La lettre juridique n°217 du 1 juin 2006 : Marchés publics

[Jurisprudence] Le paiement direct des sous-traitants et la prise en charge des travaux non prévus au marché

Réf. : CAA Paris, 4ème ch., 21 mars 2006, n° 02PA03538, Société Geneton (N° Lexbase : A8869DNS)

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par Chrystel Farnoux, conseiller juridique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne

le 07 Octobre 2010

Un arrêt récent en date du 21 mars 2006 de la cour administrative d'appel de Paris a été rendu dans une matière ayant fait l'objet de nombreux contentieux et débats, à savoir les relations de sous-traitance dans les marchés publics et, plus particulièrement, la problématique du paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage. Le paiement direct a été consacré par la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance (N° Lexbase : L5127A8E) dans son article 6 et repris par l'article 115-1° du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1025DYM). Il convient, tout d'abord, de revenir sur la loi du 31 décembre 1975, reprise, pour partie, par les articles 115 à 117 du Code des marchés publics. Celle-ci est venue régenter les relations souvent complexes et déséquilibrées entre le maître d'ouvrage, le titulaire du marché et le sous-traitant de ce dernier chargé de l'exécution d'une partie des prestations (ou travaux).

Rappelons en préambule, la définition de la sous-traitance donnée par la loi du 31 décembre 1975, dans son article 1er. Il s'agit "de l'opération par laquelle un entrepreneur confie par un sous-traité et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution [...] d'une partie du marché public conclu avec le maître d'ouvrage".

En outre, il convient de préciser que le titulaire d'un marché public, ne peut sous-traiter qu'une partie du marché qui lui a été confié et ce, contrairement aux marchés dits privés passés par des maîtres d'ouvrages privés, marchés pour lesquels la sous-traitance pourrait être totale. Cette disposition réglementaire interdisant la sous-traitance totale dans le cadre des marchés publics est donc un élément à prendre en compte lors de la préparation du cahier des charges et lors de la décision relative à l'allotissement, ou non, du marché. En effet, prenons le cas d'un marché de travaux devant faire intervenir plusieurs corps d'états. Le fait de ne pas allotir pourra comporter des inconvénients, notamment, d'ordre financier dans la mesure où, ne pouvant exécuter la totalité des travaux, les PME ne se positionneront pas en direct et interviendront donc, le cas échéant, comme sous-traitant pour le compte d'entreprises générales. A l'inverse, l'allotissement peut être un blocage juridique lors de l'attribution, si la concurrence n'a pas suffisamment joué et si les offres présentées le sont par les entreprises générales qui, sur certains lots, auront inévitablement recours à la sous-traitance et ce, pour la totalité des travaux entrant dans le lot concerné. En effet, même si lesdites entreprises achètent les fournitures et matériaux, cela ne peut permettre de considérer qu'une partie du marché de travaux reste à leur charge.

L'arrêt récent de la cour administrative d'appel de Paris du 21 mars 2006 intervient, donc, comme précisé antérieurement, sur la problématique du paiement direct du sous-traitant par le maître d'ouvrage, paiement soumis à certaines conditions de fond et de forme. En outre, cet arrêt rappelle, dans l'un de ses considérants, les modalités de prise en charge des travaux non prévus au marché et non acceptés, préalablement à leur exécution, par le maître d'ouvrage.

I. Les conditions de mise en oeuvre du paiement direct

A. Rappel des conditions de fond

1) Condition relative au montant des prestations (ou travaux) sous-traitées

Le paiement direct du sous-traitant est mis en oeuvre lorsque le montant des prestations sous-traitées atteint 600 euros TTC. Ce seuil est rappelé tant par l'article 6 de la loi du 31 décembre 1975 précitée, que par l'article 115 du Code des marchés publics. Il s'agit d'un seuil très bas et ce, afin de répondre à la volonté de protéger la partie souvent la plus fragile de ce type de montage, à savoir le sous-traitant.

2) Condition relative à l'acceptation du sous-traitant et à l'agrément de ses conditions de paiement

Pour pouvoir bénéficier du paiement direct, le sous-traitant devra, au préalable, être accepté par le maître d'ouvrage et ses conditions de paiement être agréées par ce dernier. Il faut, en effet, rappeler à ce stade que la sous-traitance occulte est interdite (article 5 de la loi de 1975 précitée).

