La lettre juridique n°213 du 4 mai 2006 : Fiscalité des entreprises

[Doctrine] Pays créancier de la TVA sur les opérations en chaîne

Réf. : CJCE, 6 avril 2006, aff. C-245/04, EMAG Handel Eder OHG c/ Finanzlandesdirektion für Kärnten (N° Lexbase : A9379DNP)

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N7726AKD

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Quel est le pays créancier de la TVA sur une livraison de biens lorsque plusieurs entreprises de deux ou plusieurs Etats membres concluent successivement des contrats de vente portant sur les mêmes marchandises, lesquels sont ensuite exécutés moyennant un seul mouvement de marchandises du premier fournisseur au dernier acheteur ? Telle était la question à laquelle devait répondre la CJCE le 6 avril 2006.
La société K, établie en Autriche, a acquis des métaux non ferreux auprès de fournisseurs établis en Italie ou aux Pays-Bas et a demandé à un commissionnaire de transport de procéder à la livraison au profit d'un sous-acquéreur EMAG, lequel exerce également son activité en Autriche. K a acquitté la TVA autrichienne sur son acquisition intracommunautaire et a facturé la TVA autrichienne à son client EMAG. Ce sous-acquéreur entendait récupérer la TVA autrichienne facturée par K. L'administration fiscale autrichienne a refusé cette déduction au motif que la TVA en cause n'était pas exigible par K car les biens concernés auraient été livrés sur le territoire d'un autre Etat membre. Ainsi, quoique les mêmes marchandises n'aient réellement franchi la frontière autrichienne qu'une fois, la livraison intracommunautaire et l'acquisition correspondante auraient eu lieu deux fois, d'abord au profit de K, puis de K à EMAG. La CJCE écarte cette fantaisie et dit pour droit que :

"1) Lorsque deux livraisons successives portant sur les mêmes biens, effectuées à titre onéreux entre assujettis agissant en tant que tels, donnent lieu à une unique expédition intracommunautaire ou à un unique transport intracommunautaire de ces biens, cette expédition ou ce transport ne peut être imputé qu'à une seule des deux livraisons, qui sera la seule exonérée en application de l'article 28 quater, A, sous a), premier alinéa, de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, telle que modifiée par la Directive 95/7/CE du Conseil, du 10 avril 1995 (N° Lexbase : L9279AU9).

Cette interprétation est valable quel que soit celui des assujettis -premier vendeur, acquéreur intermédiaire ou second acquéreur- qui détient le pouvoir de disposer des biens pendant ladite expédition ou ledit transport.

2) Seul le lieu de la livraison qui donne lieu à expédition ou à transport intracommunautaire de biens est déterminé conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous a), de la sixième Directive 77/388, telle que modifiée par la Directive 95/7 ; il est réputé se situer dans l'Etat membre de départ de cette expédition ou de ce transport. Le lieu de l'autre livraison est déterminé conformément à l'article 8, paragraphe 1, sous b), de la même Directive ; il est réputé se situer soit dans l'Etat membre de départ, soit dans l'Etat membre d'arrivée de ladite expédition ou dudit transport, selon que cette livraison est la première ou la seconde des deux livraisons successives".

La sixième Directive-TVA offre ainsi plusieurs solutions en cas de livraisons successives qu'il convient d'exposer avant d'examiner la solution retenue.

1. Les solutions proposées

La déduction de la TVA payée aux fournisseurs suppose l'affectation des dépenses aux opérations imposables (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2). Encore faut-il qu'elle soit exigible sur lesdites dépenses. En effet, l'article 17 § 1 de la sixième Directive-TVA fixe la date de naissance du droit à déduction au moment de son exigibilité. En l'espèce, EMAG ne pouvait prétendre exercer un droit à déduction sans établir l'exigibilité de la TVA en cause. Or, l'administration fiscale autrichienne contestait l'exigibilité de la TVA en Autriche sur une livraison en provenance d'Italie ou des Pays-Bas. Le caractère successif des opérations semble l'avoir désorientée. K ayant acquis auprès de fournisseurs établis en Italie ou aux Pays-Bas et revendu à EMAG avant de recevoir les marchandises en Autriche, leur remise ayant lieu directement au profit du sous-acquéreur, la question se posait de savoir quelle était l'opération intracommunautaire exonérée au départ et taxable à l'arrivée. Plusieurs solutions paraissaient théoriquement envisageables avant la conclusion des contrats mettant le transport à charge de K.

