La lettre juridique n°200 du 2 février 2006 : Social général

[Jurisprudence] Seule l'hypothèse d'une fraude autorise l'AGS à contester le montant des créances garanties en exécution d'une transaction

Réf. : Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-45.444, AGS c/ M. Vincent Sénequier-Crozet, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5501DMP)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Chargée de garantir le paiement des créances des salariés lorsque l'entreprise se trouve placée dans une situation d'insolvabilité, l'AGS cherche, dès qu'elle le peut, à contester le montant de sa propre garantie afin de résorber le déficit endémique qui est aujourd'hui le sien. La Cour de cassation n'a pas été particulièrement sensible à ces arguments de gestion et assure, au contraire, la protection des intérêts des salariés en restreignant le droit propre de contestation que lui reconnaît classiquement la jurisprudence. Dans cet arrêt en date du 25 janvier 2006, l'AGS cherchait à contester le montant de la créance du salarié, constatée dans une transaction conclue dans le cadre d'une médiation judiciaire (1). Or, la Cour de cassation a considéré que pareille contestation ne pouvait être admise que si l'AGS démontrait l'existence d'une fraude, ce qui nous semble parfaitement justifié (2).
Décision

Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-45.444, AGS c/ M. Vincent Sénequier-Crozet, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5501DMP)

Rejet (CA Grenoble, Chambre sociale, 2 juin 2003)

Textes concernés : C. trav., art. L. 143-11-1 (N° Lexbase : L7703HBW) ; C. trav., art. L. 143-11-8 (N° Lexbase : L7706HBZ) ; C. trav., art. D. 143-2 (N° Lexbase : L3725ABL) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) ; C. civ., art. 1351 (N° Lexbase : L1460ABP) ; C. civ., art. 2051 (N° Lexbase : L2296ABN) ; C. civ., art. 2044 (N° Lexbase : L2289ABE) ; loi n° 95-125, 8 février 1995, relative à l'organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative (N° Lexbase : L1139ATD).

Mots-clefs : licenciement ; transaction ; AGS ; droit propre ; contestation du montant de la créance garantie ; nécessité d'une fraude.

Lien bases :

Résumé

L'AGS n'est recevable à contester un accord transactionnel conclu au cours d'une procédure de médiation et homologué par le juge prud'homal qu'à la condition d'établir que cet accord procède d'une fraude. Trouvant son fondement dans l'article L. 122-14-4 du Code du travail (N° Lexbase : L8990G74), la créance indemnitaire du salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse relève du plafond 13, peu important que son montant résulte d'un accord de médiation.

Faits

1. M. Sénequier-Crozet, entré au service de la société Papeterie de la Gorge de Domène en 1976, a été licencié le 8 septembre 1998.

Il a saisi la juridiction prud'homale de demandes indemnitaires, en contestant notamment la cause de son licenciement. Une procédure de médiation, mise en place par le bureau de conciliation, a abouti à la conclusion d'un accord qui allouait des dommages-intérêts à M. Sénequier-Crozet et accordait à l'employeur des délais de règlement. Après l'homologation de cet accord par le juge prud'homal le 4 mai 2000, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Papeterie de la Gorge de Domène.

2. Le salarié a alors saisi à nouveau la juridiction prud'homale pour être reconnu créancier des sommes restant dues en vertu de cet accord.

La cour d'appel de Grenoble (2 juin 2003) a dit que l'AGS devait garantir le solde restant dû sur l'indemnité prévue dans cet accord, dans la limite du plafond de garantie le plus élevé.

Décision

1. "Après avoir exactement énoncé que l'AGS n'était recevable à contester l'accord transactionnel conclu au cours d'une procédure de médiation et homologué par le juge prud'homal qu'à la condition d'établir que cet accord procédait d'une fraude, la cour d'appel a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que cet accord, par lequel le salarié renonçait à une partie de ses prétentions, n'avait pas été conclu en vue de frauder aux droits de l'AGS".

2. "Trouvant son fondement dans l'article L. 122-14-4 du Code du travail, la créance indemnitaire du salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse relevait du plafond 13, peu important que son montant résulte d'un accord de médiation".

3. Rejet

Commentaire

1. Transaction et garantie de l'AGS

  • Premières remarques sur la transaction et le licenciement

La transaction conclue entre un salarié et son employeur postérieurement à la notification d'un licenciement présente, pour les parties, de nombreux avantages : elle met un terme rapidement au différend, permet de régler à l'amiable les conséquences les plus diverses du licenciement et permet parfois au salarié de percevoir rapidement des indemnités qu'il pourrait mettre des mois, parfois des années, à toucher dans le cadre d'une action judiciaire.

