La lettre juridique n°146 du 9 décembre 2004 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'inclusion de la société sans salarié dans une unité économique et sociale

Réf. : Cass. soc., 24 novembre 2004, n° 03-60.329, Société Amadeus France services c/ M. Gil Eckert, FS-P+B (N° Lexbase : A0424DEG)

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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

L'unité économique et sociale est longtemps restée une notion relative, dont les critères de reconnaissance devaient s'apprécier différemment selon la mission dévolue à chaque institution. Cette notion s'est, cependant, peu à peu émancipée des institutions représentatives du personnel, dont elle n'était à l'origine que le support. Dans un arrêt du 2 juin 2004, la Cour de cassation avait ainsi affirmé que la reconnaissance d'une unité économique et sociale n'était pas nécessairement liée à la mise en place des institutions représentatives du personnel et qu'il était possible d'agir directement en reconnaissance de l'unité économique et sociale avant cette mise en place (Cass. soc., 2 juin 2004, n° 03-60.135, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A5244DC9). L'arrêt commenté s'inscrit parfaitement dans cette logique d'objectivation. La solution elle-même n'est guère nouvelle : une entreprise sans salarié peut être incluse dans une UES (1). Mais, cette solution, ici appliquée à la désignation d'un délégué syndical, repose sur un fondement quelque peu différent : celui de la finalité propre de l'unité économique et sociale (2).
Décision

Cass. soc., 24 novembre 2004, n° 03-60.329, Société Amadeus France services c/ M. Gil Eckert, FS-P+B (N° Lexbase : A0424DEG)

Rejet (tribunal d'instance de Vanves, 24 juin 2003).

Mots clef : unité économique et sociale ; reconnaissance judiciaire ; société sans salarié ; défense des intérêts de la communauté de travailleurs dans un périmètre donné.

Textes visés : C. trav., art. L. 431-1 (N° Lexbase : L6389ACM) ; C. trav., art. L. 412-12 (N° Lexbase : L6332ACI)

Lien base :

Faits

Un syndicat a désigné un délégué central syndical au sein des sociétés Amadeus France services et Amadeus France SNC, ces deux entreprises étant juridiquement distinctes. Les deux sociétés intentent une action en justice afin de contester l'existence d'une unité économique et sociale et la désignation d'un délégué syndical qui en est résultée. Elle prétend qu'il est impossible de reconnaître une unité économique et sociale pour la désignation d'un délégué syndical lorsqu'une des sociétés n'a pas de salarié.

Problème juridique

Une société sans salarié peut-elle être incluse dans une unité économique et sociale pour la désignation d'un délégué syndical ?

Solution

1. Rejet

2. "Le tribunal d'instance, après avoir relevé que des salariés de la société Amadeus France services travaillaient de fait pour la société Amadeus France SNC, dont les moyens administratifs et commerciaux étaient partagés avec la société Amadeus France services, a fait ressortir qu'il existait une communauté de travailleurs intéressés par les activités complémentaires des deux sociétés dont la direction était commune ; que l'unité économique et sociale ayant pour finalité la défense des intérêts de la communauté de travailleurs dans un périmètre donné, le tribunal d'instance a pu décider que la circonstance que la société Amadeus France SNC n'ait pas de salariés ne faisait pas obstacle à la reconnaissance d'une unité économique et sociale entre les deux sociétés pour la désignation d'un délégué syndical".

Commentaire

1. L'unité économique et sociale et la société sans salarié

Le législateur n'a explicitement reconnu l'unité économique et sociale que pour la mise en place d'un comité d'entreprise (C. trav., art. L. 431-1 N° Lexbase : L6389ACM). Cela n'a, cependant, pas empêché la jurisprudence d'avoir recours à cette notion en dehors des dispositions légales (voir, par exemple, pour les délégués syndicaux, Cass. soc., 1er décembre 1998, n° 97-60.492, Société générale Asset Management et autre c/ M. Dusseaux et autres N° Lexbase : A4796AGQ).

Utilisant la méthode du faisceau d'indices, la jurisprudence recherche s'il existe "entre personnes juridiques distinctes", une "unicité de direction", des "activités complémentaires ou connexes" et "une communauté de travailleurs" (Cass. soc., 17 décembre 2003, n° 02-60.445, F-P+B N° Lexbase : A5225DAR).

En l'espèce, l'unité économique ne faisait guère de doute, car la plupart des indices traditionnellement retenus par la jurisprudence étaient réunis. Il n'y avait, en effet, aucune discussion sur l'existence d'une direction unique (voir, sur ce critère, Cass. soc., 7 mai 2003, n° 01-60.877, Société Bricorama c/ Fédération CGT secteur commerce distribution services, inédit N° Lexbase : A7964BSR) ou sur la similitude ou la complémentarité des activités exercées par les deux sociétés (Cass. soc., 25 septembre 2001, n° 00-60.224, Société Traction Michel Fréjaville c/ M. Dobrosav Milenkovic, inédit N° Lexbase : A1086AW7).

