La lettre juridique n°292 du 14 février 2008 : Santé

[Le point sur...] Les soins palliatifs comme alternative à la demande d'euthanasie

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par Soliman Le Bigot et Laure Chateau, LBM avocats

le 07 Octobre 2010

La question de l'euthanasie a été mise en avant dans l'actualité à la suite de certaines affaires judiciaires telles que celle de Vincent Humbert, dont l'association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) s'est emparée pour exiger le vote d'une loi autorisant la pratique de l'euthanasie en France. Cette mise en avant a été suivie d'un appel des 2 000 médecins et soignants, dont le nombre augmente chaque jour, qui se fonde sur l'interprétation d'un sondage Sofres/Admd du 10 mars 2006, pour affirmer que "les Français réclament massivement une loi légalisant l'euthanasie" ("9 français sur 10 depuis 20 ans"). Tous les soignants ne sont pas confrontés à ce drame, mais certains, qui assistent régulièrement leurs patients jusqu'à la mort, utilisent, dans les circonstances décrites, des substances chimiques qui précipitent une fin qu'ils estiment devenue trop cruelle, tout en sachant que cette attitude est en désaccord avec la loi actuelle. Des clarifications ou encore des protections ont été apportées par la loi d'avril 2005 (loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, relative aux droits des malades et à la fin de vie N° Lexbase : L2540G8L, dite loi "Leonetti"), mais certains soignants estiment qu'elles sont insuffisantes. Les soins palliatifs sont, aujourd'hui, une priorité nationale, comme l'a affirmé le Président de la République lors de sa conférence en mai-juin 2007, à l'occasion d'une visite d'unités de soins palliatifs, prévoyant un doublement des lits destinés à ces soins. Les soins palliatifs ou soins de fin de vie sont donc apparus, face à la demande croissante d'euthanasie ou d'assistance au suicide légalisée comme dans certains pays, tout d'abord, comme un nouvel espoir pour les patients et leurs proches, puis comme la clarification d'une situation ambiguë pour les professionnels de santé.

I - Un nouvel espoir pour les patients en fin de vie et leurs proches

La législation sur les droits des malades, en constante évolution, permet une meilleure organisation des soins palliatifs.

A - Organisation des soins palliatifs

Les soins palliatifs sont un enjeu de santé publique et un enjeu éthique. C'est la raison pour laquelle un Comité national de suivi des soins palliatifs et de l'accompagnement a été créé par un arrêté en date du 9 février 2006 (arrêté du 9 février 2006, relatif à la création et à la composition du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement de la fin de vie N° Lexbase : L7240HGA). Il a pour mission de proposer une politique nationale de développement des soins palliatifs, de donner son avis sur les textes réglementaires et d'accompagner la mise en oeuvre et le déploiement de cette politique. Ce comité a mis en place des groupes de travail ayant, notamment, pour objectifs la formation et la recherche des professionnels, ainsi que l'instauration d'interfaces pour l'organisation des soins palliatifs. Une des missions du Comité est de diffuser dans les établissements hospitaliers et d'intégrer à la pratique des soignants "les bonnes pratiques d'une démarche palliative" instaurées par la circulaire du 5 mai 2004.

Les soins palliatifs sont assurés au sein des structures hospitalières (lits identifiés de soins palliatifs -équipes mobiles de soins palliatifs (EMSP) ou unités de soins palliatifs (USP)-), et au sein des structures à domicile et réseaux de soins palliatifs, qui mettent en lien les ressources sanitaires et sociales sur un territoire donné autour des besoins des personnes.

