La lettre juridique n°668 du 15 septembre 2016 : Avocats/Statut social et fiscal

[Jurisprudence] Assujettissement à la TVA des prestations de services rendues par des avocats : absence de violation du droit à un recours effectif et de l'égalité des armes

Réf. : CJUE, 28 juillet 2016, aff. C-543/14 (N° Lexbase : A0129RYG)

Lecture: 6 min

N4321BWX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Assujettissement à la TVA des prestations de services rendues par des avocats : absence de violation du droit à un recours effectif et de l'égalité des armes. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/34391127-jurisprudence-assujettissement-a-la-tva-des-prestations-de-services-rendues-par-des-avocats-absence-
Copier

par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université Royale de Phnom Penh (URDSE) et à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

le 15 Septembre 2016

Invention française (1) exportée avec succès (2) et harmonisée par le droit de l'Union européenne, la TVA est, dans les faits, économiquement supportée par les non assujettis non redevables que sont principalement les consommateurs. En effet, les entreprises ayant les qualités d'assujettis et de redevables peuvent imputer la taxe facturée par leurs prestataires de services sur la TVA collectée auprès de leurs clients. Cette différence de traitement a entraîné une distorsion économique entre les entreprises qui peuvent déduire la TVA d'amont et les particuliers qui ont tenté en France, sans succès, d'en contester la légalité au moyen de la question prioritaire de constitutionnalité (3). L'arrêt du 28 juillet 2016 s'inscrit dans une procédure à l'initiative de l'Ordre des barreaux francophones et germanophones réclamant l'annulation de l'article 60 de la loi du 30 juillet 2013 qui a mis un terme à l'exonération de la taxe sur la valeur ajoutée pour les prestations servies par les avocats belges. La Cour de justice de l'Union européenne a ainsi été saisie par voie préjudicielle par la Cour constitutionnelle de Belgique afin d'interpréter la Directive 2006/112 (Directive (CE) 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée N° Lexbase : L7664HTZ) et de statuer sur la violation du droit à un recours effectif (I) et sur le principe de l'égalité des armes entre les justiciables (II) à la suite de l'assujettissement à la TVA depuis le 1er janvier 2014 des prestations servies par les avocats exerçant en Belgique. I - Absence de violation du droit à un recours effectif

