La lettre juridique n°336 du 5 février 2009 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - février 2009

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N4840BI4

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - février 2009. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211460-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-b-professeur-avec-b-seba
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Seront traités ce mois-ci, d'abord, un arrêt du 22 janvier dernier renforçant la protection en matière d'information de l'adhérent d'une assurance de groupe, ensuite, une décision du 4 décembre 2008 modifiant considérablement le régime de l'exception de nullité du contrat d'assurance, et, enfin, un arrêt du 22 janvier rappelant le bon usage de la règle de réduction proportionnelle de l'article L. 113-9 du Code des assurances.
  • Protection accrue en matière d'information de l'adhérent d'une assurance de groupe ? (Cass. civ. 1, 22 janvier 2009, n° 07-19.867, F-P+B N° Lexbase : A6393ECR)

Ce n'est plus une surprise pour qui observe, même de loin, la jurisprudence relative à l'obligation d'information en matière d'assurance vie : la Cour de cassation fait preuve d'une constance indubitable. Le point paroxystique fut l'arrêt d'Assemblée plénière du 2 mars 2007 (1). Chacun se souvient que ce dernier a décidé que le souscripteur d'un contrat d'assurance de groupe, fut-il banquier et prêteur de deniers, est tenu d'alerter l'attention du futur adhérent au contrat sur l'intérêt de souscrire une assurance complémentaire lorsque seuls certains risques sont assurés. Plus exactement, il doit le mettre en garde contre les insuffisances du contrat, notamment en ce qui concerne l'absence de prise en charge de tous les risques susceptibles d'entraîner une cessation d'une activité professionnelle ou une entrave dans l'exercice à temps complet de l'une d'elle.

Cette jurisprudence a été consacrée par des arrêts ultérieurs (2). Bien que leur nombre ne soit pas colossal, le fait qu'ils existent semble laisser entendre que certaines cours d'appel marqueraient quelques réticences à respecter cette règle. Est-ce pour cette raison que la Cour de cassation ne désarme pas ? La première chambre civile serait-elle plus stricte que la deuxième chargée de ce contentieux à titre principal? Rien ne permet de le penser. Ce dernier arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 22 janvier 2009, s'inscrit dans la même lignée et même dépasse, à certains égards, celle-ci en raison du particularisme des faits de l'espèce.

En effet, une VRP avait contracté deux prêts auprès, d'une part, de la Caisse d'épargne et, d'autre part, du Crédit agricole. Cette salariée avait accepté d'adhérer au contrat d'assurance de groupe souscrit par chacune de ces deux banques auprès de la Caisse nationale de prévoyance. Le contrat d'assurance couvrait le risque d'incapacité de travail. Or, quelques temps plus tard, cette femme souffre d'une maladie ayant pour conséquence d'interrompre l'exercice de son activité professionnelle. Elle sollicite alors la garantie de l'assureur qui refuse. L'argument invoqué par ce dernier consiste à faire observer que si la maladie de l'assurée interdisait la poursuite de son activité professionnelle, elle n'empêchait pas la salariée de conserver un emploi strictement sédentaire, au moins à mi-temps thérapeutique. L'adhérente reproche alors à la Caisse d'épargne et au Crédit agricole d'avoir manqué à l'obligation d'information et de conseil à laquelle chacun d'eux est tenu à son égard ; elle les assigne en paiement, à titre de dommages-intérêts, du solde de chacun de ces prêts.

La cour d'appel refuse de faire droit aux prétentions de la salariée car il était indiqué dans l'acte notarié constatant le prêt qu'elle était parfaitement informée des stipulations de l'assurance à laquelle elle avait adhéré. De plus, elle détenait bien un exemplaire des clauses générales de la convention d'assurance qui étaient tout à fait claires. Mais la Cour de cassation considère que "la connaissance par Mme A. des stipulations du contrat d'assurance de groupe auquel elle avait adhéré ne pouvait dispenser chacun des banquiers de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts par ces stipulations, fussent-elles claires et précises, à sa situation personnelle d'emprunteur". Le message est net et précis : une information individualisée et personnelle doit être effectuée. La première chambre de la Cour de cassation tient à rappeler la règle destinée à protéger les adhérents, peut-être parce que deux organismes financiers étaient concernés (I). En revanche, elle ne dit rien du mode de calcul de l'indemnisation (II).

I - Confirmation de la protection de l'adhérent

Cet arrêt de la première chambre civile pourrait n'être qu'un rappel à l'ordre de la règle énoncée le 2 mars 2007 par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, destinée à contraindre les souscripteurs, organismes financiers à mettre en garde les adhérents au contrat de groupe contre les manques ou insuffisances de prise en charge des risques par celui-ci (A). Toutefois, la décision comporte un aspect supplémentaire qu'il convient de noter : la présence de deux souscripteurs concernés (B).

A - Rappel à l'ordre effectué aux cours d'appel ?

Si la Cour de cassation, que ce soit la première chambre ou la deuxième, a eu l'occasion de rappeler, ces deux dernières années, la jurisprudence issue de l'arrêt rendu en Assemblée plénière le 2 mars 2007 n'est-ce pas en raison d'une certaine hésitation de quelques cours d'appel à l'appliquer ? Le penser n'apparaît pas le fruit d'une imagination fertile. En effet, il peut se produire que, quelques semaines ou mois suivant un arrêt classique de la Cour de cassation, de rares cours d'appel ne remarquent pas le changement ou l'évolution réalisée. Loin de critiquer le remarquable travail réalisé par nos magistrats du fond, un oubli ne peut jamais être tout à fait exclu surtout à l'égard d'un arrêt dont la publicité est restée ordinaire.

En revanche, croire à un manquement des juges du fond serait leur faire injure. Un arrêt d'Assemblée plénière retient toujours l'attention qu'il mérite et la mise en oeuvre de la solution qu'il a adoptée. Or, depuis l'arrêt d'Assemblée plénière du 2 mars 2007, qui nous intéresse dans le cas présent, la Cour de cassation a eu à connaître d'affaires proches, pour ne pas dire similaires, dans lesquelles les cours d'appel avaient sans doute considéré que toutes les conditions de fait n'étaient pas réunies pour que s'applique la nouvelle jurisprudence. La Cour de cassation s'est-elle sentie contrainte de rappeler la règle ou bien a-t-elle voulu insister sur cette espèce puisque deux souscripteurs étaient concernés ? En tous les cas, dans la présente espèce, la Cour de cassation reprend, scrupuleusement, point par point, la jurisprudence de l'Assemblée plénière ayant pris le soin d'indiquer que la simple remise des documents contractuels ne suffisait pas à satisfaire l'obligation précise d'information à la charge du souscripteur, indiquant que cette dernière ne saurait être interprétée par les juges du fond, selon les circonstances de fait.

