La lettre juridique n°668 du 15 septembre 2016 : Fiscalité immobilière

[Questions à...] L'avenir de la jurisprudence "Quéméner" - Questions à Maître Christine Daric, Avocat - Partner au sein du cabinet Fairway AARPI

Réf. : CE 3° et 8° ch.-r., 6 juillet 2016, n° 377904, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6113RWC)

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[Questions à...] L'avenir de la jurisprudence "Quéméner" - Questions à Maître Christine Daric, Avocat - Partner au sein du cabinet Fairway AARPI. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/34391129-questions-a-lavenir-de-la-jurisprudence-quemener-questions-a-maitre-christine-daric-avocat-partner-a
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par Jules Bellaiche, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

le 17 Septembre 2016

La jurisprudence "Quéméner" (CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2000, n° 133296, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0346AUD) a connu cet été un rebondissement. La règle dégagée par cette jurisprudence a pour objet d'assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale et trouve notamment à s'appliquer à la quote-part de bénéfices revenant à l'associé d'une société soumise à ce régime lorsque ces bénéfices résultent d'une réévaluation des actifs sociaux, qu'elle soit opérée par l'administration fiscale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle et ait pour effet d'accroître rétroactivement la base d'imposition de la société au titre de la période d'imposition close par la dissolution de la société et l'annulation consécutive des parts détenues par l'associé ou que cette réévaluation intervienne au moment de la dissolution de la société soumise au régime spécifique. Toutefois, le Conseil d'Etat a décidé, le 6 juillet 2016, que ce principe ne pouvait trouver à s'appliquer que pour éviter une double imposition d'une société qui réalise une opération de dissolution. Pour en savoir plus sur ce sujet, Lexbase Hebdo - édition fiscale a interrogé Maître Christine Daric, Avocat - Partner au sein du cabinet Fairway AARPI.

Lexbase : Pouvez-vous nous définir quel sont le principe et les conséquences pratiques de la jurisprudence "Quéméner" du 16 février 2000 ?

Christine Daric : Le Conseil d'Etat a fixé dans sa décision de principe "Quéméner" les règles de détermination des plus ou moins-values professionnelles réalisées en cas de cession des parts sociales de sociétés de personnes détenues par des entreprises. Ces plus ou moins-values professionnelles doivent être calculées en retenant comme prix de revient des parts, leur valeur d'acquisition :

- majorée (i) de la quote-part des bénéfices de la société de personnes dont les titres sont cédés revenant à l'associé qui a été ajoutée aux résultats imposés de celui-ci, antérieurement à la cession et pendant la période d'application du régime prévu aux articles 8 (N° Lexbase : L1176ITQ), 8 ter (N° Lexbase : L1039HL3), 239 quater B (N° Lexbase : L3225IQI) ou 239 quater C (N° Lexbase : L4974HLS) du CGI, et (ii) des pertes afférentes à des entreprises exploitées par la société en France et ayant donné lieu de la part de l'associé à un versement en vue de les combler, puis,

- minorée (i) des déficits que l'associé a déduits pendant cette même période, à l'exclusion de ceux qui trouvent leur origine dans une disposition par laquelle le législateur a entendu conférer aux contribuables un avantage fiscal définitif, et (ii) des bénéfices afférents à des entreprises exploitées en France par la société ayant donné lieu à répartition au profit de l'associé.

Pour juger ainsi, le Conseil d'Etat s'est appuyé non sur la loi mais sur une conception d'équité "pour assurer la neutralité de l'application de la loi fiscale compte tenu du régime spécifique des sociétés" de personnes, l'objectif recherché étant d'éviter une double déduction injustifiée ou une double-imposition pour les entreprises qui cèdent leurs parts de société de personnes.

Cet arrêt a trouvé de nombreuses applications pratiques et ces principes ont été étendus tant par la jurisprudence que par la doctrine de l'administration fiscale à d'autres situations que la simple vente de parts et notamment aux cas de détermination de la plus ou moins-value réalisée lors de l'annulation de parts sociales en cas de dissolution par confusion de patrimoine de la société de personnes. C'est ainsi que dans le secteur immobilier, depuis quelques années, un acquéreur de parts de SCI détenant un actif immobilier a la faculté dans la foulée de son acquisition de faire procéder par la SCI à une réévaluation libre de ses actifs suivie de la dissolution par confusion de patrimoine de ladite SCI. Cette opération de restructuration lui permet par la mécanique de correction "Quéméner" de porter la valeur des actifs immobiliers à leur valeur de transaction moyennant un coût se limitant à environ 1 % de la valeur de l'immeuble concerné (taxe de publicité foncière au taux de 0,715 % augmentée de la contribution de sécurité immobilière de 0,1 % et des honoraires de notaires).

