La lettre juridique n°708 du 27 juillet 2017 : Finances publiques

[Jurisprudence] Chronique de finances locales - Juillet 2017

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par Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public, Faculté de droit de Metz, IRENEE/Université de Lorraine

le 27 Juillet 2017

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver cette semaine la chronique de finances locales de Jérôme Germain, Maître de conférences HDR en droit public Faculté de droit de Metz, IRENEE/Université de Lorraine. Cette nouvelle chronique se penchera sur les réformes annoncées par la nouvelle majorité, l'actualité du contentieux des emprunts toxiques et la tarification solidaire devant les tribunaux. En effet, la campagne présidentielle a figé la prise de décisions législatives ou réglementaires importantes en matière de finances locales. La nouvelle majorité a cependant commencé à préparer un train de réformes attendues dans ce domaine (I). L'actualité des finances locales a aussi été rythmée par des décisions jurisprudentielles intéressantes (II). I - Des réformes attendues

De nombreuses réformes assez consensuelles n'ont pu être menées à terme au cours du précédent quinquennat. Ces inachèvements s'expliquent en partie par le manque de popularité de l'ancienne majorité mais aussi par le manque de place au sein d'un ordre du jour parlementaire en permanence trop chargé (1). Il n'est donc pas étonnant de voir réapparaître des idées et des propositions déjà évoquées pendant la législature 2012-2017.

En matière de finances locales, comme dans d'autres domaines, la nouvelle majorité s'inscrit ainsi en partie dans la continuité de la précédente, même si elle fait en même temps entendre sa propre sensibilité, plus centriste. Ce "changement dans la continuité" ou "rupture par la synthèse" s'observe notamment à travers la formalisation d'un pacte quinquennal de financement des collectivités locales destiné à rétablir la confiance financière entre l'Etat et les collectivités locales. Il est toutefois douteux que ce pacte soit négocié entre les parties, l'Etat ayant tendance à imposer ses choix et sélectionner ses concessions. Les diminutions de dépenses locales seront imposées unilatéralement par l'exécutif à des collectivités ayant souvent du mal à boucler leur budget en ces temps d'austérité. Le degré de négociation qui imprègnera ce pacte sera plus que faible. A cette aune, il est légitime de se demander si ce nouvel instrument rétablira la confiance entre l'Etat et les élus locaux.

Ce contrat financier entre l'Etat et les territoires est destiné à être décliné chaque année dans une loi de financement des collectivités territoriales (LFCT). La force juridique du pacte quinquennal sera néanmoins nulle. Les lois de financement des collectivités territoriales ne devraient elles-mêmes pas se voir octroyer une force juridique supérieure aux lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS). Les LFSS fixent, entre autres, des objectifs non impératifs de dépenses et d'équilibre. Les LFCT devraient définir pour chaque exercice l'ODEDEL (objectif d'évolution de la dépense locale) fixé dans le pacte quinquennal et les lois de programmation des finances publiques (LPFP) (2). Sans une révision constitutionnelle prévoyant un renforcement de la normativité des LPFP, il semble difficile de dépasser le caractère indicatif de cet objectif (3). Une telle révision constitutionnelle ouvrirait en effet la voie à un contrôle constitutionnel des LFCT par rapport aux LPFP (4).

Le pacte quinquennal de confiance financière Etat-collectivités sera préparé tous les cinq ans et évalué chaque semestre par une Conférence nationale des territoires présidée par le Premier ministre. Dans le cadre de cette évaluation semestrielle, l'ODEDEL pourra être ajusté. Les spécialistes se demandent si un suivi si fin est techniquement possible en raison du caractère annuel des comptes publics, y compris locaux. En effet, le principe d'annualité financière n'est pas seulement lié à la bonne information des organes délibérants et à la limitation des pouvoirs des exécutifs locaux. Il traduit aussi les délais nécessaires à la construction des comptes publics.