L'acceptation du sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement devront faire suite à une demande de l'entrepreneur principal (le titulaire du marché). Il convient de s'arrêter quelques instants sur ce point. Dans un arrêt rendu en date du 13 avril 2000, la cour administrative d'appel de Lyon rappelle que le paiement direct est subordonné à la double condition que, sur la demande de l'entreprise principale, le sous-traitant ait été accepté par le maître d'ouvrage et ses conditions de paiement agréées par ce dernier (CAA Lyon, 2ème ch., 13 avril 2000, n° 96LY00038, M. Orlic N° Lexbase : A0639BGR). La cour rappelle qu'aucun texte ne confère au maître d'ouvrage le pouvoir de prononcer l'acceptation du sous-traitant en l'absence de demande émanant du titulaire du marché et ce, alors même que le maître d'ouvrage a mis en demeure ledit titulaire de faire agréer ses sous-traitants.

En outre, il semblerait que le sous-traitant puisse solliciter lui-même son acceptation et l'agrément de ses conditions de paiement, la cour, dans l'arrêt précité du 13 avril 2000, précisant que si le requérant a sollicité directement du maître d'ouvrage, son agrément, "cette demande a été présentée postérieurement à l'exécution des travaux".

En cas de défaillance du titulaire empêchant le sous-traitant de pouvoir bénéficier du paiement direct, ce dernier devra donc exercer les voies de recours mises à sa disposition (référé si les conditions en sont réunies ou action classique devant le tribunal compétent).

B. Conditions de forme

Une fois ces deux conditions, dites de fond, réunies, les parties en présence (maître d'ouvrage, titulaire du marché et sous-traitant) sont tenues de suivre une certaine procédure lors de la mise en oeuvre du paiement direct, procédure déroulée par l'article 8 de la loi du 31 décembre 1975 susvisée, ainsi que par l'article 116 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1026DYN). C'est sur cet aspect particulier qu'intervient l'arrêt rapporté.

Rappelons donc, ici, les différentes étapes et cas de figure de mise en oeuvre de la procédure de paiement direct, ainsi que les obligations de chacune des trois parties en présence.

Le titulaire du marché envoie les pièces justificatives qui serviront de base au paiement, à l'entrepreneur principal, titulaire du marché. Le déroulement de la procédure va, ensuite, dépendre de la réponse qui sera apportée à ce dernier par ledit titulaire.

Hypothèse 1 : le titulaire du marché adresse au sous-traitant un refus motivé

Dans cette hypothèse, le problème se doit d'être réglé par les deux parties concernées à savoir l'entrepreneur principal et son sous-traitant (ou à défaut -en cas de blocage- par les juridictions compétentes).

Dans un arrêt en date du 20 mars 2001, la cour administrative d'appel de Marseille précise que le fait pour le titulaire de transmettre au maître d'ouvrage une acceptation d'un abattement des sommes dues au sous-traitant, en raison des reprises effectuées par une autre entreprise sur les travaux correspondants, suffit à faire apparaître l'opposition du titulaire au paiement direct des situations de son sous-traitant (CAA Marseille, 2ème ch., 20 mars 2001, n° 98MA00894, SA Entreprise Malet N° Lexbase : A3737BMD). Ainsi, la transmission de ces éléments permet au maître d'ouvrage de considérer qu'il s'agit d'un "refus motivé" faisant obstacle au paiement des sommes dont le règlement est demandé par l'entreprise sous-traitante. A ce titre, le maître d'ouvrage ne pourra voir sa responsabilité engagée, ayant agi sur refus motivé du titulaire du marché, seule entité avec laquelle il entretient une relation contractuelle.

Hypothèse 2 : acceptation des situations du sous-traitant par le titulaire du marché

Cette acceptation est, dans ce cas de figure, expresse (transmission de la demande de paiement revêtue de l'acceptation du titulaire). Ladite acceptation est transmise soit à la personne responsable du marché, soit à toute autre personne désignée à cet effet (maître d'oeuvre...).

