La lettre juridique n°742 du 24 mai 2018 : Contrats et obligations

[Textes] La réforme de la réforme

Réf. : Loi n° 2018-287 du 20 avril 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L0250LKH)

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par Louis Thibierge, Agrégé des facultés de droit, Professeur à l’Université Aix-Marseille, Membre du Centre de Droit Economique (EA4224), Avocat au Barreau de Paris

le 23 Mai 2018

Le 21 avril 2018 a été publiée au Journal officiel la loi n° 2018-287 ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (N° Lexbase : L0250LKH).

La portée exacte de cette loi de ratification est discutée. Les uns évoquent une «réforme de la réforme» [1], les autres contestent cette expression, citant plus volontiers Shakespeare : «beaucoup de bruit pour rien» [2].

La loi de ratification mérite à notre sens la qualification de réforme de la réforme, tant elle s’éloigne de la simple ratification «sèche» initialement évoquée.

Retraçons-en d’un trait l’histoire : souhaitant rompre avec tous ces avant-projets n’ayant débouché sur aucune réforme faute de volonté politique, le Gouvernement décidait de prendre les choses en main et de réformer le droit des obligations par voie d’ordonnance. Le 16 février 2015, était votée une loi habilitant le Gouvernement «à prendre par voie d’ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires permettant de moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme».

Après une première mouture livrée à la consultation publique en 2015, était publiée le 10 février 2016 l’ordonnance n° 2016-131 portant réforme du droit des obligations (N° Lexbase : L4857KYK). Première modification d’ensemble depuis 1804, elle faisait émerger un nouveau droit des obligations, à la fois consécration de solutions prétoriennes et affirmation de solutions de rupture.

Pour acquérir valeur législative, l’ordonnance nécessitait l’onction parlementaire. L’élaboration de la loi de ratification a été l’occasion de clarifier certains points demeurés obscurs et de rectifier quelques erreurs de rédaction. Ce fut aussi, de manière plus surprenante, l’occasion pour certains de tenter des modifications de fond, prenant le contrepied de l’ordonnance.

Au fil des navettes, députés et sénateurs ont opéré un rapprochement de leurs positions. A la fin 2017, les projets des deux assemblées étaient encore opposés sur bien des points, et particulièrement quant à la définition du contrat d’adhésion ou à la révision pour imprévision. Il a fallu réunir une commission mixte paritaire pour aplanir les dernières difficultés.

Le 22 mars 2018, l’Assemblée nationale a adopté le texte définitif. Le Sénat lui a emboîté le pas le 11 avril. Le 20 avril 2018, la loi était donc adoptée. Elle fut publiée au Journal officiel du 21 avril 2018.

On connaît désormais la teneur de notre «nouveau» droit des contrats, dont l’application dans le temps demeure sujette à caution.

 

Un nouveau droit applicable immédiatement ?

 

La loi de ratification du 20 avril 2018 comporte, en son article 16, des dispositions transitoires.

Par principe, la loi nouvelle entre en vigueur le 1er octobre 2018. N’y seront donc soumis que les contrats conclus postérieurement à cette, suivant en cela les enseignements de Roubier.

En pratique, il faudra connaître pas moins de trois droits différents, suivant la date de conclusion du contrat :

  • pour les contrats conclus avant le 1er octobre 2016, seul le droit des contrats issu du Code de 1804 devrait s’appliquer ;
  • pour les contrats conclus entre le 1er octobre 2016 et le 1er octobre 2018, c’est l’ordonnance du 10 février 2016 qui s’applique ;
  • pour les contrats conclus après le 1er octobre 2018, c’est le droit issu de la loi de ratification qui s’applique ;

La prudence est donc de mise, tant à l’occasion d’un audit contractuel que dans le conseil à délivrer aux parties.

De surcroît, la frontière entre ces trois catégories est poreuse.

