La lettre juridique n°166 du 5 mai 2005 : Santé

[Jurisprudence] Responsabilité du laboratoire pharmaceutique et effet indésirable développé par le patient

Réf. : Cass. civ. 1, 5 avril 2005, n° 02-11.947, Société Glaxosmithkline, venant aux droits de la société Laboratoire Glaxo Wellcome c/ M. Roland Carro, FS-P+B (N° Lexbase : A7474DHB)

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par Anne-Sophie Dispans, Avocat à la Cour, SCP Michel Ledoux & Associés

le 07 Octobre 2010

Aux termes d'un arrêt du 5 avril 2005, la première chambre civile de la Cour de cassation s'est prononcée sur la responsabilité d'un laboratoire pharmaceutique, lorsqu'un patient développe un effet indésirable grave décrit dans la notice d'un médicament. Sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), interprété à la lumière de l'article 6 de la directive européenne du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux (N° Lexbase : L9620AUT), la Cour de cassation n'a pas retenu la responsabilité d'un laboratoire en raison de l'absence de preuve de la défectuosité du médicament. En effet, la preuve que certains produits actifs composant le médicament puissent être dangereux, même si cette manifestation est rare, ne suffit pas pour démontrer le caractère défectueux du médicament en cause. En l'espèce, Monsieur C. s'est vu prescrire, par son médecin traitant, deux médicaments, le "ZYLORIC" et le "COLCHIMAX", pour une crise de goutte.

Dans les 21 jours qui ont suivi le traitement, Monsieur C. a développé un grave effet indésirable, dit "syndrome de Lyell" (maladie se caractérisant par une nécrose épidermique toxique sur tout le corps et se traduisant cliniquement par un érythème et un décollement de la peau), décrit dans la notice du premier médicament.

Cet arrêt apporte un nouvel éclairage sur les mécanismes de la responsabilité du fait des produits défectueux, appliqués aux produits de santé.

La responsabilité d'un laboratoire pharmaceutique est soumise aux règles de responsabilité de droit commun, imposant aux victimes de rapporter la preuve d'un dommage, d'un défaut du produit en cause, ainsi que d'un lien de causalité entre les deux (article 4 de la directive européenne de 1985 transposé à l'article 1386-9 du Code civil N° Lexbase : L1502ABA)

L'application de la législation relative à la responsabilité du fait des produits défectueux aux produits de santé impose, donc, aux victimes d'établir un lien de causalité entre le dommage et le produit, ainsi que de démontrer la défectuosité du produit.

I - Sur le lien de causalité

Il est intéressant d'observer que la Cour de cassation vérifie, avant d'étudier le cas d'espèce, que les experts aient retenu l'existence d'un lien de causalité entre la pathologie de la victime et le produit de santé.

Lorsque ce lien de causalité est scientifiquement établi, les juges recherchent si les éléments de preuve rapportés par la victime font apparaître l'existence d'un lien de causalité "juridique".

En l'espèce, la Cour de cassation a considéré qu'au regard des cinq critères retenus par les juges du fond appréciés in concreto, le lien de causalité pouvait effectivement être considéré comme établi.

Ces critères étaient les suivants :
- le délai bref d'apparition entre l'absorption des produits et l'apparition des effets secondaires,
- la concordance entre l'arrêt des troubles et l'arrêt du traitement,
- l'absence d'erreur de prescription,
- l'absence de prédisposition du patient à ce syndrome,
- l'absence d'une association avec d'autres médicaments.

Il est difficile de ne pas faire le parallèle avec l'arrêt rendu par la même chambre en matière de vaccin contre le virus de l'hépatite B.

Dans cette décision du 23 septembre 2003, la Cour de cassation a considéré que la preuve du lien de causalité entre le vaccin et la sclérose en plaques n'était pas rapportée par la victime (Cass. civ. 1, 23 septembre 2003, n° 01-13.063, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A5811C94).