Déjà, dans cette ligne, on se souvient de l'arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 octobre 2008 (3), de l'arrêt de la première chambre civile en date du 22 mai 2007 (4), ou d'autres encore non publiés (5). Il sera fait observer qu'il s'agit davantage de décisions de la première chambre civile de la Cour de cassation. Il demeure que cet arrêt du 22 janvier 2009 ne dément pas la jurisprudence dégagée, bien au contraire. Qui pourrait s'en étonner ? En effet, même avant l'arrêt d'Assemblée plénière du 2 mars 2007, la Cour de cassation avaient déjà tranché dans le même sens (6), même si des hésitations se rencontraient aussi. Cette dernière avait donc eu pour rôle d'unifier et amplifier la règle et de lui donner la force souhaitée ; mais elle n'avait donc pas consacré une disposition tout à fait inconnue et surprenante.

Par conséquent, les diverses cours d'appel françaises ont eu le temps de s'habituer à cette évolution jurisprudentielle et de l'intégrer. Le constat qu'elles ne l'ont pas toujours effectué tend à laisser croire qu'elles seraient peut-être enclines à en restreindre le champ d'application. La Cour de cassation, sans surprise donc de ce point de vue, rectifie comme il se doit. Cela étant, là ne se situe pas le seul aspect à noter dans cet arrêt. A notre connaissance, c'est la première fois que la Cour de cassation sanctionne non pas un mais deux souscripteurs.

B - Sanction des deux souscripteurs, prêteurs de deniers

Dans cet arrêt du 22 janvier 2009, se trouvent être concernés non pas un seul souscripteur mais deux puisque l'emprunteur avait sollicité deux organismes financiers. Deux banques distinctes avaient l'une et l'autre prêté des sommes d'argent à l'adhérente à l'assurance de groupe. Et c'est sans doute aussi pour cette raison que la Cour de cassation a jugé bon de publier cet arrêt et de prévoir un visa dont la fermeté dans le ton n'aura échappé à personne : "Attendu que le banquier, qui propose à son client auquel il consent un prêt, d'adhérer au contrat d'assurance de groupe qu'il a souscrit à l'effet de garantir, en cas de survenance de divers risques, l'exécution de tout ou partie de ses engagements, est tenu de l'éclairer sur l'adéquation des risques couverts à sa situation personnelle d'emprunteur, la remise de la notice ne suffisant pas à satisfaire à cette obligation".

En revanche, la Cour de cassation ne s'exprime pas sur la demande de l'adhérente de dommages-intérêts correspondant au solde de chacun des prêts.

II - Le montant des dommages-intérêt en jeu

A la lecture de l'arrêt, il est difficile de savoir si la Cour de cassation se contente de laisser aux juges de renvoi le soin de déterminer le montant de la perte de chance éprouvée ou si elle fait droit à la demande de l'adhérent, d'obtenir une indemnisation égale à la totalité des sommes empruntées restant dues (A). Une telle décision serait excessive (B).

A - Perte de chance ou non ?

Comme dans l'arrêt du 2 mars 2007, le visa du présent arrêt n'est pas l'article L. 141-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2643HWS) mais l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT). D'aucuns y voient l'impossibilité de restreindre la portée de ce type de décision. Dans tous les cas, ce visa ne constitue pas un obstacle à l'application de la notion de perte de chance. L'absence d'allusion à un quelconque refus, de la part de la Cour de cassation, de limiter le montant des dommages-intérêts à un pourcentage supportable ne semble pas devoir être interprété au-delà de ce que ce silence est. En effet, la Cour de cassation a, au cours de ces derniers mois, considéré que l'indemnisation des adhérents, ne devait pas être égale au solde des sommes dues, au titre des prêts (7). C'est même cette première chambre civile de la Cour de cassation qui en a fait application de manière claire, nette et sans ambiguïté.

Si une évolution devait se produire sur ce point, elle susciterait les plus vives critiques.

B - Critique prospective

Nous avons déjà eu l'occasion de fustiger cet excès de demande de dommages-intérêts. Outre que l'admettre aurait pour effet de bafouer les règles classiques et -somme toute plutôt équitables- mises en oeuvre, en droit commun, dans de telles hypothèses, une évolution dans ce domaine serait particulièrement malvenue. En effet, admettre une indemnisation totale aurait des conséquences graves indépendamment de la violation juridique qu'elle constituerait. D'une part, elle engendrerait une augmentation non négligeable des primes d'assurance. Or, chacun sait que les prêteurs de deniers en font, désormais, une condition absolue d'obtention d'un prêt alors que les particuliers, notamment, n'ont pas les moyens de payer des assurances plus onéreuses encore. A l'heure où il est déjà difficile d'obtenir du crédit, où celui-ci va devenir de plus en plus cher, il faut méditer ce danger indubitable. D'autre part, la rigueur formelle de ce type de jurisprudence -si elle peut se comprendre- ne peut être davantage amplifiée. Enfin, encourager l'absence d'attention de la part des adhérents n'est pas non plus souhaitable. Il serait aisé à des adhérents peu scrupuleux de prétendre, de manière systématique, qu'ils auraient contracté une assurance complémentaire à celle demandée par l'assureur. Une telle intention ne pouvant se vérifier, les magistrats seraient, en outre, bien embarrassés. Un juste milieu doit s'imposer ; il convient de le respecter.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)

  • Quand la deuxième chambre civile bouleverse le régime de l'exception de nullité (du contrat d'assurance) (Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-20.717, F-P+B N° Lexbase : A5243EBS)

Cette importante décision de la deuxième chambre civile du 4 décembre 2008, destinée au Bulletin, modifie une jurisprudence pourtant bien établie quant à l'application, au droit des assurances, des effets du célèbre adage "quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum" (l'action est temporaire mais l'exception est perpétuelle et survit à l'extinction de l'action par la prescription).

