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N2422BGS
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par Frédéric Dal Vecchio, Juriste-Fiscaliste et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
le 07 Octobre 2010
Dans l'hypothèse d'un conflit persistant entre l'administration fiscale et le contribuable, ce dernier peut saisir les juridictions après avoir, préalablement, adressé une réclamation auprès des services fiscaux territorialement compétents aux termes de l'article R. 190-1 du LPF (N° Lexbase : L3075HPL).
Cette réclamation a un caractère obligatoire quelle que soit la qualité du requérant (pour un exemple s'agissant du ministre de la Défense : CAA Nantes, 1ère ch., 17 février 1993, n° 90NT00582, Ministre de la Défense c/ Ministre du Budget N° Lexbase : A3190BHM (1)) dont la méconnaissance entraîne l'irrecevabilité des requêtes introduites devant le juge de l'impôt sans régularisation possible (2).
La réclamation préalable a généré un contentieux abondant tant en ce qui concerne son principe, et le service territorialement compétent pour la recevoir, que les délais, la forme et son contenu.
Il n'est pas rare, dans la pratique, qu'un tiers dépose la réclamation pour autrui. Or, la qualité à agir revêt une importance de premier ordre car, aux termes de l'article R. 197-4 du LPF (N° Lexbase : L6344AEP), toute personne, qui introduit ou soutient une réclamation dans de telles circonstances, doit justifier d'un mandat régulier (3).
La justification d'un mandat lorsque l'avocat assiste et représente son client pendant la phase administrative a suscité un contentieux de premier ordre. En effet, l'administration fiscale estimait que le pouvoir général de représentation ne valait que pour la phase contentieuse de la procédure : ainsi, l'administration exigeait la production d'un mandat "sinon enregistré, du moins sous forme d'un écrit, émanant du contribuable et l'habilitant à agir en son nom" (4). L'interprétation administrative visait les hypothèses, notamment, où le contribuable se faisait représenter devant la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ou devant la commission de conciliation. La jurisprudence y a alors mis bon ordre en censurant la doctrine administrative (5) (CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2002, n° 227373, M. Brandeau N° Lexbase : A8675AYX ; CE 3° et 8° s-s-r., 5 juin 2002, n° 242862, M. Touati N° Lexbase : A8721AYN (6)).
Aux termes de la décision rendue par le Conseil d'Etat le 26 mars 2008, la société Gestion Hôtels Cahors Vitrolles a demandé le dégrèvement des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties mises à sa charge à raison de deux hôtels dont elle était propriétaire pour l'année considérée.
Saisie par la requérante, le tribunal administratif de Marseille, statuant en premier et dernier ressort depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2003-543 du 24 juin 2003 (N° Lexbase : L6539BHN ; CJA, art. R. 222-13 N° Lexbase : L7154HZY ; CJA, art. R. 811-1 N° Lexbase : L2834HWU), a jugé la requête irrecevable "au motif que l'avocat de la société n'avait pas démontré à l'administration qu'il avait déposé la réclamation au nom d'une personne physique autorisée à agir pour le compte de la société".
Cette décision est censurée par le Conseil d'Etat : la Haute juridiction administrative dit pour droit que les dispositions de l'article R. 197-4 du LPF ne dispensent pas "le juge de s'assurer, le cas échéant, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour engager cette action ; que tel est également le cas pour les recours administratifs préalables obligatoires présentés devant l'administration" (7), mais que "lorsque la personne morale pour le compte de laquelle l'avocat agit est une société commerciale dont les dispositions législatives qui la régissent désignent elle-même le représentant, comme c'est le cas pour la société à responsabilité limitée requérante, cette circonstance dispense le juge ou l'autorité administrative, en l'absence de circonstance particulière, de s'assurer de la qualité pour agir du représentant de cette personne morale".
La jurisprudence administrative a déjà admis que le gérant d'une SARL pouvait déposer une réclamation préalable au nom de la société qu'il représentait dès lors que, par une délibération régulière des associés, il s'était vu conférer l'ensemble des pouvoirs de gérant (CE Contentieux, 22 février 1980, n° 9817, Société à responsabilité limitée 'XX' N° Lexbase : A8603AIH ; CE 9° et 8° s-s-r., 22 février 1980, n° 09817, SARL BebeMam N° Lexbase : A5007B8X ; CE Contentieux, 22 février 1980, n° 9818, Société à responsabilité limitée 'XX' N° Lexbase : A8978AID).