Cette Conférence nationale des territoires ressemble, par ailleurs, au Haut-Conseil des territoires refusé par le Sénat en 2013, lors de la discussion de la loi "MAPTAM", puis à l'occasion de l'adoption de loi "NOTRe" en 2015 (5). Elle prolonge des instances de concertation Etat-collectivités locales plus anciennes et sera, espérons-le, plus durable qu'elles. La Conférence nationale des finances publiques et le Comité d'orientation des finances publiques créés par un décret de 2006 ne se sont plus réunis depuis 2008 (6). La Conférence des finances locales du 12 mars et du 16 juillet 2013 n'avait pas vocation à être pérennisée. Il n'est pas sûr que le Conseil stratégique de la dépense publique issu du décret de 2014 survive au dernier quinquennat (7). Il est aussi possible que cette Conférence nationale des territoires entre en concurrence avec les conférences territoriales de l'action publique mises en place au niveau régional par la loi "MAPTAM" du 27 janvier 2014 (8). Cette Conférence nationale semble, en outre, prendre la suite de l'instance de Dialogue national des territoires créée en 2015 après avoir été proposée par le rapport Lambert-Malvy en 2014.

Une des principales ambitions de ce pacte quinquennal de confiance financière est de permettre de concilier l'austérité et la visibilité. Il ne s'agit donc pas de rompre avec les baisses de financement des collectivités locales du quinquennat précédent. L'ancienne majorité a certes réduit les déficits publics pendant son mandat (9). La courbe de la dette publique, quant à elle, n'a toutefois connu qu'un ralentissement, et non une inversion. Elle dépasse les 98 % du PIB. Nos engagements européens et notre dangereux endettement public nous obligent donc à prolonger nos efforts pour réduire les déficits (10). Comme le secteur local relève des administrations publiques, il doit aussi participer à la lutte contre l'endettement excessif des administrations nationales. Cette contribution à la réduction de l'endettement public français sera cependant adoucie par plus de visibilité et de stabilité. Les élus avaient déploré la brutalité des baisses de dotations sous l'ancienne majorité. Ils ont été entendus en partie. Cette stabilité et cette prévisibilité dans les réductions sont censées aider les élus locaux à préparer leur budget et planifier leurs investissements dans un contexte contraint mais moins incertain.

A cette stabilité s'ajoute aussi un adoucissement par le rythme. Les coupes dans les transferts financiers ne devraient plus atteindre 3,5 milliards par an comme en 2015 et 2016. Elles devraient se cantonner à environ 1,5 millard par an, soit le niveau de baisse de 2014.

Il n'est donc pas encore question de sortir de l'austérité. Une baisse de dix milliards de la dépense locale sur cinq ans a été annoncée pendant la campagne présidentielle. Elle s'inscrit dans un nouveau plan de soixante milliards d'économies budgétaires (dix milliards pour la Sécurité sociale, quinze pour l'indemnisation du chômage, vingt-cinq pour l'Etat et ses satellites). Rappelons pour mémoire que François Hollande a aussi réduit de onze milliards les dotations des collectivités locales entre 2014 et 2017 (1,5 en 2014 + 3,5 en 2015 + 3,5 en 2016 + 2,5 en 2017) dans le cadre d'un Pacte de confiance et de solidarité proposé par l'Etat aux collectivités locales en 2013. Ces onze milliards d'euros s'inscrivaient déjà dans un plan plus large de cinquante milliards d'économies. Ces coupes budgétaires avaient été promises à Bruxelles en échange d'un délai supplémentaire avant d'ouvrir une Procédure pour déficit excessif (PDE) contre la France (11). L'amende due par un Etat membre à la suite d'une PDE (volet budgétaire) peut atteindre un montant maximal de 0,5 % de son PIB. Le PIB de la France s'élevant à environ 2 200 milliards d'euros en 2015, l'amende payée par notre pays atteindrait environ onze milliards d'euros. En d'autres termes, l'amende pour déficits excessifs aurait eu un coût voisin de l'effort demandé aux seules collectivités locales sous François Hollande ou Emmanuel Macron (onze puis dix milliards en huit ans) (12).