A raison, la doctrine souligne qu'en ce domaine, si "les solutions paraissent simples : elles ont pourtant donné lieu à des litiges fort complexes et à des solutions subtiles" (8). Des études importantes lui ont été consacrées (9).

La doctrine souligne que "la prescription de l'action en nullité a pour objectif de ne pas remettre en cause les situations dans lesquelles le contrat a été exécuté pendant ce délai, tandis que l'imprescriptibilité de l'exception de nullité poursuit le même objectif de laisser les choses en l'état quand le contrat n'a pas été exécuté" (10).

La maxime quae temporalia a pour objet premier de mettre le débiteur à l'abri du risque d'une action en exécution de son créancier qui attendrait l'expiration du délai pour agir en nullité et mettrait ainsi la victime d'une irrégularité dans la formation du contrat dans l'impossibilité d'en soulever la nullité.

Cette explication convenait parfaitement pour un contrat dont l'exécution forcée pouvait être demandée pendant 30 ans, tandis que la prescription quinquennale de l'action en nullité relative serait acquise. Une fois acquise la prescription de l'action, demeurait la possibilité, imprescriptible, de soulever cette nullité par voie d'exception, afin de résister à une action en exécution.

Mais, il nous semble que la réforme de la prescription, essentiellement en réduisant la prescription de droit commun de 30 à 5 ans (cf. C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile N° Lexbase : L9102H3I), vient singulièrement bouleverser l'analyse. Dès lors que le délai pour agir en exécution forcée et celui pour agir en nullité sont tous deux alignés, le risque d'action en exécution sans que le défendeur n'ait pu lui-même agir en nullité s'amenuise !

Cette remarque vaut pour les rapports entre l'assuré et l'assureur, enfermés dans la prescription spéciale (biennale) de l'article L. 114-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L2640HWP) pour "toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance".

Bien sûr, on pourra objecter que le point de départ, donc la date à laquelle la prescription est acquise, de ces actions n'est pas rigoureusement identique (la jurisprudence a, d'ailleurs, dû préciser le point de départ de ces actions dérivant du contrat d'assurance étant donné le critère, vague, de "l'évènement qui y donne naissance" visé à l'article L. 114-1). En outre, les actions et les exceptions en matière d'assurance ne se réduisent pas au seul cadre de la prescription biennale.

C'est ainsi, notamment, qu'un arrêt de la première chambre civile en date du 1er mars 1977 énonçait "que si [...] les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans, c'est sans violer [l'article L. 114-1 du Code des assurances] que la cour d'appel a estimé que la nullité du contrat d'assurance, opposée par l'assureur sous forme d'exception à l'action directe exercée par la victime d'un accident plus de deux années après la connaissance par la compagnie de la fausse déclaration de l'assuré, n'était pas atteinte par la prescription biennale" (11).

Il faut bien convenir que de nombreux arrêts ont eu l'occasion de faire application de cette règle au contrat d'assurance, permettant au défendeur, souvent l'assureur, de résister à une demande d'exécution du contrat d'assurance en soulevant la nullité de celui-ci, même plus de deux années après que cette nullité eut pu être demandée par voie d'action (12).

En outre, la Cour de cassation, vigilante au respect de ces règles, a décidé d'appliquer la règle "quae temporalia" non seulement à la nullité stricto sensu mais, plus largement, à d'autres sanctions pouvant frapper le contrat d'assurance, qui seraient invoquées par voie d'exception. Il en est ainsi, notamment, de :

- l'exclusion de garantie : la Cour de cassation jugeant que "il résulte des aricles 2219 du Code civil (N° Lexbase : L2507ABH) et L. 114-1, alinéa 3, du Code des assurances que rien n'oblige l'assureur à agir préventivement pour faire juger qu'il est en droit d'opposer une exclusion de garantie et que ce qui est soumis à la prescription par voie d'action ne l'est pas par voie d' exception" (Cass. civ. 1, 21 juin 1989, n° 87-10.941, Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF) c/ M. Martinez et autre N° Lexbase : A9784AAM, Bull. civ. I, n° 246, RGAT, 1989.799, note H. Margeat et J. Landel, D., 1991, somm. p. 73, obs. H. Groutel) ;

- l'exception de compensation (Cass. civ. 1, 9 mai 1994, n° 92-15.783, Société Vezo c/ GAEC de Perros N° Lexbase : A7037ABA, Resp. civ. et assur., 1994, comm. n° 304) ;

- l'exception de résiliation (Cass. civ. 1, 7 mars 1989, n° 87-16.638, Service de la redevance et de l'audiovisuel c/ M. Monteil N° Lexbase : A3086AHR, D., 1991, somm. p. 73, RGAT, 1989.323).

Tout récemment, c'est à propos de la faculté pour l'assureur de résilier le contrat ou de procéder à une réduction proportionnelle de l'indemnité, en cas "d'omission ou déclaration inexacte de la part de l'assuré dont la mauvaise foi n'est pas établie", en application de l'article L. 113-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L0065AAN) (13), qu'un arrêt de censure émanant de la troisième chambre civile, rendu le 14 février 2007 (14) au visa de l'article L. 114-1 du Code des assurances, a sanctionné des juges du fond ayant considéré que l'assureur "déclare avoir constaté une aggravation du risque déclaré au jour de la souscription de la police dans la mesure où il s'est avéré que le contrat de maîtrise d'oeuvre dont il avait été fait état le jour de la souscription, n'avait pas été établi, que l'omission dont s'agit avait été constatée au plus tard fin 1996, que [l'assureur] avait émis, le 3 janvier 1997, un avenant de surprime 'dommages ouvrage' et que ce constat fait avant tout sinistre en ce qui concernait l'assurance responsabilité décennale ne permettait plus à l'assureur passé le délai de deux ans de prétendre ni à une surprime, ni à une réduction proportionnelle". Les Hauts magistrats y opposèrent la maxime quae temporalia, énonçant dans le "chapeau" de cette décision : "que la prescription biennale édictée par ce texte n'atteint que l'action dérivant du contrat d'assurance ; qu'elle ne peut être étendue au moyen de défense opposé à une telle action", pour en déduire une violation de l'article L. 114-1 du Code des assurances.