L'invitation du Conseil d'Etat à vérifier, dans des circonstances particulières, la qualité à agir du représentant de la personne morale concernera, notamment, l'hypothèse de l'intervention d'un salarié de la personne morale tel que le directeur juridique et fiscal ou le directeur financier. Il en sera de même d'une action menée par un associé non gérant dont la jurisprudence dénie la qualité à agir au nom de la société (8) (CE Contentieux, 22 décembre 1982, n° 22006, Société à responsabilité limitée Bois de Noras N° Lexbase : A1024ALI).
A la fin des années 80, le législateur est intervenu afin de faciliter la reprise des entreprises industrielles en difficulté, faisant l'objet d'une cession ordonnée par la juridiction compétente, au profit d'une société créée dans ce but (CGI, art. 44 septies N° Lexbase : L1524HLZ).
Dans ce cadre, il était prévu une exonération temporaire d'impôt sur les sociétés, au profit de la société créée à cet effet, à raison des bénéfices réalisés.
Par une décision du 16 décembre 2003, la Commission européenne a déclaré le régime de l'article 44 septies comme violant le droit communautaire (BOI 4 H-2-04 N° Lexbase : X0821ACE). Cette décision a fait l'objet de débats importants au cours de l'année 2004 compte tenu des incidences pour les entreprises françaises alors tenues de restituer les aides d'Etat à l'exception de celles n'ayant pas dépassé le plafond de minimis (QE n° 41179 de Mme Sylvia Bassot, réponse publiée au JOAN Q du 27 juillet 2004, p. 5816, 12ème législature N° Lexbase : L9898GQN (9)).
Le législateur a alors réagi promptement en refondant substantiellement le régime afin d'en assurer la légalité au regard de l'encadrement communautaire des aides d'Etat (loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004, art. 41 N° Lexbase : L5204GUB) introduisant, notamment, un plafonnement en fonction du lieu d'implantation et de la taille de l'entreprise ainsi qu'une exclusion de certains secteurs d'activité (10). Le toilettage communautaire ayant entraîné une considérable complexification des dispositions applicables rétroactivement à la date du 16 décembre 2003, l'administration est venue apporter d'utiles précisions (instruction du 27 juillet 2005, BOI 4 H-3-05 N° Lexbase : X3296ADG ; instruction du 1er avril 2005, BOI 4 H-1-05 N° Lexbase : X0158AD9).
Les faits de l'espèce rapportent que la société Midi Asphalte Entreprise a bénéficié, au titre de l'IS, du régime de l'article 44 septies du CGI, antérieurement à la décision de la Commission européenne précitée, et de l'article 1464 B-I du CGI relatif à la taxe professionnelle (N° Lexbase : L0108HMX).
A la suite d'une procédure de vérification de comptabilité, la société Midi Asphalte Entreprise s'est vue déchargée des rappels de cotisations d'IS et de taxe professionnelle par la cour administrative d'appel de Marseille (CAA Marseille, 4ème ch., 21 novembre 2006, n° 04MA01694, Société Midi Asphalte Entreprise N° Lexbase : A9740DSK) qui a jugé que l'activité de la contribuable était bien industrielle.
Le Haut Conseil, saisi au titre d'un pourvoi en cassation par le Ministre de l'Economie et des Finances, indique en premier lieu qu'ont un caractère industriel, au sens des articles 44 septies et 1464 B-I du CGI, "les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en oeuvre est prépondérant". Il s'agit par conséquent d'appliquer un double critère conduisant à censurer la juridiction d'appel qui s'était bornée à relever que le rôle des installations techniques, matériels et outillages était prépondérant dans l'activité de la contribuable "sans rechercher également si l'activité de la société Midi Asphalte SA concourait directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers".
