La lettre juridique n°260 du 17 mai 2007 : Responsabilité

[Panorama] Panorama de responsabilité civile médicale (période du 1er septembre 2006 au 15 avril 2007)

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le 07 Octobre 2010

La loi dite "Kouchner" du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 N° Lexbase : L1457AXA) a mis en place un nouveau régime de responsabilité médicale, applicable tant dans le secteur privé que public, qui ne s'applique, en principe, qu'aux actes réalisés à compter du 5 septembre 2001 (1). Pour les actes réalisés avant cette date, c'est donc le régime de droit commun qui s'applique (I). La jurisprudence a, toutefois, à connaître de nombreuses hypothèses d'application de la loi du 4 mars 2002 (II). I - Régime de droit commun (actes réalisés avant le 5 septembre 2001)

A - Preuve

  • Expertise

Le recours à l'expertise est quasiment systématique en matière de responsabilité médicale. Même si on sait que les juges ne sont pas liés par les conclusions de l'expert, les rapports pèsent lourds dans les dossiers. Lorsqu'un arrêt est frappé d'un pourvoi en cassation, l'un des arguments soulevés par le demandeur est régulièrement le grief de dénaturation du rapport de l'expert. Un arrêt inédit rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 26 septembre 2006 donne à cet égard un exemple rare de dénaturation admise (Cass. civ. 1, 26 septembre 2006, n° 05-17.079, F-D N° Lexbase : A3525DRY).

Dans cette affaire, la juridiction d'appel s'était fondée sur les conclusions de l'expert pour condamner un obstétricien en raison de la contamination d'une jeune femme accouchée à la suite d'une transfusion de produits sanguins, la Cour affirmant "que le médecin expert mentionnait sans ambiguïté que dans le cas de Mme Y... la transfusion n'était pas indiquée et utile, l'accouchement n'ayant pas été hémorragique et les suites de l'accouchement étaient normales et la malade n'était pas anémique". C'est cet arrêt qui se trouve cassé dans la mesure où le rapport d'expertise faisait également apparaître "qu'à l'époque des faits, il était classique de transfuser les patientes qui avaient un peu saigné et qui étaient fatiguées dans les suites de couches. Cette position était effectivement en vigueur au moment des faits, le sang étant considéré comme un facteur de vie et sans complications majeures jusqu'à ce que nos connaissances évoluent dans ce domaine. Actuellement, les indications des produits sanguins labiles sont devenues beaucoup plus restrictives pour diverses raisons liées à la sécurité transfusionnelle". Dans ces conditions, la Cour de cassation conclut à la dénaturation du rapport de l'expert pour casser l'arrêt d'appel.

  • Preuve et incertitudes scientifiques

On sait, depuis 2003, que la Cour de cassation s'est refusée à condamner les fabricants de vaccins anti hépatite B mis en cause par les victimes de poussées de sclérose en plaque (2) ou du syndrome de Guillain-Barré (3), dans la mesure où aucune preuve scientifique de la défectuosité de ces produits, ni même d'un lien de cause à effet certain, n'a pu être établie avec certitude.

La prise de position du Conseil d'Etat dans ce débat était particulièrement attendue, même si on sait que ce dernier retient généralement de la causalité une conception encore plus stricte que la Cour de cassation (4).

Dans un arrêt rendu le 9 mars 2007, le Conseil d'Etat admet, de manière inédite, l'imputabilité de poussées de scléroses en plaque à une vaccination anti hépatite B, après avoir relevé que "les rapports d'expertise, s'ils ne l'ont pas affirmé, n'ont pas exclu l'existence d'un tel lien de causalité, l'imputabilité au service de la sclérose en plaques dont souffre Mme A doit, dans les circonstances particulières de l'espèce, être regardée comme établie, eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé l'injection de mars 1991 de l'apparition du premier symptôme cliniquement constaté de la sclérose en plaques ultérieurement diagnostiquée et, d'autre part, à la bonne santé de l'intéressée et à l'absence, chez elle, de tous antécédents à cette pathologie, antérieurement à sa vaccination" (CE 4° et 5° s-s-r., 9 mars 2007, n° 267635, Mme S. N° Lexbase : A5805DUK).