En ce qui concerne le levier d'action, la diminution des dotations des collectivités territoriales semble être une voie abandonnée (13). Si l'Etat n'agit pas sur la manette des dotations locales, l'autre grand levier à sa disposition vis à vis des finances locales est la réduction des effectifs publics. La nouvelle majorité a prévu de supprimer 120 000 emplois publics par le biais des départs à la retraite ou de non-renouvellements de contrats. 70 000 suppressions d'emplois devraient concerner le secteur local. Cette proposition converge avec les analyses de la Cour des comptes dans ses rapports annuels sur les finances locales (14). L'augmentation du temps de travail avait été proposée par François Fillon durant la campagne présidentielle afin de compenser ces baisses d'effectifs. Il est possible que l'actuelle majorité s'en inspire en partie. A l'instar des évolutions connues par les Universités, la gestion de la fonction publique territoriale devrait connaître une nouvelle décentralisation. Cette autonomie locale pour gérer les personnels devrait permettre, même à loi inchangée, de décider des augmentations de la durée du travail sans que l'Etat ne prenne directement la décision. La Cour des comptes a par exemple recommandé dans son audit de juin 2017 (pp. 149-150) la suppression de jours de congés dérogatoires dans les collectivités locales.

Un autre levier sur lequel entend jouer le Gouvernement est celui de la fiscalité locale. La diminution de la dépense locale devrait donc passer par des baisses d'impôts locaux. L'espoir caressé par l'exécutif est bien évidemment de rendre l'austérité locale plus populaire auprès des habitants qui sont aussi des contribuables locaux. L'argument des élus locaux d'être asphyxiés par les coupes budgétaires de l'Etat devrait ainsi perdre en sympathie et en efficacité chez des électeurs rarement fâchés de payer moins d'impôts.

Plus concrètement, la suppression de la taxe d'habitation pour 80 % des contribuables aura pour conséquence de réduire la dépense locale. Elle devrait concerner les contribuables situées en dessous de 20 000 euros de part fiscale. Cela représente environ 5 000 euros par mois de revenus pour un couple avec 2 enfants. Le programme du nouveau président promet par ailleurs une compensation pour les collectivités locales de cette exonération fiscale. Cette compensation sera cependant de façade. Elle est vouée à diminuer au fil des ans. Comme on le voit, on est loin des transferts d'impôts nationaux aux régions demandés par Régions de France, l'Assemblée des régions françaises (15). Cette suppression de la taxe d'habitation devait s'étaler jusqu'en 2020. Le Premier ministre a toutefois annoncé dans son discours de politique générale devant l'Assemblée nationale un allongement de l'étalement de cette réforme emblématique de la nouvelle majorité.

La recentralisation du RSA (revenu de solidarité active) constitue aussi un instrument envisagé pour alléger la dépense locale. Le coût abyssal du RSA pour les départements signifie que l'échec des négociations de 2016 pour le retransférer à l'Etat ne pouvait être définitif. En revanche, l'idée d'une journée hebdomadaire de bénévolat en contrepartie du RSA n'est pas reprise. Le département du Haut-Rhin avait tenté de l'instaurer avant que le juge administratif ne mette fin à cette politique (16). Dans la perspective d'un revenu minimum d'existence viable, cette exigence d'une certaine contrepartie d'utilité publique contribuerait pourtant à en asseoir la légitimité.

L'observation empirique des politiques de réduction rapide des déficits publics menées en Italie, en Espagne, au Portugal et en Irlande montre qu'une austérité excessive casse la croissance, augmente le chômage, démultiplie les dépenses sociales et in fine... aggrave les déficits. Il en ressort que pour être efficace la lutte contre les déficits doit en même temps soutenir la croissance. Un équilibre difficile doit être trouvé entre suppression de certaines dépenses ou recettes (notamment de fonctionnement) et relance de l'investissement public. Ce souci explique, par exemple, la création de fonds d'investissements pour soutenir l'investissement local dès le quinquennat précédent (17). Cette préoccupation est encore plus présente aujourd'hui. Elle prend corps à travers le vaste plan d'investissement de cinquante milliards d'euros promis par le nouveau président.

