La lettre juridique n°678 du 1 décembre 2016 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] La détention de fichiers illicites par l'administration fiscale ne porte pas, en soi, atteinte aux procédures de contrôle et de rectification

Réf. : CE 8° et 3° ch.-r., 20 octobre 2016, n° 390639, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A0128R8A)

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par Vincent Dussart, Professeur à l'Université Toulouse Capitole

le 01 Décembre 2016

Le Conseil d'Etat a jugé, le 20 octobre 2016, qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Toutefois, la seule circonstance que, avant de mettre en oeuvre à l'égard du contribuable les pouvoirs qu'elle détient aux fins de procéder au contrôle de sa situation fiscale et de recueillir les éléments nécessaires pour, le cas échéant, établir des impositions supplémentaires, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues de documents obtenus de manière frauduleuse par un tiers est, par-elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition (CE 8° et 3° ch.-r., 20 octobre 2016, n° 390639, mentionné aux tables du recueil Lebon). Au cas présent, le requérant a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle. A la suite de ce contrôle, il a fait l'objet d'une rectification assortie de pénalités pour manquements délibérés en matière d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux pour les années 2006 à 2010. Il avait volontairement remis à l'administration fiscale ses relevés de compte sur lesquels cette dernière s'était basée pour la rectification de son imposition et la mise en oeuvre des pénalités.

L'intéressé a donc porté recours devant le tribunal administratif de Paris (1) puis devant la cour administrative d'appel de Paris (2). Il voulait faire invalider les procédures de rectification et de sanction au motif que l'administration aurait utilisé des fichiers volés à la Banque HSBC pour fonder ces procédures. Les juges du fond l'ayant débouté, il a formé un pourvoi en cassation.

Cette décision s'inscrit dans la célèbre affaire des fichiers volés à la Banque HSBC de Genève. On rappellera ici qu'il s'agit de fichiers dérobés à cette banque par l'un de ses employés en 2006 et 2007 (3). En janvier 2009, une perquisition au domicile de cet employé a permis à la justice française de s'emparer de ces fichiers. L'administration fiscale s'est alors servie des fichiers pour fonder, notamment, des visites domiciliaires sur la base de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L2641IX4) mais aussi des procédures de contrôle et de rectification. On peut rappeler que le Gouvernement avait, à l'époque, laissé une période de "régularisation spontanée" aux contribuables concernés, ce dont ne semble pas avoir profité le requérant.

Le recours du contribuable rectifié sous-entendait que le seul fait que l'administration fiscale dispose de documents litigieux devait invalider les procédures engagées contre lui. Le requérant a soutenu devant le juge du fond que l'administration violait ainsi le principe de loyauté (4).

Le Conseil d'Etat a d'abord rappelé les règles nécessaires à la bonne administration de la preuve devant le juge administratif en pratiquant une substitution de motif (I). Cette décision permet également de rappeler toute la faible charge juridique du principe de loyauté utilisé en matière de procédures fiscales (II).

I - Les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci

Le requérant appuyait sa demande d'invalidation des procédures ayant conduit à le soumettre à des impositions et des pénalités supplémentaires sur le fait que son nom figurait sur un fichier volé à la Banque HSBC. Selon le requérant, ce fichier aurait été utilisé contre lui pour déclencher un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle.

Comme le rappelle le sénateur François Marc dans un avis de la Commission des finances du Sénat sur le projet de loi de 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale : "le juge administratif, en tant que juge de l'impôt, estime de manière constante que l'administration ne peut pas se fonder sur des preuves qu'elle a obtenues ou qu'elle détient de manière manifestement illicite' ; en d'autres termes, les éléments qui lui sont directement transmis par des tiers sont irrecevables, ce qui explique notamment l'impossibilité' pour la DGFIP de faire usage de la liste dite HSBC' pour engager des procédures de redressement" (5). Le législateur, poussé par l'administration fiscale, avait tenté dans ce projet de loi d'introduire un article L. 10-0 AA du LPF (N° Lexbase : L3694I39) lui permettant d'utiliser des documents, même s'ils ont été déclarés illicites par un juge.

Le juge constitutionnel a eu à se prononcer sur cette question dans une décision du 4 décembre 2013. Il a précisé que l'on ne pouvait permettre "aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge" (6). Le Conseil constitutionnel a, ainsi, validé l'article 37 de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013, relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance financière (N° Lexbase : L6136IYW), qui prévoit que dans le cadre des procédures fiscales, à l'exception de celles mentionnées aux articles L. 16 B (perquisitions fiscales) et L. 38 (N° Lexbase : L2642IX7) du LPF (perquisitions douanières), ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine les documents, pièces ou informations que l'administration utilise et qui sont régulièrement portés à sa connaissance, soit dans les conditions prévues au chapitre II du titre II ou aux articles L. 114 (N° Lexbase : L1757IZ4) et L. 114 A (N° Lexbase : L1756IZ3) du LPF, soit en application des droits de communication qui lui sont dévolus par d'autres textes, soit en application des dispositions relatives à l'assistance administrative par les autorités compétentes des Etats étrangers.