Loin de s'opposer à la jurisprudence de la Cour de cassation, cette décision est à rapprocher directement de la position adoptée par la Chambre sociale, puis par la deuxième chambre civile, admettant l'indemnisation, au titre des maladies professionnelles, de la sclérose en plaque dès lors que la victime avait été soumise à une vaccination anti hépatite B à titre professionnel (5). Dans cette hypothèse, en effet, l'existence d'une présomption d'imputabilité du dommage à l'activité professionnelle permet de transférer le risque de la preuve du lien de causalité des épaules du demandeur sur celles du défendeur, l'incertitude scientifique interdisant alors de renverser la présomption d'imputabilité et de prouver avec certitude l'absence de lien de cause à effet entre la vaccination et le dommage (6).

Il faut, par ailleurs, souligner ici qu'il ne s'agissait pas de condamner le fabricant du vaccin en raison de la défectuosité du produit, et donc d'établir cette défectuosité au regard des exigences de la Directive du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), mais simplement de rattacher, sur un plan strictement causal, un dommage à l'exercice de la profession ; l'enjeu du débat était, en effet, devant le juge administratif, d'obliger l'employeur public, en l'occurrence un hôpital public, à maintenir l'intégralité du traitement de l'infirmière malade en application de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 (loi n° 86-33, art. 41 N° Lexbase : L4535AHG) pendant son arrêt de travail. Le jeu de la présomption d'imputabilité du dommage à l'activité professionnelle suffisait donc à garantir le maintien de la rémunération, sans qu'il soit utile de statuer sur une éventuelle défectuosité du vaccin, tout comme cette même présomption avait permis à la victime, dans cette même affaire, d'obtenir réparation dans le cadre des dispositions de l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8298GTI) au titre des victimes de vaccinations obligatoires.

Pour les autres victimes, qui ne bénéficient pas d'une présomption légale d'imputabilité, l'absence de certitude sur le caractère défectueux du vaccin anti-hépatite devrait donc logiquement demeurer un obstacle à leur indemnisation auprès des laboratoires qui les fabriquent.

B - Fautes médicales

  • Fautes techniques

La question de la distinction qu'il a lieu d'opérer entre faute médicale et simple erreur est des plus délicates, et on avait cru déceler dans la jurisprudence de ces dernières années une certaine tendance à l'assimilation des deux afin de favoriser l'indemnisation des victimes. La Cour de cassation a même consacré, en 2000, une hypothèse de responsabilité sans faute prouvée du chirurgien qui lèse un organe étranger à l'opération menée, à moins qu'il n'établisse que cet organe présentait "une anomalie rendant son atteinte inévitable" (7).

Cette solution, parfois reprise par des juridictions d'appel (8), n'a toutefois pas été confirmée depuis au plus haut niveau et la Cour de cassation a rendu plusieurs décisions qui semblent aller en sens contraire dans des hypothèses comparables où la faute aurait pu être également présumée (9).

Deux arrêts inédits rendus le 3 avril 2007 montrent que la doctrine de la première chambre civile de la Cour de cassation ne semble toutefois pas véritablement arrêtée et que les juges du fond disposent en réalité d'une marge d'appréciation assez grande dès lors qu'ils motivent suffisamment leur décision.