Ainsi, l’article 16 de la loi du 20 avril 2018 qualifie certaines modifications d’ «interprétatives», ce qui emporte qu’elles soient rétroactives, sans préciser toutefois à quelle date elles rétroagissent. Il semble que la rétroactivité ne puisse remonter avant le 1er octobre 2016, puisque les dispositions nouvelles interprètent des dispositions créées par l’ordonnance de 2016. Seraient donc applicables aux contrats conclus depuis le 1er octobre 2016 les modifications apportées aux articles :

Suivant la volonté sénatoriale, la loi de ratification précise que l’ordonnance du 10 février 2016 est inapplicable aux contrats conclus antérieurement au 1er octobre 2016, «y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public». Le législateur entend ici briser la jurisprudence qui avait appliqué la loi nouvelle à des contrats en cours, au motif que certaines de ses dispositions étaient d’ordre public, ou concernaient les «effets légaux» du contrat, c’est-à-dire ceux que la loi attache au contrat indépendamment de la volonté des parties. Sous l’empire de cette jurisprudence, le juge pourrait se sentir autorisé à appliquer, par exemple, les dispositions de l’article 1195 (N° Lexbase : L0909KZP) sur la révision pour imprévision à un contrat conclu antérieurement au 1er octobre 2016. La loi de ratification entend priver le juge de cette faculté.

Mais n’est-ce pas autre chose qu’un «coup d’épée dans l’eau», comme le dit notre collègue Denis Mazeaud [3] ? La loi nouvelle n’empêche nullement le juge de raisonner «à la lumière» du droit nouveau, ce qui revient de manière subreptice à appliquer ce droit nouveau à un contrat ancien ?

 

Quels changements ?

 

Les changements sont au nombre de 25, et d’une inégale importance. Pour s’en tenir aux principaux, on évoquera tour à tour ceux qui sont relatifs à la formation du contrat (I), à son exécution (II), au régime général de l’obligation (III) ainsi que diverses dispositions (IV).

 

I - La formation du contrat

 

La loi de ratification modifie certaines règles de formation du contrat, qu’il s’agisse des négociations (A), de l’offre (B), de la réticence dolosive (C), de la violence par abus de dépendance (D), de la notion de contrat d’adhésion (E) ou encore des règles relatives aux personnes morales (F).

 

A - L’indemnisation du préjudice résultant de la mauvaise foi dans les négociations

 

L’article 1112 du Code civil est retouché (N° Lexbase : L0825KZL). Il prévoyait jusqu’à présent qu’ «en cas de faute commise dans les négociations, la réparation du préjudice qui en résulte ne peut avoir pour objet de compenser la perte des avantages attendus du contrat non conclu».

La loi de ratification ajoute désormais une incise finale : «ni la perte de chance d'obtenir ces avantages».

La jurisprudence «Manoukian» (Cass. com., 26 novembre 2003, n° 00-10.243, FS-P N° Lexbase : A2938DA3) est donc enfin pleinement consacrée. Une erreur de plume en 2016 avait conduit les rédacteurs à occulter l’incise finalement rétablie en 2018.

Le préjudice indemnisable se réduit donc peu ou prou aux frais de négociations.

On notera néanmoins que le champ de l’article 1112 est plus large que la seule jurisprudence «Manoukian», laquelle ne concernait que la rupture abusive des pourparlers. L’article 1112 vise quant à lui toutes les fautes commises dans les négociations, ce qui englobe des hypothèses plus diverses (entrée fantaisiste en négociation, maintien dilatoire des négociations…).

 

B - La caducité de l’offre

 

Sensible à l’art de la symétrie, le législateur de 2018 a modifié l’article 1117 du Code civil (N° Lexbase : L0837KZZ).

Celui-ci prévoyait jusqu’à présent que l’offre était caduque «en cas d’incapacité ou de décès de son auteur». Rompant avec la jurisprudence qui distinguait suivant que l’offre était ou non assortie d’un délai, l’ordonnance décidait qu’elle ne pourrait survivre à la mort de son auteur.

Le texte nouveau ajoute «ou de décès de son destinataire». Dit autrement, le bénéfice de l’offre ne se transmet pas aux héritiers de son destinataire.

Si la solution se comprend en présence d’une offre intuitu personae, la généralisation de la solution à toutes les offres ne s’imposait pas avec la force de l’évidence.

 

C - La réticence dolosive

 

La loi de ratification répare une scorie qui affectait l’ordonnance de 2016. Celle-ci avait laissé subsister un hiatus entre les articles 1112-1 (N° Lexbase : L0598KZ8) et 1137 (N° Lexbase : L0854KZN).