De plus, le décret du 22 février 2007 (décret n° 2007-241 du 22 février 2007, relatif à l'intervention des structures d'hospitalisation à domicile dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées et modifiant le Code de la santé publique (dispositions réglementaires) et le Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L5150HUB) prévoit la mise en place structurée de soins palliatifs pour les patients des établissements d'hébergement aux personnes âgées (EHPA). Ces structures mobilisent des compétences pluridisciplinaires qui correspondent, en pratique, à une triple prise en charge du malade, à savoir une prise en charge médicale, relationnelle et sociale. Une circulaire commune DGAS - DHOS relative au développement des soins palliatifs dans les établissements médico-sociaux est actuellement en projet. De même, un projet de décret relatif aux conditions d'exercice des professionnels de santé délivrant des soins palliatifs à domicile, en application de l'article L. 162-1-10 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L9347HEW), est en cours d'élaboration.

B - Droits des malades en soins palliatifs et de leurs proches

Tout d'abord, les patients faisant l'objet de soins palliatifs ont des droits spécifiques.

La loi du 9 juin 1999 (loi n° 99-477 du 9 juin 1999, visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs N° Lexbase : L9171AMM) a instauré un droit au traitement de la douleur. Depuis la publication de cette loi, les établissements de santé ont pour mission de développer les unités de soins palliatifs et d'adopter un programme d'action contre la douleur. De plus, la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie est venue consacrer le droit à laisser mourir de la personne malade.  Il convient, toutefois, de souligner que le droit au refus de soins avait déjà été affirmé par loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA ; C. santé publ., art. L. 1111-4 N° Lexbase : L9876G8B). Le malade peut donc s'opposer à toute investigation ou thérapeutique. 

De l'avis même des patients, ce droit à laisser mourir est perçu de façon positive :
- cette nouvelle approche de la mort permet aux patients de rester maîtres de leur fin de vie ;
- la peur de la mort s'estompe grâce à l'accompagnement continu ;
- le bien-être de la personne souffrante ou mourante est recherché.

Le développement des soins palliatifs assure le respect de la dignité de la personne mourante en lui donnant la possibilité de rester sujet jusqu'à son dernier souffle.

L'"acharnement thérapeutique" est, également, proscrit par la loi du 22 avril 2005, en ces termes : "les actes de prévention, d'investigation et de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris".

Ensuite, la loi du 9 juin 1999 a instauré un droit, pour les proches d'un malade en soins palliatifs -ascendants, descendants ou toute personne partageant le domicile-, de bénéficier d'un "congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie" d'une durée maximale de trois mois. Ce congé, qui peut être transformé, avec l'accord de l'employeur du salarié qui le demande, en période d'activité à temps partiel, est sans effet sur les dispositions relatives aux congés pour événements personnels et pour événements familiaux. La loi a prévu une procédure simplifiée pour pouvoir en bénéficier. En effet, le salarié "doit envoyer à son employeur, au moins quinze jours avant le début du congé, une lettre recommandée avec demande d'avis de réception l'informant de sa volonté de bénéficier du congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie, ainsi qu'un certificat médical attestant que la personne accompagnée fait effectivement l'objet de soins palliatifs". Toutefois et contrairement au congé de maternité ou de paternité, le congé d'accompagnement d'une personne en fin de vie n'est pas rémunéré.

Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement, qui vient de rendre son rapport annuel, en octobre 2007, souligne à juste titre que la naissance et la mort sont les deux temps essentiels de la vie parce qu'elles en matérialisent les bornes et que c'est bien l'existence de ce bornage qui permet de donner sens à la vie. Il n'en reste pas moins que, dans les faits, ce congé est difficile à mettre en oeuvre.

II - Clarification d'une situation ambiguë pour les soignants

Le rôle initial du personnel de santé est de soigner ou, à tout le moins, d'apporter aide et assistance au patient incurable. Or, confronté à un patient atteint d'une maladie incurable qui demande sans ambages au soignant de mourir, quelles sont les obligations éthiques et juridiques de celui-ci ? En accédant à la demande de son patient, souhaitant clairement "en finir", le médecin s'expose à des sanctions pénales.

