Lexbase Droit privé n°332 du 8 janvier 2009 : Sociétés

[Questions à...] Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre

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[Questions à...] Soumission des dividendes perçus par les associés des sociétés d'exercice libéral aux cotisations sociales : entretien avec Jean-Yves Mercier, avocat associé du cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3182900-questions-a-soumission-des-dividendes-percus-par-les-associes-des-societes-dexercice-liberal-aux-cot
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par Anne Lebescond - Journaliste juridique et relations publiques

le 07 Octobre 2010

L'article 20 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008, de financement de la Sécurité sociale pour l'année 2009 (LFSS 2009) (N° Lexbase : L2678IC8), publiée au Journal officiel du 18 décembre 2008, modifie l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L8948HWC), qui détermine l'assiette des cotisations sociales (dont la CSG et la CRDS) dues par les travailleurs non salariés des professions non agricoles. Alors que seul le revenu professionnel retenu pour le calcul de l'impôt sur le revenu entrait dans cette assiette, la loi y soumet, désormais, dans les sociétés d'exercice libéral (SEL), "la part des revenus mentionnés aux articles 108 (N° Lexbase : L2059HLT) à 115 du Code général des impôts [...] et des revenus visés au 4° de l'article 124 (N° Lexbase : L2139HLS) du même code qui est supérieure à 10 % du capital social, des primes d'émission et des sommes versées en compte courant".
Autrement dit, les dividendes perçus par les associés des SEL entrent pour partie dans l'assiette des cotisations sociales. Or, ce faisant, la loi supprime l'outil d'optimisation fiscale que représente la SELARL pour la rémunération des gérants associés. Lexbase a interrogé Maître Jean-Yves Mercier, avocat fiscaliste, associé du cabinet d'avocats CMS Bureau Francis Lefebvre, sur cette modification législative, qui suscite encore de vives émotions de la part des professionnels concernés, dont, notamment, beaucoup d'avocats et à l'encontre de laquelle il est fort à parier que des contentieux vont naître. Lexbase : En quoi la SELARL était-elle un outil d'optimisation fiscale et sociale des sommes perçues par les gérants associés ?

Jean-Yves Mercier : Les sommes perçues par le gérant associé d'une SELARL le sont, soit au titre de la rémunération de son activité professionnelle, soit au titre des dividendes distribués.

La rémunération perçue par le gérant au titre de son activité professionnelle entre dans l'assiette des cotisations sociales en tant que revenu d'activité professionnelle non salariée, en application de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale (1).

Les dividendes distribués sont prélevés sur des bénéfices qui ont supporté l'impôt sur les sociétés, au taux de 15 % sur la fraction du résultat annuel n'excédant pas 38 120 euros, au taux de 33,33 % sur la fraction du résultat annuel excédant cette somme. Seule la rémunération du gérant associé au titre de son mandat, dans cette configuration, était soumise aux cotisations sociales. Les dividendes ne donnaient prise qu'aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine (12,1 % à compter du 1er janvier 2009).

Lexbase : Quelles sont les motivations du législateur à soumettre les dividendes perçus par les associés des SEL aux cotisations sociales ?

Jean-Yves Mercier : Cette modification législative a été motivée par la protestation des caisses de retraite des professionnels libéraux (2) qui subissaient un manque à gagner à ne pouvoir appeler de cotisations sur les dividendes que se versaient les associés de SEL. Des abus ont, en effet, été commis, mais de façon très ponctuelle, qui consistaient, pour le gérant majoritaire de la SELARL, à se verser une rémunération dérisoire au titre de son activité professionnelle et à laisser le surplus dans la caisse de la société, afin d'en récupérer une partie sous forme de dividendes.[NDLR : cette pratique était d'autant plus facilitée, que la déclaration de revenus n° 2042 ne permet pas de distinguer les dividendes versés à l'occasion d'une activité professionnelle de ceux qui résultent de la simple possession mobilière, ainsi que le souligne le rapport "Fouquet" (3)]. De cette façon, le gérant associé les fait échapper aux cotisations sociales.

[NDLR : un cas soumis à la deuxième chambre civile de la Cour de cassation (4) illustre parfaitement cette dérive. Un chirurgien dentiste, qui avait exercé sa profession à titre individuel, constitue une SELARL dont il est, en réalité, l'associé unique (détenant 499 des 500 parts sociales). Il se verse une rémunération au titre de ses fonctions de gérant mais affecte l'intégralité des revenus provenant de son activité de chirurgien-dentiste à sa société. Il répond à la CARCD, à laquelle il n'est pas affilié et qui lui réclame le paiement des cotisations, qu'il dépend uniquement du régime de retraite des professions industrielles et commerciales et du régime maladie des travailleurs indépendants, en sa qualité de gérant associé non salarié de la SELARL. La Cour de cassation, approuvant la cour d'appel, fait, toutefois, droit aux demandes de la caisse de retraite, énonçant que "les bénéfices de la société qui ont été distribués à un associé majoritaire d'une SELARL, qui consistaient le produit de son activité professionnelle de chirurgien dentiste, devaient entrer dans l'assiette des cotisations litigieuses". La Haute cour considère qu'en réalité le chirurgien dentiste n'a jamais cessé son activité à titre indépendant, mais l'a simplement déguisée sous la forme d'une exploitation en société.]

