La lettre juridique n°166 du 5 mai 2005 : Commercial

[Textes] Modernisation des relations commerciales ou bureaucratisation accrue ?

Réf. : Projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises

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N3756AIX

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par André-Paul Weber, Professeur d'économie, Ancien rapporteur au Conseil de la concurrence

le 07 Octobre 2010


Le Conseil des ministres vient d'adopter un long projet de loi en faveur des petites et moyennes entreprises. Le texte est appelé à être examiné par le Parlement selon la procédure d'urgence. D'abord débattu par le Sénat puis par l'Assemblée Nationale, le texte devrait être, à la suite d'une seule lecture, adopté avant les vacances parlementaires de l'été, pour une application dès le 1er janvier 2006. En plus de toute une collection de dispositions techniques en vue de favoriser l'émergence, le développement et la transmission des entreprises de modeste dimension (titres I à V), de différentes mesures destinées à adapter le statut des chambres de commerce et d'industrie (titre VII) et autres dispositions diverses concernant, notamment, le Code de la Sécurité sociale et la répression du travail illégal (titre VIII), les articles 26 à 37 du projet, regroupés dans le titre VI dénommé "Modernisation des relations commerciales", cherchent à remédier aux dérives induites par la loi n° 96-588 du 1er juillet 1996, dite loi "Galland" (N° Lexbase : L0102BIM). Codifié à l'article L. 442-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6603AIE) ce texte, on le rappelle, prohibe "[...] la revente d'un produit en l'état à un prix inférieur à son prix d'achat effectif [...] le prix d'achat effectif est le prix unitaire figurant sur la facture majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport".

En simplifiant et en définissant de façon étroite l'assiette permettant de calculer le seuil de la revente à perte, le texte en cause visait, à l'époque, à limiter la concurrence entre les différentes formes de commerce et correspondait à une volonté de préservation des commerces de proximité. Il devait, également, mettre fin aux débats permanents qui, jusqu'alors, prévalaient quant à la détermination même de ce seuil. Mais, avec le temps, le dispositif a généré un déplacement par les entreprises de la négociation commerciale du prix de vente facturé, tel qu'il résulte des conditions générales de vente vers les réductions de prix hors facture et la coopération commerciale, usuellement dénommées "marges arrière". L'importance croissante de ces marges, qui n'apparaissent pas sur les factures des produits, a eu pour effet de réduire, de façon excessive, la concurrence entre les différentes formes de distribution, relever le prix des produits au stade du négoce et affecter le pouvoir d'achat des consommateurs.

Tel que rédigé, le titre VI du projet de loi s'inscrit donc dans le souci de clarifier, dans un sens plus concurrentiel, les relations entre fournisseurs et distributeurs, cette clarification devant entraîner une baisse du prix des biens de grande consommation. Les propositions du Gouvernement font suite à deux initiatives relativement récentes.

En 2003, par le moyen d'une circulaire relative à la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs, dite circulaire "Dutreil" (Circ. min., 16 mai 2003, relative à la négociation commerciale entre fournisseurs et distributeurs N° Lexbase : L0101BIL), l'administration avait déjà défini le cadre dans lequel elle entendait intervenir, afin de résoudre le problème de ces fameuses "marges arrière" (1). Cette circulaire nouvelle était appelée à se substituer à la circulaire du 22 mai 1984, relative à la transparence tarifaire dans les relations commerciales entre entreprises (circulaire Delors). Elle préconisait un élargissement du concept de conditions générales de vente et suggérait une définition plus rigoureuse de la notion de coopération commerciale, en soutenant, en particulier, l'idée que les services rendus par le distributeur liés à l'opération d'achat des produits auprès du fournisseur relèvent des conditions de vente du fournisseur.

Ces services devaient, par conséquent, donner lieu à des réductions de prix reportées sur la facture. De son côté, le groupe d'experts, constitué courant 2004 par le ministre de l'Economie et des Finances en vue de rééquilibrer les rapports entre industrie et commerce (Commission Canivet) avait également proposé une définition légale de la coopération commerciale comme étant "un contrat de prestation de services détachables de l'opération d'achat et de vente et consistant à stimuler ou à faciliter au bénéfice du fournisseur la revente de ses produits par le distributeur" (lire N° Lexbase : N3180ABE). Au surplus, le groupe d'experts préconisait de soumettre la conclusion de tout contrat de coopération commerciale aux conditions de validité de droit commun (conditions relatives au consentement mutuel des parties, conditions relatives à la réalité des prestations, conditions relatives à l'exigence de proportionnalité entre les services rendus et rémunération obtenue).

A ce stade, il importe de relever que les propositions formulées à l'occasion de ces deux initiatives se gardaient de modifier l'article L. 442-2 du Code de commerce. Les propositions partaient de l'idée implicite voulant qu'un élargissement du concept de conditions générales de vente, ainsi qu'un examen plus strict des conditions dans lesquelles les contrats de coopération commerciale étaient conclus et appliqués, pouvaient enrayer la spirale des "marges arrière" et restaurer une situation concurrentielle satisfaisante, tout en maintenant le tissu des commerces de proximité.