L'administration fiscale a, depuis plusieurs années, confirmé de manière claire l'application des principes "Quéméner" à ce type d'opération de restructuration dans un rescrit (1) en précisant que "pour la détermination des plus ou moins-values d'annulation de parts de la SCI consécutive à la dissolution de ladite société, leur prix d'acquisition sera déterminé en tenant compte de l'ensemble des résultats fiscaux et des flux financiers (distributions de bénéfices et comblements de pertes) intervenus entre la date de leur acquisition et la date de leur annulation, y compris la plus-value constatée sur les biens immobiliers composant l'actif de cette société à l'occasion de la réévaluation de ce dernier".

Le Conseil d'Etat (2) a également récemment eu l'occasion de confirmer l'application de la jurisprudence "Quéméner" dans l'hypothèse de l'annulation des parts à la suite d'une dissolution de société ayant été précédée par une réévaluation des actifs sociaux opérée par l'administration fiscale dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, qui a eu pour effet d'accroître rétroactivement la base d'imposition de la société associée au titre de la période d'imposition close par la dissolution de la société. Le prix de revient des parts pour déterminer la plus ou moins-value d'annulation devait ainsi être majoré du montant de la réévaluation imposable.

La question que tout le monde se pose aujourd'hui est de savoir si la récente décision du Conseil d'Etat du 6 juillet 2016 remet en cause ces principes et ces pratiques.

Lexbase : Comment la solution rendue le 6 juillet 2016 se justifie-t-elle ?

Christine Daric : Les faits précisément méritent d'être rappelés.

La structure de détention avant les opérations de restructuration peut être résumée ainsi : une société luxembourgeoise (Hold Co Lux) détenait d'une part 100 % des titres d'une société française (Hold Co France) et d'autre part 100 % des titres d'une autre société luxembourgeoise (Prop Co Lux) qui détenait elle-même 100 % des titres d'une SCI française propriétaire d'un immeuble.

Etape 1 : le 28 mars 2006, Hold Co France acquiert les actions de Prop Co Lux.

Etape 2 : le 29 mars 2006, Prop Co Lux procède à une réévaluation des parts de SCI à l'actif de son bilan. Le même jour, Hold Co France décide la dissolution sans liquidation de Prop Co Lux et reçoit les titres de SCI à leur valeur réévaluée. Le profit résultant de la réévaluation des parts de SCI n'a pas été imposé en France du fait des dispositions applicables à l'époque de la Convention fiscale entre la France et le Luxembourg (N° Lexbase : L6716BH9). A l'issue de cette opération, Hold Co Lux détient 100 % des parts de Hold Co France qui détient les parts de la SCI propriétaire de l'immeuble situé en France.

Etape 3 : le 30 mars 2006, la SCI a réévalué les immeubles à l'actif de son bilan. Le profit résultant de cette réévaluation a été compris dans le résultat imposable de Hold Co France du fait du régime de transparence fiscale de la SCI.

Etape 4 : le 31 mars 2006, Hold Co France a décidé la dissolution sans liquidation de la SCI Hold Co France, a déterminé le résultat fiscal de l'annulation des parts de SCI en calculant leur valeur fiscale d'après leur valeur comptable à l'actif de son bilan augmentée du profit de réévaluation (étape 3), et dégagea ainsi une perte fiscale égale à la différence entre l'actif net reçu de la SCI dissoute et la valeur fiscale des titres de cette SCI (mécanisme "Quéméner"). Dès lors que la valeur comptable des titres de SCI était une valeur réévaluée, la perte fiscale était égale au profit de réévaluation des actifs de la SCI de sorte que le résultat fiscal cumulé des étapes 2 et 3 était nul.

A l'issue de ces opérations, Hold Co Lux détient 100 % des parts de Hold Co France qui détient directement l'immeuble situé en France pour une valeur réévaluée.