En réalité, de nombreuses voix plaident depuis la crise de l'euro pour un plan européen de relance de l'investissement. Même la Banque centrale européenne y serait favorable afin d'appuyer au niveau budgétaire sa politique monétaire d'assouplissement quantitatif (quantitative easing). En effet, l'austérité budgétaire annihile en partie ses efforts pour ramener l'inflation à 2 % dans l'ensemble de la zone euro. Sur ce point, François Hollande s'était d'ailleurs heurté en 2012 au veto allemand et n'avait pu obtenir qu'un plan d'investissement de la BEI (Banque européenne d'investissement) en échange du Pacte budgétaire européen. Ce plan étant financé par des ressources européennes propres, il ne correspondait pas à des crédits nouveaux et n'a donc apporté aucun investissement supplémentaire (18).

Ce nouveau plan national, voire européen, d'investissement devrait largement concerner les collectivités locales. Il portera principalement sur le numérique, le transport et l'économie verte.

II - Des jurisprudences intéressantes

Les jurisprudences récentes relatives aux finances locales ont surtout amené des précisions en matière d'emprunts toxiques (A) et des clarifications en matière de stationnement (B).

A - Des précisions en matières d'emprunts toxiques

Nous signalerons ici les principales décisions jurisprudentielles ayant précisé le contentieux des emprunts toxiques.

1 - L'absence de devoir de mise en garde des banques

La commune de Sassenage (11 000 habitants), située dans l'Isère avait souscrit des emprunts structurés auprès de Dexia entre 2006 et 2010. Deux prêts s'élevant respectivement à 4,28 et 4,35 millions d'euros n'ont pas été encore totalement remboursés. Dans l'espoir d'une victoire contentieuse, le maire a refusé l'aide du Fonds de soutien (19). La chambre régionale des comptes (CRC) d'Auvergne-Rhône-Alpes, dans son avis du 31 mai 2012, l'a autorisé à provisionner les intérêts des emprunts et donc à ne pas les payer avant que ne soit rendue la décision du TGI (20). Le TGI de Nanterre a rejeté le 13 mai 2016 les arguments de la commune (jugement n° 12/00343). La nullité pour dol ainsi que le manquement de la banque à son obligation d'information, de conseil et de mise en garde ont été refusés par le tribunal sur la base de l'article 1338 du Code civil (N° Lexbase : L0982KZE). Il considère que les collectivités ne sont pas des emprunteurs non avertis. Le maire a fait appel. Au vu du traitement jurisprudentiel que connaît la notion d'emprunteur averti, il est peu probable qu'il obtienne gain de cause.

2 - La qualité d'emprunteur averti des collectivités locales

Dans quatre affaires liées, n°s 14/06388 (N° Lexbase : A5250R3T), 15/04767 (N° Lexbase : A5091R3X), 15/06770 (N° Lexbase : A5144R3W), 15/07046 ( N° Lexbase : A5206R39), la cour d'appel de Versailles a en effet confirmé le 21 septembre 2016 sa jurisprudence relative aux emprunteurs avertis. Le taux d'intérêt de ces emprunts était indexé sur le franc suisse ou le dollar américain.

Les communes invoquaient le dol afin d'obtenir soit la nullité du contrat, soit la réduction des intérêts dus. Les banques les auraient insuffisamment prévenus des risques que présentaient de tels produits financiers. Le juge observe au contraire que les banques ont correctement informé leurs clients. Même si les simulations fournies par la banque n'évoquent pas les scenarii les plus pessimistes en matière de cours de l'euro par rapport au franc suisse, ces manques sont insuffisants pour être qualifiés de manoeuvre dolosive. L'argument de la violence économique a aussi été rejeté par le juge. Les communes concernées étaient indépendantes des banques au moment des faits et auraient pu souscrire des prêts avec d'autres instituts de crédit.