Compte tenu du transport envisagé après conclusion de la revente, il eut été possible de considérer les achats de K comme des acquisitions réalisées en Italie ou aux Pays-Bas, selon le pays de départ. Les fournisseurs italiens ou néerlandais auraient alors facturé la TVA de leur pays (sixième Directive-TVA, art. 8 § 1, b). K prenant en charge le transport au profit d'EMAG, elle aurait réalisé des ventes intracommunautaires exonérées de TVA à partir de l'Italie ou des Pays-Bas vers l'Autriche (sixième Directive-TVA, art. 28 quater, A, a). L'exonération en résultant permettait de récupérer en Italie ou aux Pays-Bas la TVA ayant grevé ces livraisons (sixième Directive-TVA, art. 17). Le sous-acquéreur EMAG serait devenu redevable de la TVA autrichienne sur des acquisitions intracommunautaires (sixième Directive-TVA, art. 28 bis, 1, a, et 3, 28 ter, A, 1). Ces dépenses auraient ouvert droit à déduction (sixième Directive-TVA, art. 28 septies).

Une autre proposition simple s'offrait si le transport était intervenu dès la première vente. Les vendeurs italiens et néerlandais auraient réalisé des livraisons intracommunautaires exonérées au départ (sixième Directive-TVA, art. 28 quater, A, a). En qualité d'acquéreur intracommunautaire, K serait devenu redevable de la TVA en Autriche (sixième Directive-TVA, art. 28 bis § 1, a, et 3, et art. 28 ter, A, 1). La revente à EMAG en Autriche aurait relevé de la TVA autrichienne (sixième Directive-TVA, art. 8 § 1, a) et justifié l'exercice du droit à déduction de K dans ce pays (sixième Directive-TVA, art. 28 septies). La TVA supportée par EMAG serait devenue déductible par la seule affectation des dépenses concernées à ses opérations taxables (sixième Directive-TVA, art. 17 § 2).

Malheureusement pour les amateurs de contrats simples, K et EMAG sont convenus d'une autre modalité de livraison. K a pris en charge le transport au profit d'EMAG mais, afin d'éviter d'ajouter au prix du transport d'Italie ou des Pays-Bas vers l'Autriche celui du trajet en Autriche de son établissement à ceux d'EMAG, K a préféré faire réaliser le transport directement des pays d'acquisition initiale vers le pays du sous-acquéreur, l'Autriche. Au moins deux possibilités s'offraient quant à la charge du transport et de ses conséquences au regard de la TVA.

Le premier contrat aurait pu stipuler une vente franco au profit de K avec livraison directe au second acquéreur. K réalisant une acquisition intracommunautaire dès l'arrivée des marchandises en Autriche, à ce titre, serait devenu redevable de la TVA autrichienne (sixième Directive-TVA, art. 28 bis § 1, a, et 3 et art. 28 ter, A, 1). Une seconde livraison serait intervenue en Autriche, rendant la TVA de ce pays exigible et déductible par EMAG (sixième Directive-TVA, art. 8 § 1, a, et 17 § 2).

