La lettre juridique n°128 du 8 juillet 2004 : Sécurité sociale

[Jurisprudence] Le choc émotionnel créant des troubles psychologiques est bien un accident du travail

Réf. : Cass. civ. 2, 15 juin 2004, n° 02-31.194, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Indre-et-Loire c/ M. Philippe Badin, FS-P+B N° Lexbase : A7392DCR)

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par Christophe Willmann, Maître de conférences à l'Université de Picardie

le 07 Octobre 2010

Le mal-vivre au travail a donné lieu à de nombreux travaux sociologiques, psychologiques, largement médiatisés. L'analyse juridique du stress et des troubles psychologiques par et au travail paraissait, jusqu'à présent, en retrait, voire inexistante. La prise en compte, en droit pénal et en droit du travail, du phénomène du harcèlement moral attestait cependant de l'intérêt et de la nécessité d'une analyse, en termes proprement juridiques, de la question du mal-vivre au travail, mais surtout, d'une prise en charge des victimes par des dispositifs réparateurs et répressifs. Le droit de la Sécurité sociale occupe une place centrale dans cet ensemble assez diffus d'instruments juridiques que l'on peut mobiliser au profit d'une victime. En l'espèce, celle-ci était le directeur d'une agence bancaire, victime d'une agression à l'arme par des malfaiteurs. Le directeur d'agence, souffrant d'un choc émotionnel, a demandé et obtenu la reconnaissance d'accident du travail aux troubles psychologiques qui en ont résulté. La contestation, par la CPAM, de cette reconnaissance professionnelle des troubles psychologiques se comprend d'autant moins que l'évolution du régime des accidents du travail conduisait nécessairement aussi bien la cour d'appel que la Cour de cassation à se prononcer en ce sens, qu'il s'agisse des caractères de l'accident (I) ou de sa reconnaissance, facilitée par le mécanisme de la présomption (II).
Décision : Cass. civ. 2, 15 juin 2004, n° 02-31.194, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Indre-et-Loire c/ M. Philippe Badin, FS-P+B N° Lexbase : A7392DCR)

Textes applicables : article L. 411-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5211ADD)

Liens base :

Faits

1- M. Badin, directeur d'agence de la Société générale a été menacé sur son lieu de travail par un client, porteur d'une arme de 6ème catégorie ;

2- Un certificat médical a été établi constatant un état de stress nécessitant un traitement et un suivi psychologique ;

3- Une déclaration d'accident du travail a été effectuée par l'employeur, mais la caisse primaire d'assurance maladie a refusé de reconnaître l'existence d'un accident du travail ;

4 - La cour d'appel (Orléans, 23 oct. 2002) a accueilli le recours de M. Badin.

Solution

1- les troubles psychologiques présentés par M. Badin étaient la conséquence d'un choc émotionnel provoqué par l'agression dont il avait été victime sur son lieu de travail.

2- Les juges du fond ont souverainement apprécié, sans encourir les griefs du moyen, qu'il avait été victime d'un accident du travail.

I- Caractères de l'accident de travail
  • Une jurisprudence classique

La lésion physique est au coeur même de la définition de l'accident de travail. Pour autant, les lésions "invisibles" parce que psychologiques, psychiatriques ou neurologiques, ont pleinement vocation a être prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail.

Le présent arrêt le confirme. Le salarié souffrait d'un état de stress nécessitant un traitement et un suivi psychologique, survenu pendant le temps et sur le lieu de travail. En effet, le salarié avait été victime d'une attaque à main armée dans l'agence et pendant son temps de travail.

Un autre arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, le 1er juillet 2003 (Cass. civ. 2, 1er juillet 2003, n° 02-30.576, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Dordogne c/ M. Jean-Claude Ratinaud, FS-P N° Lexbase : A0610C9H) s'était déjà prononcé en ce sens. Dès lors qu'elle a constaté qu'une dépression nerveuse était apparue soudainement deux jours après un entretien d'évaluation au cours duquel lui avait été notifié un changement d'affectation et consécutive, selon l'expertise médicale technique, à cet entretien, la cour d'appel était fondée à en déduire qu'il s'agissait d'un accident du travail.