A réception de cette dernière, la personne compétente avise le sous-traitant :
- de la date de réception de l'acceptation du sous-traitant ;
- des sommes dont le paiement est accepté.

Enfin, comme le rappelle l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris du 21 mars 2006 précité, l'ordonnateur mandate les sommes au vu des pièces justificatives fournies par le sous-traitant et revêtues de l'acceptation du titulaire du marché.

Hypothèse 3 : le titulaire du marché garde le silence pendant plus de 15 jours

Après transmission des pièces justificatives par le sous-traitant, le titulaire du marché garde le silence pendant plus de 15 jours à compter de la réception des dites pièces. Ainsi, ce dernier ne transmet ni refus motivé au sous-traitant, ni acceptation des situations de ce dernier, au maître d'ouvrage.

Dans cette hypothèse particulière, le sous-traitant envoie directement les pièces justificatives au maître d'ouvrage (ou à toute personne désignée dans le marché) par lettre recommandée avec accusé réception ou lui remet en mains propres contre récépissé dûment daté et inscrit sur un registre tenu à cet effet.

Dès réception desdites pièces justificatives fournies à l'appui de la demande de paiement, le maître d'ouvrage se doit de mettre en demeure le titulaire, afin que ce dernier lui fournisse la preuve du refus motivé qu'il a opposé à son sous-traitant et ce, dans les 15 jours à compter de la réception de ladite mise en demeure. Dans un second temps (dès retour de l'accusé de réception), le maître d'ouvrage informe le sous-traitant de la date de la mise en demeure.

A l'issue du délai de 15 jours si le titulaire n'a pas apporté la preuve demandée par le maître d'ouvrage, la personne responsable du marché (ou toute personne désignée à cet effet) paie les sommes dues au sous-traitant selon les modalités prévues par l'article 96 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1131DYK). Ainsi, c'est à compter de cette date (16ème jour à compter de la réception de la mise en demeure par le titulaire), que le paiement devient exigible (date de référence pour le calcul des intérêts moratoires éventuellement dus).

La cour administrative d'appel de Paris précise, dans son arrêt du 21 mars 2006, qu'en l'absence de mise en demeure effectuée par l'assistant à maîtrise d'ouvrage, il était impossible de refuser le paiement au sous-traitant et de lui opposer l'absence de remise par le titulaire du décompte définitif ainsi que l'absence de réalité des travaux. Le paiement devait donc être effectué. Le point de départ pour le calcul des intérêts moratoires est donc, dans cette hypothèse, la date de réception par le maître d'ouvrage, de la demande de paiement du sous-traitant.

II. La prise en charge des travaux non prévus par le marché

Le caractère forfaitaire du marché n'exclut pas, le paiement de certains travaux ou prestations complémentaires et ce, dans les conditions prévues par la jurisprudence. En effet, les arrêts rendus en la matière permettent d'identifier les circonstances permettant, ou non, au cocontractant de la personne publique d'être rémunéré au-delà du prix forfaitaire.

A. Travaux devant être pris en charge par le maître d'ouvrage

Il s'agit, notamment, des travaux indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art et ce, alors même qu'ils n'auraient pas fait l'objet d'un ordre de service autorisant leur exécution (notamment, CAA Nancy du 10 novembre 2004, n° 98NC02495, Commune de Pont-de-Roide c/ SARL Menuiserie Mettey N° Lexbase : A9787DHX ; CAA Nantes, 9 avril 2004, n° 01NT02276, M. Jean et Hôpital local de Lesneven N° Lexbase : A3622DDI ; CAA Douai, 17 février 2004, n° 01DA00448, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK).

Dans un arrêt du 6 février 2001, la cour administrative d'appel de Paris considère que ne sont pas indispensables les travaux effectués qui ont permis au maître d'ouvrage de réaliser une économie substantielle (CAA Paris, 4ème ch., 6 février 2001, n° 96PA00869, SEMAEC - Commune de Créteil N° Lexbase : A8314BHE). Dans cette hypothèse, le cocontractant ne peut être indemnisé du montant des travaux réalisés sans ordre de service.