Quoique l'arrêt ne mentionne pas explicitement les stipulations initiales, il semble que le premier vendeur italien ou néerlandais ne se chargeait pas du transport. K prenant en charge le transport au profit d'EMAG, le transfert du pouvoir de disposer traduisant la première livraison s'effectuait en Italie ou aux Pays-Bas. Dans la mesure où les biens quittaient ensuite ces pays pour arriver en Autriche, la TVA autrichienne devait s'appliquer. Il suffit, en effet, pour caractériser une acquisition intracommunautaire, d'une expédition ou d'un transport à destination de l'acquéreur, en l'espèce K, par le vendeur ou l'acquéreur ou pour leur compte, vers un Etat membre, autre que celui de départ (sixième Directive-TVA, art. 28 bis § 3 et 28 ter, A, 1). L'acquisition intracommunautaire effectuée ainsi par K en Autriche lui permettait d'exécuter sur le territoire autrichien la livraison promise à EMAG. En conséquence, la TVA autrichienne devait s'appliquer et devenir déductible par EMAG en cas d'affectation des biens en cause à des opérations imposables. Telle est la solution retenue.

2. La solution retenue

La CJCE rejette l'existence de deux livraisons intracommunautaires invoquées par l'administration autrichienne. Dans le cas des opérations transfrontalières sur marchandises, la livraison intracommunautaire exonérée conformément à l'article 28 quater, A, a, de la sixième Directive-TVA constitue le pendant exact de l'acquisition intracommunautaire taxable définie par les articles 28 bis § 1 et 3 et art. 28 ter, A, 1, de ladite Directive. Dès lors qu'un seul mouvement de marchandises a franchi la frontière d'un Etat membre, il ne peut y avoir qu'une seule livraison exonérée d'un côté et une seule acquisition taxable de l'autre. Le contexte légal impératif s'arrête à l'unicité de l'opération intracommunautaire dans les opérations en chaîne.

S'agissant de la désignation de l'opérateur réalisant l'acquisition intracommunautaire, la CJCE s'en tient à la liberté contractuelle (§ 48 et s.). Selon l'article 28 bis § 3 de la sixième Directive-TVA, est considérée comme "acquisition intracommunautaire l'obtention du pouvoir de disposer comme un propriétaire d'un bien meuble corporel expédié ou transporté à destination de l'acquéreur, par le vendeur ou par l'acquéreur ou pour leur compte, vers un Etat membre autre que celui du départ du transport du bien". Ce transfert ne correspond pas nécessairement au transfert de propriété au sens du droit national. Il est suffisant que l'acquéreur soit habilité à disposer en fait de ce bien comme s'il en était propriétaire (CJCE, 21 février 2006, aff. C-255/02, Halifax plc c/ Commissioners of Customs & Excise, § 41 N° Lexbase : A0045DNY ; Yolande Sérandour, Abus de droit et TVA, Lexbase Hebdo n° 205 du 9 mars 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N5453AK8 ; CJCE, 8 février 1990, aff. C-320/88, Staatssecretaris van Financiën c/ Shipping and Forwarding Enterprise Safe BV, § 7 N° Lexbase : A7357AHX ; RJF 4/90, n° 504 ; CJCE, 4 octobre 1995, aff. C-291/92, Finanzamt Uelzen c/ Dieter Armbrecht, § 7 N° Lexbase : A7278AHZ ; RJF 12/95, n° 1447 ; CJCE, 21 avril 2005, aff. C-25/03, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ HE, § 64 N° Lexbase : A9457DHQ ; DF 2005, n° 46, comm. 735 ; Yolande Sérandour, Epoux indivisaires et déduction de la TVA, Lexbase Hebdo n° 166, du 5 mai 2005 - édition fiscale N° Lexbase : A9457DHQ). Le texte précité laisse le choix de l'initiative du transport aux parties. Le critère de l'acquisition intracommunautaire étant l'acheminement d'un Etat membre vers un autre au profit de l'acquéreur, peu importe qui en prend la charge.

Signalons que l'article 28 quater E, 3, de la sixième Directive-TVA ne trouvait pas, en l'espèce, à s'appliquer. Ce texte, spécifique aux opérations triangulaires, c'est-à-dire entre trois pays, dont deux membres de l'Union européenne enjoint à chaque Etat membre de prendre les mesures nécessaires afin de ne pas soumettre à la TVA les acquisitions intracommunautaires effectuées pour les besoins d'une livraison subséquente dans le même Etat.

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