Dans la première affaire (Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-13.457, Mutuelle d'assurances du corps de santé français (MACSF), F-D N° Lexbase : A9123DUG), la Cour de cassation admet purement et simplement l'assimilation entre maladresse et faute. En l'espèce, un médecin avait perforé l'oesophage du patient à l'occasion d'un examen endoscopique. La cour d'appel l'avait condamné après avoir relevé que la faute pouvait être déduite du geste maladroit du médecin. Or, l'arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi. Après avoir formellement indiqué que la cour d'appel était "dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de preuve qui lui étaient soumis", la Cour de cassation considère comme "légalement justifiée" la solution consistant à "déduire que M. X... avait ainsi commis une faute, exclusive de la notion de risque inhérent à un aléa médical", simplement à partir du constat "que la perforation instrumentale était la conséquence d'un geste maladroit du praticien".

Dans la seconde affaire, en revanche, la Cour distingue très nettement faute médicale et simple erreur de diagnostic (Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 05-10.515, F-D N° Lexbase : A8931DUC). La victime reprochait, ici, à un médecin une erreur de jugement. La cour d'appel avait considéré "qu'il ne pouvait être affirmé, contre les avis concordants des experts eux-mêmes, que l'erreur de jugement médical commise dans la sous-estimation de la gravité des faits soit constitutive d'un manquement dans l'obligation de soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science et qu'une erreur de diagnostic n'est pas constitutive d'une faute lorsque le médecin qui n'est tenu que d'une obligation de moyens a agi conformément aux données acquises de la science". Or, cet arrêt est confirmé par le rejet du pourvoi, la Cour de cassation affirmant à cette occasion "que la cour d'appel, ayant constaté que les experts avaient relevé que l'infection était masquée et fulminante et que son évolution n'avait pas permis de poser le bon diagnostic à temps, en a déduit, à bon droit, que les praticiens n'avaient pas commis de faute en ne posant pas le diagnostic exact".

Deux explications peuvent être ici fournies pour expliquer cette double solution.

La première tient, comme nous l'avons déjà indiqué, à la marge de manoeuvre laissée aux juges du fond, la Haute juridiction leur laissant une très large marge d'appréciation pour qualifier la faute médicale. La seconde pourrait bien marquer une plus grande sévérité pour les gestes chirurgicaux, et une plus grande tolérance pour les diagnostics médicaux, certainement en raison de la complexité de certaines pathologies.

  • Manquement à l'obligation d'information

- Précisions devant figurer sur les documents signés par les patients

L'inversion de la charge de la preuve du défaut d'information réalisée en 1997 par la Cour de cassation (10), en 2000 par le Conseil d'Etat (11) et en 2002 par le législateur (12), a logiquement incité les praticiens à se préconstituer la preuve écrite que le patient a bien été informé des risques auxquels il se trouve exposé. Il était donc prévisible que les litiges glissent de l'existence de la preuve de la délivrance de l'information à celui de la qualité de l'information donnée.

C'est tout l'intérêt d'un arrêt rendu le 7 septembre 2006 par la cour d'appel de Douai (CA Douai, 3ème ch., 7 septembre 2006, F. D. c/ P. N° Lexbase : A2278DWB). Dans cette affaire, une patiente qui avait subi une perforation du colon au cours d'une coloscopie, reprochait au gastro-entérologue ne pas l'avoir informée du risque de perforation intestinale. Le médecin se contentait de produire un document, signé du patient, dans lequel il était indiqué que ce dernier admettait avoir été informé et déclarait donner un consentement éclairé, sans toutefois mentionner expressément l'information sur le risque qui s'était effectivement réalisé, à savoir le risque de perforation intestinale. Ce document n'est pas jugé pertinent par la cour d'appel de Douai qui constate que le risque qui s'est précisément réalisé n'apparaissait pas formellement.

Le médecin échappe toutefois à la condamnation car la cour d'appel avait considéré que cette faute n'avait pas déterminé le patient à consentir puisqu'il aurait de toute façon accepté l'acte, même informé. Reprenant ainsi les enseignements dégagés par la Cour de cassation dans le second arrêt "Hédreul" (13), la cour de Douai a donc considéré que la faute commise n'avait pas causé de dommage au patient. Pour des raisons identiques, d'ailleurs, d'autres demandes présentées par des patients qui n'avaient pas été informés ont été rejetées dans d'autres affaires (14).