  • La qualification juridique du suicide

De même, il existe une jurisprudence alimentée portant sur la qualification juridique du suicide, consécutif à un accident de travail d'un assuré social. Les juges s'attachent à admettre que le conjoint survivant peut bénéficier d'une rente de conjoint survivant consécutive au suicide, ce qui revient à admettre que celui-ci a bien un caractère professionnel. Dans une espèce, la Cour de cassation a estimé que les juges du fond, ayant relevé que le salarié avait été gravement éprouvé quelques mois avant son suicide par un accident du travail qui avait motivé un long arrêt de travail et entraîné une diminution de ses capacités physiques et professionnelles, il s'en était suivi une dépression grave, réactionnelle et progressive laquelle avait été à l'origine du suicide : les juges du fond étaient donc fondés à décider que cet accident avait été la cause génératrice de cet acte de désespoir (Cass. soc., 23 sept.1982, n° 81-14.942, CPAM Rouen c/ Dame Vaillant, publié N° Lexbase : A5505AA7).

Dans une autre espèce, la Cour de cassation a relevé que les juges du fond avaient relié le suicide de la victime à un état dépressif, exclusif de toute faute intentionnelle. Admettant que cet état la rendait plus sensible aux charges propres au type de travail qu'elle effectuait, les juges du fond ont déduit que le suicide de la salariée ne procédait pas d'un acte réfléchi et volontaire totalement étranger au travail (Cass. soc., 20 déc. 2001, n° 00-12.916, FS-P+B+R N° Lexbase : A6864AXI).

II - Reconnaissance du caractère professionnel de l'accident par le mécanisme de la présomption

Le Code de la Sécurité sociale a établi une présomption d'imputabilité, en concevant en des termes extrêmement larges la notion d'accident du travail : est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail de toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d'entreprise (CSS, art. L. 411-1  N° Lexbase : L5211ADD).

A- Mécanisme de la présomption d'imputabilité

En l'espèce, ce mécanisme joue pleinement, car le choc émotionnel, à l'origine des troubles psychologiques qualifiés d'accident du travail, s'est produit pendant le temps et sur le lieu de travail.

Le salarié n'a donc qu'à démontrer que le choc émotionnel causant des troubles psychologiques appelant une prise en charge psychologique ou psychiatrique était bien dans une relation de causalité avec son activité professionnelle.

En revanche, la CPAM peut apporter la preuve contraire, selon laquelle l'accident a une cause totalement étrangère au travail et ne mérite donc pas la qualification d'accident du travail. La jurisprudence donne de nombreuses illustrations. Le salarié d'une banque (la Barclays), a été victime d'un malaise cardiaque mortel au temps et au lieu de son travail. La CPAM fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué (Versailles, 10 mars 1992) d'avoir retenu le caractère professionnel de ce décès, parce que la présomption d'imputabilité au travail est détruite lorsque les conditions de travail du jour où l'accident est survenu ne sont pas à l'origine de cet accident. D'autre part, selon la CPAM, le surmenage dû à l 'activité professionnelle ne peut être pris en compte au titre de la législation sur les accidents du travail. Le stress et le surmenage dus aux conditions de travail ne pouvaient expliquer la pathologie à l'origine du décès, selon la CPAM. La Cour de cassation a estimé au contraire que la brusque apparition, au temps et au lieu du travail, d'une lésion de l'organisme révélée par un malaise constitue, en principe, un accident présumé imputable au service. Il appartient à la CPAM d'apporter la preuve que cette lésion a une cause totalement étrangère au travail. Le juge du fond apprécie souverainement si cette preuve n'était pas rapportée (Cass. soc., 5 janvier 1995, n° 92-17.574, Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines c/ Mme Mireille Goblet, inédit N° Lexbase : A2419AGP).

B- Présomption détruite par la preuve contraire

La CPAM a toujours la possibilité de refuser la qualification d'accident de travail et, en cas de suites judiciaires, d'apporter au juge la preuve contraire destinée à renverser la présomption d'imputabilité. La destruction de la présomption d'imputabilité a donné lieu à d'intéressants développements contentieux, dans le champ des accidents du travail "invisibles" (c'est-à-dire, dont la nature est psychologique, nerveuse, neurologique ...).