Au terme du premier, n’existait aucun devoir d’informer son futur cocontractant sur la «l’estimation de la valeur de la prestation».

On avait cru consacrée la jurisprudence «Baldus» (Cass. civ. 1, 3 mai 2000, n° 98-11381 N° Lexbase : A3586AUD). Mais l’article 1137, relatif au dol, réprimait quant à lui la «dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie», sans distinguer selon l’objet de cette information.

Ce qui n’était pas répréhensible sur le terrain du devoir d’information pouvait l’être sur le terrain de la réticence dolosive. Et le lien établi entre obligation d’information et réticence dolosive était rompu.

La loi de ratification a amendé l’article 1137, qui prévoit désormais que «néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation».

Le droit de faire de bonnes affaires est rétabli.

 

D - La violence par abus de dépendance

 

L’article 1143 (N° Lexbase : L0848KZG), qu’on a tôt fait de qualifier -à tort- de sanction de la «violence économique», a fait l’objet d’une refonte non-négligeable.

Les sénateurs avaient espéré cantonner le domaine de la dépendance à la seule dépendance économique. Ne seraient plus sanctionnés les abus de dépendance affective, psychologique, médicamenteuse, structurelle… Seule la dépendance économique appellerait sanction.

Cette proposition a été rejetée. L’abus de tout type de dépendance est sanctionné.

Ou du moins en apparence. En effet, trois mots nouveaux changent tout au texte. Alors que l’ancien disposait «Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif», le texte nouveau dispose : «Il y a également violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif».

Ce faisant le texte distingue utilement dépendance et vulnérabilité. Seule l’exploitation par le fort de la dépendance du faible à son égard emportera nullité du contrat.

 

E - Le contrat d’adhésion

 

Le contrat d’adhésion voit ses contours évoluer de manière significative [4].

L’article 1110 (N° Lexbase : L0815KZ9), issu de l’ordonnance du 10 février 2016, le définissait comme «celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l'avance par l'une des parties». Le critère tenait donc dans l’existence de conditions générales.

Le texte nouveau abandonne les conditions générales et définit désormais le contrat d’adhésion comme «celui qui comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties».

L’essence du contrat d’adhésion est donc la non-négociabilité, c’est-à-dire l’impossibilité de négocier certaines clauses. Lesquelles ? Le texte évoque un «ensemble». Mais qu’est-ce à dire ? Comme l’évoquait notre collègue Lionel Andreu, la notion d’ensemble comporte deux dimensions : quantitativement, il faut au moins deux clauses ; qualitativement, il faut que ces clauses forment un tout cohérent, un «ensemble» [5].

La proposition consistant à limiter la notion de contrat d’adhésion aux contrats dits «de masse», c’est-à-dire conclus en très grand nombre avec de très nombreux cocontractants, n’a pas été retenue. On peut s’en réjouir, ou s’inquiéter de la consécration d’une acception très large du contrat d’adhésion.

Ainsi, que faut-il penser des pactes d’actionnaires ou des statuts de sociétés ? Lorsqu’ils ont été négociés entre Primus et Secondus mais que Tertius y souscrit quelques années plus tard, les clauses n’en sont pas négociables. Certes, Madame Nicole Belloubet, Garde des Sceaux, avait déclaré en décembre dernier que la volonté du Gouvernement n’était pas d’en faire des contrats d’adhésion.

Mais quelle sera la portée de cette déclaration ? De manière générale, quel crédit faut-il accorder à ces travaux «postparatoires» [6], consistant pour des parlementaires membres de la commission des lois à livrer l’interprétation «officielle» de textes qu’ils n’ont pas élaborés, ceux de l’ordonnance du 10 février 2016 ?

Le choix d’une acception large du contrat d’adhésion est fort heureusement contrebalancé par la modification substantielle de l’article 1171. Celui-ci, qui permettait jusque lors au juge de réputer non-écrite, au sein d’un contrat d’adhésion, toute clause créant un déséquilibre significatif entre les droits des obligations des parties, ne le permet plus si largement. Désormais, seules les clauses non-négociables entraînant un tel déséquilibre peuvent être neutralisées. On quitte donc le domaine du tout ou rien pour celui de la nuance.

