Réf. : CJUE, 2 mai 2019, aff. C-133/18 (N° Lexbase : A4792ZAQ)
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N9311BX7
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par Franck Laffaille, Professeur de droit public, Faculté de droit (CERAP) - Université de Paris XIII (Sorbonne/Paris/Cité), Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale
le 14 Juin 2019
Le délai d’un mois prévu à l’article 20 § 2 de la Directive 2008/9/CE (N° Lexbase : L8140H3U) -délai permettant de fournir à l’Etat membre du remboursement les informations complémentaires demandées- ne constitue pas un délai de forclusion. Voici ce à quoi conclut la CJUE dans cette décision du 2 mai 2019, apportant une salutaire et argumentée contribution en matière de TVA.
Lorsque l’administration de l’Etat membre du remboursement de la TVA demande des informations complémentaires, ces dernières doivent être fournies dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande par le destinataire. Comment lire ce délai d’un mois ? Quelle est sa nature juridique ? Quelles sont les conséquences d’un non-respect éventuel de ce délai ?
Autant de questions au centre du litige entre la Société Sea Chefs Cruise Services GmbH, établie en Allemagne, et l’administration fiscale française. Cette dernière a rejeté la demande de la Société Sea Chefs tendant au remboursement de la TVA acquittée au titre de l’année 2014. Le tribunal administratif de Montreuil a préféré poser question préjudicielle à la CJUE pour l’éclairer quant à l’interprétation de l’article 20 § 2 de la Directive 2008/9/CE.
Cet article définit les modalités du remboursement de la TVA (tel que prévu par la Directive 2006/112/CE N° Lexbase : L7664HTZ) en faveur des assujettis non établis dans l’Etat membre de remboursement mais dans un autre Etat membre. En vertu de l’article 20 § 1 de la Directive 2008/9/CE, l’Etat membre du remboursement peut demander -par voie électronique- des informations complémentaires s’il estime ne pas être en possession de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la demande réalisée. En vertu de l’article 20 § 2 de la même directive, les informations exigées doivent être fournies à l’Etat membre du remboursement dans un délai d’un mois à compter de la date de réception de la demande par le destinataire. L’article 20 de la Directive 2008/9/CE a été transposé en droit français par l’article 242-0 W de l’annexe II du Code général des impôts (N° Lexbase : L0081IHH).
Quid du litige et quid de la question préjudicielle posée ? Quant au litige, il découle du refus de l’administration fiscale française de faire droit à la demande de remboursement de la Société Sea Chefs ; cette dernière n’a pas répondu dans le délai d’un mois à la demande d’informations complémentaires. Selon la Société Sea Chefs, l’impossibilité de régulariser sa situation dans le cadre du recours prévu à l’article 23 de la Directive 2008/9 est contraire au principe de neutralité de la TVA ainsi qu’au principe de proportionnalité. Selon l’administration, le recours doit être déclaré irrecevable dans la mesure où la méconnaissance du délai de réponse a entrainé la forclusion de la demande de remboursement. Aux yeux de l’administration, s’avère impossible une régularisation découlant de la production, devant le juge national, des informations complémentaires établissant l’existence d’un droit au remboursement.
Recours devant le tribunal administratif de Montreuil il y a, comme mentionné en amont, la Société Sea Chefs produisant alors les documents et informations réclamés par l’administration dans sa demande d’informations complémentaires. L’embarras du juge administratif n’est pas de peu. Il ne manque pas de souligner que la Directive 2008/9 ne précise pas les conséquences -sur le droit au remboursement de la TVA- d’une méconnaissance du délai de réponse (prévu à l’article 20 § 2).
De même, le droit Union européenne ne précise pas si l’assujetti dispose de la possibilité de régulariser sa demande via la production, devant le juge national, des éléments de nature à établir l’existence de son droit à remboursement. Aussi est-il posé la question préjudicielle suivante : «Les dispositions de l’article 20, paragraphe 2 de la Directive 2008/9 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles créent une règle de forclusion qui implique qu’un assujetti d’un État membre qui demande le remboursement de la TVA à un Etat membre dans lequel il n’est pas établi ne peut régulariser sa demande de remboursement devant le juge de l’impôt s’il a méconnu le délai de réponse à une demande d’informations formulée par l’administration conformément aux dispositions de l’article 20, paragraphe 1, de cette Directive ou, au contraire, en ce sens que cet assujetti peut, dans le cadre du droit au recours prévu à l’article 23 de ladite Directive et au regard des principes de neutralité et de proportionnalité de la TVA, régulariser sa demande devant le juge de l’impôt ?».
Pour la CJUE, le délai d’un mois prévu à l’article 20 § 2 de la Directive 2008/9/CE ne constitue pas un délai de forclusion. D’un point de vue herméneutique, sa réponse est logique, structurée, argumentée, et centrée sur un classique raisonnement systémique/contextuel. D’un point de vue de la rationalité économique et juridique, la CJUE entend donner plein effet utile aux dispositions textuelles facilitant les échanges entre acteurs économiques au sein de l’Union européenne.
La CJUE rappelle tout d’abord (un truisme juridique n’est jamais inutile) que le remboursement de TVA est un droit pour tout assujetti non établi dans l’Etat membre dans lequel il effectue des achats de biens et de services (ou des importations de biens grevés de TVA). Le juge s’empresse aussitôt d’opérer le lien (fécond) entre droit au remboursement et droit à déduction : le droit au remboursement «est le pendant du droit, instauré en faveur de cet assujetti par la Directive TVA, de déduire la TVA payée en amont dans son propre Etat membre» (cf. CJUE, 21 mars 2018, C-533/16 N° Lexbase : A4809XHL). Droit au remboursement, droit à déduction : nous sommes là, insiste le juge, en présence de principes fondamentaux inhérents à la nature et au fonctionnement même de l’UE. Tout comme le droit à déduction, le droit au remboursement «constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union». La finalité ? Elle est connue et constitue l’ADN économique de l’Union européenne : «soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques».