S'inspirant, sans nul doute, de ces initiatives, le projet du Gouvernement comporte une première mesure phare. Ainsi propose-t-il, dans son article 27, d'enrichir les dispositions introduites dans le premier alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce (N° Lexbase : L6601AIC), lequel oblige, dans sa version actuelle, tout producteur, prestataire de service, grossiste ou importateur de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services son barème de prix et ses conditions de vente.

L'article en cause serait complété par les dispositions selon lesquelles "le barème de prix et les conditions de vente peuvent être différenciées selon les catégories d'acheteurs de produits ou de demandeurs de services définies dans des conditions fixées par voie réglementaire en fonction du chiffre d'affaires, de la nature de la clientèle et du mode de distribution. Dans ce cas, l'obligation de communication prescrite au précédent alinéa ne s'applique qu'à l'égard des acheteurs de produits ou des demandeurs de prestation de services d'une même catégorie. Tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur peut, par ailleurs, convenir avec un acheteur de produits ou demandeur de prestation de services de conditions particulières de vente justifiées par la spécificité de services rendus qui ne sont pas soumises à cette obligation de communication".

Au regard de l'objectif poursuivi visant à réduire le montant des "marges arrière", ce nouvel alinéa paraît essentiel. En effet, il rompt avec la thèse qui, jusqu'alors, prévalait et voulant que les conditions générales de vente ne puissent être différenciées. La rédaction proposée suggère que des conditions générales de vente détaillées puissent être élaborées pour tenir compte, par exemple, des conditions de livraison, de stockage, de délais de règlement, des engagements fermes et irrévocables d'achats de marchandises et autres services envisagés. Non détachables de l'opération d'achat vente, les remises associées à ces conditions et services appelées à figurer sur la facture sont autant d'éléments devant permettre une réappréciation à la baisse du seuil de la revente à perte.

La coopération commerciale étant le véhicule des "marges arrière", le projet de loi propose, par ailleurs, dans son article 28, de remédier à l'imprécision que le cinquième alinéa de l'article L. 441-6 du Code de commerce comporte ("Les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de services se fait rémunérer par ses fournisseurs, en contrepartie de services spécifiques, doivent faire l'objet d'un contrat écrit en double exemplaire détenu par chacune des parties"). Il propose l'abrogation de cet alinéa et envisage un nouvel article L. 441-6-1, selon lequel :

"I.- Le contrat de coopération commerciale est une convention par laquelle un distributeur ou un prestataire de services s'oblige envers un fournisseur à lui rendre à l'occasion de la revente de ses produits ou services aux consommateurs, des services propres à favoriser leur commercialisation qui ne relèvent des obligations d'achat et de vente.
Un contrat de coopération commerciale indiquant le contenu des services et les modalités de leur rémunération est établi, avant leur fourniture, soit dans un document unique, soit dans un ensemble formé par un contrat cadre annuel et des contrats d'application.

[...]
Le contrat unique ou, le cas échéant, le contrat cadre annuel est rédigé avant le 15 février ou, si la relation commerciale est établie en cours d'année, un mois après le référencement.
Le contrat unique ou les contrats d'application précisent la date à laquelle les services sont rendus, leur durée, les produits auxquels ils se rapportent ainsi que leur rémunération.
Dans tous les cas, la rémunération du service rendu est exprimée en pourcentage du prix unitaire net du produit auquel il se rapporte
".

Dans son dernier alinéa, cet article L. 441-6-1, I, dispose, enfin, que "les conditions dans lesquelles un distributeur ou un prestataire de services se fait rémunérer par ses fournisseurs en contrepartie de services distincts de ceux figurant dans le contrat de coopération commerciale font l'objet d'un contrat écrit en double exemplaire détenu par chacune des parties qui précise la nature de ces services".

En bref, par le jeu de ces dispositions nouvelles, le projet de modernisation introduit trois voies, par l'intermédiaire desquelles des prestations de services sont susceptibles de se conclure entre fournisseur et distributeur : celles qui sont inscrites dans les conditions générales de vente, celles qui correspondent à la coopération commerciale proprement dite et qui sont définies à l'article 28 du projet de loi, celles qui, enfin, relèvent du dernier alinéa de l'article L. 441-6-1-I précité.

