La lettre juridique n°281 du 15 novembre 2007 : Responsabilité

[Jurisprudence] Appréciation des notions de "conducteur" et d'"accident de la circulation" au sens de la loi du 5 juillet 1985

Réf. : Cass. civ. 2, 25 octobre 2007, n° 05-21.807, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A2528DZN)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

L'occasion a, à d'assez nombreuses reprises d'ailleurs, été donnée de signaler l'importance du contentieux en matière d'accidents de la circulation et les difficultés suscitées par la mise en oeuvre de la loi du 5 juillet 1985, tendant à l'amélioration de la situation des victimes d'accidents de la circulation et à l'accélération des procédures d'indemnisation (loi n° 85-677 N° Lexbase : L4304AHU), applicable, aux termes de l'article 1er de la loi, "même lorsqu'elles sont transportées en vertu d'un contrat, aux victimes d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Les discussions portent assez fréquemment sur le régime d'indemnisation prévu par la loi et, par suite, sur l'incidence de la faute du conducteur sur la réparation de son dommage (art. 4) (1), ou sur l'appréciation de la faute inexcusable, seule faute susceptible d'être opposée à la victime qui n'a pas la qualité de conducteur et qui demande la réparation des dommages causés à sa personne (art. 3). Et l'on n'ignore pas, sur ce terrain précisément, que la Cour de cassation n'admet que très restrictivement la qualification de faute inexcusable, suivant en cela l'objectif poursuivi par le législateur. Mais encore faut-il, pour que ces questions se posent, que la loi soit applicable, autrement dit que, en amont, les conditions de mise en oeuvre du dispositif d'indemnisation soient remplies. Ainsi se demande-t-on, le plus souvent, si le véhicule terrestre à moteur est bien "impliqué" dans l'accident au sens de l'article 1er de la loi, interrogations que la Cour de cassation cherche à tarir en faisant une appréciation très large de la notion d'implication (2). Nul n'ignore, en effet, que la jurisprudence a, non seulement, abandonné une distinction à laquelle on avait pu, dans un premier temps, songer, selon que le véhicule est ou non en mouvement, décidant ainsi que le fait qu'un véhicule heurté soit en stationnement sans perturber la circulation n'exclut pas son implication dans un accident (3), mais encore considéré qu'un véhicule pouvait être impliqué dans un accident même en l'absence de contact, dès lors qu'il est intervenu d'une manière ou d'une autre dans cet accident (4). Parfois, ce sont les notions, apparemment pourtant plus simples, "d'accidents de la circulation" et de "conducteurs" qui font débat, comme en témoigne un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 25 octobre dernier.

En l'espèce, le propriétaire d'un véhicule, qui l'avait confié à un garagiste en vue d'effectuer une vidange, avait, alors que le véhicule était installé sur un pont élévateur, mis en marche le moteur du véhicule, et ce à la demande d'un employé du garage. Projeté vers l'avant, le véhicule a blessé l'employé qui a demandé la réparation de son dommage au propriétaire du véhicule et à son assureur. Ce dernier reprochait aux juges du fond d'avoir dit le véhicule impliqué dans un accident de la circulation, faisant valoir que les dispositions de la loi du 5 juillet 1985 ne bénéficient qu'aux victimes d'un accident de la circulation, et qu'un véhicule qui est installé sur un pont élévateur n'est pas en circulation, si bien qu'en jugeant du contraire, après avoir constaté qu'au moment de l'accident, le véhicule "se trouvait toujours sur le pont élévateur", la cour d'appel aurait violé l'article 1er de la loi.

La Cour de cassation a, cependant, rejeté le moyen du pourvoi. Pour approuver les premiers juges, la Cour relève, en effet, "qu'ayant retenu que le véhicule était stationné dans un atelier de réparation automobile, qui n'est pas un lieu impropre au stationnement d'un véhicule, et que, mis en mouvement par le démarrage du moteur alors qu'une vitesse était enclenchée, il avait percuté [l'employé], la cour d'appel a exactement décidé que ce véhicule était impliqué dans un accident de la circulation au sens de l'article 1er de la loi du 5 juillet 1985, peu important qu'il se fût trouvé sur un pont élévateur". Evidemment, pour les profanes, la solution aura de quoi surprendre, tant il n'est a priori pas évident de considérer qu'un véhicule dans un garage sur un pont élévateur est "en circulation".

Le juriste sera, à vrai dire, bien moins étonné. Il a, en effet, déjà été jugé que la loi s'applique à l'accident survenu sur une voie privée de desserte d'un ensemble immobilier (5) ou dans un parking d'immeuble en sous-sol privatif (6) ou encore, plus proche de l'espèce aujourd'hui commentée, à l'accident dû au déplacement inopiné, par suite de la mise en marche du moteur, d'un autocar en réparation sur un terrain privé (7) ou d'un véhicule en réparation dans l'atelier mécanique d'une station service (8). De la même manière que, comme évoqué précédemment, l'appréciation restrictive des causes d'exonération de l'auteur du dommage se justifie par l'impératif d'indemnisation des victimes, l'appréciation extensive des conditions de mise en oeuvre de la loi est, elle aussi, commandée par le souci de protection et d'indemnisation des victimes qui constitue la raison d'être du régime dérogatoire prévu par la loi de 1985.

