La lettre juridique n°325 du 6 novembre 2008 : Éditorial

Clauses de réclamation, clauses d'exclusion : limiter le facteur risque, sans risque juridique

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


L'assurance consiste à mutualiser les risques. Mais elle relève, surtout, du calcul de probabilité, car il s'agit de ne pas oublier qu'assurer est un métier et que seule l'assurance-maladie peut, encore, être déficitaire. Or, "la probabilité est le rapport du nombre de cas favorables [ou défavorables, selon] au nombre des événements" nous a enseigné Emile Borel. On comprend, dès lors, que tout l'enjeu de la profession d'assureur est de limiter, rationnellement, et pour ne pas dire juridiquement, ce "nombre de cas favorables", puisque celui des "évènements", c'est-à-dire le nombre total des dommages à connaître, n'est pas, par essence, maîtrisable (sauf prévention effective et efficace). Les clauses de réclamation, dite "claim's made", et les clauses d'exclusion de garantie participent, assurément, à cette contingence du facteur risque... au point que certains auteurs se sont demandés si le risque faisait encore partie du vocabulaire des assureurs et, plus juridiquement, si les contrats d'assurance avaient, encore, un objet.

La saga des "claim's made" est, donc, un exemple topique de l'équilibre qu'il s'est agi de trouver entre la limitation des engagements financiers des assureurs et la garantie des assurés (et des tiers victimes). Dans un premier temps, en 1981, la théorie de la volonté et la liberté contractuelle (dans un contrat d'adhésion, sic) permettaient d'accepter ces clauses par lesquelles l'assureur limitait dans le temps sa garantie qui n'était due que si la réclamation du tiers victime intervenait entre la prise d'effet et l'extinction du contrat d'assurance. Mais, très vite, la question de la garantie après contrat, dans le cadre de contrats successifs ou d'un défaut même d'assurance après résiliation du contrat initial, s'est posée. En 1985, le Cour de cassation fut donc obligée de rendre cette clause inopposable aux victimes ; et, en 1990, la Haute juridiction de conclure à la nullité d'une telle clause pour défaut de cause.

Seulement voilà, si l'intention des Hauts magistrats était louable en ce qu'elle évitait ainsi le vide de garantie pour une raison extérieure à l'assuré lui-même -le déclenchement d'une action en réparation lui étant totalement étranger-, la conséquence, notamment en matière médicale, fut cinglante : les assureurs refusèrent de couvrir certains risques, voire certaines professions, ou moyennant des polices d'un montant hautement dissuasif. Et la situation paraissait d'autant plus ubuesque que le législateur introduisait, dans le même temps, des clauses de réclamation à l'adresse de cas particuliers (agents immobiliers, agents de voyage, centres de transfusion sanguine) ! Tentative législative avortée, notamment, par le Conseil d'Etat, en 2000, qui statua dans le même sens que ses confrères du judiciaire. Finalement, l'équilibre fut trouvé par les lois "About" de 2002 et de sécurité financière de 2003, avec l'instauration d'une garantie subséquente pendant un délai de cinq ans après la résiliation du contrat, qui distingue deux cas :

- pour les faits dommageables commis antérieurement à la prise d'effet de la garantie, mais que l'assuré ne connaissait pas comme tels lorsqu'il a souscrit le contrat, la garantie s'applique si une réclamation est présentée avant l'expiration ou la résiliation du contrat : l'assureur prend en charge le passé inconnu de l'assuré lors de la signature du contrat ;

- après la cessation ou l'expiration du contrat s'ouvre une période subséquente de cinq ans pendant laquelle l'assureur prend en charge les sinistres donnant lieu à des réclamations imputables à l'activité de l'assuré antérieure à la cessation d'effet de la garantie, s'il n'y a pas d'assureur successeur à celui dont la garantie, qui prenait en charge le sinistre, a pris fin.

Cette clause de garantie subséquente, associée à une clause de reprise du passé inconnu, par laquelle l'assureur garantit les dommages réclamés au cours du contrat et dont le fait générateur est antérieur à la souscription, sous réserve que l'assuré n'en ait pas eu connaissance au jour de la souscription, permet ainsi d'équilibrer les risques et leur couverture.

Pour autant, cette garantie subséquente n'est pas rétroactive ; c'est ce qu'a tenu à rappeler la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 2 octobre 2008 sur lequel revient, cette semaine, Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, et Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", dans sa chronique mensuelle. Il s'agit, encore, pour les dommages survenus avant la loi, de jongler entre le régime base survenance du dommage (occurrence basis), le régime base fait générateur et le régime base réclamation (claims made basis).

Quant aux clauses d'exclusion de garantie, leur prolifération oblige le juge à bien analyser si elles ne vident pas le contrat d'assurance de tout son objet. Un arrêt rendu le 2 octobre 2008, par la Cour de cassation, sur lequel revient, cette semaine, Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, sonne comme un rappel à l'ordre des juges du fond qui avaient accepté un peu hâtivement le jeu d'une clause d'exclusion sans s'interroger sur le point de savoir si elle ne vidait pas le contrat de son contenu. L'auteur précise, ainsi, que "généralement, l'analyse de la portée de l'exclusion sur la garantie est réalisée de façon objective : la clause laisse-t-elle certains risques dans le domaine d'application utile du contrat, ou, au contraire, vide-t-elle la garantie de sa substance, suivant l'expression habituellement utilisée par la Cour de cassation ?".

"Le probable est un possible qui nous paraît avoir plus de chances d'être que de ne pas être" (E. Globot). L'équilibre des possibles, entre risques et polices, est la clé de voûte d'un système d'assurance. Et André Gide de triompher dans Les cahiers de la petite dame : "peut-on assurer le bonheur de tous au détriment de chacun ?". Autrement dit, la préservation d'un système d'assurance, privé comme public, passe assurément par une prise de risque maîtrisée de chacun des acteurs.

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