La lettre juridique n°680 du 15 décembre 2016 : Éditorial

"Mon beau Sapin... II"

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"Mon beau Sapin... II". Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/36605814--i-mon-beau-sapin-i-ii
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 30 Décembre 2016


D'accord, la chansonnette, digne du plus mauvais comique troupier, était facile... mais irrésistible en ces temps de fêtes de fin d'année.

Ainsi donc, la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, dite loi "Sapin II", car le premier opus datait de 1993 (presque aussi long qu'Indiana Jones IV -et il faut voir le résultat cinématographique !-), vient d'être promulguée au Journal officiel.

Comme de coutume, d'une soixantaine d'articles faisant montre de cohérence, le projet de loi, atteint d'une boulimie gargantuesque coutumière, est passé à 169 articles, faisant feu de tout bois pour renforcer la transparence de la démocratie et de l'économie ; lutter plus efficacement contre la corruption, notamment par la création d'une Agence nationale de prévention et de détection de la corruption ; moderniser de la vie économique -autrement dit supprimer les entraves et les effets de seuil enrayant le développement économique-.

Le Conseil constitutionnel fut particulièrement clément, ce 8 décembre 2016, en validant la grande majorité des mesures phares du texte de loi, à l'exception notable et médiatique de de l'instauration d'un reporting fiscal pays par pays ; les Sages estimant que l'obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux pays par pays était de nature à permettre à l'ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s'exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d'identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale. Le Conseil constitutionnel a donc jugé que ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre et étaient ainsi contraires à la Constitution.

Pèle mêle, on trouve donc dans la loi nouvelle l'extension à toutes les personnes morales de la compétence de l'agence française anticorruption ; le renforcement des garanties et des règles pour assurer la constitutionnalité de la nouvelle procédure de transaction pour les entreprises mises en cause pour des faits de corruption (office du juge chargé de valider la transaction, suspension de la prescription pendant l'exécution de la transaction, indemnisation systématique de la victime, publicité...) ; et sur la commande publique, des apports issus des travaux de la commission des lois sur la ratification des ordonnances sur les marchés publics.

Mais, la loi comprend aussi des mesures sur la rémunération des patrons ; la publicité interdite pour les sites internet proposant des instruments financiers très risqués ; la possibilité pour les consommateurs de résilier annuellement leur assurance emprunteur ; l'encadrement des retraits en matière d'assurance-vie ; la possibilité pour les artisans de suivre le stage obligatoire a posteriori ; comme l'extension du régime micro-entreprise aux EURL ; ou la revalorisation des seuils du régime micro et de la franchise de TVA.

Bref, cela part dans tous les sens... et bien malin qui saura l'impact d'un telle loi fourre-tout sur le dynamisme de l'économie et le retour... de la confiance.

Il est un thème qui, lui, marque la société d'une empreinte plus structurelle : c'est le parallèle entre la transparence des actions des lobbies et la protection des lanceurs d'alertes.

D'un côté, la loi crée un répertoire numérique des "représentants d'intérêt", sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Les lobbyistes (mais aussi les entreprises, les ONG, les associations...) devront s'y enregistrer pour rencontrer ceux qui participent à la décision publique et l'élaboration de la loi : ministres et leur cabinet, parlementaires et leurs collaborateurs, certains hauts fonctionnaires et élus locaux. Les lobbyistes devront donc divulguer le nom de leurs clients et transmettre des bilans, comprenant dépenses et chiffres d'affaires liés à leurs activités. En cas de manquement, les représentants d'intérêts s'exposeront à des peines allant jusqu'à un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.

De l'autre côté, la loi crée un statut du lanceur d'alerte qu'elle définit comme celui qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont (il) a eu personnellement connaissance. La protection de ce lanceur d'alerte est renforcée contre les représailles, bénéficiant des services du Défenseur des droits. Les entreprises de plus de 50 personnes, les communes de plus de 10 000 habitants et les administrations de l'Etat devront mettre en place des procédures de recueil des alertes.

Que nous disent ces deux mesures ?

D'abord, pour reprendre Jürgen Habermas, dont la pensée combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain pour donner naissance "l'agir communicationnel" par opposition à "l'agir stratégique", "les déficits démocratiques se font sentir chaque fois que le cercle des personnes qui participent aux décisions démocratiques ne recoupe pas le cercle de ceux qui subissent les conséquences de ces décisions". C'est précisément de cette manière que les théoriciens libéraux justifiaient l'incursion des lobbies dans l'élaboration de la loi, dans l'encadrement de la société civile. Ainsi, pour Toqueville, "une association politique, industrielle, commerciale ou même scientifique ou littéraire, est un citoyen éclairé et puissant qu'on ne saurait plier à volonté ni opprimer dans l'ombre, et qui, en défendant ses droits particuliers contre les exigences du Pouvoir sauve les libertés communes". Cela revenait, en fait, à demander, mais le plus souvent prendre l'avis des experts de la société avant de légiférer. Louable en soit, le système -d'essence américaine- tentait de faire ainsi en sorte que les représentants ne soient pas déconnectés du menu peuple ou de l'activité économique elle-même, à l'heure de la fonctionnarisation de la politique. Mais, car il y a un mais.... Outre l'image négative d'opacité et de trafic d'influence qui colle à la peau du lobbyiste, il s'avérait de plus en plus que le législateur ou son entourage proche n'était pas si déconnecté avec le monde dit réel, notamment, des grandes entreprises, à force de "passerelles" opportunément négociées au board de grandes entreprises ou de grands cabinets de conseil... Les cercles étaient donc circonscrits... et pour cause, législateurs et lobbyistes pouvaient parfois être les mêmes personnes asynchroniquement, fort heureusement.

Aussi, il est naturel que les lobbies se fassent, désormais, supplanter, dans l'opinion publique du moins, par ces lanceurs d'alertes... responsables notamment de la promulgation de la loi "Sapin II " elle-même et de bien d'autres. Sans affaires internationales et autres "leaks", de fraudes, de corruptions, de trafiques d'influences... l'éveil de la conscience politique aurait sans doute était plus... tardif.

Et l'on retrouve, dès lors, notre dichotomie favorite, celle de l'intérêt commun versus l'intérêt général.

Reprenant le rapport public du Conseil d'Etat, publié en 1999, sur la notion d'intérêt général et évoqué dans un précédent éditorial :

"L'intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts particuliers, est d'abord, dans cette perspective, l'expression de la volonté générale, ce qui confère à l'Etat la mission de poursuivre des fins qui s'imposent à l'ensemble des individus, par-delà leurs intérêts particuliers".

Sans aller plus loin, on comprend que le lobbyiste, si clairvoyant soit-il ne peut pas intrinsèquement oeuvrer pour l'intérêt général, ni même transcender son appartenance et ses intérêts particuliers.

"S'il se limitait à la simple conjugaison des intérêts particuliers, l'intérêt général ne serait, le plus souvent, que l'expression des intérêts les plus puissants, le souci de la liberté l'emportant sur celui de l'égalité". Voilà la justification de la transparence et du registre des lobbies en faveur d'un renouveau démocratique.

"Pourtant, le débat sur l'intérêt général n'est pas seulement l'affaire des pouvoirs publics. Il concerne, en réalité, chaque citoyen. La recherche de l'intérêt général implique, ou l'a vu, la capacité pour chacun de prendre de la distance avec ses propres intérêts". Voilà la cadeau apporté aux lanceurs d'alerte dans la hotte gouvernementale, reconnus et un peu mieux protégés aujourd'hui avec la loi "Sapin II".

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