Dans l'affaire que le Conseil d'Etat a examiné, le requérant arguait du fait que son nom figurait sur la "liste HSBC" et que c'est pour cela qu'il avait été contrôlé et ensuite fait l'objet de rectification et de pénalités pour manquement délibérés.

La cour administrative d'appel de Paris a écarté l'argument tiré du fait que le nom du requérant figurait bien sur la liste au motif que ce dernier n'apportait aucune preuve de la véracité de cette "inscription" sur la liste HSBC. Or, le requérant ne disposait pas de cette liste et ne pouvait donc prouver d'aucune manière que son nom figurait bien sur la liste. Le Conseil d'Etat a donc invalidé ce motif de rejet de la requête en indiquant que la "cour avait méconnu les charges de dévolution de la preuve". En effet, la cour administrative demandait au requérant, en quelque sorte, d'apporter un élément de preuve qu'il ne pouvait détenir et que seule détenait l'administration fiscale.

Le Conseil d'Etat n'a pourtant pas accueilli le recours. En effet, le simple fait pour l'administration de disposer d'un fichier illicite où figure bien le nom du contribuable ne saurait invalider les procédures de contrôle, de rectification et de sanction.

On peut y voir, peut-être, une amodiation du revirement de jurisprudence contenu dans la décision du 15 avril 2015 (7). Le Conseil d'Etat avait ainsi affirmé qu'eu égard aux exigences découlant de l'article 16 de la DDHC de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D), les dispositions relatives au droit de communication mentionnées aux articles L. 81 (N° Lexbase : L4555I7T) et L. 82 C (N° Lexbase : L3963KWP) du LPF "ne permettent pas à l'administration de se prévaloir, pour établir l'imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge".

En réalité, il apparaît donc que l'administration fiscale puisse utiliser les documents illicites pour déclencher la procédure de contrôle mais elle ne peut plus s'en servir dès lors que les opérations de contrôle ont débuté. Par conséquent, la question de la loyauté des moyens de preuve utilisés par l'administration se pose.

II - Les faibles potentialités induites par le principe de loyauté

Le requérant avait invoqué devant les juges du fond la méconnaissance du principe de loyauté. Dans sa décision du 2 avril 2015, la cour administrative d'appel évoque clairement ce principe en expliquant que le contribuable n'apporte pas la preuve de ce "que l'administration aurait méconnu le principe de loyauté".

Partant, elle écarte l'invalidation de la procédure d'examen contradictoire de situation fiscale personnelle dont a été l'objet le requérant au motif que l'administration fiscale s'est fondée sur les seuls éléments de preuve fournis par le contribuable, à savoir les documents bancaires que ce dernier avait lui-même fourni mais aussi sur ses propres investigations. Le Conseil d'Etat considère que cette question relève de l'appréciation souveraine des faits appartenant aux juges du fond et ne la remet pas en cause.

Pourtant, il n'est pas interdit de se poser la question de l'utilisation de la "liste HSBC" où figurerait le nom du contribuable. Cette liste avait été volée par un salarié de cette banque. Elle présentait donc les caractères d'un document obtenu de manière frauduleuse. Il apparaît difficile au requérant, on l'a vu, de prouver que son nom soit sur la liste. Le deuxième point de l'arrêt démontre la difficulté pour ce requérant de démontrer que la liste a pu être utilisée contre lui. L'administration fiscale, en effet, devra utiliser des moyens d'investigations classiques, pour valider cette procédure. En prenant soin de ne jamais utiliser directement des documents illicites, elle ne court pas de risques de faire invalider les procédures de contrôle et de rectification. Le requérant pourra difficilement prouver que l'administration aura utilisé des documents de ce type.

Dès lors, on comprend pourquoi le Conseil d'Etat rejette le pourvoi en cassation sans pour autant citer moindrement et expressément le principe de loyauté évoqué par les juges du fond.

Certes, il fait allusion au "droit à ne pas procéder à sa propre incrimination" en rappelant d'ailleurs qu'il n'est pas d'ordre public. On peut rappeler ici que ce principe doit jouer notamment en matière pénale. Ainsi, la Cour de cassation, réunie en Assemblée plénière, a réaffirmé fortement ce principe dans un arrêt du 6 mars 2015 (8). Dans cette affaire, est sanctionné le défaut de loyauté dans le recueil des preuves d'une infraction pénale. Ce défaut viole le droit de ne pas s'auto-incriminer.

En matière fiscale, le principe de loyauté a des contours flous et variables. Ainsi, la Charte du contribuable de 2005 indique le fait que "Nous avons une obligation de loyauté. Nous appliquons les textes fiscaux avec discernement et apprécions les situations avec impartialité, réalisme et cohérence. Nous ne cherchons pas à vous prendre en faute" (9). On le voit, ce principe semble n'avoir qu'un contenu incertain, notamment en ce qui concerne les procédures fiscales et tout particulièrement la question de la preuve.

Le professeur Martin Collet, dans une étude récente (10), indique que : "Bien que l'expression soit rarement définie, son contenu fait peu controverse : il s'agirait pour l'essentiel de recouvrir plusieurs exigences : 'tenir parole, ne pas piéger, ne pas dissimuler ". Il s'agit donc de "respecter la parole donnée [...] refuser les trahisons, les coups bas'" (11). En l'espèce, il s'agissait de ne pas utiliser de moyens illégaux de preuves.