Les sociétés Amadeus France SNC et Amadeus France partageaient, en outre, leurs moyens administratifs et commerciaux (Cass. soc., 7 mars 2001, n° 99-60.529, Mme Marie-José Vigili c/ Mme Catherine Arrondel, inédit N° Lexbase : A4874ARX). L'existence d'une unité sociale paraissait plus douteuse en raison du fait que l'une des sociétés ne comportait pas de personnel. En premier lieu, l'unité sociale suppose, normalement, une "communauté de travailleurs liés par des intérêts communs", ce qui suppose, en principe, "une permutabilité du personnel" (Cass. soc., 24 septembre 2003, n° 02-60.082, F-D N° Lexbase : A6362C9I).

En toute rigueur, on ne peut permuter les salariés de deux sociétés si l'une n'en comporte pas ! La Cour, dans l'espèce commentée, admet l'existence d'une unité économique et sociale sans faire référence à la permutabilité du personnel, ce qui n'est d'ailleurs pas une solution nouvelle (voir déjà, Cass. soc., 11 juillet 2001, n° 00-60.048, FGMM-CFDT, inédit N° Lexbase : A1766AUX). L'existence d'une communauté de travailleurs résulte, en l'espèce, du constat que "des salariés" de l'une des sociétés "travaillaient de fait" pour l'autre.

En deuxième lieu, on peut s'interroger sur le principe même de l'inclusion d'une société sans salarié dans une unité économique et sociale. On peut, en effet, soutenir qu'il est illogique de mettre en place une représentation du personnel dans une entreprise sans personnel ! S'il n'y a pas de personnel, ce dernier n'a pas besoin d'être représenté ! La jurisprudence a pourtant déjà affirmé que "la circonstance qu'une société n'a pas de personnel ne l'exclut pas de l'unité économique et sociale pour la mise en place d'un comité d'entreprise commun" (Cass. soc., 21 janvier 1997, n° 95-60.833, Société Michelin de fabrication et autre c/ Fédération nationale des travailleurs de la chimie CGT et autres N° Lexbase : A2151ACN).

En l'espèce, l'inclusion de l'entreprise sans salarié est admise, non pour la mise en place d'un comité d'entreprise, mais pour la désignation d'un délégué syndical.

2. L'autonomie de l'unité économique et sociale vis-à-vis des différentes institutions représentatives du personnel

Dans l'arrêt commenté du 24 novembre 2004, la Cour de cassation affirme que "l'unité économique et sociale ayant pour finalité la défense des intérêts de la communauté de travailleurs dans un périmètre donné, le tribunal d'instance a pu décider que la circonstance que la société Amadeus France SNC n'ait pas de salariés ne faisait pas obstacle à la reconnaissance d'une unité économique et sociale entre les deux sociétés pour la désignation d'un délégué syndical".

Cet arrêt constitue, incontestablement, un élargissement du champ d'application de l'unité économique et sociale. La solution de l'arrêt du 21 janvier 1997, qui avait admis l'inclusion d'une entreprise sans salarié dans une unité économique et sociale, était cantonnée au seul comité d'entreprise. La finalité économique du comité d'entreprise légitimait, sans doute, que l'on n'apprécie pas de manière trop stricte le critère de la "communauté de travailleurs".

Les salariés, compte tenu de l'unité économique entre leur entreprise et celle ne comportant pas de salarié, avaient un intérêt direct à être représentés pour les "décisions relatives à la gestion et à l'évolution économique et financière de l'entreprise" (C. trav., art. L. 431-1 N° Lexbase : L6389ACM). L'utilité de la désignation d'un délégué syndical était, compte tenu de la finalité de cette institution, beaucoup moins évidente et c'est, sans doute, pour cette raison que l'arrêt du 21 janvier 1997 ne reconnaissait l'unité économique et sociale que "pour la mise en place d'un comité d'entreprise commun".

Dans cet arrêt, la nécessité de reconnaître une unité économique et sociale n'est pas appréciée au regard de la seule finalité du délégué syndical, mais au regard d'une finalité plus large, celle de "la défense des intérêts de la communauté de travailleurs dans un périmètre donné". On ne se pose donc pas la question de savoir si le délégué syndical lui-même est utile, mais si une représentation du personnel est utile. Cet arrêt s'inscrit parfaitement dans la continuité de l'évolution jurisprudentielle qui a conduit à l'objectivation de l'unité économique et sociale.

Dans un arrêt du 13 juillet 2004 (Cass. soc., 13 juillet 2004, n° 03-60.412, Société Sermeto équipement industriel c/ Union départementale des syndicats CGT de l'Allier, publié N° Lexbase : A1167DDL, voir G. Auzero, L'unité économique et sociale n'est pas une notion relative, Lexbase Hebdo n° 131 du 29 juillet 2004 - édition sociale N° Lexbase : N2509ABK), la Cour de cassation avait posé le principe selon lequel l'existence d'une unité économique et sociale doit être déduite de "critères propres indépendants de la finalité des institutions représentatives comprises dans son périmètre" et "n'implique pas du juge une appréciation de l'opportunité de la demande présentée".

En l'espèce, non seulement la Cour ne mentionne pas la finalité propre de l'institution représentative, mais encore elle fait référence à la finalité propre de l'unité économique et sociale elle-même, ce qui parachève certainement l'évolution observée. Déjà dotée de critères propres, l'unité économique et sociale est désormais dotée d'une finalité propre, ce qui en fait une notion réellement autonome.

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