La lettre juridique n°182 du 22 septembre 2005 : Social général

[Le point sur...] La santé mentale au travail

Réf. : L. Lerouge, La reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale au travail, préf. P. Chaumette, LGDJ 2005, coll. Bibliothèque de droit social, t. 40, 428 pages, 38

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le 07 Octobre 2010

Loïc Lerouge est à la fois un athlète-juriste de haut niveau (1) et un juriste-athlète, comme en témoigne la publication de sa thèse soutenue en décembre 2004, intitulée La reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale au travail (préf. P. Chaumette, LGDJ 2005, coll. Bibliothèque de droit social, t. 40). Au regard de son double profil, tout à fait exceptionnel chez les universitaires, il était attendu et logique qu'il investisse un champ qu'il connaît bien -le sport- pour écrire sur le contrat de travail du sportif ou le droit du travail dans les milieux sportifs. Or, sa thèse en est très éloignée, puisque son thème est celui de la santé mentale du travailleur. Depuis un article de Michèle Bonnechère sur Le corps laborieux : réflexion sur la place du corps humain dans le contrat de travail (Dr. Ouvrier 1994, p. 173), la doctrine conservait une grille d'analyse finalement très historique de la santé du travailleur, centrée sur son corps, la maladie professionnelle et l'accident du travail ayant vocation à être également analysés dans leur dimension physique et organique.

L'histoire du travail s'est construite sur la protection du salarié dans ses rapports avec l'employeur et cette protection a porté, à l'origine, sur la personne même du travailleur (enfant, femme...). Pendant plus de deux siècles, cette vision est finalement restée inchangée. Tout le mérite de Loïc Lerouge est d'attirer notre attention sur des phénomènes pourtant très médiatisés de harcèlement moral au travail (§ n° 365, 609), de stress (§ n° 546), de souffrance psychique au travail (§ n° 513 et 537), de fragilité psychique, de fatigue mentale, de suicide (...) qui, juridiquement, méritent pleinement de jouir du même corps de règles que la santé physique au travail.

Selon les travaux conduits par la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail de Dublin, environ un tiers des salariés déclarent une détérioration de leur santé mentale. Comme le relève le Conseil économique et social, les enquêtes relatives aux conditions de travail, les analyses de sociologues, de médecins, ainsi que de professionnels et de chercheurs, témoignent de l'impact des facteurs psychosociaux au travail sur la santé et le bien-être des personnes. Elles confirment les effets que les nouvelles formes d'organisations du travail, qui s'inscrivent dans un contexte d'exigence de compétitivité accrue, peuvent avoir sur les conditions de travail. Elles mettent en évidence un accroissement du poids relatif des facteurs mentaux et psychologiques dans les préoccupations de santé au travail (2).

La démonstration de Loïc Lerouge, ainsi présentée, a le mérite de la simplicité : le propos est de synthétiser un corps de règles très récentes, éparpillées entre différentes sources, visant la santé mentale du travailleur. Identifiées et repérées, ces règles sont ensuite analysées dans leur régime afin de mieux saisir la prise en charge par le droit de la santé mentale du salarié.

Ce thème, très innovant en droit du travail est, hasard du calendrier, porté par l'actualité législative et jurisprudentielle : loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (loi n° 2005-102, 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées N° Lexbase : L5228G7R) ; décrets n° 2005-724 et n° 2005-725 (décret 29 juin 2005, n° 2005-725, relatif à l'allocation aux adultes handicapés modifiant le Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L6302G9B) du 29 juin 2005 relatif à l'allocation aux adultes handicapés ; actualité jurisprudentielle sur le harcèlement moral au travail (Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.480, M. Jean Liard c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir, FS-P+B N° Lexbase : A4216DIY, lire nos obs., Harcèlement moral et qualification juridique d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5322AIX), la prise en charge, au titre de la législation sur les accidents du travail, de l'état dépressif (Cass. civ. 2, 15 juin 2004, n° 02-31.194, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Indre-et-Loire c/ M. Philippe Badin, FS-P+B N° Lexbase : A7392DCR, lire nos obs., Le choc émotionnel créant des troubles psychologiques est bien un accident du travail, Lexbase Hebdo n° 128 du 8 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2259ABB).

Dans une première partie, sont traitées les questions de notions et qualifications juridiques se rapportant à la santé mentale. Le champ d'analyse couvert par l'auteur reste très large, rendant nécessaire et utile, au préalable, des définitions. Selon l'auteur, "la santé mentale au travail est qualifiée par un état d'équilibre et de bien-être mental caractérisé par l'absence de troubles mentaux et favorisé par l'harmonie du sujet avec les éléments matériels et moraux de son environnement professionnel" (§ n° 421). La maladie mentale "est une affection dont les symptômes résultent d'une atteinte organique du cerveau ou d'un trouble du comportement lié à une anomalie fonctionnelle" (n° 315), alors que "les troubles mentaux se rapportent plus largement aux déséquilibres affectant la santé mentale [...] les troubles mentaux recouvrent les affections d'ordre mental qui se manifestent notamment par une détérioration du comportement et des fonctions psychiques" (§ n° 316).

