La lettre juridique n°260 du 17 mai 2007 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] La transmission des droits accessoires de la chose acquise à titre particulier

Réf. : Cass. civ. 1, 27 mars 2007, n° 04-20.842, Société Alcatel business systems (ABS), FS-P+B+I (N° Lexbase : A7902DU9)

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le 07 Octobre 2010

La complexification croissante des échanges implique, le plus souvent, que plusieurs contrats soient conclus en vue de la réalisation d'une même opération. Ainsi est-il fréquent, pour ne pas dire systématique, que l'entrepreneur, auquel le maître de l'ouvrage a confié la réalisation d'un ouvrage, fasse appel, pour celle-ci, à un vendeur ou à un fabricant afin de se procurer certains des produits dont il a besoin pour effectuer sa mission. Plus généralement, l'évolution contemporaine du droit des contrats a été marquée par la découverte d'une figure juridique nouvelle, celle des ensembles contractuels, c'est-à-dire de contrats qui, tout en conservant leur identité propre, poursuivent la réalisation d'une même opération globale (1). Dans ce contexte, la détermination de la nature des liens qui se nouent entre ceux que l'on appelle parfois, parce qu'ils n'ont pas directement échangé leur consentement, les "contractants extrêmes", n'a pas été sans soulever, en droit positif, un certain nombre de difficultés auxquelles a eu à répondre la jurisprudence. La question, d'une importance pratique considérable, en appelle à des considérations théoriques fondamentales et dépend, pour une large part, de l'analyse de l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK) et de l'effet relatif des conventions. Parmi les très nombreuses interrogations qui se posent ici, on s'est, entre autres, demandé si l'ayant cause à titre particulier, à qui son auteur ne transmet qu'un ou plusieurs droits ou biens déterminés, peut ou non invoquer à son profit des droits relatifs au bien transmis, alors que la transmission des dettes est, elle, en principe, exclue ? Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 27 mars dernier, à paraître au Bulletin, rappelle les principes directeurs de la matière : il affirme en effet que, "dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu'accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne".

L'arrêt confirme ainsi l'analyse doctrinale faite par Aubry et Rau qui enseignaient que, parmi les droits relatifs au bien transmis, l'ayant cause à titre particulier peut invoquer ceux "qui se sont identifiés avec cette chose, comme qualités actives, ou qui en sont devenus des accessoires" (2). Transposée au cas d'espèce, on comprend donc que soit transmise à l'ayant cause à titre particulier la clause compromissoire, qui est incontestablement un accessoire du droit d'action, lui-même accessoire du droit substantiel (3). La solution, qui peut se recommander de l'article 1615 du Code civil disposant que "l'obligation de délivrer la chose comprend ses accessoires et tout ce qui a été destiné à son usage perpétuel", permet ainsi de régler la question de la transmission à l'ayant cause à titre particulier des droits accessoires au bien transmis dans les chaînes de contrats.

Il y a chaîne de contrats lorsqu'un même bien est successivement l'objet de plusieurs contrats translatifs de propriété. La chaîne est dite "homogène" lorsque ces contrats sont de même nature (l'hypothèse d'une vente suivie d'une ou plusieurs reventes par exemple) ; elle est, au contraire, "hétérogène" lorsque ces contrats sont de natures différentes (fourniture d'un bien non à un acquéreur qui le revend, mais à un entrepreneur qui réalise au moyen de celui-ci un ouvrage pour le compte d'un client qui pourra ensuite le céder : vente, suivie d'un contrat d'entreprise, suivi d'une vente).

La question s'est rapidement posée de savoir si, dans l'hypothèse dans laquelle le bien ainsi transmis est, dès l'origine, affecté d'un défaut, son propriétaire actuel dispose d'un recours contre le seul contractant immédiat ou également contre le vendeur fabricant ou l'un quelconque des maillons de la chaîne ? Ainsi, si la chaîne est homogène, le sous-acquéreur dispose-t-il d'un recours contre le fabricant ou l'un quelconque des vendeurs intermédiaires, et si oui de quelle nature ? Si la chaîne est hétérogène, la même question se pose s'agissant du maître de l'ouvrage qui confie à un entrepreneur la réalisation d'un ouvrage en vue de laquelle celui-ci acquiert auprès d'un vendeur fabricant un bien qui s'avère défectueux : le maître de l'ouvrage dispose-t-il d'un recours, contractuel ou délictuel, contre le vendeur fabricant ?