Estimant, sans doute, que ce premier lot de mesures est insuffisant pour remédier au problème des "marges arrière", et se démarquant des préconisations minimales, notamment, formulées par le groupe d'experts, le Gouvernement entend, par ailleurs, selon l'article 31 du projet de loi, aménager l'article L. 442-2 du Code de commerce qui devrait être remplacé par les dispositions suivantes :

"I. - Le second alinéa de l'article L. 442-2 du Code de commerce est remplacé par les dispositions suivantes :
Le prix d'achat effectif est le prix unitaire net figurant sur la facture d'achat majoré des taxes sur le chiffre d'affaires, des taxes spécifiques afférentes à cette revente et du prix du transport et minoré de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit et excédant 20 %.
II.- Au cours des six mois suivant la publication de la présente loi, pour l'application de l'article L. 442-2 du Code de commerce, le montant minorant le prix unitaire figurant sur la facture d'achat n'excède pas 50 % du montant total de l'ensemble des autres avantages financiers consentis par le vendeur exprimé en pourcentage du prix unitaire net du produit
".

Ainsi, par le moyen de ces nouvelles dispositions, de manière modulée dans le temps, ainsi qu'en témoigne le point II ci-dessus cité, le Gouvernement propose-t-il au Parlement d'abaisser le seuil de la revente à perte en invitant, dans le même temps, les professionnels à limiter le montant des remises hors facture.

Parallèlement, avec l'introduction des accords de gamme, le projet de loi propose, dans son article 26, l'élargissement des conditions d'application de l'article du premier alinéa de l'article L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L6584AIP). La notion d'exploitation abusive d'une position dominante par une entreprise ou un groupe d'entreprises sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci y est définie comme tout abus pouvant "[...] notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au 1° du I de l'article L. 442-6 (N° Lexbase : L6607AIK) ou en accords de gamme". De ce dernier point de vue, l'article 32 du projet entend, en particulier, enrichir le b du 2° du I de l'article L. 442-6 du Code de commerce par la disposition selon laquelle "le fait de subordonner, au titre des accords de gammes, l'exposition à la vente de plus d'un produit à l'octroi d'un avantage quelconque peut constituer un abus de puissance de vente".

A tout le moins, l'examen combiné des dispositions introduites dans les articles 26, 28, 31 et 32 du projet de loi ne manque pas de surprendre, surtout lorsque l'on se rappelle les critiques que la circulaire "Dutreil" avait suscitées. Courant 2003, les milieux professionnels avaient, en effet, dénoncé le caractère "trop encadré", "trop administré" des orientations alors esquissées par l'action administrative. Cette fois, le dispositif envisagé par le pouvoir exécutif rend effectivement compte d'un degré d'encadrement qui peut être source d'une réelle préoccupation. La préoccupation est d'autant plus de mise que le dispositif s'accompagne, en son article 29, du grand retour de la procédure de transaction. Selon son article 29, le projet de loi propose un article L. 470-4-1 ainsi rédigé :

"Pour les délits prévus au titre quatrième du présent livre [lequel a pour intitulé "De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d'autres pratiques prohibées"] pour lesquels une peine d'emprisonnement n'est pas encourue, le chef du service d'enquête compétent a droit de transiger, après accord du procureur de la République, selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat".

Cette dernière disposition constitue un retour en arrière tout à fait étonnant. Faut-il le rappeler, l'adoption de l'ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à liberté des prix et de la concurrence (N° Lexbase : L8307AGR) (ordonnance dont les dispositions sont désormais codifiées dans le Code de commerce) a été, en particulier, fondée sur la contestation des procédures que les ordonnances antérieures n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945, respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique, avaient suscitée, tant en matière de formation des prix, qu'en matière de répression des infractions. A l'époque, l'arbitraire de l'action administrative avait été dénoncé, son retour annoncé est, à l'évidence, problématique.

Face au fragile équilibre qui prévaut toujours dans les relations entre fournisseur et distributeur, l'on peut se demander en quoi le nouveau cadre législatif envisagé est susceptible de remédier à la fois au phénomène de la dérive des "marges arrière" et autoriser la baisse substantielle des prix des biens de grande consommation au stade de la distribution. Dans sa forme actuelle, rien n'est moins sur. L'expérience l'a toujours montré, ce n'est pas en accroissant les pouvoirs d'intervention de la direction de la concurrence et de la consommation que l'on parvient à juguler les phénomènes de hausse de prix. Il reste à espérer que le législateur procédera à un réexamen complet d'un texte qui, dans sa structure, est sans doute de nature à satisfaire des ambitions bureaucratiques, mais il reste qu'il demeure fondamentalement inadapté à la résolution des conflits d'intérêt qui opposent fournisseurs et distributeurs. En juin 2004, le ministre de l'Economie et des Finances avait, à grand renfort de publicité, nommé une commission d'experts en vue d'éclairer sa pensée sur la question des relations entre fournisseur et distributeur. Il serait bon que le Parlement s'inspire des conclusions alors formulées.


(1) A.-P. Weber, La circulaire Dutreil ou les nouvelles règles de négociation commerciale, Lexbase Hebdo n° 101 du 1er janvier 2004 - édition affaires (N° Lexbase : N9927AAW).

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