La décision rendue le 28 juillet 2016 par la Cour de justice de l'Union européenne intéresse également les avocats français qui, par la voix du barreau de Paris, ont saisi le Conseil d'Etat (CE 8 s-s., 9 décembre 2015, n° 386143 N° Lexbase : A9028NYZ) tendant à l'abrogation des articles du Code général des impôts (CGI, ann. II, art. 205 N° Lexbase : L3739HZI et 206 N° Lexbase : L6611K8D) qui n'ont pas prévu la possibilité pour une personne non assujettie à la TVA de pouvoir la déduire dans le cadre d'une action en justice. La question mériterait également de se poser en matière de conseil juridique et fiscal si l'on veut bien considérer toute l'importance que revêt la prévention en droit. Ordonnant le sursis à statuer jusqu'à l'arrêt "Ordre des barreaux francophones et germanophone" rendu le 28 juillet 2016 par la CJUE, l'assujettissement à la TVA des prestations des avocats est un feuilleton à épisodes qui doit être rappelé au moins pour la France : après avoir soumis leurs prestations à la TVA en 1992 (loi n° 92-677 du 17 juillet 1992 N° Lexbase : L6960IBE ; décret n° 92-1244 du 27 novembre 1992, N° Lexbase : L0576LAL ; loi n° 92-1442 du 31 décembre 1992 N° Lexbase : L0528IDW), les autorités publiques avaient autorisé l'application du taux réduit de 5,5 % pour les rémunérations des avocats et des avoués perçues dans le cadre de l'aide juridictionnelle tenant compte de leur caractère social (4), bien que les prestations des avocats ne figuraient pas explicitement sur la liste annexée à la Directive 92/77, portant sur certaines opérations économiques pouvant supporter un taux réduit de TVA ([LXB=L7511AUQ)]). Ce point de vue ne fut pas partagé par la CJUE (CJUE, 17 juin 2010, aff. C-492/08 N° Lexbase : A1922E3L) et le législateur français supprima l'application du taux réduit de TVA pour les prestations des avocats intervenant au titre de l'aide juridictionnelle (loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 N° Lexbase : L9902IN3). En effet, la profession ne pouvait pas être qualifiée "d'organismes ayant un caractère social et engagée dans des oeuvres d'aide et de sécurité sociales" (5) et ce motif sera repris par la CJUE dans son arrêt "Ordre des barreaux francophones et germanophone" du 28 juillet 2016 ajoutant que l'aide juridictionnelle n'est assurée que par des volontaires inscrits sur une liste spéciale et non par l'ensemble de la profession. Si le différentiel de TVA supporté par les plaideurs est un frein incontestable à la saisine du juge, il ne constitue pas une violation du droit à un recours effectif (6) sauf s'il présente à lui-seul un caractère insurmontable rendant l'exercice des droits pratiquement impossible ou excessivement difficile selon la CJUE : le cas paraîtrait d'école... Pour autant, l'augmentation du taux de TVA implique-t-elle un renchérissement mécanique du coût des prestations des avocats ? La relation de cause à effet n'est pas certaine : la concurrence entre les auxiliaires de justice que sont les avocats -sans compter les consultants et autres braconniers du droit- invite les avocats à ne pas répercuter l'augmentation du taux de TVA sur leurs factures. Pour la CJUE, le droit à un recours effectif n'est en définitive pas violé dès lors que la TVA ne représente qu'une fraction d'un coût global d'accès au juge qui ne semble pas être déterminante quant à la décision du justiciable de faire valoir ses droits en justice.

II - Absence de violation du principe d'égalité des armes

Le principe d'égalité des armes, qui ne se conçoit pas sans un procès équitable, assure un équilibre procédural entre les parties. Il porte, en outre, sur l'administration de leurs preuves devant une juridiction (CJUE, 6 novembre 2012, aff. C-199/11 N° Lexbase : A3764IWC). Mais ce principe d'égalité des armes ne s'étend pas aux coûts financiers devant être supportés par les justiciables selon la CJUE. On peut le regretter quand certaines activités économiques profitent d'une exonération de TVA ou d'un régime de faveur dérogatoire au droit commun (7) pour en faciliter l'accès au plus grand nombre : les prestations servies par les avocats auraient pu également en bénéficier si l'on veut bien prendre en considération le rôle de ces auxiliaires de justice dans la défense des intérêts des justiciables. Selon la Cour, l'avantage pécuniaire issu de la possibilité pour un assujetti redevable d'exercer un droit à déduction de la TVA facturée par un auxiliaire de justice n'"affecte pas l'équilibre procédural des parties" alors que le mécanisme juridique de la TVA, neutre pour un assujetti redevable, se heurte à une logique économique implacable : le consommateur supporte le poids économique de cette imposition alors que, sur le plan juridique, il n'est ni un assujetti, ni un redevable (8). Pour la Cour de justice de l'Union européenne, un plaideur n'ayant pas accès à l'aide juridictionnelle dispose nécessairement des ressources financières lui permettant d'être assister et représenter en justice par un avocat. Cette motivation n'emporte pas l'adhésion : que ce soit en France ou en Belgique, l'aide juridictionnelle est loin de profiter à l'ensemble des justiciables car seuls les plus démunis ont droit à une aide totale de l'Etat. L'exclusion d'un régime d'aide juridictionnelle ne permet pas de considérer qu'un justiciable pourrait faire face aux honoraires de son avocat tant les plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle totale ou partielle sont faibles. A nouveau, il est suggéré aux avocats de modérer leurs honoraires en fonction de la qualité d'assujettis ou non à la TVA de leurs mandants dans un régime de tarification libre de leurs honoraires ; ce qui revient à leur faire supporter les conséquences de la politique fiscale d'accès à la justice. La CJUE ajoute que seules les prestations des avocats sont soumises à la TVA au taux de droit commun et non l'ensemble des coûts de procédure alors que la prestation de l'avocat constituera l'essentiel du coût de la procédure supportée directement par le justiciable dans un grand nombre de litiges. L'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne, qui ne convainc guère quant à la motivation retenue, permettra peut-être de relancer le débat quant à un meilleur accès concret au droit comprenant la représentation en justice et l'activité de conseil juridique et fiscal qui devraient profiter au plus grand nombre. Ce débat permettrait de freiner la politique suivie avec constance par les autorités publiques depuis de nombreuses années : tarir l'offre pour limiter la demande.