Appliquant les dispositions de l'article 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil d'Etat dit pour droit que l'activité de réalisation de l'étanchéité des toitures, terrasses et façades, des dallages d'asphalte et de toutes activités en rapport avec les bâtiments et travaux publics ne peut être considérée comme une activité industrielle dès lors que l'activité de l'entreprise "ne concourt pas directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers" quand bien même la contribuable fabriquerait elle-même l'asphalte utilisé pour ses prestations. D'autre part, la Haute juridiction administrative considère que "le bénéfice ne peut être pris en compte que globalement au titre de l'impôt sur les sociétés" : la société Midi Asphalte ne peut se prévaloir partiellement de l'exonération au titre de sa seule activité de fabrication d'asphalte. Enfin, au regard de la taxe professionnelle, "cette activité ne constitue pas, en l'espèce, une activité distincte pouvant bénéficier, par elle-même, de l'exonération prévue par l'article 1464 B du code".
Sur la définition d'une activité industrielle, la position du Conseil d'Etat est conforme à la jurisprudence jusqu'alors adoptée en ce sens que le caractère industriel d'une activité ne se résume à la seule question de l'importance des moyens employés : l'activité doit, également, être de nature industrielle, entendue comme la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers (11).
Ces deux critères cumulatifs ont été retenus par les juges du fond dans plusieurs décisions. Ainsi, c'est sans surprise qu'une activité consistant en des travaux de démolition et de décontamination n'a pas été regardée comme une activité industrielle per se (CAA Douai, 2ème ch., 27 juillet 2007, n° 06DA00987, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Enviropole N° Lexbase : A9062DYB) ; il en est de même d'une société qui ne met pas en oeuvre elle-même les moyens techniques pour la transformation ou l'assemblage de produits semi-finis (CAA Lyon, 2ème ch., 30 septembre 2004, n° 02LY00254, SA Charles Guyon N° Lexbase : A2643DEM).
Par la présente décision, le Conseil d'Etat réitère à nouveau le caractère cumulatif des conditions susvisées au regard de la notion d'entreprise industrielle.
La décision rendue par le Conseil d'Etat est relative aux effets fiscaux de la rédaction d'un protocole de présentation de clientèle d'un expert-comptable à l'un de ses confrères conclu en octobre 1993. Puis, en octobre 1994, les parties signent un avenant fixant la liste des clients cédés et le prix après réalisation des conditions suspensives. Selon les contribuables, le fait générateur de l'imposition au titre de la plus-value devait être fixé en 1994, après réalisation des conditions suspensives, et non en 1993 ainsi que le soutenait l'administration fiscale.
La cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 3ème ch., 7 juin 2005, n° 03DA00401, M. et Mme Paul Deperrois N° Lexbase : A2640DKY), saisie par les contribuables, déboute les requérants de leur demande en soulignant que, si la convention conclue entre les parties comportait bien des clauses suspensives conditionnant sa validité à l'agrément de l'acquéreur auprès du conseil régional de l'ordre des experts-comptables, la juridiction d'appel en conclu pourtant que la vente était parfaite dès lors que "le prix a été payé et la livraison effectuée au cours de l'année 1993" et que, de ce fait, les clauses litigieuses ne pouvaient être considérées comme suspensives.
La Haute juridiction administrative censure la juridiction d'appel et règle l'affaire au fond en s'appuyant sur les dispositions de l'article L. 821-2 du CJA (N° Lexbase : L3298ALQ).
Rappelons en premier lieu que la profession d'expert-comptable est réglementée par l'ordonnance du 19 septembre 1945 instituant un monopole légal (12) (ordonnance n° 45-2138 du 19 septembre 1945, portant institution de l'ordre des experts-comptables et réglementant le titre et la profession d'expert-comptable N° Lexbase : L8059AIC) dont la violation emporte des sanctions pénales à l'encontre des contrevenants (Cass. crim., 22 février 1996, n° 95-82.506 N° Lexbase : A9166AB4) (13) et des conséquences civiles quant à l'extinction de l'objet social d'une société d'expertise-comptable ne comprenant plus le nombre minimum d'experts-comptables imposé par l'article 7 de l'ordonnance susvisée (Cass. com., 3 mai 1995, n° 92-18.000, Société Ficorgest, société à responsabilité limitée et autres c/ M. Henri Favero et autres N° Lexbase : A2422AGS) (14).