Le recours à la transaction présente surtout certains risques, en raison de l'effet qui s'y attache, puisqu'une transaction valablement conclue a autorité de la chose jugée entre les parties, et le salarié qui a mal négocié pourra se trouver privé d'indemnités auxquelles il aurait eu normalement droit dès lors que des concessions réciproques auraient été faites par les deux parties, et ce même si elles sont insuffisantes.

  • Transaction et situation de l'AGS

Ce risque pour le salarié se double d'un risque pour l'AGS qui doit garantir, en vertu de l'article L. 143-11-1 du Code du travail, les "sommes qui leur sont dues en exécution du contrat de travail". Or, dans le cadre d'une transaction, l'employeur peut être amené à consentir au salarié le paiement d'indemnités d'un montant parfois plus élevé que ce à quoi il aurait pu prétendre en application du Code du travail.

On sait que ces indemnités ne changent pas de nature lorsqu'elles sont comprises dans une transaction et qu'elles doivent donc normalement être garanties par l'AGS (Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-42.183, M. Gers c/ M. Pavec, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Senicorp, publié N° Lexbase : A5705AGE, Dr. soc. 2001, p. 672, obs. Ch. Radé) ; cette solution est logique dans la mesure où la transaction possède un effet déclaratif et qu'elle n'est pas censée créer de nouveaux droits au profit de ses parties, mais seulement reconnaître l'existence de créances préexistantes.

L'AGS peut donc avoir intérêt à contester les termes de l'accord transactionnel pour faire baisser le montant de sa garantie. Mais le peut-elle, et dans quelles conditions ? C'était l'enjeu de cet arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 25 janvier 2006.

  • Situation en l'espèce

Dans cette affaire, un salarié licencié avait, lors de l'audience prud'homale qui s'était engagée par la suite, conclu un accord transactionnel à l'occasion d'une procédure de médiation judiciaire. L'entreprise ayant été placée en redressement judiciaire, il avait saisi de nouveau la juridiction prud'homale afin de voir l'AGS condamnée à le garantir du paiement des sommes restant dues.

La cour d'appel de Grenoble (2 juin 2003) avait fait droit à ses demandes, dans la limite du plafond de garantie le plus élevé, ce que contestait, bien entendu, l'AGS qui avait formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Ce sera peine perdue dans la mesure où le pourvoi est rejeté, la Cour de cassation relevant, d'une part, "qu'après avoir exactement énoncé que l'AGS n'était recevable à contester l'accord transactionnel conclu au cours d'une procédure de médiation et homologué par le juge prud'homal qu'à la condition d'établir que cet accord procédait d'une fraude, la cour d'appel a retenu, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que cet accord, par lequel le salarié renonçait à une partie de ses prétentions, n'avait pas été conclu en vue de frauder aux droits de l'AGS" et, d'autre part, "que, trouvant son fondement dans l'article L. 122-14-4 du Code du travail, la créance indemnitaire du salarié pour licenciement sans cause réelle et sérieuse relevait du plafond 13, peu important que son montant résulte d'un accord de médiation".

2. Le droit propre à contestation limité à l'hypothèse d'une fraude

  • Une solution prévisible

C'était, à notre connaissance, la première fois que la Cour de cassation avait à se prononcer sur cette question. On pouvait s'attendre, toutefois, à la solution finalement adoptée compte tenu de la position adoptée en 2002, concernant le droit propre reconnu à l'AGS de demander la requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée. Rompant avec une solution jusque-là bien établie, la Cour de cassation avait limité ce droit à l'hypothèse de l'inexistence du contrat ou d'une fraude des parties (Cass. soc., 4 décembre 2002, n° 00-43.750, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1592A4Q, lire nos obs., Seule la fraude autorise l'AGS à demander la requalification d'un contrat à durée déterminée - chronique d'un revirement annoncé, Lexbase Hebdo n° 52 du 19 décembre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N5245AAI).

C'est donc dans la droite ligne de cet arrêt que la Cour de cassation a décidé de restreindre, également, le droit de contester la transaction conclue entre le salarié et l'employeur par l'AGS.

  • Une solution juridiquement fondée

Sur un plan juridique, la solution nous semble bienvenue.

La reconnaissance d'un droit propre de contestation de l'AGS a été classiquement discutée dans la mesure où il ne résulte d'aucun texte du Code du travail, mais d'une position adoptée par la Cour de cassation depuis 1978, tirée de la spécificité de cet organisme (Cass. soc., 3 mai 1978, n° 76-12.757, Assedic de l'Aisne, Assoc pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés AGS c/ Paradis, publié N° Lexbase : A8424AXB, D. 1978, jurispr. p. 492, note A. Honorat).

En limitant le pouvoir de contestation des accords conclus entre salariés et employeurs à la seule hypothèse de fraude, la Cour de cassation ne retient que la seule hypothèse véritablement incontestable, l'exception de fraude étant d'application générale en droit.