S'agissant des chaînes de contrats homogènes, la jurisprudence a relativement rapidement posé le principe de la nature contractuelle des rapports pouvant exister entre les contractants extrêmes. Ainsi la première chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt en date du 9 octobre 1979, a-t-elle considéré que "l'action directe dont dispose le sous-acquéreur contre le fabricant ou un vendeur intermédiaire, pour la garantie du vice caché affectant la chose vendue dès sa fabrication, est nécessairement de nature contractuelle" (4). S'agissant des chaînes hétérogènes, mettant fin à une opposition célèbre entre la première chambre civile selon laquelle l'action était, ici encore, nécessairement contractuelle- et la troisième chambre civile -préférant le fondement délictuel-, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, par un important arrêt du 7 février 1986, a tranché en faveur de l'approche contractuelle de la première chambre civile : "le maître de l'ouvrage, comme le sous-acquéreur, jouit de tous les droits et actions attachés à la chose qui appartient à son auteur" (5). S'appuyant sur les analyses d'Aubry et Rau, la Cour de cassation fonde ainsi la transmission des actions de l'auteur sur l'idée que celles-ci sont un accessoire de la chose. Aussi bien, conservant sa nature contractuelle parce qu'elle est transmise avec la chose dont elle garantit la qualité et la conformité aux stipulations du contrat, comme un accessoire de celle-ci, l'action directe de l'ayant cause ne heurte-t-elle pas de front l'article 1165 du Code civil.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Sur lesquels, voir notamment B. Teyssié, Les groupes de contrats, thèse Montpellier, 1975 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, n° 77.
(2) Aubry et Rau, Cours de droit civil français, t. II, 7ème éd. par P. Esmein, § 176, n° 69.
(3) Comp., sur la transmission des actions en dommages et intérêts, Cass. civ. 3, 23 octobre 1991, n° 89-18.458, Epoux Pont c/ M. Chauvet (N° Lexbase : A4689AH7), Bull. civ. III, n° 244 ; en revanche, sur l'absence de transmission des actions nées au profit du vendeur à raison de dégradations causées à l'immeuble antérieurement à la vente, Cass. civ. 3, 4 décembre 2002, n° 01-02.383, Société La Maison ardennaise c/ M. Jean-Noël Collignon, FS-P+B (N° Lexbase : A1932A4C), Bull. civ. III, n° 250 ; Cass. civ. 3, 17 novembre 2004, n° 03-16.988, M. Maurice Piccot c/ Mutuelle des architectes français (MAF), FS-P+B (N° Lexbase : A9375DDL), Bull. civ. III, n° 207 ; Cass. civ. 3, 7 décembre 2005, n° 04-12.931, Société Malard c/ Société Paul Boussicault, FS-P+B (N° Lexbase : A9200DLC), Bull. civ. III, n° 244.
(4) Cass. civ. 1, 9 octobre 1979, n° 78-12.502, Société Lamborghini c/ Landrau, Constant, Compagnie Union des Assurances de Paris, Société des Voitures Paris Monceau (N° Lexbase : A4538AZ4), Bull. civ. I, n° 241, D. 1980, IR, p. 222, obs. Ch. Larroumet, RTD civ. 1980, p. 354, obs. G. Durry.
(5) Ass. plén., 7 février 1986, n° 83-14.631, Société Anonyme des Produits Céramiques de l'Anjou et autre c/ Syndicat des Copropriétaires de la Résidence Normandie et autres (N° Lexbase : A2559AAZ), D. 1986, jur., p. 293, note A. Bénabent, JCP éd. G, 1986, II, n° 20616, note Ph. Malinvaud, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd., par F. Terré et Ph. Simler, Dalloz, 2000, n° 252.

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