Dans ses conclusions sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 16 juillet 2014 (12), et dans une affaire non fiscale, le rapporteur public Vincent Daumas avait proposé d'affirmer "le principe de loyauté dans l'administration de la preuve" sans pour autant être suivi par la Haute juridiction administrative. On doit constater qu'en matière fiscale, la loyauté n'est pas encore tout à fait acquise.

Sans pour autant justifier des faits de dissimulation en matière fiscale, on peut se demander si, dans cette affaire, nous ne sommes pas face à une forme de déloyauté et surtout d'hypocrisie. En effet, il aurait fallu que le contribuable ne donne pas ses relevés bancaires dans la procédure de contrôle. Ces derniers sont, selon le juge, à l'origine de la rectification. En ce cas, l'administration n'aurait pas pu utiliser les documents obtenus de manière illicite pour fonder sa procédure de rectification.

Le Conseil d'Etat, par son revirement de jurisprudence évoqué ci-dessus (13), pouvait laisser à penser au contribuable que l'on n'utiliserait pas contre lui des documents illicites dans le cadre d'une éventuelle rectification de son imposition. Dès lors, il pensait pouvoir collaborer avec l'administration. En revanche, le déclenchement du contrôle semble bien pouvoir être fondé sur des documents illicites, même si la preuve ne peut en apparaître vraiment.

Dans l'affaire analysée, il apparaît donc que le Conseil d'Etat soit toujours réticent à mentionner la loyauté de la preuve pourtant soulevée par le requérant et évoquée par les juges du fond.

Cette décision montre, à nouveau, comme l'avait très bien souligné Martin Collet, que "les références explicites à la loyauté de la preuve qui émaillent la jurisprudence n'apportent rien, juridiquement, aux solutions qu'elles accompagnent" (14). Le Conseil d'Etat ne semble donc pas décidé à participer à la construction d'un véritable principe de loyauté en matière de preuve dans la procédure fiscale.


(1) TA Paris, 11 décembre 2013, n° 1301457.
(2) CAA Paris, 2 avril 2015, n° 14PA00337 (N° Lexbase : A7197NQM).
(3) Voir sur cette affaire, un article du "Monde" datant du 25 octobre 2016.
(4) Voir M. Collet, La loyauté : un principe qui nous manque ?, Droit fiscal, n° 42-43 20, octobre 2016, 554 ; P. Michaud, L'obligation de loyauté en droit fiscal.
(5) F. Marc, Avis présenté au nom de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, Sénat, 2013, p. 67.
(6) Cons. const., 4 décembre 2013, n° 2013-679 DC (N° Lexbase : A5483KQ7) ; voir M. Pelletier, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, Note sous 2013-679 DC, Revue française de droit constitutionnel, 2014, n° 98, p. 467-470 ; E. Bonis-Garçon, Critère de fixation du montant maximum de la peine encourue par une personne morale, Droit pénal, 2014, n° 2, p. 50-51 ; J.-H. Robert, Casuistique autour de la déloyauté des procédures fiscales, Droit pénal, 2014, n° 2, p. 38-40 ; C. de La Mardière, Loi sur la fraude fiscale : la France reste un Etat de droit, Constitutions, janvier-mars 2014, n° 2014-1, p. 76-79.
(7) CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2015, n° 373269, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A9521NGQ), concl. Aladjidi, note R. Torlet et A. Taillefer, Droit fiscal, n° 25, 18 juin 2015, comm. 419.
(8) Ass. plén., 6 mars 2015, n° 14-84.339, P+B+R+I (N° Lexbase : A7737NCK) ; voir, E. Bonis-Garçon, L'apport de l'Assemblée plénière à la définition de la notion de procédé déloyal de recherche des preuves, La Semaine Juridique Edition Générale, n° 19-20, 11 mai 2015, 558.
(9) Charte du contribuable, 2005, p. 18.
(10) M. Collet, La loyauté : un principe qui nous manque ?, Droit fiscal, n° 42-43 20, octobre 2016, 554, point 1.
(11) G. Noël, La loyauté dans le couple "administration fiscale-contribuable ", In Mélanges en l'honneur de M. Cozian, Litec, 2009, p. 81. Cité également dans l'étude précitée de M. Collet.
(12) CE Sect., 16 juillet 2014, n° 355201, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4410MUU) ; RFDA, 2014, p. 924 ; Dr. adm., 2014, comm. 73, note G. Eveillard ; JCP éd. A, 2014, act. 630, obs. L. Erstein ; AJDA, 2014, p. 701, chron. A. Bretonneau et J. Lessi.
(13) CE 9° et 10° s-s-r., 15 avril 2015, n° 373269, publié au recueil Lebon, concl. Aladjidi, note R. Torlet et A. Taillefer, Droit fiscal, n° 25, 18 juin 2015, comm. 419, préc..
(14) M. Collet, La loyauté : un principe qui nous manque ?, Droit fiscal, n° 42-43 20, octobre 2016, 554, point 10.

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