction en déduit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel de renvoi a violé les textes susvisés.
Sans doute la faculté de saisir la Cour de renvoi ou d'y intervenir doit-elle s'apprécier selon que l'on a été partie à l'instance cassée ou partie à l'instance de cassation ou que l'on est un simple tiers désireux de participer à l'instance devant la juridiction saisie sur renvoi. Sous cet aspect, les parties, demanderesses ou défenderesses, à l'instance de cassation ont évidemment qualité pour opérer déclaration de saisine et le feront selon ce que leur intérêt commandera (ainsi, la partie qui a conclu à la confirmation du jugement et a obtenu satisfaction en première instance, n'a pas intérêt à saisir la cour de renvoi (14)). Il convient, par ailleurs, de relever que, conformément aux dispositions des articles 636 (N° Lexbase : L6797H7U) et 637 (N° Lexbase : L6798H7W) du Code de procédure civile, les parties à l'instance dont la décision a été cassée, mais qui ne l'ont pas été devant la Cour de cassation, peuvent aussi opérer déclaration de saisine, ou être appelées à l'instance devant la cour de renvoi ou y intervenir, lorsque la cassation affecte leurs droits. Au demeurant, parce que la cassation profite à tous les codébiteurs solidaires, même à ceux qui n'étaient pas parties à la procédure devant la Cour de cassation, on comprend bien qu'il n'est point possible de limiter aux seules parties à l'instance de cassation, le droit de participer aux débats devant la cour de renvoi (14). En revanche, il est certain qu'un tiers à l'instance qui s'est achevée par la décision cassée ne peut saisir la cour de renvoi.
On peut, dès lors, comprendre que la juridiction de renvoi, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la Cour de cassation du 22 septembre 2011, ait relevé que seules les personnes ayant été parties à l'instance devant la juridiction dont la décision a été cassée peuvent saisir la juridiction de renvoi. Mais la cour d'appel, en refusant précisément au cessionnaire la qualité de partie, s'exposait certainement à la censure de la Cour de cassation qui relève, justement, que, dès lors qu'il était constaté que la cession de créance était intervenue au cours d'une instance d'appel relative au recouvrement de celle-ci, engagée et poursuivie par le cédant postérieurement à la cession signifiée au cours de l'instance en cassation, le cessionnaire, intervenu volontairement devant la Cour de cassation, était ainsi devenu "partie" à cette instance. Et s'il en est ainsi, c'est bien parce que, par l'effet translatif de la cession de créance, le cessionnaire est de plein droit investi des droits du cédant (15).
David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)
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