Pour justifier l'absence de vices du consentement, le juge estime plus généralement que les communes sont des emprunteurs avertis. Ce caractère d'emprunteur averti ne se présume pas. Il s'apprécie in concreto. Le juge passe en revue la taille de la commune, l'expérience du maire, la qualification de ses personnels et la pratique de sa collectivité en matière d'emprunt pour dégager ou non la qualité d'emprunteur averti. L'absence d'utilisation du service de la préfecture spécialisé en contrat de prêt renforce cette présomption. Il découle de cette qualité d'emprunteur averti que seul un devoir d'information et non de mise en garde pèse sur la banque vis à vis de son client. Même la modeste commune de Saint-Cast le Guildo, avec ses 3 500 habitants, se voit qualifier d'emprunteur averti en raison de ses précédents emprunts. Même avec leur population d'environ 15 000 habitants, il nous semble exagéré de qualifier d'emprunteur averti les plus grandes communes ici concernées.

Dans ce cas, la complexité de la formule de calcul du taux d'intérêt ne saurait constituer un dol. La cour d'appel contredit ce faisant le TGI de Nanterre qui en première instance avait considéré cette commune de petite taille comme un emprunteur non averti (21). Le juge judiciaire profite de ces affaires pour rejeter d'autres arguments développés par les communes.

En premier lieu, il refuse l'invocation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH). Les communes avaient crû pouvoir attaquer la loi de validation des emprunts structurés sur le fondement du droit européen.

L'absence de taux effectif global (TEG) dans certains contrats définitifs d'emprunt, prenant par exemple la forme d'un fax, avait permis au juge de première instance de faire prévaloir le taux légal à la place du taux contractuel (22). Cette victoire des collectivités locales a été vue avec inquiétude par l'Etat, principal détenteur de Dexia. Le Gouvernement a alors fait adopter par le Parlement la loi n° 2014-844 du 29 juillet 2014, relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public (N° Lexbase : L8472I38), afin de valider l'oubli du TEG dans les contrats de prêt déjà signés (23). Afin de protéger ses finances, l'Etat voulait empêcher la justice de libérer les collectivités locales des taux exorbitants des emprunts toxiques.

Dans le but de contourner la loi de validation du 29 juillet 2014, les collectivités locales ont tenté d'invoquer la CESDH devant la cour d'appel. L'Etat ayant visiblement détourné ses pouvoirs législatifs pour protéger ses intérêts financiers et non poursuivre l'intérêt général, la loi de validation manque de justification suffisante. La cour d'appel rappelle toutefois aux communes que l'article 34 de la CESDH (N° Lexbase : L4769AQP) les empêche de saisir la Cour européenne des droits de l'Homme (24). Cette exclusion des personnes publiques de la garantie des droits fondamentaux provient de l'idée classique selon laquelle les pouvoirs publics doivent respecter les libertés et n'ont pas à être protégés contre leur violation. L'invocation des droits fondamentaux par les pouvoirs publics conduirait en effet à la neutralisation des droits fondamentaux des particuliers avec lesquels ils devraient se concilier. Sur le fondement de l'article 34 de la CESDH, le juge judiciaire interdit ainsi aux collectivités locales d'invoquer la CESDH devant lui. La cour d'appel ne fait ici que suivre la jurisprudence de la Cour de cassation (25). Ce raisonnement est toutefois triplement contestable, peut-être par le biais d'une QPC ultérieure. D'une part, il ne semble pas faire droit au principe de libre administration des collectivités locales. In fine, les communes parties au litige sont soumises aux lois de validation avec plus de rigueur et moins de moyens de défense que les particuliers qui, eux, auraient pu invoquer la CESDH. Elles sont ramenées par ce raisonnement à des services sous tutelle étatique. D'autre part, cette exclusion des collectivités locales de son champ d'application dispense de façon injustifiée les banques de respecter la CESDH dans leurs relations avec les collectivités locales. Les prêts ici contestés n'auraient pu être conclus avec des particuliers. Face à des personnes privées, les banques n'auraient pas été protégées par la loi de validation. Enfin, s'il est conforme à leur finalité protectrice que seuls les particuliers puissent invoquer les droits fondamentaux contre les pouvoirs publics, les communes, ici sont assimilables à des particuliers. Les contrats de prêt sont en effet des contrats de droit privé n'exprimant aucune prérogative de puissance publique. Les collectivités locales, en l'espèce, ne se sont pas comportées comme des pouvoirs publics mais comme des personnes privées.