Les fondements d'un droit à la santé mentale sont multiples et recouvrent de nombreuses dispositions, aussi bien en droit international (convention OIT n° 155 ou n° 161 § n° 161) qu'en droit communautaire (directive CE 89/391 du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail N° Lexbase : L9900AU9) (§ n° 130). Mais le droit interne reste très en retrait et l'auteur observe seulement une montée en puissance d'un droit subjectif à la santé mentale et psychique du salarié.

Deux dispositions vont en ce sens. Le chef d'établissement prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs de l'établissement. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation ainsi que la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. Il veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes (C. trav., art. L. 230-2 N° Lexbase : L5946AC9).

De plus, l'employeur est tenu d'assurer une sorte de sérénité à ses salariés, en s'abstenant de tout comportement conduisant au harcèlement, c'est-à-dire des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (C. trav., art. L. 122-49 N° Lexbase : L0579AZH).

Enfin, l'auteur pose la question du champ d'application de la jurisprudence dite "Amiante", faisant peser sur l'employeur une obligation de sécurité de résultat, qui devrait couvrir le champ de la sécurité physique et corporelle du salarié, mais également sa sécurité mentale (§ n° 301).

Dans une seconde partie, logiquement, est analysée la prise en compte et prise en charge de la santé mentale en droit du travail. La jurisprudence tend de plus en plus à prendre en compte l'état mental et psychique du salarié dans l'analyse des rapports individuels de travail. Les illustrations connues portent essentiellement sur le régime de la démission, puisque la fragilité psychologique du salarié peut rendre équivoque sa décision de rompre unilatéralement le contrat de travail (§ 724, 728).

La loi, ensuite, prend en compte l'atteinte à l'intégrité mentale et psychique du salarié dans deux dispositifs déjà mentionnés : une obligation générale de sécurité et de prévention (C. trav., art. L. 230-2) d'une part, le régime du harcèlement moral au travail, d'autre part (C. trav., art. L. 122-49). La loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9) a marqué une étape décisive dans la prise du conscience, par le législateur, d'une meilleure protection de la santé mentale des travailleurs (§ n° 767 s.).

La loi du 17 janvier 2002 a apporté une définition du harcèlement moral professionnel (art. 169), l'a pénalisé (art. 170 de la loi), a modifié en conséquence le contenu du règlement intérieur des entreprises (art. 172), a élargi l'obligation de prévention de l'employeur à la santé mentale (art. 173), a étendu le rôle du CHSCT à la santé  mentale (art. 174) et a, enfin, accordé aux médecins du travail de nouvelles compétence (art. 175).

Il faut souligner que ces avancées ont exprimé un consensus qui dépassait les clivages politiques et la loi de modernisation sociale n'a pas, ici, connu les outrages du législateur ayant suspendu, mais ultérieurement abrogé, les dispositions relatives au droit du licenciement économique collectif donnant lieu à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (loi n° 2003-6 du 3 janvier 2003 N° Lexbase : L9374A8P amendant et suspendant partiellement la loi de modernisation sociale ; loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49, abrogeant les articles 97 et 98 de la loi de modernisation sociale).

Plus classiquement, la victime d'un trouble mental ou psychique causé par son activité professionnelle peut invoquer le droit commun de la législation sur les accidents du travail, notamment lorsque la dégradation de son état mental résulte d'une faute inexcusable de l'employeur (§ n° 854). En effet, contrairement à ce que l'intitulé de la thèse laisse entendre, la protection de santé mentale du travailleur passe d'abord et avant tout par un corpus de normes et de règles "travaillistes", mais aussi par le droit de la Sécurité sociale, notamment le droit des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce droit constitue un excellent terrain d'observation de l'analyse que le juge peut faire du stress au travail, de la fragilité psychologique générée par les conditions de travail, qui peuvent déboucher sur des pathologies appelant une prise en charge médicale et, dans les cas les plus extrêmes, au suicide.

La jurisprudence n'est pas, en la matière, très audacieuse ni protectrice des maux dont peuvent souffrir certains salariés. Ainsi, dans un arrêt récent, la Cour de cassation, confrontée à la question des conditions auxquelles le harcèlement moral, à l'origine d'un état dépressif du salarié, peut conduire à la qualification juridique d'accident du travail, a décidé que la victime d'un harcèlement moral qui ne rapporte pas la preuve de ce qu'un arrêt de travail a été causé par une brutale altération de ses facultés mentales, en relation avec les événements invoqués, ne peut se prévaloir de la législation sur les accidents du travail (Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.480, FS-P+B N° Lexbase : A4216DIY, lire nos obs., Harcèlement moral et qualification juridique d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale N° Lexbase : N5322AIX).