- Information et urgence

La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser, en 1998, quelles étaient les limites à l'obligation d'information qui pèse sur le médecin, singulièrement en cas d'urgence (15), avant que la loi du 4 mars 2002 ne vienne logiquement le confirmer (16).

Un arrêt rendu le 28 novembre 2006 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence nous en livre une illustration intéressante (CA Aix-en-Provence, 10ème ch., 28 novembre 2006, Bounoi c/ V. N° Lexbase : A2275DW8). Dans cette affaire, une patiente, envoyée à une clinique privée pour la suture d'un tendon, avait été vue en consultation pré-anesthésique en urgence et programmée pour une intervention chirurgicale le même jour. A son réveil, la patiente présentait un pneumothorax partiel droit, devenu complet le lendemain matin. Elle avait alors assigné l'anesthésiste et la clinique en réparation de son préjudice, notamment sur le fondement d'un manquement du médecin à son obligation d'information. La cour d'appel d'Aix-en-Provence l'a déboutée de ses demandes après avoir relevé que l'opération avait été pratiquée en urgence, ce qui ôtait au défaut d'information sur le risque de pneumothorax son caractère fautif.

- Evaluation du préjudice

Jusqu'à une période récente, deux cas de figure se dégageaient dans la jurisprudence de la Cour de cassation lorsqu'il convenait de déterminer l'étendue de la réparation due au patient privé de l'information à laquelle il avait droit avant l'opération, dès lors que cette faute l'avait bien entendu déterminé dans ses choix (17) : soit il apparaissait certain que, sans cette faute, le patient aurait choisi une autre voie, et la réparation du préjudice final devait être intégrale (18), soit la faute lui avait simplement fait perdre une chance de faire un choix plus judicieux et la réparation de cette perte de chance ne pouvait être que partielle.

Depuis 2004, la première chambre civile de la Cour de cassation impose l'indemnisation d'une simple perte de chance, et, à ce titre, la réparation d'une simple fraction du préjudice final (19).

C'est ce que confirme un arrêt inédit en date du 13 février 2007, aux termes duquel "la violation d'une obligation d'information ne peut être sanctionnée qu'au titre de la perte de chance subie par le patient d'échapper, par une décision peut-être plus judicieuse, au risque qui s'est finalement réalisé et que le dommage correspond alors à une fraction des différents chefs de préjudice subis qui est déterminée en mesurant la chance perdue et ne peut être égale aux atteintes corporelles résultant de l'acte médical" (Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 06-12.372, F-D N° Lexbase : A2249DUT).

