La lettre juridique n°222 du 6 juillet 2006 : Contrats et obligations

[Jurisprudence] Loteries publicitaires, quasi-contrats et aléa : la Cour de cassation affine sa position

Réf. : Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 05-18.469, Mme Valentine Mesplou, F-P+B (N° Lexbase : A9541DP3)

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le 07 Octobre 2010

Nul n'ignore plus que, depuis quelques années, la Cour de cassation a cherché à prendre à leur propre jeu ceux qui, sans scrupules, mettent en oeuvre des pratiques commerciales fort discutables en faisant croire à des consommateurs, plus ou moins avertis, qu'ils sont les heureux gagnants d'une loterie alors que, bien entendu, ils ne "gagnent", en réalité, que la possibilité de participer, moyennant d'ailleurs, généralement, l'adhésion à un service, à un tirage dont ils ressortent naturellement le plus souvent perdants. Et tous ceux qui suivent l'évolution du droit des obligations, et, en particulier, du droit des contrats, ne sont certainement pas non plus sans savoir que, dans son dernier état, la jurisprudence, après avoir rappelé que les quasi-contrats sont les faits purement volontaires de l'homme dont il résulte un engagement envers un tiers, a décidé, sur le fondement de l'article 1371 du Code civil (N° Lexbase : L1477ABC), que l'organisateur d'une loterie qui annonce un gain à une personne dénommée sans mettre en évidence l'existence d'un aléa s'oblige, par ce fait purement volontaire, à le délivrer (1). C'est cette solution que reprend et confirme un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 13 juin dernier, à paraître au Bulletin, en y apportant tout de même une précision utile quant à l'appréciation de la condition tenant à l'absence d'aléa.

Tout à fait classiquement oserait presque-t-on dire, une société avait annoncé à un consommateur qu'il avait gagné le premier prix d'un jeu qu'elle avait organisé, si bien que le consommateur avait assigné la dite société en paiement d'une somme correspondant au montant du prix annoncé. Mais les juges du fond, pour le débouter de sa demande, avaient fait valoir que, si, en effet, la première lettre parvenue au consommateur lui annonçait l'heureuse nouvelle, une seconde lettre, envoyée par la société quelques jours plus tard, faisait nettement apparaître l'existence d'un aléa, puisqu'il était indiqué au consommateur qu'il ne pouvait en définitive que prétendre, au terme d'un simple pré-tirage, qu'à l'un des prix mis en jeu.

C'est cette décision que casse, ici, la Cour suprême : elle énonce, en effet, sous le visa de l'article 1371 du Code civil, "qu'en se déterminant ainsi, en contemplation, notamment, d'un document postérieur à la lettre du 15 avril 1996 (première lettre), alors que l'existence d'un aléa affectant l'attribution du prix doit être mise en évidence, à première lecture, dès l'annonce du gain, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

On retiendra donc d'abord de cette décision que la Cour de cassation maintient le fondement de la solution posée en 2002 et entend, ainsi, continuer à contraindre les organisateurs de loteries qui annoncent un gain à une personne dénommée à s'exécuter, l'obligation de l'organisateur trouvant sa source dans un quasi-contrat.

Se trouvent ainsi délaissés les autres fondements auxquels la jurisprudence a parfois eu recours dans le passé et, en l'occurrence, l'engagement unilatéral de volonté (2), le contrat (3) ou la responsabilité civile. Toujours est-il qu'il n'est pas question ici de revenir sur l'importance d'une telle solution, tant il a déjà parfaitement été montré à quel point elle bouleverse l'économie et la logique du quasi-contrat (4).

Ensuite, et c'est sans doute là son principal apport, l'arrêt renseigne sur l'appréciation de la condition posée en 2002 par l'arrêt de Chambre mixte de la Cour de cassation tenant à l'absence d'aléa : pour pouvoir contraindre, sur le fondement du quasi-contrat, l'organisateur d'une loterie à payer au consommateur la somme promise, encore faut-il qu'il ait annoncé un gain "sans mettre en évidence l'existence d'un aléa".

Comme on pouvait s'en douter, le contentieux devait immanquablement se déplacer sur cette question, les organisateurs de loteries s'efforçant plus ou moins habilement d'introduire un aléa pas toujours facile à détecter pour le consommateur. Et, notamment, l'une des ruses consiste dans le fait, après avoir fermement annoncé un gain, à revenir en quelque sorte en arrière en faisant apparaître l'existence d'un aléa dans un document postérieur. Tel était ce qu'avait d'ailleurs mis en oeuvre l'organisateur de la loterie dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt rapporté. Soit, mais, trop tard : tel est le message de la Cour de cassation.

L'aléa excluant la remise de la somme annoncée doit avoir existé ab initio. Cette précision est utile et importante. Il reste à savoir si elle sera suffisante pour tarir le contentieux en la matière...

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Cass. mixte, 6 septembre 2002, n° 98-14.397, M. Stéphane Marchewka, P (N° Lexbase : A2645AZY) ; Cass. mixte, 6 septembre 2002, n° 98-22.981, Association UFC Que Choisir (N° Lexbase : A2644AZX), Bull. civ. n° 4, D. 2002, p. 2963, note Mazeaud ; puis, dans le même sens, Cass. civ. 1, 18 mars 2003, n° 00-19.934, M. Roger Vilanova c/ société Maison française de distribution, F-P+B (N° Lexbase : A5453A74), Bull. civ. I, n° 85, Rép. Defrénois 2003, p. 1168, obs. Libchaber, RDC 2003, p. 80, obs. Fenouillet, et nos obs., Les loteries et le quasi-contrat : la Cour de cassation enfonce le clou !, Lexbase Hebdo n° 66 du 10 avril 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N6808AAE).
(2) Cass. com., 28 mars 1995, n° 92-17.805, Société France direct service et autre c/ Mme Santucci (N° Lexbase : A8158ABR), D. 1996, p. 180, note Mouralis.
(3) Cass. civ. 2, 11 février 1998, n° 96-12.075, Société France direct service c/ Mme Fonvieille (N° Lexbase : A2639ACQ), D. 1999, p. 109, obs. Libchaber.
(4) Voir not. Mazeaud, note préc..

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