(1) Lorsque Maurice Lauré a proposé aux autorités publiques la taxe sur la valeur ajoutée, il s'agissait d'assurer le primat de l'économie sur le droit. Mais quelques années après son introduction dans l'ordonnancement juridique en 1954, il soulignera le mal sournois dont la TVA était alors rongée : "la complexité" (M. Lauré, Au secours de la TVA, PUF, 1957, introduction) qu'il faut comprendre comme résultant des lois et de la réglementation qui ont accompagné son adoption. L'auteur déplorait la lecture juridique de l'impôt, le "juridisme" : "le législateur et l'Administration ont tendance à bâtir l'impôt d'après les classifications juridiques beaucoup plus que d'après la réalité économique". (M. Lauré, Traité de politique fiscale, PUF, 1956, p. 331 cité par C. Heckly, Rationalité économique et décisions fiscales, LGDJ, coll. : Bibliothèque de science financière, 1987, p. 178). A la lecture des arrêts de la CJUE, le droit de l'Union européenne contribuerait-il à cette "complexité" ?
(2) L'un des derniers Etats à avoir étendu la TVA à l'ensemble de son territoire est la Chine en 2013 après une période de test notamment à Shanghai.
(3) CE 3° et 8° s-s-r, 9 juillet 2010, n° 339398 (N° Lexbase : A1409E4X), concl. L. Olléon, Dr. fisc. 2010, comm. 536.
(4) JO Sénat, 23 septembre 1999, n° 18495, p. 3160.
(5) CJUE, 17 juin 2010, aff. C-492/08, § 47 (N° Lexbase : A1922E3L). V. Annexe III de la Directive 2006/112/UE, § 15.
(6) Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, art. 47 (N° Lexbase : L8117ANX).
(7) Il en est ainsi dans le secteur médical ou dans l'enseignement par exemple.
(8) Pour une démonstration : "si un procès oppose un particulier à une entreprise à l'occasion duquel chacun se voit facturer 100 euros de frais d'avocat, d'huissier, d'expert ou autres auxiliaires, l'entreprise récupérera les 19,6 euros de TVA, tandis qu'elle déduira les frais de ses résultats imposables à l'impôt sur les sociétés et de la valeur ajoutée imposable à la contribution économique territoriale, ce qui représentera en outre une économie fiscale de 35,4 %. Au total, les 119,6 euros de frais TTC ne lui auront coûté que 64,6 euros. En revanche, le particulier, qui n'a ni la possibilité de déduire la TVA grevant les frais, ni celle de déduire les frais eux-mêmes de ses revenus imposables, devra supporter l'intégralité du coût, soit 119,6 euros. Mme M. en déduit que le coût des frais d'auxiliaires de justice pour un particulier est de 85 % supérieur à celui d'une entreprise, ce qui est rigoureusement exact" (concl. L. Olléon sous CE 3° et 8° s-s-r, 9 juillet 2010, n° 339398 N° Lexbase : A1409E4X, Dr. fisc., 2010, comm. 536).

newsid:454321

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.