1- Etat pathologique préexistant

Cet argument se situe dans la chaîne de causalités entre l'accident et son contexte professionnel. La CPAM s'attachera à démontrer que le suicide d'un salarié n'est dû qu'en partie (ou pas du tout) à son environnement professionnel et que la victime était déjà particulièrement vulnérable, fragile, connaissant de graves problèmes familiaux, affectifs ou de santé.

Cette solution revêt une dimension particulière, s'agissant du suicide. La jurisprudence a reconnu que le suicide d'un salarié au temps et au lieu du travail bénéficie de la présomption d'imputation prévue par l'article L. 411.1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5211ADD) et constitue un accident du travail, sauf à rapporter la preuve de ce qu'il procède d'un acte réfléchi et volontaire de la victime totalement étranger au travail (Cass. soc., 20 déc. 2001, n° 00-12.916, FS-P+B+R N° Lexbase : A6864AXI).

2- Accident survenu hors du temps ou du lieu de travail

La présomption d'imputabilité qui dispense le salarié d'apporter la preuve du caractère professionnel de l'accident, dès lors que celui-ci intervient au temps et au lieu de travail, ne joue plus, précisément, lorsque l'évènement dépasse ce cadre spatial et temporel. Le droit commun de la preuve s'applique alors.

La jurisprudence du suicide du salarié à son domicile est très éclairante. Ainsi, concernant le suicide à son domicile d'un peintre en carrosserie, la Caisse primaire d'assurance maladie a refusé de prendre en charge le décès au titre de la législation professionnelle. Les juges du fond avaient débouté la veuve de sa demande de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident et le pourvoi a été rejetté (Cass. civ. 2, 3 avril 2003, n° 01-14.160, Mme Eliane Monnerie c/ Société Boos et Pericaud, inédit N° Lexbase : A6518A7K). La veuve invoquait que le suicide de son mari avait pour origine la dégradation des conditions de travail occasionnant son état dépressif. Le suicide intervenu dans un contexte de harcèlement moral ou psychologique provenant de supérieurs hiérarchiques constitue un accident du travail qui doit être pris en charge en tant que tel. Mais la Cour de cassation a confirmé l'appréciation souveraine des juges du fond de la valeur des éléments de preuve qui lui étaient soumis, la cour d'appel ayant relevé que, si l'atmosphère dans l'entreprise s'était fortement dégradée en raison d'un changement de personnes et si corrélativement le médecin traitant du salarié avait constaté un syndrome dépressif, cette dégradation a concerné l'ensemble du personnel. En outre, la victime n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire et qu'aucun incident ne l'avait opposé à un supérieur hiérarchique.

Mais réciproquement, si la présomption d'imputabilité est un mécanisme qui ne joue plus au profit du salarié victime d'un accident du travail, la charge de la preuve va ainsi peser sur lui et il pourra ainsi parfaitement emporter la conviction des juges, que le suicide, par exemple, hors temps ou lieu de travail, est pourtant bien en relation de cause à effet avec l'activité professionnelle (Cass. soc., 19 déc. 1991, n° 90-10.899, CPAM de Boulogne-sur-Mer c/ Mme Vasseur Bally, inédit N° Lexbase : A2817CXM). En l'espèce, les juges du fond ont relevé que le salarié, à la suite de l'accident de 1981, avait dû subir l'amputation du bras gauche. Après quatre années de procédures diverses, il s'était donné la mort le jour où il était convoqué devant le tribunal pour faire reconnaitre la faute inexcusable de son employeur. Rien, dans son état physique ni mental ne permettait de penser qu'il aurait pu attenter à ses jours. Il ne pouvait être sérieusement contesté que l'amputation, chez une personne qui avait consacré toute sa vie au travail, avait pu entraîner chez elle un choc psychologique important et que ce moral, déjà fragilisé, avait été encore perturbé par la perspective d'une action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur dans le déroulement de laquelle sa propre responsabilité risquait d'être mise en jeu. La Cour de cassation a approuvé la cour d'appel d'avoir décider que l'accident du travail avait été la cause génératrice de cet acte de désespoir.

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