C - Lien de causalité

Nous avons déjà eu l'occasion de souligner l'importance de la preuve du lien de causalité entre le dommage dont souffre la victime et l'acte médical en cause, singulièrement dans les affaires où des fortes incertitudes scientifiques règnent. Dans les autres hypothèses, la Cour de cassation confirme que la charge et le risque de la preuve du lien de causalité unissant le fait du praticien au dommage pèsent bien sur les épaules de la victime, soit pour casser les arrêts ayant retenu une causalité incertaine (Cass. civ. 1, 5 décembre 2006, n° 04-16.515, F-D N° Lexbase : A8255DSK : "en statuant ainsi, sans caractériser le lien de causalité entre la perforation sclérale ayant entraîné la perte de l'oeil et une faute retenue à l'encontre du praticien, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé"), soit pour rejeter les pourvois dirigés contre les arrêts ayant, au contraire, fait application de cette exigence (Cass. civ. 1, 30 janvier 2007, n° 05-18.754, F-D N° Lexbase : A7831DT9 : "Attendu que la cour d'appel n'a pas dénaturé le rapport d'expertise et n'a pu que déduire de l'ensemble des constatations de l'expert que même fautive, l'absence, le 7 avril 1973, de prescription de gamma-globulines, dès lors que celle-ci aurait été trop tardive et dès lors inefficace, n'avait pas fait perdre de chance à Cyril X... ; que le moyen n'est donc pas fondé" ; Cass. civ. 1, 13 février 2007, n° 06-11.879, F-D N° Lexbase : A2244DUN : "en l'absence de preuve d'un lien de causalité entre les séquelles invoquées et l'intervention, la cour d'appel n'avait pas à se prononcer sur le devoir d'information du praticien et l'étendue de ces séquelles ; que le moyen n'est donc pas fondé" ; Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-19.020, FS-P+B N° Lexbase : A6869DUX : "Attendu que la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que les souffrances physiques éprouvées par la victime étaient liées à sa maladie et aux traitements nécessaires et que si ces derniers avaient été entrepris quelques semaines plus tôt, en l'absence de retard de diagnostic, elles n'auraient pas été moindres ; que le moyen n'est donc pas fondé" ; Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 05-10.515, F-D N° Lexbase : A8931DUC : "Mais attendu que [...] la cour d'appel, ayant constaté que les experts avaient relevé que l'infection était masquée et fulminante et que son évolution n'avait pas permis de poser le bon diagnostic à temps, en a déduit, à bon droit, que les praticiens n'avaient pas commis de faute en ne posant pas le diagnostic exact, ainsi qu'en l'absence constatée de lien de causalité certain entre le défaut de transfert d'Isabelle X... dans une unité de réanimation et son décès").

D - Régime de la créance de réparation

Tranchant une controverse doctrinale très vive et mettant fin à une divergence de jurisprudence entre la deuxième chambre civile et la Chambre criminelle de la Cour de cassation, un arrêt de Chambre mixte en date du 30 avril 1976 a admis la transmissibilité aux héritiers de la victime de la créance de réparation du préjudice personnel, et ce même en l'absence d'action engagée de son vivant contre le responsable (20).

C'est cette conception patrimoniale de la créance de réparation, quel que soit son objet, qui a été réaffirmée dans un arrêt publié rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 13 mars 2007 (Cass. civ. 1, 13 mars 2007, n° 05-19.020, FS-P+B N° Lexbase : A6869DUX). Au double visa des "articles 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) et 731 (N° Lexbase : L3338ABA) du Code civil", la Cour affirme, en effet, "qu'il résulte du premier de ces textes que toute personne victime d'un dommage, quelle qu'en soit la nature, a droit d'en obtenir l'indemnisation de celui qui l'a causé et, selon le second, que le droit à réparation du dommage résultant de la souffrance morale éprouvée par la victime avant son décès, en raison d'une perte de chance de survie, étant né dans son patrimoine, se transmet à son décès à ses héritiers".

II - Régime légal

A - Difficultés de l'application dans le temps de la loi du 4 mars 2002

L'article 101 de loi "Kouchner" du 4 mars 2002 a limité l'application dans le temps du nouveau régime légal d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux aux actes réalisés à compter du 5 septembre 2001. Certaines dispositions de la loi ont toutefois été déclarées applicables aux instances en cours, dès lors qu'aucune décision définitive n'est intervenue ; il s'agit de l'article 1er, consacré aux enfants nés avec un handicap, et de l'article 102 consacré aux victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l'hépatite C.

  • Enfants nés handicapés

L'article 1er de la loi du 4 mars 2002, destiné à briser les jurisprudences "Perruche" (21) et "Quarez" (22), devait s'appliquer de manière immédiate, jusqu'à ce que la Cour européenne des droits de l'Homme (23), et dans son sillage la Cour de cassation (24) et le Conseil d'Etat (25), n'écartent ce principe de l'application immédiate en raison de sa contrariété avec l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention protégeant le droit de propriété. Pour les enfants nés avant l'entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, il convient donc de continuer de faire application des solutions dégagées par la jurisprudence.