  • Une solution opportune

Sur le plan de l'opportunité, la décision semble également bienvenue.

Les parties disposent, en effet, d'une grande latitude lorsqu'elles négocient une transaction, dès lors que les droits sont disponibles et qu'elles se consentent des concessions réciproques. L'employeur peut, d'ailleurs, valablement consentir au salarié, en échange de la renonciation de ce dernier à agir en justice, des indemnités d'un montant supérieur à ce qui lui est garanti par le Code du travail ; or, ces accords sont, en toute hypothèse, valables dans le champ de l'ordre public social. Permettre à l'AGS de contester l'étendue de ces avantages n'aurait donc pas de sens car elle menacerait l'économie générale de la transaction. Il serait, par ailleurs, assez paradoxal de permettre à l'AGS de contester l'étendue de ces créances alors que les parties elles-mêmes n'en ont pas le droit.

Le contexte dans lequel cette transaction avait été conclue incite, d'ailleurs, encore plus fortement à approuver la décision. Dans cette affaire, la transaction avait été conclue dans le cadre d'une médiation judiciaire et fait l'objet d'une homologation judiciaire. Or, on peut penser que la juridiction avait vérifié que l'accord conclu respectait bien les droits des parties en présence mais aussi ceux des tiers, chargés d'en garantir le paiement, ou des organismes de recouvrement. Dans ces conditions, il semblait inutile de permettre à l'AGS de remettre en cause pareille transaction. Sans le dire, d'ailleurs, et tout en faisant référence au pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond, la Cour de cassation semble relever, comme une évidence, qu'il ne pouvait s'agir ici d'une collusion frauduleuse dans la mesure où le salarié avait, dans le cadre de cette transaction, renoncé à certains droits.

  • La confirmation d'une jurisprudence désormais passée sur les plafonds de garantie

Restait à déterminer l'étendue de la garantie de l'AGS et l'application de l'un des plafonds prévus par l'article L. 143-2 du Code du travail (N° Lexbase : L5755AC7).

Jusqu'à la réforme intervenue en 2003 -et qui a considérablement modifié les plafonds de garantie de l'AGS- (décret n° 2003-684 du 24 juillet 2003, modifiant l'article D. 143-2 du Code du travail, pris en application de l'article L. 143-11-8 du Code du travail, relatif aux plafonds de garantie des salaires en cas d'insolvabilité des entreprises N° Lexbase : L1124BIH, lire notre chron., A propos de la réforme de l'AGS : attention à vos créances, plafonds surbaissés !, Lexbase Hebdo n° 84 du 4 septembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8570AAN), dans un sens d'ailleurs très favorable à l'institution, l'article D. 143-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3725ABL) disposait que "le montant maximum de la garantie prévue à l'article L. 143-11-8 du Code du travail est fixé à treize fois le plafond mensuel retenu pour le calcul des contributions au régime d'assurance-chômage lorsque les créances résultent des dispositions législatives ou réglementaires ou de stipulations d'une convention collective et sont nées d'un contrat de travail dont la date de conclusion est antérieure de plus de six mois à la décision prononçant le redressement judiciaire".

Afin de favoriser les salariés, la Cour de cassation, revenant sur une jurisprudence antérieure plus restrictive, avait considéré, d'une part, que le plafond 13 devait s'appliquer toutes les fois qu'une créance trouvait sa source dans la loi ou le statut collectif, et ce même si son montant avait été conventionnellement majoré (Cass. soc., 15 décembre 1998, n° 98-40.937, Association pour la gestion du régime d'assurance des créances c/ M. Boue et autre, publié N° Lexbase : A4862AG8, Dr. soc. 1999, p. 152, concl. P. Lyon-Caen ; Dr. ouvrier 1999, p., rapp. J.-Y. Frouin, note ; D. 1999, p. 205, note C. Souweine) et, d'autre part, que lorsqu'une créance relevait du plafond 13 et d'autres du plafond 5, toutes devaient globalement être soumises au plafond 13 (Cass. soc., 30 novembre 1999, n° 96-40.686, M. Foucault c/ Groupement régional des Assedic de la région parisienne (Garp), publié N° Lexbase : A8053AGD, Dr. Soc. 2000, p. 222, obs. Ch. Radé).

C'est cette jurisprudence qu'applique ici, d'une manière inédite, la Chambre sociale de la Cour de cassation aux créances résultant d'un accord de médiation, en réalité d'une transaction homologuée. Les créances de rupture en cause résultaient bien des dispositions du Code du travail (indemnité pour absence de cause réelle et sérieuse, indemnité de licenciement ou de préavis, etc..) et leur montant avait bien été, pour certaines d'entre-elles, majoré par les parties. Compte tenu de sa jurisprudence désormais bien acquise, la Chambre sociale devait logiquement appliquer ici le plafond 13 à l'ensemble des créances.

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