A - Obligations et droits des soignants

  • Obligations des soignants

Les soignants confrontés à des malades en fin de vie sont tenus de mettre en oeuvre tous les moyens à leur disposition afin de soulager la souffrance du malade. Le médecin doit, de ce fait, accompagner le patient et l'assister moralement. Ainsi, engagerait sa responsabilité, un médecin qui ne s'inquiéterait pas d'une douleur suspecte. De plus, la loi réaffirme l'interdiction de l'acharnement thérapeutique, visée par l'article R. 4127-37 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L0501HHZ), défini comme "la poursuite d'une thérapeutique lourde à visée curative alors même qu'il n'existe aucun espoir réel d'obtenir une amélioration de l'état du malade, et qui a pour résultat de prolonger la vie du malade". Pour autant, le médecin peut avoir le souhait louable d'épargner les souffrances inutiles aux malades incurables. Toutefois, la loi du 22 avril 2005 ne dépénalise pas l'euthanasie. En effet, même si le malade le demande, l'administration délibérée de substances létales dans l'intention de provoquer la mort est juridiquement qualifiée de meurtre ou d'assassinat, si l'administration desdites substances a fait l'objet de préméditation, et pourra être sanctionnée pénalement.

Le droit français est, ainsi, en accord avec le droit européen. La question du suicide assisté s'est, en effet, aussi posée en droit européen. Atteinte d'une maladie neurodégénérative incurable, Diane P., ressortissante britannique demandait, en effet, à la Cour européenne des droits de l'Homme que son mari ne soit pas poursuivi s'il l'aidait à se suicider puisqu'elle en était physiquement incapable en raison de sa maladie. Elle invoquait pour ce faire l'article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4753AQ4), lequel garantit le droit à la vie. Or, la Cour a refusé de considérer que l'article 2 de la CESDH confère un "droit à mourir" et donc d'autoriser le suicide assisté de la requérante (CEDH, 29 avril 2002, req. n° 2346-02, Pretty c/ Royaume-Uni N° Lexbase : A5415AY9). 

Un développement accru des soins palliatifs éviterait donc aux soignants d'éventuelles poursuites pénales car les demandes d'euthanasie sont très rares lorsque les malades en fin de vie sont bien entourés et bien pris en charge.

  • Droits des soignants

Les droits du médecin face à une demande d'euthanasie ont été renforcés par la loi du 22 avril 2005. Cette loi a apporté une protection juridique aux médecins confrontés à une demande d'arrêt de traitement du patient incurable. Lorsqu'un patient "en phase avancée ou terminale d'une affectation grave et incurable" décide de limiter ou d'arrêter un traitement curatif "agressif", le médecin doit respecter sa volonté, après l'avoir bien entendu informé des conséquences exactes de sa décision. Le médecin doit alors proposer au patient de bénéficier de soins palliatifs. Le médecin ne peut hâter intentionnellement le processus naturel de la mort, mais peut épargner les souffrances d'une affection terminale par l'abstention de soins avec l'accord du patient ou de ses proches.

Le fait de ne pas donner de soins à une personne qui les a refusés expressément ne constitue pas une faute pour le médecin. Toutefois, le fait de ne pas prendre en compte la douleur du patient constitue une faute professionnelle. Si le malade en fin de vie est inconscient, toute décision d'arrêt ou de limitation des traitements implique une concertation collégiale de l'équipe médicale soignant le patient et la consultation de la "personne de confiance" désignée par les "directives anticipées" que le patient a pu rédiger "moins de trois ans avant son état d'inconscience". Il convient de souligner que les directives anticipées ont une valeur indicative pour les médecins. De même, l'avis de la personne de confiance prévaut sur tout autre avis non médical.

L'arrêt des traitements est conditionné à l'inscription de la volonté du patient dans le dossier médical dans un souci de transparence et afin de prévenir d'éventuelles poursuites pénales envers le médecin ayant arrêté les soins curatifs. De ce fait, le médecin n'aura plus de réticence à respecter la volonté du patient, puisqu'il ne voit pas planer sur lui une condamnation pénale.  Dans le cadre des soins palliatifs, les malades se sentent accompagnés et pris en charge, ce qui rend très rare la demande d'euthanasie.