C'est bien ce que confirme la cour d'appel de Rennes dans un arrêt du 29 novembre 2006 qui conclut à la mise en cause de la responsabilité du radiologue qui, après une IRM obstétricale non contributive au diagnostic, n'a pas jugé bon d'effectuer une échographie morphologique de contrôle et a rassuré son confrère obstétricien sans l'inviter à effectuer une autre échographie lui-même, cette faute ayant fait perdre à la mère une chance d'effectuer une interruption thérapeutique de grossesse, la suspicion d'une holoprosencéphalie chez un jumeau dont le frère souffrait d'une anencéphalie étant une indication incontestable à la réalisation d'une interruption de grossesse, avant de fixer la perte de chance à 50 % (CA Rennes, 7ème ch., 29 novembre 2006, L. c/ D. N° Lexbase : A2280DWD).

  • Victimes contaminées par le VHC

L'article 102 de la loi du 4 mars 2002 dispose qu'"en cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur [...] Cette disposition [étant] applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable".

Si la victime dispose donc, désormais, d'un régime probatoire très favorable, encore faut-il qu'elle établisse être infectée par le virus de l'hépatite C, à défaut de quoi elle ne pourra bien entendu pas être indemnisée, faute de préjudice. C'est cette exigence de bon sens que rappelle un arrêt inédit rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 25 janvier 2007 (Cass. civ. 2, 25 janvier 2007, n° 06-16.000, FS-D N° Lexbase : A6969DTB : "c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis aux débats que la cour d'appel a décidé, sans se contredire, que Mme X... n'établissait pas qu'elle était porteuse du virus de l'hépatite C").

Une fois établis les éléments déclenchant le bénéfice de la présomption de contamination, la victime devra être indemnisée, à moins que l'établissement ne prouve que tous les produits transfusés étaient sains. En cas de doute, la victime devra être indemnisée, comme le rappelle très fermement la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt publié en date du 3 avril 2007 (Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-18.647, F-P+B N° Lexbase : A9158DUQ) et comme le montre un arrêt rendu par la cour d'appel de Rouen en date du 17 janvier 2007 (CA Rouen, 1ère ch., cab . 1, 17 janvier 2007, M. M. c/ EFS N° Lexbase : A2281DWE). Dans cette affaire, en effet, l'expert, après avoir écarté toute possibilité d'une contamination par un autre biais, n'avait pu établir la provenance de certains des culots sanguins administrés à la victime.

B - Victimes d'infections nosocomiales

  • Notion d'infection nosocomiale

La Cour de cassation a retenu une conception large de l'infection nosocomiale et refusé de distinguer selon que l'infection présente une origine endogène ou exogène, dès lors que le caractère pathogène du germe en cause résulte directement d'un acte invasif (26).

Or, le Conseil d'Etat, dans un arrêt en date du 25 octobre 2006, a refusé de considérer comme relevant de ce régime les infections d'origine endogène (CE, 4° et 5° s-s-r., 25 octobre 2006, n° 275700, CHU de Brest N° Lexbase : A4812DSZ ; dans le même sens, CAA Nancy, 25 janvier 2007, n° 06NC00684, Mlle Nathalie L. N° Lexbase : A9867DTM).

  • Régime d'indemnisation des infections nosocomiales

Alors que la jurisprudence avait, en 1999, retenu à la charge des médecins et établissements l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, dispensant la victime de la preuve d'une faute (27), la loi du 4 mars 2002 a, au contraire, limité le régime de la responsabilité de plein droit aux seuls établissements, imposant désormais la preuve d'une faute dans les actions dirigées contre les praticiens exerçant à titre libéral (28) ; en l'absence de faute, les victimes ayant atteint le seuil de gravité fixé par l'article D. 1142-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L4457DKB) pourront être indemnisées par l'Oniam.

