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N1334ABZ
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Disposition commentée
1. QE n° 16810 de M. Le Nay Jacques, JOANQ 21 avril 2003 p. 3074, min. aff. soc., trav. et solid., réponse publ. 16 mars 2004 p. 2016, 12e législature (N° Lexbase : L0322DYL).
2. Réponse du ministre du Travail publiée au JOANQ le 16 mars 2004, page 2016 Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Liens base : |
Commentaire
1. Le droit reconnu au salarié de refuser l'introduction de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence A la suite du revirement intervenu le 10 juillet 2002, M. Jacques Le Nay, député UMP du Morbihan, avait interrogé le ministre du Travail pour savoir "s'il considère que l'employeur a la faculté de maintenir une clause de non-concurrence en ajoutant unilatéralement au contrat de travail un avenant relatif à la compensation financière de cette clause" (Question n° 16810, publiée au JO le 21 avril 2003, page 3074). Dans une réponse publiée le 16 mars 2002 (JOANQ le 16 mars 2004, page 2016), le ministre du Travail lui a répondu que "l'ajout d'une telle contrepartie constitue une modification du contrat de travail qui comme telle doit être soumise à l'accord exprès du salarié concerné. En effet, l'employeur ne peut fixer de manière unilatérale le montant de la contrepartie financière". La solution était prévisible et nous avions déjà eu l'occasion d'indiquer que l'accord du salarié serait, selon toute vraisemblance, nécessaire pour modifier la clause en lui adjoignant une contrepartie financière (RDC 2003, p. 145, et la chron.). La jurisprudence a déjà eu l'occasion d'affirmer, à de nombreuses reprises, que l'introduction dans le contrat de travail d'une clause de non-concurrence devait être autorisée par le salarié (Cass. soc., 7 juillet 1998, n° 96-45.047, M. Roig c/ Mme Dorandeu et autre, publié N° Lexbase : A4639AGW JCP G 1998, II, 10196, note C. Puigelier ; Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 96-41.845, M. Domenech c/ M. Lebert, publié N° Lexbase : A4584AGU ; Cass. soc., 17 octobre 2000, n° 98-42.018, M. Demard c/ Centre de gestion et de comptabilité agricole de la Gironde, publié N° Lexbase : A7681AHX Dr. soc. 2000, p. 1147, obs. J. Savatier). Certes ici, il ne s'agit pas à proprement parler d'introduire une clause de non-concurrence, mais de modifier une partie de son régime pour la rendre valide. Cette opération de sécurisation présente incontestablement un aspect substantiel pour le salarié qui justifie certainement qu'il soit en droit de s'opposer à la modification puisque, de nulle, la clause deviendra valide et qu'il sera valablement astreint à une clause qui le prive d'une partie de sa liberté professionnelle. Toutefois, on est en droit de se demander si, dans le contexte bien particulier de cette affaire, une autre interprétation ne devrait pas prévaloir. Le droit reconnu au salarié de refuser une modification de son contrat de travail puise ses racines dans l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) et dans l'intangibilité du lien contractuel. Le contrat ayant été voulu par les deux parties, il est normal que les deux parties soient en accord pour y apporter une modification, et tout aussi normal de ne pas permettre à la volonté de l'un de se substituer à la volonté de l'autre. Mais l'hypothèse particulière à laquelle on se trouve ici confronté correspond-t-elle à cette exigence fondamentale ? Rien n'est moins sûr. On remarquera, tout d'abord, que l'employeur qui souhaite introduire une contrepartie financière n'agit pas à proprement parler de sa propre volonté ; il ne fait que tirer les conséquences logiques du revirement intervenu le 10 juillet 2002 (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135 N° Lexbase : A1225AZE ; Cass. soc., n° 00-45.387 N° Lexbase : A1227AZH et Cass. soc., n° 99-43.334 N° Lexbase : A0769AZI), revirement d'application rétroactive, faut-il le rappeler une nouvelle fois. Il y est, en quelque sorte, contraint par la Cour de cassation. Par ailleurs, cette modification de la clause vise non pas à modifier l'équilibre de cette dernière en procurant à l'employeur un avantage qui n'avait pas été voulu par les parties, mais à accorder au salarié ce à quoi il a désormais droit et, plus largement, à assurer la pérennité d'une clause du contrat voulue dès les origines par les deux parties. Il s'agit ici de sauver la clause d'une annulation certaine, de résister à un changement de circonstances juridiques. Peut-on, dès lors, affirmer que l'employeur qui ajoute la contrepartie financière à la clause valablement conclue par les parties modifie réellement le contrat parce qu'il le sécurise ? Il ne s'agit pas à proprement parler d'une modification du contrat, mais simplement de sa consolidation. Dans la mesure où l'annulation ne résulte ni d'un vice initial, ni même d'un fait quelconque de l'employeur, est-il équitable de permettre au salarié de s'y opposer ? Cette dernière remarque renvoie immédiatement à la bonne foi qui doit régner dans les rapports contractuels et dont l'existence, au coeur même du Code de travail, a été solennellement réaffirmée par le législateur lors du vote de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (C. trav., art. L. 