Tant le tribunal administratif de Paris (3) que la cour administrative d'appel de Paris (4), avaient considéré que le fait que la plus-value de réévaluation des parts de SCI n'avait pas été imposée ne faisait pas obstacle à l'application du mécanisme "Quéméner". Ainsi, en première instance et en appel, il a été confirmé que le résultat fiscal de l'annulation des titres de la SCI devait bien être calculé en retenant une valeur fiscale des parts de la SCI tenant compte du résultat de réévaluation transféré à Hold Co France lors de la réévaluation de ses actifs par la SCI.

Le Conseil d'Etat, infirmant la position prise par la cour administrative d'appel de Paris, a jugé, dans sa décision du 6 juillet 2016, que le mécanisme "Quéméner" ne pouvait être appliqué au cas d'espèce dans la mesure où Hold Co France n'avait pas subi une double imposition de la même plus-value, à savoir la plus-value sur les parts de SCI, et celle sur les immeubles détenus par la SCI.

Cette décision est motivée par l'absence d'imposition du profit de réévaluation des parts de SCI (étape 2). Une autre raison non exprimée dans les considérants peut être que la restructuration en question avait été entreprise peu de temps avant la signature de l'avenant du 24 novembre 2006 à la Convention fiscale franco-luxembourgeoise, entré en application à compter du 1er janvier 2008.

Lexbase : Quelles suites peut-on donner à cette décision ?

Christine Daric : Cette décision crée une certaine confusion dans la mesure où l'on ne voit pas très bien quelle différence il y a pour l'application du mécanisme "Quéméner" entre une société qui a acquis les titres d'une SCI auprès d'un tiers et celle qui les a reçus dans le cadre d'une fusion ou opération assimilée, quand bien même les titres reçus l'auraient été à leur valeur vénale. Au surplus, au cas particulier, tout laisse penser que les actions de Prop Co Lux avaient été acquises à un prix de marché.

Compte tenu de l'existence du rescrit postérieur aux faits de l'arrêt du 6 juillet 2016 qui est à ce jour maintenu dans la doctrine opposable de l'administration, de l'arrêt de 2015 ci-dessus précité et des circonstances particulières de l'espèce, nous ne pensons pas que cette décision, à elle-seule, remette en cause l'application du mécanisme "Quéméner" en cas d'acquisition des titres d'une société fiscalement transparente. En revanche, le mécanisme "Quéméner" ne trouve plus à s'appliquer sur la base de cette jurisprudence dans la situation où les titres de la société transparente ont été reçus dans le cadre d'une opération de fusion ou assimilée à une valeur réévaluée et où la réévaluation de ces titres s'est faite en franchise d'impôt. Si cela devait être confirmé, il s'agirait d'un regrettable pas en arrière dans la construction jurisprudentielle du mécanisme "Quéméner".

En conclusion, même si des solutions alternatives se dessinent pour sécuriser l'absence de décote pour fiscalité latente en cas de cession portant sur des parts de société de personnes détenant un actif immobilier, il serait souhaitable que l'administration fiscale maintienne son rescrit dans sa doctrine opposable et que la cour administrative d'appel qui doit se prononcer au fond sur renvoi du Conseil d'Etat reconnaisse que la double imposition est caractérisée dans les circonstances de l'arrêt du 6 juillet 2016.

Lexbase : Selon vous, fallait-il légiférer cette création prétorienne ? Quelles seraient les améliorations à apporter à ce mécanisme ?

Christine Daric : Une tentative avortée de légalisation de la jurisprudence "Quéméner" a déjà eu lieu dans le cadre de l'article 12 du projet de loi de finances rectificative pour 2010, qui avait vocation à réformer de manière profonde le régime fiscal des sociétés de personnes (SCI/SNC/GIE...). Une telle légalisation aurait probablement permis d'éviter que la jurisprudence fluctue au gré des circonstances de l'espèce au détriment de la sécurité juridique mais si elle intervenait, elle devrait, selon nous, nécessairement s'inscrire comme il était prévu en 2010 dans le cadre d'une refonte du régime des sociétés de personnes.


(1) Rescrit du 11 décembre 2007, n° 2007/54 (N° Lexbase : L0843IRN) ; BOI-BIC-PVMV-4030-20, n° 90 (N° Lexbase : X5707ALX).
(2) CE 9° et 10° s-s-r., 27 juillet 2015, n° 362025, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0733NNH).
(3) TA Paris, 18 juillet 2012, n° 1105856 et n° 1105857.
(4) CAA Paris, 18 février 2014, n° 12PA03961 (N° Lexbase : A0173MP4) et n° 12PA03962 (N° Lexbase : A1814MGB).

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