Cette ligne jurisprudentielle très ferme s'appuyait sur un critère conditionnant l'imprescriptibilité de l'exception de nullité à l'absence de commencement d'exécution, ainsi que l'a très clairement exprimé un arrêt de la première chambre civile rendu le premier décembre 1998 (15), jugeant que "l'exception de nullité peut seulement jouer pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté".

On soulignera qu'un arrêt récent, rendu en matière d'assurance, par la deuxième chambre civile le 19 octobre 2006 (16), a nettement rappelé cette condition selon laquelle l'exception de nullité ne pouvait faire échec qu'à la demande d'exécution d'un acte juridique n'ayant pas encore été exécuté, ni totalement ni partiellement. Dans cette espèce, où l'assureur avait versé les indemnités mensuelles prévues en cas d'arrêt de travail pour maladie ou accident, puis en avait cessé le versement, l'assureur avait, pour s'opposer à l'assignation en paiement de l'assuré, soulevé l'exception de nullité du contrat pour fausse déclaration intentionnelle du risque, sur le fondement de l'article L. 113-8 du Code des assurances, et demandé la restitution des sommes déjà versées. L'assuré avait soulevé la prescription biennale, mais la cour d'appel avait estimé que cette prescription ne pouvait être opposée à l'assureur puisque celui-ci s'est prévalu de la nullité par voie d'exception. Les Hauts magistrats avaient alors, au double visa de l'article L. 114-1 du Code des assurances et du "principe selon lequel l'exception de nullité du contrat est perpétuelle", censuré  l'arrêt d'appel au motif "qu'en statuant ainsi, alors qu'il résultait des éléments qui lui étaient soumis que le contrat litigieux avait reçu un commencement d'exécution, la cour d'appel a violé le texte et le principe susvisés".

M. Bruschi a souligné la volonté de la jurisprudence de "généraliser à tous les délais de prescription le même régime de la maxime quae temporalia. En précisant que l'exception de nullité ne saurait faire échec à un contrat qui a été exécuté totalement ou en partie, la Cour de cassation entend donner à cette condition d'inexécution du contrat une large portée. Tout début d'exécution du contrat, toute exécution partielle, comme en l'espèce le versement d'indemnités pour une courte période, suffisent à empêcher l'assureur de soulever la nullité du contrat d'assurance par voie d'exception". Logiquement, il en déduisait l'effet de cette solution, consistant à inciter les assureurs à la méfiance, encouragés "à ne pas mettre en oeuvre leurs garanties dès qu'ils soupçonneront une cause de nullité dans leur contrat. Il leur faudra agir alors rapidement dans le délai de deux ans pour éteindre l'action en nullité du contrat d' assurance en cas de fausse déclaration de l'assuré [Cass. civ.1, 28 octobre 1975, n° 74-14.577 N° Lexbase : A3657CKN, RGAT, 1976.508, note Besson, D., 1977, jur., p. 157, note Berr et Groutel ; Cass. civ. 1, 18 mars 1997, n° 94-18.688 N° Lexbase : A3257CWK, Lamy assurances, Bulletin d'actualités 1997, n° 1, p. 9] à partir de la date de formation du contrat pour échapper à la prescription".

La doctrine majoritaire approuve généralement cette ligne directrice et ce critère de recevabilité de l'exception perpétuelle constitué par une absence d'exécution du contrat, soulignant qu'elle est nécessaire au respect de la prescription dans le cadre de l'action. Comme l'a exprimé le conseiller Aubert, "inscrite dans la logique du mécanisme de la prescription, la solution est, de surcroît, nécessaire à l'efficacité même de celle-ci : si, en effet, l' exception de nullité pouvait jouer en cas d'exécution du contrat -pratiquement, en cas d'exécution partielle- elle priverait la prescription d'une partie de sa portée, en permettant de remettre en cause un contrat dûment exécuté et contre lequel l'action en nullité ne pourrait pourtant pas être admise pour être prescrite. Une telle situation serait d'autant plus contradictoire que, comme il a été remarqué, l'exception de nullité n'est rien d'autre qu'une action en nullité exercée en défense : comme l'action, l'exception tend en effet à faire constater et prononcer la nullité du contrat concerné. Il y a donc une véritable incompatibilité de l'exception de nullité avec l'exécution du contrat" (17).

L'observation est exacte : admettre trop largement la nullité par voie d'exception ferait de l'ombre à la nullité par voie d'action. Nous verrons que la deuxième chambre civile, dans l'arrêt examiné du 4 décembre 2008, n'en disconvient nullement, dès lors que, si elle admet l'exception de nullité d'un contrat partiellement exécuté, elle le fait en soumettant l'exception au même délai (ici biennal) que l'action. Dès lors, il n'est nullement question de "favoriser" l'exception par rapport à l'action, mais bien plutôt d'aligner l'exception sur l'action...

On notera qu'une partie de la doctrine avait bien senti que la jurisprudence traditionnelle n'était pas satisfaisante, en ce qu'elle ne traitait pas justement de l'hypothèse où le contrat, spécialement à exécution successive comme l'est le contrat d'assurance, a reçu une exécution partielle.

Le conseiller Aubert, tout en justifiant le critère d'une absence d'exécution en tant que principe admettait, étroitement (il employait l'expression de "dérogation marginale"), un tempérament pour les seuls contrats à exécution échelonnée ou à exécution successive divisibles, considérant que "l'exception de nullité peut être soulevée, en dépit d'une exécution partielle -et pourvu que celle-ci ne puisse être regardée comme une confirmation, exclusive de toute proclamation de la nullité du contrat- dans le cas des contrats dont l'exécution donne lieu, pour les deux parties, à des prestations successives qui peuvent être scindées en tranches distinctes. [...] Cela concerne [...] les baux qui peuvent être découpés en périodes successives d'occupation du local avec les fractions de loyer correspondantes, ou encore, par exemple, des contrats réalisant des abonnements à prestations échelonnées. Il est alors concevable de découper le contrat considéré en tranches et d'admettre, en conséquence, l'intervention de l'exception malgré un début d'exécution" (18).

Il devait approfondir sa réflexion dans les Mélanges offerts à M. Jacques Ghestin (19) en proposant que pour ces contrats ayant fait l'objet d'une "exécution partielle équilibrée", l'exception de nullité soit admise et joue sans rétroactivité.

