Nombreux sont ceux qui perçoivent encore ce que l'on a coutume d'appeler "le marché" à travers l'allégorie de la jungle urbaine. Puisant dans l'imagerie populaire, le Douanier Rousseau n'aurait pas démérité ; mais, archétype de la peinture naïve que celle-ci, laissant penser que l'axiome de la libre concurrence régit l'ensemble du système et que toute tentative de la contraindre est vouée à l'échec. Que n'a-t-on pas sanctionné au regard du spectre de la non-concurrence, de l'entente ou de l'abus de position dominante ? Que n'a-t-on pas licencié au regard de la compétitivité primordiale aux fins de satisfaire au canon de la concurrence pure et parfaite ? En effet, "
rien ne focalise autant l'esprit que la vue permanente d'un concurrent qui peut vous balayer du marché" (Wayne Calloway). Et à y regarder de plus près, que témoignent ces tentatives de "maîtriser" "le marché", si ce n'est une irrésistible envie de civiliser quelque peu, sous couvert du
gentlemen agreement, cette jungle urbaine aux allures primitives ou surréalistes ? Si "
le désert n'ayant pas donné de concurrent au sable, grande est la paix du désert" (Henri Michaux), "
détruire la concurrence, c'est tuer l'intelligence" (Frédéric Bastiat). Et c'est cette peur de la concurrence exacerbée, à tous les étages de la production, qui a conduit à poser les règles de la non-concurrence salariale. Etrange jungle que celle-ci où la concurrence, bien que parfois contestée, est vertu commerciale, mais vice salarial ; car après tout, dans la jungle concurrentielle naturelle, si l'opossum se délecte des fourmis, celles-ci le lui rendent bien alors même qu'il agonise. Sur le marché du travail, c'est tout autre... Les clauses de non-concurrence insérées dans les contrats de travail n'ayant plus vraiment force de loi ou à un coût trop élevé au regard du risque concurrentiel encouru à la suite du départ d'un salarié chez un concurrent ou un client, la pratique juridique a imaginé, ou du moins développé, le mécanisme de non-sollicitation, par lequel une entreprise cliente ou partenaire s'engage à ne pas débaucher un de vos salariés. Etrange contournement de la libre concurrence et de la liberté de travail que voici ! Validée à nouveau, récemment, par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, la clause de non-sollicitation emporte toutefois quelques interrogations quant à son opposabilité au regard du tiers salarié : sa liberté de travail est entamée, son préjudice est prévisible à défaut d'être certain. Aussi, seul le salarié peut se prévaloir du trouble qu'est susceptible de lui causer une clause de non-sollicitation ne comportant pas de contrepartie financière. Afin de cerner les contours de cette pratique au regard de la jurisprudence actuelle, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire la chronique de
Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV,
Le régime juridique des clauses de non-sollicitation se précise.
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