Les juges du fond avaient pris en considération, d'une part, l'impossibilité scientifique d'exclure un lien de causalité entre le vaccin et la maladie et, d'autre part, l'existence des mêmes cinq critères retenus dans l'arrêt commenté pour affirmer l'existence d'un lien de causalité.

La Cour de cassation a considéré que la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales de l'élément le plus important, à savoir, l'impossibilité, par la communauté scientifique, d'établir un lien de causalité certain entre le vaccin et la maladie.

La différence majeure entre ces deux affaires est la reconnaissance scientifique du lien de causalité.

Cette observation ne fait que renforcer l'idée qu'en matière de produits de santé, l'existence d'un lien de causalité "juridique" est totalement dépendant du lien de causalité "scientifique".

Cette situation place certaines victimes en marge de l'évolution jurisprudentielle, puis législative, du régime d'indemnisation en matière de santé.

A cet égard, l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 (loi n°2002-303, 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, art. 102 N° Lexbase : L5021A8H), facilite l'indemnisation des personnes contaminées par le virus de l'hépatite C lors d'une transfusion, en leur permettant d'établir par présomptions le lien de causalité entre la maladie et la transfusion.

Il est paradoxal de constater que, dans le même temps, le législateur a assoupli les règles de la responsabilité, afin de permettre l'indemnisation des victimes, et que les magistrats considèrent que d'autres victimes doivent apporter la preuve d'un lien de causalité scientifique certain.

II - Sur la définition de la défectuosité du produit

Il appartient à la victime de rapporter la preuve de la "défectuosité du produit" en cause.

L'article 6 de la directive européenne de 1985 transposé à l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3) en donne la définition suivante :

"1. Un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment :
a) la présentation du produit ;
b) de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu ;
c) du moment de la mise en circulation du produit
".

La cour d'appel a considéré que, pour démontrer le caractère défectueux d'un produit, il suffit de rapporter la preuve que certains produits actifs du médicament en cause sont dangereux, même si la manifestation du danger est rare.

La Cour de cassation n'a pas validé cette définition et a rappelé scrupuleusement la définition de l'article 6 de la directive de 1985.

Le premier élément de la définition, visant la présentation du produit, porte sur les notices de médicaments mentionnant une longue liste d'effets indésirables.

A partir du moment où ces notices énumèrent une interminable liste d'effets secondaires, la victime serait considérée comme étant suffisamment informée et en mesure d'évaluer très précisément la sécurité "à laquelle elle peut légitimement s'attendre".

En pratique, cette position est extrêmement sévère pour les victimes qui, en règle générale, ne lisent pas ces notices englobant, aussi bien, des effets bénins, que d'autres beaucoup plus graves sans rapport avec la pathologie présentée au moment de la prescription du médicament.

Il est souhaitable que le fait de mentionner, dans ces notices, un effet indésirable réalisé, ne puisse en aucun cas exonérer systématiquement la responsabilité du laboratoire.

Il est important de souligner que la Cour de cassation a, du fait de l'adverbe "notamment" de l'article 6 de la directive, envisagé un autre élément de définition intéressant pour les victimes : "la gravité des effets nocifs constatés".

L'ampleur des séquelles physiques des victimes va donc être prise en compte pour rechercher la défectuosité du produit.

Cet aspect peut se rattacher à la théorie du bénéfice/risque, qui implique que soit prise en considération la différence entre les bénéfices recherchés, lors de la prise du médicament, et la réalisation des risques pris.

Une évaluation de l'état de santé avant et après la prise du médicament va s'effectuer.

Tous ces éléments seront pris en considération pour permettre aux juges de déterminer la défectuosité du médicament.

La mise en oeuvre des règles de la responsabilité du fait des produits défectueux est donc possible, à une double condition : d'une part, de la reconnaissance scientifique certaine du lien de causalité entre le produit et l'effet secondaire et, d'autre part, de démontrer la défectuosité du produit, notamment, l'importance des effets nocifs.

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