Outre les travaux dits indispensables dont le principe de prise en charge est rappelé par l'arrêt étudié, d'autres circonstances permettent au titulaire de se voir rémunérer, pour des travaux non prévus par les clauses contractuelles et ce, nonobstant le caractère forfaitaire du marché. Il s'agit des circonstances suivantes :

1) Travaux supplémentaires ayant pour origine une faute du maître d'ouvrage, faute ayant retardé l'exécution du chantier et par conséquent, engendré des coûts supplémentaires pour le titulaire et, notamment :

- le retard du maître d'ouvrage à communiquer à l'assureur la déclaration préalable de la police unique de chantier (CAA Douai, 17 février 2004, n° 01DA00448, Commune de Lille N° Lexbase : A6721DBK) ;
- le retard du maître d'ouvrage à transmettre certaines informations nécessaires au titulaire pour poursuivre l'exécution du marché (CE, 12 octobre 1988, n° 56690, société anonyme "Entreprise OLIN" N° Lexbase : A9951APA).

2) Charges non prévues et résultant de modifications dans les modalités d'exécution du marché ou de travaux non prévus, demandées par le maître d'ouvrage (CAA Nantes, 9 avril 2004, n° 01NT02276 précité ; CE 1° et 2° s-s., 14 juin 2002, n° 219874, Ville d'Angers N° Lexbase : A9177AYK).

3) Survenance de difficultés exceptionnelles et imprévisibles ayant entraîné le bouleversement de l'économie du marché et, notamment :

- CAA Bordeaux du 26 février 2001, n° 98BX00696, SA BEC Frères (N° Lexbase : A6440BEA) ;
- les difficultés ont été, dans ce cas d'espèce, considérées comme imprévisibles contrairement à ce que soutenait le maître d'ouvrage et ce, dans la mesure où le délai d'un mois laissé aux candidats pour remettre leur offre a été jugé insuffisant pour leur permettre d'effectuer des sondages au niveau des sous-sols (CE, 12 mai 1982, n° 14735, Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône N° Lexbase : A0365AL4).

B. Travaux devant être pris en charge par le titulaire du marché

Ainsi, le titulaire du marché devra assumer l'ensemble des autres charges financières, le caractère forfaitaire du marché impliquant que ce dernier ait appréhendé de manière approfondie, les prestations/travaux à effectuer.

Ainsi, au vu des illustrations données plus haut, ont, notamment, été considérées comme devant être compris dans le prix forfaitaire et, par conséquent, comme devant rester à la charge du titulaire :

1) les charges résultant d'intempéries alors même, comme le relève la cour, qu'il n'est pas établi que les niveaux considérés contractuellement par le cahier des charges, comme prévisibles (et donc inclus dans le prix forfaitaire) avaient été dépassés (CAA Bordeaux, 2ème ch., 16 décembre 1993, n° 92BX00272, SA BEC Frères N° Lexbase : A3680BEZ) ;

2) les charges résultant de la nature des terrains. Dans son arrêt du 10 mai 1974, le Conseil d'Etat considère que le titulaire doit, préalablement à son engagement, "s'assurer de l'étendue des obligations qu'il devait assumer et tenir compte des divers aléas qu'il pourrait rencontrer, notamment concernant la nature des terrains" (CE 3° et 5° s-s., 10 mai 1974, n° 83364, Commune de San-Gavine-di-Fiumorbo et Groupement des entrepreneurs de Bâtiment et Travaux Publics de la Corse N° Lexbase : A7243B7E). Selon la Haute juridiction administrative, les difficultés rencontrées ne peuvent pas être considérées comme imprévisibles et anormales et doivent donc, à ce titre, être supportées par le titulaire.

C. Prise en charge partagée entre les parties

Dans certains cas, la responsabilité peut être partagée. Citons, à cet égard, l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 20 janvier 2004 (CAA Douai, 20 janvier 2004, n° 01DA00220, Société Rouen Seine Aménagement N° Lexbase : A5258DBD). Dans ce cas d'espèce, la responsabilité est partagée dans la mesure où si le cahier des charges comportait des contradictions, le titulaire aurait dû les soulever dans son offre.

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