 

F - Les personnes morales

 

Concernant les personnes morales, l’apport de la loi de ratification est double.

Le moins tangible consiste en une simplification de l’article 1145 (N° Lexbase : L0868KZ8). Celui-ci prévoyait jusqu’à présent que la capacité des personnes morales était «limitée aux actes utiles à la réalisation de leur objet tel que défini par leurs statuts et aux actes qui leur sont accessoires, dans le respect des règles applicables à chacune d'entre elles». Le nouveau texte, plus concis, dispose : «La capacité des personnes morales est limitée par les règles applicables à chacune d'entre elles».

Le plus visible tient dans la réforme de l’article 1161 (N° Lexbase : L0869KZ9), relatif à la double représentation. Celui-ci interdisait jusqu’à présent à une même personne de représenter deux parties au contrat. La prohibition était très générale, et peu adaptée à la pratique des affaires, et notamment du droit des sociétés.

Le texte nouveau porte deux modifications significatives. D’abord, il écarte de son champ les personnes morales. Seules les personnes physiques entrent désormais dans le spectre de l’article 1161. Ensuite, concernant les personnes physiques, la prohibition n’est plus si générale qu’auparavant. Pour que soit interdite la double représentation, il faut qu’elle concerne deux personnes physiques «en opposition d’intérêts». Qu’il y ait opposition d’intérêts dans un contrat commutatif comme une vente peut se concevoir : le vendeur a intérêt à vendre cher, l’acquéreur à acquérir à bas prix. Mais y a-t-il opposition d’intérêts dans la constitution d’une société ? On peut en douter.

 

II - L’exécution du contrat

 

En matière d’exécution du contrat, on notera des modifications en matière de sanction en cas de fixation abusive du prix (A), de réduction unilatérale du prix (B), d’exécution forcée en nature (C) et de révision judiciaire pour imprévision (D).

 

A - La fixation unilatérale du prix

 

La loi de ratification aligne les articles 1164 (N° Lexbase : L0882KZP) et 1165 (N° Lexbase : L0881KZN) quant à la sanction de la fixation abusive du prix. Auparavant, celle-ci différait suivant l’hypothèse considérée : dans les contrats-cadre, l’abus était réprimé par l’octroi de dommages-intérêts ou la résolution du contrat, alors que dans les contrats de «prestation de service», seule la première branche de l’alternative était disponible.

Désormais, le prestataire de services qui fixe abusivement le prix s’expose à la résolution du contrat.

Cet alignement des sanctions nous paraît contre-intuitif. Que l’on permette à la partie à un contrat-cadre de sortir de celui-ci en raison du comportement abusif de son partenaire se comprend. Qu’est-ce qui justifie en revanche que l’on résolve le contrat de prestation de service correctement exécuté, au seul motif que le prestataire a fixé a posteriori un montant trop élevé ? Si la prestation a été dûment accomplie, pourquoi résoudre le contrat ?

 

B - La réduction unilatérale du prix

 

L’article 1223 (N° Lexbase : L0940KZT), innovation de l’ordonnance du 10 février 2016, consacrait un mécanisme inédit : la réduction unilatérale du prix. Le créancier pouvait ainsi accepter une exécution imparfaite et réduire proportionnellement le prix.

La mise en œuvre de cette sanction était incertaine du fait de la piètre rédaction du texte originel. La nouvelle rédaction est encore pire.

En 2016, le texte prévoyait «Le créancier peut, après mise en demeure, accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. S'il n'a pas encore payé, le créancier notifie sa décision de réduire le prix dans les meilleurs délais».

Le texte nouveau dispose : «En cas d'exécution imparfaite de la prestation, le créancier peut, après mise en demeure et s'il n'a pas encore payé tout ou partie de la prestation, notifier dans les meilleurs délais au débiteur sa décision d'en réduire de manière proportionnelle le prix. L'acceptation par le débiteur de la décision de réduction de prix du créancier doit être rédigée par écrit. Si le créancier a déjà payé, à défaut d'accord entre les parties, il peut demander au juge la réduction de prix».

Non seulement, le texte nouveau n’éclaire pas les zones d’ombres laissées par son prédécesseur (qu’est-ce qu’une réduction «proportionnelle» lorsque l’inexécution n’est pas quantitative mais qualitative ou issue d’un retard d’exécution ?), mais encore il en ajoute de nouvelles.