Le développement des soins palliatifs est donc nécessaire pour protéger aussi bien les patients que les médecins.

B - Vers un développement des soins palliatifs tant sur le plan de la formation que des moyens donnés aux professionnels de santé

Le rapport 2007 du Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement insiste sur l'importance d'une meilleure formation des acteurs de santé en matière de soins palliatifs.  De plus, pour augmenter l'efficacité des soins palliatifs et améliorer le travail de l'équipe soignante il est nécessaire de développer les réseaux. Tous les acteurs de santé doivent se coordonner pour optimiser la qualité des soins et sécuriser la prise en charge globale de certains patients. La loi de 1999 a permis une augmentation significative du nombre des réseaux, qui regroupent différents acteurs médicaux et sociaux (1).  Ces professionnels ne se substituent pas au médecin traitant : leur rôle est d'offrir aux malades une permanence et une continuité des soins et un environnement de compétences aux acteurs de soins déjà engagés dans la prise en charge. En plus de leur mission généraliste de soin, les hospitalisations à domicile (HAD) dédient environ 30 % de leur activité aux malades en fin de vie.

Ainsi, s'ils le désirent les malades et leur famille peuvent retourner ou rester sur leur lieu de vie habituel, tout en étant assurés d'une qualité de soins identiques à celle des structures hospitalières de soins palliatifs.

Ces réseaux organisent autour du malade toute une structure qui permet aux soignants de réaliser une prise en charge optimale et de placer le patient dans les meilleures conditions possibles. Toutefois, pour que les réseaux soient pleinement efficients, un regroupement des thématiques entre prise en charge de la douleur et soins palliatifs est nécessaire. Afin de perfectionner ces réseaux, une circulaire DHOS - CNAMTS, relative au référentiel d'organisation des réseaux en soins palliatifs et prenant appui sur la circulaire du 2 mars 2007, relative aux orientations de la DHOS et de la CNAMTS en matière de réseaux de santé (Circ. DHOS/CNAM, n° 2007/88 N° Lexbase : L8714HUB), a été élaborée.

Il ressort de plusieurs études que la France est en retard par rapport à d'autres pays tels l'Angleterre ou l'Espagne, et il est urgent qu'elle le rattrape. En Angleterre, la médecine palliative est une spécialité et sa préoccupation permanente est la volonté du patient.  75 % des soins palliatifs appartiennent au secteur caritatif, dont les ressources proviennent de donation, de collectes de fonds, de legs, ou de magasins de charité.

Lors du vote de la loi du 22 avril 2005, le Gouvernement avait annoncé l'ouverture de 1 990 lits supplémentaires de soins palliatifs et la création de 35 nouvelles unités mobiles en 2005.  A ce jour, en France, les moyens en personnel et de bénévoles sont encore insuffisants.  De même, la formation des acteurs de santé est à améliorer.Le Comité national de suivi du développement des soins palliatifs et de l'accompagnement préconise, également, une plus grande information du grand public, notamment, par des campagnes de sensibilisation et par la mise à disposition des usagers d'un formulaire d'information concernant "la fin de vie, la mort, la définition et les enjeux des soins palliatifs".

Le Comité soutient que le développement des soins palliatifs nécessite des moyens accrus et des actions concrètes et qu'une véritable culture des soins palliatifs, qui valorise autant le temps de la naissance que celui de la mort, soit instaurée. Pour cela, les soins palliatifs ne doivent pas être enfermés dans le seul champ de la médecine.


(1) Les réseaux de santé subventionnés : fonctionnement, responsabilités et enjeux, L'avocat dans la Cité, Tome 2, éditions Lamy, Soliman Le Bigot et Peggy Grivel, Avocats à la Cour, Commission Bioéthique et Droit de la Santé du Barreau de Paris.

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