120-4 N° Lexbase : L0571AZ8). Permettre au salarié de refuser le sauvetage de la clause n'est-il pas alors contraire à cette exigence de bonne foi (notre étude Le solidarisme contractuel en droit du travail : mythe ou réalité ?, dans Le solidarisme contractuel, Economica - Etudes juridiques, 2004, p. 75 s., sp. p. 89). La Cour de cassation pourra-t-elle décemment, après avoir contraint les employeurs à réviser les clauses de non-concurrence, les priver de tout moyen d'y parvenir effectivement en affirmant le droit des salariés de s'y opposer ? Si la question mérite d'être posée lors de l'examen du droit qu'ont les salariés de refuser l'introduction de la contrepartie financière, elle doit également être sérieusement envisagée lorsqu'on examine les conséquences du refus opposé par le salarié. 2. Les conséquences du refus sur le contrat de travail En admettant que le salarié refuse l'introduction de la contrepartie financière, l'employeur ne dispose alors que de deux réactions possibles : renoncer à son projet et à la clause de non-concurrence ou licencier le salarié. Dans cette dernière hypothèse, le motif et la justification du licenciement résultent directement du motif et de la justification de la modification elle-même (Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 95-17.077, M. Bignon c/ Société Fidal, publié N° Lexbase : A4489AGD). Dans la mesure où il s'agit d'un différend opposant le salarié à son employeur, la qualification de motif personnel semble devoir s'imposer. La modification du contrat était-elle alors justifiée ? Une réponse positive nous semble devoir s'imposer, et ce pour au moins deux raisons. La première tient à la clause de non-concurrence elle-même. Sa validité répond, on le sait, à des exigences désormais cumulatives, dont la nécessité pour l'entreprise de restreindre la liberté professionnelle du salarié. Dès lors que cette exigence de nécessité est établie, alors la légitimité de la démarche de l'employeur nous semble devoir l'être également. Il paraîtrait en effet contradictoire d'affirmer que l'entreprise avait intérêt à insérer dans le contrat de travail du salarié une clause de non-concurrence, tout en considérant que l'employeur n'avait aucune légitimité à tenter d'en assurer la survie. Par ailleurs, l'exigence de bonne foi doit, selon nous, conduire à considérer que le salarié doit accepter la révision de la clause pour en assurer la pérennité. C'est d'ailleurs en ce sens que statuent les juridictions civiles lorsqu'une évolution dans le contexte extérieur au contrat favorise outrageusement l'une des parties ; celle-ci doit alors accepter de renégocier afin de rééquilibrer la convention (Cass. com., 3 novembre 1992, n° 90-18.547, Société Française des Pétroles BP c/ Monsieur Huard, publié N° Lexbase : A4297ABR, JCP G 1993, II, 22164, note G. Virassamy). Le cas de figure est ici très proche, dans la mesure où le revirement intervenu le 10 juillet 2002 déséquilibre totalement la clause de non-concurrence en offrant au salarié un moyen inespéré d'en obtenir très facilement l'annulation. Il nous semble donc, dans ces conditions, que le licenciement du salarié qui refuse l'introduction de la contrepartie financière doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, compte tenu de la contrainte qui pèse sur l'employeur depuis le revirement du 10 juillet 2002. Cette question n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle des incidences de la réduction de la durée légale du travail sur la rémunération des salariés. On sait que la loi Aubry II (loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) a simplement indiqué que la réduction de la durée qui s'accompagnait d'une réduction de la rémunération ne pouvait déboucher que sur une procédure de licenciement pour motif personnel (loi 19 janvier 2000, art. 30-II N° Lexbase : L0988AH3), laissant sans réponse la question relative à la justification de ce licenciement. Or, dans un arrêt rendu le 24 mars 2004, la Cour de cassation pourrait bien avoir suggéré que le licenciement du salarié qui refuse la baisse corrélative de sa rémunération pourrait reposer sur une cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 24 mars 2004, n° 02-45.130, FS-P+B N° Lexbase : A6378DBT, voir Effectif de l'entreprise et décision unilatérale de l'employeur de passer à 35 heures : quels rapports et quels apports ?, S. Martin-Cuenot, Lexbase Hebdo n° 115 du jeudi 8 avril 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1197ABX). Une telle solution nous paraît amplement justifiée dans la mesure où la modification envisagée répond au souci de l'entreprise de tirer les conséquences d'un changement intervenu dans le droit positif, qu'il s'agisse d'une modification de la durée légale du travail ou dans la jurisprudence de la Cour de cassation. La Chambre sociale de la Cour de cassation, qui a plongé dans la perplexité des milliers d'entreprises, devra bien répondre à ces questions et tenir compte de l'impact de sa jurisprudence. Mais le plus simple ne serait-il pas de limiter l'application du revirement aux seules clauses conclues postérieurement au 10 juillet 2002, comme l'exigerait le principe de sécurité juridique ? |
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