En second lieu, le juge confirme que les emprunts structurés n'étaient pas des opérations spéculatives, interdites aux collectivités locales parce que poursuivant le profit et non l'intérêt général. Notons tout d'abord que la circulaire du 15 septembre 1992, relative aux contrats de couverture du risque de taux d'intérêt offerts aux collectivités locales et aux établissements publics locaux (N° Lexbase : L1586K9M), invoquée par les communes ne possède pas de caractère normatif parce qu'il s'agit justement d'une circulaire. Ensuite, la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires (N° Lexbase : L9336IX3), et le décret n° 2014-984 du 28 août 2014, relatif à l'encadrement des conditions d'emprunt des collectivités territoriales, de leurs groupements et des services départementaux d'incendie et de secours (N° Lexbase : L1451I4I), qui interdisent clairement les emprunts spéculatifs aux collectivités territoriales ne s'appliquent pas rétroactivement aux affaires ici commentées. Par ailleurs, la présence d'un aléa dans ces contrats recherchant l'intérêt général (le financement d'investissements publics) ne suffit pas à leur donner un caractère spéculatif. Les contrats contestés ne visaient pas, de surcroît, l'enrichissement de la commune mais le refinancement d'investissements locaux justifiés par l'intérêt général. Enfin, et peut-être surtout, la jurisprudence administrative empêche les personnes publiques d'invoquer leur propres turpitudes pour échapper à leurs obligations contractuelles (26).

B - Une clarification en matière de stationnement

Le juge administratif a apporté en matière de stationnement sur la voie publique une clarification étonnante. Par une délibération du 20 juin 2016, la ville de Grenoble a mis en place une modulation du tarif du ticket de stationnement de résident mensuel en fonction du quotient familial des intéressés. En d'autres termes, les administrés devaient fournir en plus de la carte grise et du justificatif du domicile, une attestation de leur quotient familial. Sur cette base, le ticket de stationnement de résident mensuel passait de douze euros à une fourchette allant de dix à trente euros. Cette modulation du tarif, appelée tarification solidaire, permet de prendre en compte les revenus et les charges du foyer lors de l'acquittement du ticket de stationnement de résident mensuel. Le tribunal administratif de Grenoble a mis fin à cette expérience innovante. Dans sa décision n° 1603667 du 14 février 2017 (N° Lexbase : A4827T38), le juge administratif estime que le stationnement n'est pas un service public (27). Le législateur et la jurisprudence n'acceptent des modulations de tarifs en fonction de considérations sociales ou redistributives qu'en matière de service public administratif (SPA) facultatif (28). Comme la réglementation du stationnement sur la voie publique n'est pas un service public, la commune doit respecter le principe d'égalité devant les charges publiques entre les usagers. Le juge reconnaît certes que les résidents et les non-résidents sont placés dans une situation suffisamment différente pour justifier un tarif réduit pour les résidents. En revanche, des modulations de tarif sur critères sociaux sont impossibles entre résidents en ce domaine. Ceux-ci sont effet, d'après le juge, sans lien avec la réglementation du stationnement sur la voie publique.