L'assureur, en l'espèce, contestait encore que le propriétaire du véhicule ait eu, au moment de l'accident, la qualité de conducteur. Selon le second moyen du pourvoi en effet, le fait pour le propriétaire d'un véhicule confié à un garagiste pour une vidange de prendre place au volant de son véhicule, installé sur un pont élévateur, et de tourner la clé de contact, à la demande expresse du professionnel de la réparation, ne lui faisait pas reprendre la garde de son véhicule puisqu'il n'avait aucun pouvoir de direction ou de contrôle sur celui-ci, dès lors qu'il ne pouvait pas l'utiliser à sa guise de manière autonome. Pas plus que le précédent, cet argument n'emporte la conviction de la Cour de cassation. Elle approuve les juges du fond, qui avaient relevé que M. V. avait remis en marche le moteur de son véhicule alors que celui-ci se trouvait toujours sur le pont élévateur et que pour ce faire, il avait tourné la clé de contact de son véhicule après avoir pris place au volant de celui-ci, d'avoir considéré qu'il "avait la qualité de conducteur du véhicule et était tenu en cette qualité d'indemniser la victime". Là encore, la solution ne surprend pas. Si n'a pas, selon la Cour de cassation, la qualité de conducteur la personne qui est sortie du véhicule dont elle se trouve à proximité et dont elle assurait la conduite dans un temps voisin de l'accident (9), ou celle qui était en train de changer une roue lors de l'accident (10) ou encore celle qui était descendue de sa voiture pour porter secours à une autre victime (11), la conserve, en revanche, celle qui est au volant de son véhicule lors de l'accident, quand bien même d'ailleurs le véhicule serait en réalité remorqué à l'aide d'une barre de fer courte et rigide (12), et ce au motif qu'elle aurait tout de même une certaine maîtrise dans la conduite du véhicule...(dévoiement de la notion de garde ?). Et l'on n'ignore pas, dans une hypothèse certes quelque peu différente mais tout aussi révélatrice de cette tendance, que ne perd pas la qualité de conducteur celui qui tombe de son engin et vient, en glissant sur la chaussée, heurter un véhicule (13).


(1) Voir, not., récemment, répondant au point de savoir si peut être opposée à la victime d'un accident de la circulation sa faute constituée par le fait d'avoir un taux d'alcoolémie supérieur au taux légalement admis, deux arrêts rendus en Assemblée plénière, abandonnant des solutions antérieures admises par la deuxième chambre civile considérant que le dépassement du taux d'alcoolémie autorisé faisait présumer le lien causal, ont jugé qu'un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation : Ass. plén., 6 avril 2007, 2 arrêts, n° 05-81.350, M. Daniel Duboust c/ Mme Patricia Pipon, P+B+R+I (N° Lexbase : A9501DUG) et n° 05-15.950, MACIF Provence-Méditerranée c/ M. Stéphane Devos, P+B+R+I (N° Lexbase : A9499DUD) ; et nos obs., Un taux d'alcoolémie excessif n'est pas constitutif d'une faute nécessairement causale d'un accident de la circulation, Lexbase Hebdo n° 259 du 10 mai 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N0432BBM).
(2) Pour une illustration récente de cette tendance, voir encore Cass. civ. 2, 4 juillet 2007, n° 06-14.484, Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF), FS-P+B (N° Lexbase : A0822DXQ).
(3) Cass. civ. 2, 23 mars 1994, n° 92-14.296, Consorts Fourdrin c/ M. Cailleux et autres, publié (N° Lexbase : A6597AXM), JCP éd. G, 1994, II, 22292, note P. Jourdain, D. 1994, p. 299, note H. Groutel.
(4) Cass. civ. 2, 18 mars 1998, n° 96-13.726, Fonds de garantie automobile (FGA) c/ Mutuelle assurance des commerçants et industriels de France (MACIF) et autres (N° Lexbase : A2686ACH), Bull. civ. II, n° 88.
(5) CA Paris, 14 février 1986, Gaz. Pal. 1986, 1, 304, note Chabas.
(6) Cass. civ. 2, 8 janvier 1992, n° 90-19.728, Compagnie d'assurance moderne des agriculteurs et autres c/ Consorts Ambos (N° Lexbase : A5560AHE), Bull. civ. II, n° 3.
(7) TGI Montpellier, 22 novembre 1994, JCP éd. G, 1997, II, 22775, note Bories.
(8) CA Bordeaux, 30 juin 1998, Gaz. Pal. 1999, 783, note Pastor.
(9) Cass. civ. 2, 4 décembre 1985, n° 84-13.226, Société d'assurances Helvetia accidents, époux Lefebvre c/ Epoux Erbel (N° Lexbase : A5953AAQ), Bull. civ. II, n° 186.
(10) Cass. civ. 2, 12 février 1986, n° 84-10.116, Consorts Ouazzani c/ Fonds de Garantie Automobile (N° Lexbase : A2904AAS), Bull. civ. II, n° 13.
(11) Cass. civ. 2, 20 juillet 1987, n° 86-13666, Garantie mutuelle des fonctionnaires et employés de l'Etat et des services publics (GMF) et autre c/ Société Taxibel et autres (N° Lexbase : A3034CI9), Bull. civ. II, n° 164.
(12) Cass. civ. 2, 14 janvier 1987, n° 85-14.655, Consorts Brival c/ M. Tixier-Vignancourt et autre (N° Lexbase : A6529AA3), JCP éd. G, 1987, II, 20768, note Chabas.
(13) Cass. civ. 2, 4 octobre 1989, n° 88-15.800, M. Khannous c/ M. Denny et autres (N° Lexbase : A3781AHI), JCP éd. G, 1991, II, 21600, note Dagorne-Labbé ; Cass. civ. 2, 11 janvier 1995, n° 93-15.766, Consorts Bryl c/ M. Merten et autres (N° Lexbase : A7826ABH), Bull. civ. II, n° 1.

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