On soulignera que cette analyse ne changeait rien pour un contrat d'assurance ayant reçu une exécution partielle sous forme de versement d'une provision de l'indemnité de sinistre, comme c'était le cas dans l'espèce examinée du 4 décembre 2008. Il n'y a pas lieu de considérer le versement d'une provision comme une partie "détachable" de l'exécution de la prestation de l'assureur !

Madame Fabre-Magnan, s'interrogeant franchement sur la pertinence de l'analyse traditionnelle, souligne que, pour un contrat partiellement exécuté, "a priori, l'exception de nullité, c'est-à-dire le moyen de défense tiré de la nullité, a une utilité pour une partie tant que l'autre peut encore la poursuivre en exécution forcée, c'est-à-dire précisément tant qu'elle n'a pas entièrement exécuté ses obligations (en ce sens, M. Strock, p. 70). Pourtant, selon la Cour de cassation, l'exécution partielle doit être assimilée à l'exécution, si bien que l'exception ne peut plus jouer [...]. Tout se passe comme si le commencement d'exécution valait confirmation" (20).

Cette fraction de la doctrine semble bien avoir été entendue par la deuxième chambre civile qui, dans l'arrêt ici rapporté du 4 décembre 2008, vient rompre avec la ligne jurisprudentielle antérieure si fermement établie.

En l'espèce, un professionnel ayant souscrit un contrat d'assurance multirisques déclare un sinistre un peu moins de deux mois après la prise d'effet du contrat. L'assureur s'exécute en versant une provision. Postérieurement à cette exécution partielle, l'assureur excipera d'une fausse déclaration intentionnelle de l'assuré, liée à la non-révélation de la sinistralité antérieure ayant motivé la résiliation de son contrat par l'assureur précédent, pour refuser de s'exécuter et réclamer le remboursement de la provision versée. L'assuré résiste en l'assignant en exécution forcée. L'assureur réplique en soulevant l'exception de nullité.

Les juges du fond ayant déboute l'assuré, celui-ci a motivé son moyen en excipant de la jurisprudence traditionnelle, selon laquelle "l'exception de nullité ne peut être invoquée que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté totalement ou en partie".

Son moyen est rejeté par ce motif décisoire : "Mais attendu que la nullité fondée sur les dispositions de l'article L. 113-8 du Code des assurances, peut être soulevée par voie d'exception pendant le délai de la prescription biennale nonobstant l'exécution du contrat d'assurance".

Voilà qui modifie le régime de l'exception à double titre.

D'une part, l'exception peut désormais être utilement soulevée "nonobstant l'exécution du contrat d'assurance".

D'autre part, cette possibilité de soulever, par voie d'exception, la nullité malgré l'exécution du contrat, est enfermée dans le délai de prescription biennale. Il faut ici, à notre sens, dissiper un doute lié à la rédaction de l'arrêt : s'il est écrit que l'exception de nullité peut être soulevée pendant le délai de prescription biennale, il faut comprendre que l'exception doit respecter le délai de prescription biennale pour le cas où l'assureur utiliserait cette possibilité d'agir par voie d'exception. S'il ne s'était agi que de gommer la condition relative à l'absence d'exécution, les Hauts magistrats auraient écrit : "la nullité par voie d'exception peut être soulevée nonobstant l'exécution du contrat d'assurance", sans faire aucune référence à la prescription biennale !

Voilà qui modifie singulièrement le régime de l'exception de nullité du contrat d'assurance ayant reçu, en tout ou partie, exécution, en le rapprochant, purement et simplement, du régime applicable à l'action en nullité.

En effet, lorsque l'assureur agit en nullité par voie d'action, peu importe qu'il se soit déjà exécuté pour partie. Si l'assureur découvre, comme en l'espèce, postérieurement à son exécution partielle, une cause d'annulation du contrat, il doit pouvoir utilement la soulever dans le respect de la prescription biennale. L'argument demeure vrai lorsque l'assureur est en défense !

Ainsi qu'on l'a déjà souligné, l'exception de nullité demeure utile au défendeur (ici assureur) tant que l'autre peut encore la poursuivre en exécution forcée, c'est-à-dire précisément tant qu'elle n'a pas entièrement exécuté ses obligations.

Mais, pour ne pas déséquilibrer tout le droit de la prescription, en avantageant le régime de l'exception par rapport à celui encadrant l'action, la Cour de cassation décide de soumettre l'exception de nullité au respect du délai de l'action, ici au délai biennal de l'article L. 114-1 du Code des assurances.

Le changement pourra sembler très équilibré.

D'une part, l'exception de nullité devient recevable malgré l'exécution du contrat ("nonobstant l'exécution du contrat" précise l'arrêt). On notera ici que la Cour de cassation n'a fait aucune référence à une exécution partielle, ce qui signifie qu'elle n'entend pas restreindre sa solution à cette seule hypothèse, qui devrait valoir y compris en cas d'exécution totale.

D'autre part, l'abolition du critère de l'absence d'exécution est contrebalancé par l'abandon du caractère perpétuel de l'exception de nullité qui doit, "être soulevée pendant le délai de la prescription biennale".

Mais il faut bien convenir que ce changement dénature profondément la maxime !

Il ne s'agit plus de : "l'action est temporaire mais l'exception est perpétuelle et survit à l'extinction de l'action par la prescription".

La règle devient : "l'exception autant que l'action est temporaire et ne survit pas à l'extinction de l'action par prescription" ici biennale. Tout au plus peut-on songer que la prescription biennale dans le cadre de l'exception pourrait avoir un point de départ plus tardif, lié au jour où l'assureur a été assigné, que la prescription attachée à l'action.

Qu'importe ! Avec cette nouvelle jurisprudence, c'est la perpétuité qu'on assassine !

On pourra voir dans cette décision un effet indirect de la réforme de la prescription opérée par la loi du 17 juin 2008 et de la volonté qu'elle traduit d'abréger les délais.

Le conseiller Aubert avait envisagé la solution selon laquelle "on pourrait -par souci de mieux assurer le respect de l'ordre légal en permettant toujours de s'opposer à la continuation d'un contrat entaché d'illicéité- admettre [...] systématiquement, le jeu de l'exception de nullité toutes les fois que l'exécution du contrat n'est pas totalement achevée" (14). Mais il écrivait qu'il est "permis d'hésiter, beaucoup, à s'engager dans une telle voie [parce que] l'exception tendrait alors à vider la prescription de l'essentiel de sa substance et à compromettre ainsi la logique de pacification et de sécurité juridique qui la sous-tend".