(1) Un cercle vicieux doit être signalé. Des lois trop nombreuses à être votées sont aussi des lois porteuses d'oublis ou d'erreurs qu'il faut corriger en surchargeant davantage l'ordre du jour parlementaire...
(2) Les LFCT pourraient décliner chaque année l'ODEDEL par catégorie de collectivité locale et par grand poste budgétaire. Elles évalueraient les coûts des décisions de l'Etat pour les finances locales, ainsi que les recettes des collectivités locales. Elles pourraient aussi prévoir des plafonds d'évolution de la dette des collectivités locales et de l'emploi local. Voir Cour des comptes, Les finances locales, octobre 2016, p. 100 sq.
(3) Deux exemples illustrent l'absence d'impérativité des LPFP. En 2014, le Gouvernement a déposé un nouveau projet de LPFP au Parlement en raison de l'aggravation du déficit structurel constatée dans la loi de règlement pour 2013 alors que la logique de la programmation aurait commandé une correction de la dérive. En avril 2015, le programme de stabilité transmis par le gouvernement à la Commission européenne a promis une réduction des déficits plus rapide que celle prévue dans la LPFP de décembre 2014 afin de correspondre aux recommandations de la Commission.
(4) Un autre des mérites des LFCT serait de désencombrer les débats budgétaires d'automne et de permettre aux parlementaires de se consacrer à ce moment aux finances étatiques et sociales. Il faudrait naturellement pour cela que les finances locales soient discutées par les députés et les sénateurs avant l'été...
(5) Tirant les conséquences de la fin du cumul des mandats, les députés souhaitaient instaurer une instance permanente de dialogue entre l'État et les élus locaux. Ce Haut Conseil des territoires aurait englobé le Comité des finances locales, le Conseil national des normes et l'observatoire des finances locales. A juste titre, le Sénat y a vu un concurrent. C'est justement afin de dissiper ces doutes sur la représentation des collectivités locales par les sénateurs que le Professeur Carcassonne proposait de faire des principaux présidents d'exécutifs locaux les seuls membres du Sénat.
(6) Décret n° 2006-515 du 5 mai 2006 (N° Lexbase : L5202HII). Citée par l'article 6 IV de la LPFP n° 2014-1653 du 29 décembre 2014 (N° Lexbase : L2842I7E), la Conférence nationale des finances publiques a été abrogée par le décret n° 2016-1843 du 23 décembre 2016 (N° Lexbase : L9587LBP). La Conférence nationale des finances publiques n'a été réunie qu'en 2008 puis, sous le nom de Conférence nationale des déficits publics, en 2010. Le Comité d'orientation des finances publiques a été supprimé par l'article 3 du décret n° 2013-144 du 18 février 2013 (N° Lexbase : L2171IWC), instaurant le Haut Conseil des finances publiques.
7) Décret n° 2014-46 du 22 janvier 2014 (N° Lexbase : L2780IZY). Il ne s'est plus réuni depuis 2015.
(8) CGCT, art. L. 1111-9-1 (N° Lexbase : L1332LDP).
(9) L'audit de la Cour des comptes du 29 juin 2017 a montré que cette réduction des déficits publics par rapport à 2012 est moins forte que prévue. Le déficit public de l'ensemble des administrations publiques en restant au-dessus des 3 % du PIB (3,2 contre 2,8 % annoncé) continue de violer les critères du Traité de Maastricht et du Pacte de stabilité et de croissance. Le Gouvernement doit trouver six milliards d'euros d'économie afin de respecter la barre des 3 % ou neuf milliards pour tenir la promesse d'un déficit à 2,8 %. La Cour des comptes a proposé de couper des dépenses dans la fonction publique, notamment territoriale, afin de redresser nos finances publiques (gel de l'échelon et du point d'indice). Voir Cour des comptes, Situation et perspectives des finances publiques, juin 2017, p. 48 sq. et 140 sq..