La Cour de cassation refuse la qualification juridique d'accident du travail à l'état dépressif du salarié causé par le harcèlement, faute d'être en présence d'une brutale altération des facultés mentales de la victime. La solution est rigoureuse, d'autant plus que la Cour de cassation fait peser sur le salarié la charge de la preuve que l'arrêt de travail prescrit, dû à son état dépressif, a été causé par une brutale altération de ses facultés mentales en relation avec les événements invoqués.

La protection accordée par le législateur aux salariés victimes d'actes de harcèlement (au titre du droit du travail) ne trouve pas son prolongement, pourtant logique et naturel, par la législation sur les accidents du travail (reconnaissance de la qualification d'accident du travail à un état dépressif causé par des actes de harcèlement).

Enfin, le droit interne privé suggère d'autres approches possibles du phénomène de l'atteinte à l'équilibre psychique du travailleur par le comportement de l'employeur que celles visées par le droit du travail ou le droit de la Sécurité sociale. Le droit pénal offre, là aussi, un beau terrain d'observation des pratiques "esclavagistes" des employeurs, qui soumettent leurs employés à des conditions de travail contraires à la dignité de la personne humaine (C. pén., art. 225-13 N° Lexbase : L1875AME et 225-14 N° Lexbase : L2183AMS).

La jurisprudence donne des illustrations pathétiques d'employeurs eux-mêmes psychologiquement fragiles, soumettant leurs salariés à un véritable enfer mental et psychique. La cour d'appel de Versailles le 20 novembre 2001 (3) relève que la soumission à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine abaisse ou avilit l'être humain en tendant à la réification de son corps ou en portant atteinte aux droits essentiels de sa personnalité.

Dans son arrêt rendu le 4 mars 2003, la Chambre criminelle de la Cour de cassation souligne que la soumission d'un salarié à des conditions de travail indignes doit être assimilée à une pratique esclavagiste, lorsqu'elle tend à faire considérer le travailleur comme un prolongement d'une machine-outil (Cass. crim., 4 mars 2003, n° 02-82.194, F-P+F N° Lexbase : A4267A78, lire nos obs., "Quand le travail devient esclavage", Lexbase Hebdo n° 83 du 28 août 2003 - édition sociale N° Lexbase : N8530AA8). Les critères du travail indignes les plus souvent relevés par les juges portent sur les brimades, vexations, humiliations et injures. Ces situations infligées aux salariés vont au-delà de la pénibilité au travail, des conditions d'hygiène et de sécurité défaillantes, d'une durée du travail excessive, au-delà du harcèlement (stress, dépression...), au-delà de la faute inexcusable de l'employeur définie par le droit des accidents du travail.

Bref, lorsque la santé mentale des salariés est compromise parce que l'employeur n'est plus en état de comprendre que derrière le salarié, se profile l'homme et la personne humaine, le droit pénal prend alors toute la mesure de son efficacité dissuasive car, dans de tels cas extrêmes, la responsabilité pénale plus que civile de leurs auteurs a un sens et s'impose.

Au final, le Conseil économique et social (rapport précité n° 2004-10) suggère un certain nombre d'avancées, conclusion partagée par l'auteur : renforcer le rôle des acteurs au sein de l'entreprise et mieux les former, sensibiliser les délégués syndicaux et les élus du personnel, optimiser et déployer les moyens des CHSCT, mobiliser les membres des comités d'entreprise, soutenir l'engagement des organisations syndicales de salariés.

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace


(1) AS Universitaire Nantes : 4ème aux 400 mètres homme série 2, Meeting National de Castres ; qualifiés au 13 février 2003 pour les France Elite 2003 pour les 400 mètres hommes ; champion de France, Athlétisme indoor 2003/04 ; 4x100 mètres relais, arrivé 4ème aux championnats d'Europe, en 1999 ; championnat du monde, 4x100 mètres relais, arrivé 3ème, en 1997 ; 3ème au 400 mètres, championnats de France Elite, en salle, 2002...

(2) E. Bressol, Organisations du travail et nouveaux risques pour la santé des salariés, Rapport du Conseil économique et sociale, publié in extenso sur le site internet du CES ; S. Hamon-Cholet et C. Rougerie, La charge mentale au travail : des enjeux complexes pour les salariés, Economie et statistique n° 339-340, 2000 - 9/10, p. 243, accessible sur le site internet de l'Insee.

(3) Cour d'appel de Versailles, 20 novembre 2001, RG 2001/00366, inédit.

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