C'est cette régression dans les droits des petites victimes d'infections contractées auprès de professionnels libéraux qu'illustre un arrêt rendu par la cour d'appel de Caen le 30 janvier 2007 (CA Caen, 1ère ch., sect. civ., 30 janv. 2007, B. c/ O. N° Lexbase : A2277DWA). Dans cette affaire, le patient avait subi une arthrographie du genou et une infection à streptococus oralis était apparue le lendemain. Faisant logiquement application au médecin libéral des dispositions de l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique, la cour d'appel de Caen déboute la victime dans la mesure où le professionnel avait pris les précautions d'asepsie nécessaires.

Christophe Radé
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
Directeur de l'Institut des Assurances de Bordeaux


(1) Sur cette question, voir toutefois les difficultés d'application évoquées infra.
(2) Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 01-13.063 (N° Lexbase : A5811C94), Resp. civ. et assur. 2003, chron. 28, note Ch. Radé ; D. 2004, jurispr. p. 898, note Y.-M. Sérinet et R. Mislawski ; JCP éd. G, 2003, II, 10179, note coll. ; Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 06-10.063 (N° Lexbase : A4172DU3), Resp. civ. et assur. 2007, mai.
(3) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, n° 03-19.534 (N° Lexbase : A6043DMR), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 91, et les obs..
(4) Rappelons que le Conseil d'Etat avait, en effet, refusé d'admettre l'existence d'un lien de causalité entre l'erreur de diagnostic de l'hôpital ayant empêché les parents de recourir à une IVG et la naissance de leur enfant handicapé, dans l'arrêt "Quarez" (CE, sect., 14 février 1997, n° 133238, CHR de Nice c/ Epoux Quarez N° Lexbase : A8308AD3, Rec. p. 44), alors que la Cour de cassation avait admis ce lien dans l'arrêt "Perruche" (Ass. plén., 17 novembre 2000, n° 99-13.701, M. X, ès qualités d'administrateur légal des biens de son fils mineur Nicolas et autre c/ Mutuelle d'assurance du corps sanitaire français et autres N° Lexbase : A1704ATB, Bull. ass. plén., n° 9).
(5) Pour un accident du travail : Cass. soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768 (N° Lexbase : A6375A7A), D. 2003, p. 1724, note H. Kobina Gaba ; Cass. civ. 2, 25 mai 2004, n° 02-30.981 (N° Lexbase : A2759DC8), Bull. civ. II, n° 237.
(6) En ce sens, notre étude Les présomptions d'imputabilité en droit de la responsabilité civile, Mélanges Ph. Le Tourneau, à paraître.
(7) Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-20.440 (N° Lexbase : A1673AIS), Resp. civ. et assur. 2000, comm. 272. Cass. civ. 1, 23 mai 2000, n° 98-19.869 (N° Lexbase : A7489AHT), Resp. civ. et assur. 2000, comm. 270 ; Gaz. Pal. 2000, n° 354 p. 42, note J.-L. Virfolet. Cass. civ. 1, 18 juillet 2000, n° 98-22.032 (N° Lexbase : A7456AHM), Resp. civ. et assur. 2000, comm. 370.
(8) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 1er décembre 2006, E. c/ G. (N° Lexbase : A2279DWC, perforation de l'intestin du patient en pratiquant une coloscopie).
(9) Cass. civ. 1, 9 mai 2001, n° 00-10.357 (N° Lexbase : A4095ATT) ; Cass. civ. 1, 13 novembre 2002, n° 01-00.377 (N° Lexbase : A7151A3A), CCConsomm. 2003, comm. 52, obs. L. Leveneur, JCP éd. G, 2003, I, 152, p. 1356, obs. G. Viney.