La Cour de cassation n'a nullement entendu sacrifier la sécurité juridique en admettant une exception de nullité perpétuelle apte à revenir sur un contrat partiellement ou totalement exécuté. Elle a, plus simplement, rayé d'un trait de plume l'adage quae temporalia, renvoyé à l'histoire, pour écrire une nouvelle page du droit de la prescription et de la procédure civile (puisque la position de demandeur ou de défendeur devient indifférente).

L'assureur (plus largement toute partie) a le "choix des armes" et de sa stratégie procédurale : agir par voie d'action dès qu'il découvre la cause de nullité (ou plus largement d'autres sanctions pouvant frapper le contrat d'assurance) ou agir par voie d'exception, sans que son exécution puisse y faire obstacle.

La jurisprudence antérieure avait cet effet pervers, déjà signalé, de pousser les assureurs à la méfiance et à se refuser à s'exécuter de crainte de découvrir postérieurement une cause de sanction. La nouvelle jurisprudence va dissiper ces craintes. En revanche, elle va les pousser à être encore davantage vigilants au respect de la prescription biennale !

Pour toutes ces raisons d'efficacité, la solution nous semble devoir être approuvée.

Reste à apprécier l'exacte portée de l'arrêt, ce qui n'est pas mince. Doit-il être restreint au contrat assurance ? Voire aux seuls contrats à exécution successive ? Voire aux seuls contrats soumis à de courtes prescriptions ?

S'agit-il d'une totale remise en cause de la maxime quae temporalia ou bien faut-il, en s'autorisant une lecture plus conciliante, considérer que si "la nullité fondée [...] peut être soulevée par voie d'exception pendant le délai de la prescription biennale nonobstant l'exécution du contrat d'assurance", en revanche, l'exception de nullité demeurerait perpétuelle lorsqu'aucune exécution n'aurait eu lieu ?

Cette dernière lecture nous semble à proscrire car elle dénature le terme "nonobstant" employé par les Hauts magistrats.

Plus largement, nous avons le sentiment que cet arrêt traduit une volonté de "rayer" la maxime quae temporalia et de réaménager une règle, plus moderne, du droit de la prescription, sans qu'un tel objectif doive être restreint au contrat d'assurance.

La "leçon" est générale et concluons en soulignant, qu'une fois encore, le droit des assurances aura servi de "laboratoire" pour le droit commun !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)

  • De l'exigence du respect formel par les juges du fond des critères de l'article L. 113-2-3° du Code des assurances : "fétichisme" ou sage précaution ? (Cass. civ. 2, 22 janvier 2009, n° 08-10.294, FS-P+B N° Lexbase : A6497ECM)

Il y peu, l'actualité jurisprudentielle nous avait conduit, dans le cadre de cette chronique (22), à traiter "du bon usage de la règle de réduction proportionnelle de l'article L. 113-9 du Code des assurances", à l'aune d'un arrêt de censure de la deuxième chambre civile du 15 mai 2008 (23).

Avec l'arrêt examiné, du 22 janvier 2009, destiné au Bulletin, la deuxième Chambre civile entend rappeler, par une cassation "disciplinaire", les juges du fond au respect scrupuleux des critères de l'article L. 113-2-3 (N° Lexbase : L0061AAI) en vue de sanctionner, par l'article L. 113-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L0065AAN), un assuré n'ayant pas déclaré, en cours de contrat, une aggravation de risque ou un risque nouveau. On notera, d'ailleurs, qu'il n'est pas toujours simple de distinguer s'il s'agit de l'un ou de l'autre. En l'espèce, il nous semble que l'arrêt traite d'un cas de véritable adjonction d'une activité à l'activité initiale couverte, relevant d'un risque nouveau et non d'une "simple" aggravation du risque primitif.

Les règles du Code des assurances ont, en ce domaine, été fixées ou complétées par la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1009, renforçant les garanties offertes aux personnes assurées contre certains risques N° Lexbase : L5011E4D).

Selon l'article L. 113-2 (N° Lexbase : L0061AAI), "l'assuré est obligé :
[...] 2° De répondre exactement aux questions posées par l'assureur, notamment dans le formulaire de déclaration du risque par lequel l'assureur l'interroge lors de la conclusion du contrat, sur les circonstances qui sont de nature à faire apprécier par l'assureur les risques qu'il prend en charge ;
3° De déclarer, en cours de contrat, les circonstances nouvelles qui ont pour conséquence soit d'aggraver les risques, soit d'en créer de nouveaux et rendent de ce fait inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur, notamment dans le formulaire mentionné au 2° ci-dessus".

Cette obligation de déclaration au cours du contrat de toute circonstance nouvelle ou risque nouveau déclenche le jeu de l'article L. 113-4 (N° Lexbase : L0063AAL), selon lequel "en cas d'aggravation du risque en cours de contrat, telle que, si les circonstances nouvelles avaient été déclarées lors de la conclusion ou du renouvellement du contrat, l'assureur n'aurait pas contracté ou ne l'aurait fait que moyennant une prime plus élevée, l'assureur a la faculté soit de dénoncer le contrat, soit de proposer un nouveau montant de prime".

Cette faculté de résiliation ou de maintien moyennant surprime se conjugue, très mal d'ailleurs, avec les deux sanctions posées à l'article L. 113-8 (N° Lexbase : L0064AAM) et L. 113-9 du même code, qui est ici visé dans l'arrêt examiné.

Cet arrêt du 22 janvier 2009 exige, à juste titre nous le verrons, des juges du fond qu'ils motivent leur décision en constatant que l'aggravation des risques a bien rendu inexactes ou caduques les réponses faites à l'assureur, spécialement au regard des réponses qu'avait données l'assuré au moment de la conclusion du contrat au questionnaire élaboré par l'assureur.

Les juges du fond s'étaient, en l'espèce, contenté de relever que l'activité de l'assuré avait, au cours du contrat, été singulièrement modifiée, dès lors que, ajoutant à son activité primitive, l'assuré avait nécessairement accru les risques, donc aggravé le risque initial voire ajouté un risque nouveau. Dans leur esprit, l'exposé de cette activité nouvelle impliquait nécessairement la violation par l'assuré de ses obligations de déclaration, et devait nécessairement déclencher les différentes sanctions en cas de manquement, dont l'article L. 113-9 du Code des assurances.