(10) Il s'agit ni plus ni moins d'éloigner le risque de défaut souverain, c'est à dire de faillite de nos finances publiques. La probable remontée des taux directeurs de la Banque centrale européenne en raison du retour actuel de l'inflation ne fait qu'exacerber ce danger. Les intérêts de la dette de l'Etat pèsent chaque année une quarantaine de milliards d'euros, soit un poids voisin du budget de la Défense. La remontée des taux d'intérêts pourrait coûter entre cinq et dix milliards d'euros supplémentaires.
(11) En cas de violation persistante des critères de Maastricht, qui interdisent un déficit public supérieur à 3 % du PIB ou un endettement public excédant 60 % du PIB, un Etat membre pourrait être condamné par le Conseil de l'Union à payer une amende. Cette amende aggraverait cependant les déficits...
(12) Réduire ses déficits (50 puis 60 milliards d'économies) s'apparente ainsi à payer plusieurs fois l'amende (au maximum une dizaine de milliards d'euros). Du strict point de vue de la rationalité économique, ne serait-il pas plus efficace de s'acquitter de l'amende pour déficits excessifs ? Que se passerait-il une fois l'amende payée ? L'Etat visé par la procédure pour déficit budgétaire excessif aurait acquis le droit de demeurer en déficit budgétaire excessif sans pouvoir être à nouveau sanctionné. Nous n'avons pas la place d'appliquer ici au volet dette de la PDE ce raisonnement.
(13) La Cour des comptes cependant appelle dans son audit à poursuivre la baisse des transferts financiers de l'Etat aux collectivités locales sur une base plus large que la seule DGF (dotation générale de fonctionnement) utilisée ces dernières années. Espérons que la réforme manquée de la DGF sous le précédent quinquennat sera rapidement remise sur le métier. Voir Cour des comptes, Situation et perspectives des finances publiques, juin 2017, op. cit., p. 168 sq.
(14) Cour des comptes, Les finances publiques locales, octobre 2016, op. cit., p. 153 sq..
(15) Il s'agit de la troisième des huit propositions adressées aux candidats à l'élection présidentielle le 8 février 2017.
(16) TA Strasbourg, 5 octobre 2016, n° 1601891 (N° Lexbase : A8089R4D).
(17) Lire nos obs., Chronique de finances locales - Février 2016 (N° Lexbase : N1126BWM), Lexbase éd. pub. n° 403, 2016.
(18) Peut-être que le Président Emmanuel Macron aura plus de réussite que son prédécesseur pour réformer l'UEM (Union économique et monétaire). L'Allemagne est en tout cas plus ouverte qu'en 2012 en raison des actuelles évolutions internationales anxiogènes qui la conduisent à vouloir renforcer ses alliés.
(19) Lire nos obs., Chronique de finances locales - Juillet 2016 (N° Lexbase : N3537BWW), Lexbase éd. pub. n° 423, 2016.
(20) Le préfet avait saisi la CRC après une demande de mandatement d'office d'une dépense obligatoire émanant de Dexia.
(21) TGI Nanterre, 6ème ch., 26 juin 2015,  n° 11/07236 (N° Lexbase : A0523NMC). L'arrêt de la cour d'appel ici commenté annule ce jugement.
(22) TGI Nanterre, 8 février 2013, n°s 11/03778 (N° Lexbase : A6629I7N), 11/03779 (N° Lexbase : A6630I7P) et 11/03780 (N° Lexbase : A6631I7Q).
(23) Le Conseil Constitutionnel avait censuré auparavant la loi de finances pour 2014 qui avait tenté de contrer cette jurisprudence favorable aux collectivités locales (Cons. const., décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013 N° Lexbase : A9152KSR).
(24) CEDH, 23 novembre 1999, Req. 45129/98 (N° Lexbase : A3781WND).
(25) Cass. civ. 2, 11 juillet 2013, n° 12-20.528, F-P+B (N° Lexbase : A8631KII).
(26) CE, 28 décembre 2009, n° 304802 (N° Lexbase : A0493EQC).
(27) Dans sa version applicable à l'espèce, l'article L. 2333-87 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L3267IZZ) semble en faire un pouvoir de police administrative. On peut toutefois se demander si la police administrative n'est pas un service public.
(28) L'article 147 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998, d'orientation relative à la lutte contre les exclusions (N° Lexbase : L9130AGA), réserve aux SPA facultatifs les modulations de tarif sur la base des revenus et du nombre de personnes à charge du foyer.

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