(10) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685 (N° Lexbase : A0061ACA), Gaz. pal. 27-29 avril 1997, p. 22, rapp. P. Sargos, note J. Guigue.
(11) CE, 5 janvier 2000, n° 181899, Consorts Telle (N° Lexbase : A3400B73) et n° 198530, AP-HP (N° Lexbase : A9408AGK), JCP éd. G, 2000, II, 10271, note J. Moreau ; Resp. civ. et assur. 2000, chron. 17, Ch. Radé.
(12) Loi "Kouchner" du 4 mars 2002 ; C. santé publ., art. L. 1111-2, al. 7 (N° Lexbase : L9874G89).
(13) Cass. civ. 1, 20 juin 2000, n° 98-23.046, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A3773AUB), D. 1999, p. 46, note H. Matsopoulou.
(14) CA Aix-en-Provence, 28 novembre 2006 (N° Lexbase : A2276DW9).
(15) Cass. civ. 1, 7 octobre 1998, n° 97-10.267 (N° Lexbase : A6405AGC), JCP éd. G, 1998, II, 10179, concl. J. Sainte-Rose, note P. Sargos ; D. 1999, jur. p. 145, note S. Porchy.
(16) C. santé publ., art. L. 1111-2, al. 2.
(17) Cass. civ. 1, 20 juin 2000, précité.
(18) Ainsi dans l'affaire "Perruche", précitée.
(19) Cass. civ. 1, 7 décembre 2004, n° 02-10.957 (N° Lexbase : A3421DEG), Resp. civ. et assur. 2004, comm. 60.
(20) Cass. mixte, 30 avril 1976, 2 arrêts, n° 73-93.014 (N° Lexbase : A5436CKK) et n° 74-90.280 (N° Lexbase : A5437CKL), D. 1977, p. 185, note M. Contamine-Raynaud. Dans le même sens : Cass. crim., 28 juin 2000, n° 99-85.660 (N° Lexbase : A3283AU7), Bull. crim., n° 248.
(21) Cf. supra.
(22) Cf. supra.
(23) CEDH, gr. chbre, 6 octobre 2005, deux arrêts, Req. 11810/03, Maurice c/ France (N° Lexbase : A6794DKT) et Req. 1513/03, Draon c/ France (N° Lexbase : A6795DKU), Resp. civ. et assur. 2005, comm. 327, et les obs..
(24) Cass. civ. 1, 24 janvier 2006, trois arrêts, n° 02-13.775 (N° Lexbase : A5688DMM), n° 01-16.684 (N° Lexbase : A5686DMK) et n° 02-12.260 (N° Lexbase : A5687DML), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 94, et les obs. Sur renvoi, CA Paris, 1ère ch., sect. B, 22 décembre 2006, n° 06/04079, A. c/ F. (N° Lexbase : A0514DUL) qui condamne le gynécologue-obstétricien qui n'a pas détecté les malformations du foetus lors des échographies, à réparer le préjudice subi par l'enfant atteint de graves malformations de la colonne vertébrale.
(25) CE, contentieux, 24 février 2006, n° 250704, Levenez N° Lexbase : A3958DNW), Resp. civ. et assur. 2006, comm. 127, et les obs..
(26) Cass. civ. 1, 4 avril 2006, n° 04-17.491 (N° Lexbase : A9651DNR), Bull. civ. I, n° 191 ; RTD civ. 2006, p. 567, obs. P. Jourdain : "Attendu, d'abord, que la responsabilité de plein droit pesant sur le médecin et l'établissement de santé en matière d'infection nosocomiale n'est pas limitée aux infections d'origine exogène"..
(27) Cass. civ. 1, 29 juin 1999, trois arrêts, n° 97-21.903, M. X c/ M. Y (N° Lexbase : A7452AHH), n° 97-15.818, M. X c/ M. Y et autres (N° Lexbase : A6644AHK) et n° 97-14.254, Caisse primaire d'assurance maladie de la Seine-Saint-Denis c/ M. Henry et autres (N° Lexbase : A6656AHY), JCP éd. G, 1999, II, 10138, rapp. P. Sargos. Pour des applications récentes : CA Paris, 1ère ch., sect. B, 8 décembre 2006, n° 02/05256 (N° Lexbase : A8813DS9).
(28) C. santé publ., art. L. 1142-1.

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