Réf. : Cass. crim., 9 mars 2005, n° 04-87.507, Procureur général près la cour d'appel de Douai c/ Patrick Jartel, F-P+F+I (N° Lexbase : A4297DHM)
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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, un gérant de deux sociétés civiles immobilières avait soustrait ces dernières à l'établissement et au paiement de la TVA, en constituant des crédits fictifs de taxe et en minorant le chiffre d'affaires imposable. Relevant un délit de fraude fiscale, l'administration avait, alors, saisi la commission des infractions fiscales, cette dernière rendant ultérieurement un avis conforme. Par la suite, l'administration avait déposé plainte et envoyé au gérant deux lettres recommandées avec accusé de réception correspondant à l'avis de la commission. Il est à noter que ces lettres n'ont jamais été retirées par son destinataire. Ce dernier, pour sa défense, avait soulevé l'exception de nullité des poursuites.
La Cour de cassation, dans cette affaire, censure l'arrêt des juges administratifs d'appel, aux motifs que, d'une part, il appartient au demandeur à l'exception de rapporter la preuve des irrégularités qu'il invoque et, d'autre part, aucun texte n'impose à l'administration des impôts, partie civile, de produire des documents provenant d'un organisme administratif indépendant.
De prime abord, il convient de souligner qu'à la différence des autres délits de droit commun, celui de fraude fiscale n'est pas poursuivi d'office par l'autorité normalement compétente, à savoir le procureur de la République. Ce dernier, ne peut, en effet, mettre en mouvement l'action publique que dans la mesure où l'administration a, préalablement, déposé une plainte. Ce dépôt constitue une formalité substantielle, dont l'observation est d'ordre public. Ainsi, une fois la décision d'engager les poursuites adoptée, l'administration doit prendre l'avis de la commission des infractions fiscales, sous peine d'irrecevabilité de la plainte, et cela, quelle que soit la nature de l'infraction (Cass. crim., 15 décembre 1987, n° 87-83.475, André Defretin et Dominique Morlinghem c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A9212AAG).
En l'espèce, la solution donnée par la Chambre criminelle repose sur une lecture minutieuse des articles L. 228 (N° Lexbase : L8327AE7) et R. 228-2 du LPF (N° Lexbase : L4042AEG), qui fixe la procédure suivie devant la commission.
Ainsi, aux termes de l'article L. 228 du LPF, les plaintes tendant à l'application de sanctions pénales en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont, sous peine d'irrecevabilité, déposées par l'administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales. La commission est, alors, invitée à donner un avis simple sur la proposition du ministre chargé des Finances de renvoyer le dossier au pénal. Le ministre est lié par cet avis, ainsi, rendu. A cet égard, il convient de souligner que la commission des infractions fiscales ne constitue pas un premier degré de juridiction. En conséquence, les séances de la commission et de ses sections ne sont pas publiques. Aussi, l'autorité compétente qui les a saisies et le contribuable ne peuvent assister à leurs délibérations. Néanmoins, la Cour européenne des droits de l'Homme a considéré, dans une décision en date du 26 septembre 1996, que l'article 6 § 1 de la CEDSH (N° Lexbase : L7558AIR) est applicable à cette procédure (CEDH, 26 septembre 1996, n° 47/1995/553/639, Miaihe c/ France N° Lexbase : A3186AUK). La Cour de cassation n'a, cependant, pas suivi cette position, dans la mesure où la commission n'est qu'un organisme destiné à donner son avis au ministre chargé des Finances sur l'opportunité des poursuites (Cass. crim., 16 mai 2001, n° 00-82.649, Gaydamak Arcadi c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A5692ATY).
Par ailleurs, l'article R. 228-2 du LPF précise que, lorsque la commission est saisie, le secrétariat en informe le contribuable par lettre recommandée avec avis de réception. Il lui communique l'essentiel des griefs qui motivent cette saisine et l'invite, en même temps, à faire parvenir à la commission, dans un délai de trente jours, les informations qu'il estimerait nécessaires.
De l'analyse de ces deux articles, on peut en conclure que l'administration et la commission des infractions fiscales ont des rôles bien distincts.
En effet, la première a pour mission de déposer plainte après avoir rempli son unique obligation légale, consistant à soumettre à la commission l'affaire qui semble pouvoir donner lieu à l'établissant d'une plainte. Quant à la commission des infractions fiscales, elle rend un avis concernant l'affaire et en informe le contribuable par lettre recommandée avec accusé de réception.
Force est, donc, de constater que seule la commission informe le contribuable, sous forme de LRAR, des griefs qui lui sont reprochés.
La jurisprudence ne manque, d'ailleurs, pas de le rappeler.
Ainsi, dans un arrêt de la Chambre criminelle de la cour de cassation en date du 14 mars 1996, il a été précisé qu'en application de l'article L. 228 du LPF, la commission des infractions fiscales n'a pas d'autre obligation que d'informer le contribuable de sa saisine, par lettre recommandée avec avis de réception, expédiée à sa dernière adresse connue de l'administration, la réception effective de ladite lettre ne dépendant pas de cette commission (Cass. crim., 14 mars 1996, n° 94-83.565, Administration des impôts c/ Charles Petit N° Lexbase : A8876ABD).
Or, en l'espèce, le défaut de production des lettres par l'administration lié au fait que le destinataire ne soit pas venu les retirer, engendrait, pour la cour d'appel de Douai, l'irrecevabilité des plaintes déposées par les services fiscaux.
En d'autres termes, les juges du second degré jugeaient que "le défaut de production de ces lettres empêchait toute vérification sur l'objet et l'étendue de la saisine de la commission et ne permettait pas davantage de vérifier la régularité de la procédure suivie".
Se faisant l'écho de la décision de la cour d'appel, le gérant poursuivi soulevait, en outre, l'exception de nullité des poursuites aux moyens que "n'étaient jointes au dossier de la procédure pénale ni la lettre visée par l'article R. 228-2 du LPF, par laquelle la CIF informe le contribuable de sa saisine, des griefs essentiels la motivant et l'invite à lui faire parvenir dans le délai de 30 jours les informations qu'il estimerait utiles, ni la justification de sa notification régulière au contribuable".
Au cas particulier, la Chambre criminelle de la Cour de cassation casse et annule l'arrêt de la cour d'appel de Douai.
Il convient de constater qu'elle ne se prononce aucunement sur les conséquences du délit de fraude fiscale pour le prévenu. En revanche, elle se borne à faire une interprétation littérale des articles L. 228 et R. 228-2 du LPF et, se faisant, rappelle très explicitement aux juges du second degré qu'aucun texte n'impose à l'administration des impôts, partie civile, de produire des documents provenant d'un organisme administratif indépendant, à savoir en l'espèce la commission des infractions fiscales.
En conséquence, l'irrecevabilité des plaintes déposées par l'administration ne pouvait être soulevée, la production ou non des lettres provenant de la commission des infractions fiscales n'étant pas une obligation pour les services fiscaux.
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