La Cour de cassation les rappelle à l'ordre en censurant, au motif que : "en se déterminant ainsi, sans constater que l'absence de déclaration avait pour conséquence de rendre inexactes ou caduques les réponses faites lors de la conclusion du contrat d'assurance aux questions posées par l'assureur, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

On peut légitimement se poser la question de savoir si cette exigence d'une motivation qui reprenne expressément et in extenso les conditions de l'article L. 113-2-3° n'est pas de pure forme.

N'assisterait-on pas, ici, à une "pièce" identique à celle déjà jouée en droit du divorce, où l'on se souvient sans doute que, pendant nombre d'années, la Cour de cassation est demeurée attachée à la double condition de l'article 242 du Code civil (N° Lexbase : L2795DZK), multipliant inlassablement les cassations disciplinaires à l'encontre des décisions qui ne motivaient pas la faute en ayant pris soin de viser cumulativement les deux critères de l'article 242 du Code civil (d'une part, "violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage" ; d'autre part, qu'elles "rendent intolérable le maintien due la vie commune"), avant, finalement (24), d'évoluer en laissant aux juges du fond une plus grande latitude dans la motivation de cette faute.

La deuxième chambre civile ne ferait-elle pas preuve d'un même "fétichisme" anachronique à l'égard du risque nouveau ou aggravé de l'article L. 113-2-3° du Code des assurances ?

Nous ne le pensons pas. Il nous semble que l'attachement formel de la Haute juridiction aux critères de l'article L. 113-2-3° du Code des assurances ne procède pas d'un "fétichisme" de mauvais aloi, mais de l'exigence d'un critère primordial.

Sans démonstration que le risque aggravé ou nouveau a rendu inexactes ou caduques les réponses initiales de l'assuré, le risque n'est pas véritablement aggravé ou nouveau !

Sans doute pourra-t-on considérer que l'adjonction d'une activité nouvelle qui, comme en l'espèce, attire un public beaucoup plus nombreux que l'activité initiale, modifie nécessairement (in abstracto) l'opinion de n'importe quel assureur de risque professionnel, dès lors que la probabilité et l'intensité du risque en sont objectivement modifiées.

Adjoindre à une activité initiale d'exploitant d'une "salle de gymnastique et d'un petit bar sandwicherie", l'activité d'organisateur "d'évènementiels" consistant, dixit l'arrêt, en "des soirées, à thème rassemblant jusqu'à cinq cents personnes jusqu'à 2 heures du matin" modifie objectivement le risque "incendie", qui s'est réalisé ici, dès lors que la présence accrue de public accroît corrélativement la probabilité d'un sinistre accidentel et modifie inéluctablement les conséquences éventuelles d'un incendie (cf. dommages corporels pour le public) ; encore faudrait-il savoir si le contrat litigieux ne couvrait que l'assurance de chose ou également, ce qui est plus vraisemblable, la responsabilité de l'assuré, et à quelles conditions.

Toutefois, même pour une modification objective de l'activité de l'assuré, continuer d'exiger des juges du fond qu'ils vérifient qu'elle rend caduque les conditions de souscription du contrat est une sage précaution, dès lors que, en ce domaine, c'est l'opinion du risque chez l'assureur qui doit avoir été modifiée. Autrement dit, quel que soit le caractère objectif de la modification du risque, il faut vérifier qu'elle a, subjectivement, pour l'assureur, modifié son approche du risque.

Or, son analyse a été bâtie à partir de son questionnaire et des réponses de l'assuré. Il est donc, pour la définition même de la notion de risque aggravé ou nouveau, nécessaire de procéder à cette vérification, donc de l'exiger des juges du fond.

La comparaison entre le risque nouveau et les conditions dans lesquelles le risque initial a été apprécié est nécessaire ne serait-ce que pour relever, le cas échéant, que l'assureur n'ayant pas posé de question sur le point qui serait litigieux, il ne saurait être question d'aggravation ou de modification.

En outre, comme on l'a justement signalé, "une circonstance qui n'existe pas lors de la souscription, mais qui est prévue dès la souscription, même de façon très large, ne rend pas inexacte ou caduque la déclaration initiale lorsqu'elle apparaît" (25).

La cassation nous semble donc, pour ces raisons, devoir être pleinement approuvée.

Il appartiendra à la cour de renvoi de vérifier que le risque était bien nouveau (ou aggravé ; personnellement, nous pensons que l'activité adjointe était trop éloignée de l'activité primitive pour être tenue pour une simple aggravation, de sorte qu'il devrait s'agir d'une véritable adjonction d'activité nouvelle).

L'arrêt de renvoi, dûment motivé, prendra alors place dans une longue liste de ceux qui ont qualifié le risque de nouveau ou aggravé (26). De cette liste on extraira, en raison d'une certaine proximité avec l'arrêt ici rapporté :

- un arrêt de la première chambre civile du 30 mai 1995 (Cass. civ. 1, 30 mai 1995, n° 92-10.985, Compagnie Zurich Assurances et autre c/ Groupe Drouot N° Lexbase : A4852ACP, Bull. civ. I, n° 218, p. 154), qui, statuant à propos d'un changement de destination du local assuré contre l'incendie au titre d'une assurance de chose (une grange servant d'entrepôt pour l'activité d'un maçon, celui-ci changeant d'activité pour y exploiter une pizzeria), énonce : "que le changement de destination de la grange, à supposer que les assureurs n'en aient pas été informés, constituait non pas un cas de non-assurance, mais une aggravation des risques pouvant seulement entraîner une réduction proportionnelle de l'indemnité" ;

- un arrêt de la troisième chambre civile du 8 novembre 2006 (Cass. civ. 3, 8 novembre 2006, n° 04-18145, Mutuelle assurance artisanale de France (MAAF), FS-P+B N° Lexbase : A2934DSH, RGDA, 2007-1, p. 118, note M. Périer), qui, au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), censure les juges du fond ayant considéré que le maçon qui a, selon "[l'] usage le plus constant [selon lequel] lorsque le maître de l'ouvrage confie, comme en l'espèce, à un maçon la construction d'une maison individuelle, celui-ci réalise également la toiture, [...] est intervenu dans le cadre de son activité déclarée de maçon", la Haute juridiction cassant sobrement au motif que "l'activité de maçon n'emporte pas celle de couvreur, la cour d'appel a violé" l'article 1134.