On en vient même à douter du caractère véritablement unilatéral de la sanction lorsque le texte évoque «l’acceptation par le débiteur de la décision de réduction du prix».

 

C - L’exécution forcée en nature

 

Le droit à l’exécution forcée en nature n’est pas absolu. Le créancier ne peut en effet l’obtenir lorsqu’elle est impossible ou lorsqu’il existe une disproportion manifeste entre le coût d’exécution et l’intérêt du créancier.

L’article 1221 est à cet égard modifié, limitant le domaine de l’exception à la bonne foi du débiteur. Dit autrement, lorsque le débiteur est de mauvaise foi (mais qu’est-ce à dire ?), la disproportion entre coût d’exécution forcée et intérêt du créancier est impuissante à paralyser le droit du créancier d’obtenir cette exécution forcée.

 

D - La révision judiciaire pour imprévision

 

En dépit de l’opposition des sénateurs, le pouvoir du juge de réviser le contrat à la demande de l’une des parties est maintenu.

Pour les convaincre de céder le pas aux députés sur ce point, on les a convaincus que l’article 1195 était supplétif de volonté, et que les parties les plus sophistiquées penseraient à l’écarter.

On a également ajouté au Code monétaire et financier un article L. 211-40-1, lequel prévoit que «l’article 1195 du Code civil n’est pas applicable aux obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers mentionnés aux I à III de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier».

En d’autres termes, les obligations procédant d’instruments financiers échappent à l’article 1195, fût-ce à titre supplétif. On gardera à l’esprit que les parts sociales ne font pas partie de cette catégorie, et qu’il faudra songer à aménager l’article 1195 si on veut les soustraire de son domaine.

 

III - Le régime général de l’obligation

 

A - La clarification des conditions de la renonciation à la condition suspensive

 

L’article 1304-4 (N° Lexbase : L0653KZ9) est retouché. Celui-ci permettait jusque lors au débiteur qui s’est engagé sous condition suspensive de renoncer à la condition, tant qu’elle est pendante.

Une erreur de plume en 2016 avait énoncé qu’une «une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie».

La loi de ratification modifie le texte : «une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie ou n'a pas défailli».

En effet, en matière de conditions suspensives, c’est la défaillance de la condition qui marque le point d’arrêt de la possibilité de renoncer à la condition. Prendre son accomplissement comme date butoir n’a pas de sens : lorsque la condition suspensive est accomplie, l’obligation devient pure et simple. Il ne peut être question d’y renoncer.

 

B - L’opposabilité de la déchéance du terme

 

Le législateur s’est saisi de l’occasion de la loi de ratification pour amender l’article 1305-5. Il prévoit désormais que «La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses coobligés, même solidaires, et à ses cautions».

La modification est peu ambitieuse. Non seulement, elle ne fait que consacrer la jurisprudence de la Cour de cassation, mais en outre, elle laisse de côté tous les autres garants qui n’auraient pas la qualité de caution.

 

C - La cession de dette

 

Formalisme. La cession de dette doit désormais faire l’objet d’un écrit, ad validitatem.

C’est ce que prévoit le nouvel article 1327 alinéa 2 : «La cession doit être constatée par écrit, à peine de nullité».

La règle paraît destinée à protéger les tiers contre les cessions occultes. Mais on notera l’absence d’exigence d’une date certaine, ce qui ne permet pas d’exclure les risques d’anti-datation.

 

Opposabilité. L’article 1327-1 (N° Lexbase : L0668KZR) est également remanié, et dispose désormais que «Le créancier, s'il a par avance donné son accord à la cession et n'y est pas intervenu, ne peut se la voir opposer ou s'en prévaloir que du jour où elle lui a été notifiée ou dès qu'il en a pris acte». La solution paraît logique : dès lors que le créancier est intervenu à l’acte de cession, il n’est nul besoin de l’en informer.

 

Sort des sûretés. La loi de ratification modifie l’article 1328-1 (N° Lexbase : L0670KZT). Dans sa version antérieure, il prévoyait que «Lorsque le débiteur originaire n'est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu'avec leur accord». Désormais, le sort des sûretés est aligné, le nouveau texte disposant : «Lorsque le débiteur originaire n'est pas déchargé par le créancier, les sûretés subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le débiteur originaire ou par des tiers ne subsistent qu'avec leur accord».