Droit au remboursement, droit à déduction : il ne manque qu’un 3ème larron qui ne peut être que le principe de neutralité. Le système commun de la TVA garantit en effet la neutralité -quant à la charge fiscale- des activités économiques soumises à TVA. Au regard de ces différents éléments, au regard de la logique propre à la nature, au fonctionnement, à la finalité du système UE, il appert que le «droit à déduction, et partant, au remboursement fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité». Le principe est la non-limitation ; la limitation est l’exception et doit être hautement fondée en son argumentation. Et il va de soi qu’un tel droit -qui ne saurait, sauf exception, être limité- s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont. Il était d’importance de rappeler les principes fondamentaux structurant les opérations soumises à TVA ; reste à cogiter sur la nature du délai.
La CJUE opère le même constat que le TA de Montreuil : le libellé de la Directive ne permet pas de trancher le nœud gordien : le délai visé (un mois) constitue-t-il (ou non) un délai de forclusion ? Du texte au contexte : quand le texte se révèle muet, il convient de recourir à une analyse contextuelle, ici de la Directive 2008/9. Or, l’analyse contextuelle commande de conclure au caractère non contraignant du délai. Procédant par analogie, le juge se penche sur l’article 7 de la 8ème Directive 79/1072 pour éclairer -a contrario- la Directive 2008/9. Dans l’article 7 de la 8ème Directive 79/1072 (repris à l’article 15 § 1 de la Directive 2008/9), figure l’expression «au plus tard» visant le délai d’introduction d’une demande de remboursement ; dans cette hypothèse, ne peut pas survenir une demande de remboursement après l’expiration du délai fixé ; dans cette hypothèse, un tel délai est un délai de forclusion.
Or, constate le juge, l’article 20 § 2 (au cœur du litige) de la Directive 2008/9 ne comporte pas cette expression « au plus tard». Suivant en cela les propos de l’avocat général, la CJUE en tire la conclusion que le législateur UE n’a pas souhaité introduire ici un délai de forclusion. Suivant toujours le chemin de l’analogie avec l’article 15 § 1 de la Directive 2008/9, la CJUE s’appuie sur un autre élément pour s’opposer à la théorie du délai-forclusion : l’auteur de la demande. Dans le cas de l’article 15 § 1 de la Directive 2008/9, la demande doit obligatoirement être introduite par l’assujetti ; dans le cas de l’article 20 § 2 de la Directive 2008/9, l’administration fiscale peut demander les informations complémentaires auprès d’une personne autre que l’assujetti (ou auprès des autorités de l’Etat membre d’établissement de l’assujetti). La différence de situation n’est pas de peu et met en exergue la spécificité de la situation de l’assujetti quand il est fait application de l’article 20 § 2 de la Directive 2008/9 : l’assujetti pourrait perdre le droit au remboursement en cas d’absence de réponse ou de réponse hors délai de cette autre personne ou de l’Etat membre.
Inacceptable dit le juge : une telle perte d’un tel droit s’opérerait «en méconnaissance des principes fondamentaux régissant le système commun de la TVA». Le délai visé à l’article 20 § 2 de la Directive 2008/9 n’est pas un délai de forclusion ; cela peut encore être déduit d’une lecture -comparatiste- des articles 21 et 26 de la Directive 2008/9. A lire l’article 21, il n’est pas exclu qu’une demande de remboursement puisse être acceptée en l’absence de communication des informations complémentaires requises. S’agissant de l’article 26, il tend à «affermir la position de l’assujetti» via l’octroi d’intérêts de retard quand un remboursement survient avec retard. Si le délai d’un mois mentionné à l’article 20 § 2 était un délai de forclusion, une réponse tardive à une demande d’informations complémentaires aboutirait au résultat suivant : un rejet automatique de la demande de remboursement et non pas à un remboursement effectué avec retard, sans le bénéfice d’intérêts de retard. L’article 26 s’en trouverait vidé de sa substance si le délai de l’article 20 §2 présentait une nature de forclusion. Il restait un ultime point sur lequel s’appesantir, à savoir la politique jurisprudentielle posée par le juge de l’UE. Après avoir rappelé que sa jurisprudence relative aux délais de forclusion en matière de TVA est naturellement compatible -sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité- avec la Directive TVA, la CJUE souligne l’une des caractéristiques de l’article 20 § 2 en son applicabilité : celui-ci est applicable «lorsqu’une demande de remboursement a déjà été introduite dans le délai prescrit à l’article 15» (de la Directive 2008/9).
Dans le cadre de la pesée des intérêts en présence qu’il lui revient de réaliser, la CJUE fait notablement pencher le plateau de justice en défaveur de l’administration fiscale nationale. Le délai d’un mois prévu à l’article 20 § 2 n’est pas un délai de forclusion. Dans l’hypothèse où une demande de remboursement est rejetée (partiellement ou totalement), des recours peuvent être introduits par l’assujetti auprès des autorités compétentes de l’Etat membre du remboursement. Et cela vaut y compris en l’absence de communication des informations complémentaires réclamées. L’assujetti ne perd pas la possibilité de régulariser sa demande de remboursement en produisant, devant le juge national, les informations complémentaires à mêmes d’établir l’existence de son droit au remboursement de la TVA.
Salutaire saisine du tribunal administratif de Montreuil sur le fondement de l’article 267 TFUE (N° Lexbase : L2581IPB) ; salutaire réponse de la CJUE.
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