A commis une faute inexcusable l'employeur qui aurait dû avoir conscience du caractère cancérigène de l'exposition du salarié aux projections et aux fumées de bitumes, associées au surplus au rayonnement des ultraviolets, et qui n'a pas pris les mesures protectrices nécessaires, telles qu'une large protection cutanée du visage ou le décalage des heures de travail des heures de fort ensoleillement. Tel est le sens d'un jugement rendu par le tribunal des affaires de Sécurité sociale de Bourg-en-Bresse le 10 mai 2010 (TASS Bourg-en-Bresse n° 288.09 du 10 mai 2010, Consorts Andrade c/ SAS Eurovia
N° Lexbase : A1082E79).
Dans cette affaire, M. X, salarié de la SAS Y, avait travaillé de nombreuses années dans des conditions d'exposition aux vapeurs et projections de bitumes, exerçant une partie importante de son activité en plein air, donc fréquemment au soleil. Victime d'un épithélioma spino-cellulaire de la narine gauche opéré en 2006, la CPAM avait reconnu le caractère professionnel de sa maladie. Décédé le 3 juillet 2008 des suites de l'évolution d'un carcinome épidermoïde cutané, sa veuve et ses enfants avaient saisi le tribunal des affaires de Sécurité sociale d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. Le juge relève que les bitumes, lorsqu'ils sont utilisés pour des travaux routiers, dégagent des fumées, ou hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), qui, pour certaines, sont cancérigènes, que le co-exposition à ces fumées et aux ultraviolets, ou la projection sur les parties découvertes de la peau de certains bitumes chauds ou froids, riches en HAP, peuvent être à l'origine de brûlures phototoxiques, les zones brûlées pouvant faire l'objet d'une cancérisation secondaire au contact des HAP. Le juge considère, ensuite, que la SAS, qui n'avait pas conscience du danger, aurait cependant dû en avoir conscience dès lors que les plus anciennes publications relatives aux risques de cancers dus aux bitumes et à leurs fumées datent de 1965 et qu'une étude de 1992, diffusée à l'occasion d'un congrès à Bruxelles, établit le caractère cancérigène des bitumes, soit par inhalation des fumées, soit par contact avec la peau. Or, le juge constate que la SAS n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver le salarié du danger auquel il était exposé, une simple casquette ne suffisant pas à protéger le nez de la victime de l'inhalation des fumées, des projections même infimes de bitumes, et des rayonnements des ultraviolets. Ainsi, des mesures protectrices, forcément connues de la SAS, consistant à imposer une large protection cutanée du visage ou à décaler les heures de travail des heures de fort ensoleillement n'ont pas été prises. Le juge conclut alors que la faute commise par la SAS a le caractère d'une faute inexcusable (sur la faute inexcusable lorsque l'employeur aurait dû avoir conscience du danger, cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E3147ETQ).
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