 

D - La cession de contrat

 

Une disposition similaire se trouve à l’article 1216-3, relatif au sort des sûretés en cas de cession de contrat. Cette fois-ci, ce sont les tiers qui sont rapprochés du débiteur, et non l’inverse comme en matière de cession de dette.

Le texte ancien prévoyait : «Si le cédant n'est pas libéré par le cédé, les sûretés qui ont pu être consenties subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par des tiers ne subsistent qu'avec leur accord. Si le cédant est libéré, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette».

Le nouveau assimile les tiers au débiteur originaire : «Si le cédant n'est pas libéré par le cédé, les sûretés qui ont pu être consenties subsistent. Dans le cas contraire, les sûretés consenties par le cédant ou par des tiers ne subsistent qu'avec leur accord. Si le cédant est libéré, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette».

 

E - La compensation opposée par la caution

 

On le sait, la compensation, fût-elle légale, n’est plus depuis 2016 automatique. Elle doit être invoquée.

L’article 1347-6 (N° Lexbase : L0725KZU) est modifié et, rompant avec une solution traditionnelle, permet désormais à la caution d’invoquer la compensation de ce que le créancier doit au débiteur. Alors que l’ancien texte ne lui permettait que d’opposer «la compensation intervenue» entre créancier et débiteur, le nouveau texte autorise la caution à provoquer la compensation, s’immisçant ainsi dans les relations entre créancier et débiteur. 

 

IV - Dispositions diverses

 

Au titre des dispositions éparses, on évoquera d’un trait les restitutions dues par un mineur non émancipé ou un majeur protégé (A) et la possibilité de payer en devises (B).

 

A - Les restitutions

 

En deux mots, l’article 1352-4 inverse la règle issue de l’ordonnance du 10 février 2016.

Le texte ancien prévoyait que «Les restitutions dues à un mineur non émancipé ou à un majeur protégé sont réduites à proportion du profit qu'il a retiré de l'acte annulé».

Le texte nouveau évoque quant à lui «Les restitutions dues par un mineur non émancipé ou par un majeur protégé sont réduites à hauteur du profit qu'il a retiré de l'acte annulé».

Le sens est donc modifié. Il ne s’agit plus du créancier de la restitution mais du débiteur de celle-ci.

 

B - La monnaie du paiement

 

L’article 1343-3 libéralise le paiement en devises étrangères.

L’ancien texte ne permettait ce paiement que «si l'obligation ainsi libellée procède d'un contrat international ou d'un jugement étranger».

La version amendée du texte permet désormais aux parties de «convenir que le paiement aura lieu en devise s'il intervient entre professionnels, lorsque l'usage d'une monnaie étrangère est communément admis pour l'opération concernée».

Une plus grande place est donc réservée à la liberté contractuelle.

 

En somme, la loi de ratification du 20 avril 2018 opère bien une «réforme de la réforme». Notre nouveau droit des contrats est connu. Il n’est pas pour autant figé, seule l’épreuve du feu judiciaire pouvant en révéler la teneur exacte.

 

[1] Voir notamment L. Andreu & L. Thibierge (dir.), Réforme de la réforme - A propos de la loi de ratification du 20 avril 2018, actes du colloque du 14 mai 2018, publication à venir à l’AJ Contrat. Voir également D. Mazeaud, Quelques mots sur la réforme de la réforme du droit des contrats, D., 2018, p. 912.

[2] M. Mekki, La loi de ratification de l'ordonnance du 10 février 2016 - Une réforme de la réforme ?, D., 2018 p. 900.

[3] D. Mazeaud, op. cit..

[4] C’est également, en creux, le cas du contrat de gré à gré. Il était jusque lors celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties. Il devient celui dont les stipulations sont librement négociables.

[5] L. Andreu, Le contrat d’adhésion, in L. Andreu & L. Thibierge (dir.), Réforme de la réforme - A propos de la loi de ratification du 20 avril 2018, actes du colloque du 14 mai 2018, publication à venir à l’AJ Contrat.

[6] M. Mekki, op. cit..

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