L'annotateur soulignait judicieusement que dès lors que "l'activité nouvelle survient en cours de chantier et par conséquent, en cours de contrat, [...] la tentation est grande [...] de se reporter à l'article L. 113-4 du Code des assurances et d'y voir, du moins pour les travaux de construction de technique courante, une aggravation de risque, passible en cas de bonne foi de l'assuré, de l'article L. 113-9 du Code des assurances (réduction proportionnelle de l'indemnité)".

Devant l'autel du droit des assurances, un exploitant d'une salle de gymnastique vaut bien un maçon et la couverture d'une "soirée évènementielle" celle d'une toiture !

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Ass. Plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267, M. Henri Dailler c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel de la Touraine et du Poitou, P+B+R+I (N° Lexbase : A4358DUX) et nos obs., Chronique en droit des assurances, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N6221BAN) ; Rev. Banque et droit, juillet-août 2007, p. 20, note Th. Bonneau ; JCP éd. E, 2007, 1375, note D. Legeais et éd. G, 127, note B. Parance ; D., 2007, act. Jurisp., p. 985, note S. Piedelièvre.
(2) V. Nicolas, La protection du droit des assurances n'est pas exclusive de celle du Code de la consommation (A propos de Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-21.822, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6678D8T)), Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4868BGE).
(3) V. Nicolas, Toujours et encore l'obligation d'information en assurance de groupe ! , à propos de Cass. civ. 2, 2 octobre 2008, n° 07-15.276, M. Jean-Barthélémy Limousi, FS-P+B (N° Lexbase : A5871EAP), La chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 325 du 6 novembre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N6863BHN).
(4) Cass. civ. 1, 22 mai 2008, n° 05-21.822,  préc..
(5) Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, n° 05-13.765, M. Philippe Caradec, F-D (N° Lexbase : A6506DYM) ; Cass. civ. 1, 14 juin 2007, n° 06-12.205, Société civile immobilière (SCI) Villa Eden, F-D (N° Lexbase : A7894DWB).
(6) Cass. civ. 2, 8 avril 2004, n° 03-11.868, M. Robert, Pierre Lamy c/ Compagnie d'assurances Cigna International, F-P+B (N° Lexbase : A8473DBG), Bull. civ. II, n° 163, p. 138 ; Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-21.973, Compagnie Abeille vie, société anonyme d'assurances c/ M. Jean-Claude Bally et autres, inédit (N° Lexbase : A7856CRE), RGDA, 1999, n° 2, p. 397.
(7) V. Nicolas, La perte de chance : base de calcul des dommages-intérêts pour défaut d'information par l'assureur, à propos de Cass. civ. 1, 18 septembre 2008, n° 06-17.859, Mme Alice Choukroun, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3909EAZ), Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 320 du 2 octobre 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N3732BHP).
(8) M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, tome 1, Contrat et engagement unilatéral, PUF, 2008, n° 181, p. 449.
(9) Parmi une littérature abondante, on extraira deux contributions : M. Strorck, L'exception de nullité en droit privé, D., 1987, chron., 67 ; J.-L. Aubert, Brèves réflexions sur le jeu de l'exception de nullité, Etudes J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 19.
(10) M. Fabre-Magnan, op. cit., spéc. n° 183.
(11) Cass. civ. 1, 1er mars 1977, n° 75-14.471, Fonds de Garantie Automobile c/ Dame Raynal (N° Lexbase : A6395CEL), publié, Bull. civ. I, n° 107, p. 83, RGAT, 1978, p. 49, note A. Besson, D., 1978, jur., p. 21, note C.-J. Berr et H. Groutel.
(12) La solution fut constamment maintenue : cf., notamment, Cass. civ. 1, 17 mars 1993, n° 90-14.640, Compagnie La Genevoise-Suisse c/ Mme Riolant (N° Lexbase : A5229AH7), RGAT, 1993, p. 561, note H. Margeat ; Cass. civ. 1, 23 juin 1993, n° 90-10.112, Compagnie Uni Europe c/ M. Eon et autres (N° Lexbase : A3122ACM), RGAT, 1993, p. 774, note H. Margeat.
(13) Là-dessus, cf. nos obs. sous Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-13.508, Société Immobilière 3F société anonyme d'HLM, F-P+B (N° Lexbase : A5338D89), in Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4868BGE).
(14) Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.987, Société Albingia, FS-P+B (N° Lexbase : A2166DUR), Revue Générale du Droit des Assurances, 2007-2, p. 360, note M. Périer.
(15) Cass. com., 1er décembre 1998, n° 96-17.761, Epoux Maggiani c/ Crédit lyonnais (N° Lexbase : A8935AHE), Bull. civ. I, n° 338, Defrénois, 1999, 364, obs. J.-L. Aubert ; JCP éd. G, 1999, I, 179, obs. M. Fabre-Magnan ; JCP éd. E., 1999, p. 56, obs. P. Morvan.
(16) Cass. civ. 2, 19 octobre 2006, n° 05-17.599 (N° Lexbase : A9671DRM), RGDA, 2007, p. 80, note Bruschi M., Resp. civ. et assur., 2007, comm. 72.
(17) J.-L. Aubert, obs. préc., in Defrénois, 1999.
(18) Ibid.
(19) J.-L. Aubert, Brèves réflexions sur le jeu de l'exception de nullité, préc..
(20) M. Fabre-Magnan, op. cit., spéc. n° 183.
(21) J.-L. Aubert, op. cit., spéc., p. 27.
(22) Cf. Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Lexbase Hebdo n° 311 du 3 juillet 2008 - édition privée générale, préc..
(23) Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-13.508, Société Immobilière 3F société anonyme d'HLM, F-P+B (N° Lexbase : A5338D89).
(24) Mouvement amorcé par Cass. civ. 2, 30 novembre 2000, n° 99-12.458, Mme Marie Boeri épouse Lidon c/ M. Yvan Lidon (N° Lexbase : A9489AHW), Bull civ. II, n° 157, RTDCiv., 2001, p. 114, obs. J. Hauser sous l'intitulé La fin des cassations disciplinaires sur l'article 242 ?.
(25) Lamy assurances, 2009, n° 298.
(26) Là-dessus, cf., notamment, Lamy Assurances, 2009, n° 299.

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