Or, au regard de l'article 80 de la convention conclue entre les intéressés, "pour être valable et exécutable, l'acte de cession devra être préalablement soumis à l'agrément du conseil régional de l'ordre des experts-comptables et de comptable agréé". Ainsi, le Conseil d'Etat en a conclu que les stipulations contractuelles susvisées devaient s'interpréter comme une "condition de validité" dont la réalisation conditionnait le fait générateur de l'imposition.
Sur le plan civil, aux termes de l'article 1168 du Code civil (N° Lexbase : L1270ABN) : "L'obligation est conditionnelle lorsqu'on la fait dépendre d'un événement futur et incertain, soit en la suspendant jusqu'à ce que l'événement arrive, soit en la résiliant, selon que l'événement arrivera ou n'arrivera pas". Les auteurs expliquent alors que : "la condition suspensive permet aux cocontractants de conclure un contrat tout en suspendant l'existence même des obligations devant en naître à la survenance d'un évènement futur et incertain. Autrement dit, son intérêt fondamental est de cristalliser l'accord définitif des parties tout en réservant la naissance des effets juridiques de cet accord au seul cas où l'évènement désigné se produirait" (W. Dross, Clausier Dictionnaire des clauses ordinaires et extraordinaires des contrats de droit privé interne, LexisNexis, 2008, p. 108). Elle doit être nécessairement stipulée : ainsi, un acquéreur ne peut solliciter l'annulation d'un contrat de vente d'un bien dès lors qu'il s'est simplement contenté d'informer le vendeur de sa motivation consistant en la recherche d'un régime fiscal considéré comme plus avantageux (Cass. civ. 3, 24 avril 2003, n° 01-17.458, FS-P+B N° Lexbase : A5477BMS) (15).
Sur le plan fiscal, la juridiction administrative en tire les conséquences en imposant une plus-value l'année de cession du bien, dès lors que l'acte ne comportait aucune clause suspensive et sans que le contribuable puisse opposer le fait que l'enregistrement de l'acte et le paiement avaient eu lieu après la clôture de l'exercice au cours duquel la cession avait été effectuée (CE 3° et 8° s-s-r., 7 juillet 2000, n° 208508, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Fernandez N° Lexbase : A5195B7K). La même solution est retenue par les juges du fond lors de la cession de parts de SCI pour laquelle la date de l'acte sous seing privé est la référence en l'absence d'une condition suspensive (CAA Nantes, 2ème ch., 29 novembre 1989, n° 89NT00234, Chevallier N° Lexbase : A8381A8W). A l'inverse, le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 23 janvier 1985, n° 43748, Besancenot N° Lexbase : A2911AMR) considère qu'une stipulation contractuelle, insérée dans une convention datée du 15 décembre 1976, subordonnant la cession d'une étude notariale au jour de la prestation de serment de son successeur, s'analyse comme une condition suspensive : le contribuable ne pouvait alors prétendre rattacher la plus-value de cession de son étude à l'année 1976 dès lors que le cessionnaire avait prêté serment en avril 1977.
Au cas particulier, le Conseil d'Etat juge à bon droit que "la plus-value n'a été réalisée qu'à la date de réalisation de la condition" en 1994 et non en 1993. Les Hauts magistrats concluent très logiquement à la décharge de l'imposition litigieuse pour l'année considérée. La volonté clairement exprimée des parties dans leur contrat entraîne des conséquences juridiques dont il est particulièrement heureux de constater, à nouveau, les effets que le droit fiscal doit en tirer en tant que droit de mise en oeuvre (J. Carbonnier, Flexible droit Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème édition, 2001, p. 406).
Les juristes qui cultivent l'art du maniement de la plume s'exerceront également à la lecture austère du Code général des impôts ; de même, les fiscalistes auront un grand intérêt à ne pas faire abstraction de leurs connaissances en droit civil lorsqu'ils seront amenés à formuler une opinion en droit fiscal. Tous pourront aussi choisir de travailler ensemble : "Juristes et fiscalistes ont de plus en plus besoin les uns des autres..." (F. Deboissy, La simulation, LGDJ, 1997, 4° de couverture).
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