Lexbase : La modification de l'article L. 131-6 du Code de la Sécurité sociale par la LFSS 2009 vous semble-t-elle justifiée d'un point de vue juridique ?

Jean-Yves Mercier : Cette modification législative a le mérite de faire barrage à la jurisprudence de la Cour de cassation issue d'un arrêt du 16 mai 2008 (5), jurisprudence dont aurait pu résulter l'assujettissement automatique et sans limite de l'ensemble des dividendes prélevés dans les sociétés de toute forme par les associés exerçant leur activité professionnelle dans la structure, dès lors qu'ils ont le statut social de travailleur indépendant. Cette conséquence extrême aurait été particulièrement difficile à justifier alors que, dans le même temps, le Conseil d'Etat avait retenu une position diamétralement opposée (6).

[NDLR : dans cet arrêt, la Haute cour administrative, saisie de la validité de la décision d'une caisse de retraite d'intégrer les dividendes distribués aux associés des SELARL dans l'assiette des cotisations sociales, a souligné que ceux-ci, n'étant pas des revenus d'activité professionnelle, n'entrent pas dans cette assiette. La position du Conseil d'Etat a été renouvelée dans un arrêt du 30 mai 2008 (7), relatif à la déductibilité des intérêts d'emprunt : un professionnel ayant acquis les parts de la société au sein de laquelle il exerce, s'il est autorisé à déduire les intérêts d'emprunt du montant de la rémunération qui lui est versée par la société, n'est pas en droit de le faire des dividendes que cette société lui verse, la rémunération étant un revenu professionnel, alors que les dividendes sont un revenu patrimonial privé. Ce clivage entre les deux juridictions suprêmes aboutissait à une différence de traitement des dividendes selon la nature du prélèvement.]

La réponse apportée par la LFSS 2009 n'est, cependant, pas la plus appropriée.

La loi soulage tous les associés autres que ceux des SEL. C'est appréciable, mais le sort fait à ceux qui entrent dans ses filets n'est pas satisfaisant.

La loi aurait dû préserver de l'assujettissement ceux des associés concernés qui s'octroient une rémunération normale, puisque l'objectif recherché est de sanctionner la substitution indue d'un dividende à une rémunération. Ce critère essentiel est ignoré par le texte.

La loi fonde l'assujettissement des dividendes aux cotisations sur des données -montant des apports faits en capital à la société, montant des fonds apportés en compte courant à celle-ci- qui sont sans lien avec l'effort financier consenti par l'associé pour acquérir ses titres, hormis le cas où il serait le fondateur. Les dividendes sont les produits d'un investissement. Si une limite doit être fixée, elle doit être en rapport avec le montant de cet investissement.

Une loi qui ne se donne pas le moyen d'atteindre précisément l'objectif qu'elle prétend poursuivre en pénalisant anormalement des assujettis qui auraient dû rester en dehors de son atteinte n'est pas un bon texte.

Une loi qui, de surcroît, traite différemment des personnes placées dans des situations identiques est porteuse de discriminations injustifiées. Tel est le cas d'un texte qui frappe, au sein d'une même profession, les associés ayant fait le choix de la SEL et épargne ceux qui ont retenu la forme commerciale de droit commun (SARL plutôt que SELARL, comme il est permis aux experts-comptables et aux notaires) ou ont eu recours à la SCP assujettie à l'impôt sur les sociétés (avocats, notaires, par exemple).

On a, en outre, grandement surestimé les attraits du dividende. Pour les titulaires de revenus d'activité d'une certaine importance, le dividende est davantage taxé que la rémunération, puisqu'il est prélevé sur un bénéfice soumis à l'IS au taux de 33,33 %, puis assujetti à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Percevoir un dividende est alors plus coûteux que de percevoir une rémunération, la loi ne faisant qu'augmenter encore cette charge.


(1) CSS, art. L. 131-6 : "Les cotisations d'assurance maladie et maternité et d'allocations familiales des travailleurs non salariés non agricoles et les cotisations d'assurance vieillesse des professions artisanales, industrielles ou commerciales sont assises sur le revenu professionnel non salarié".
(2) Dont la CARCD -Caisse autonome de retraite des chirurgiens dentistes-, la CARMF -Caisse autonome de retraite des médecins de France- et la CNBF -Caisse nationale des barreaux français-.
(3) Cotisations sociales : stabiliser la norme, sécuriser les relations avec les Urssaf et prévenir les abus, rapport au ministre du Budget, des Comptes publics et de la Fonction publique, présenté par M. Olivier Fouquet, président de Section au Conseil d'Etat, juillet 2008.
(4) Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, M. Patrice Lagravière, FS-P+B+R (N° Lexbase : A5228D87).
(5) Arrêt de principe préc. : Cass. civ. 2, 15 mai 2008, n° 06-21.741, M. Patrice Lagravière, FS-P+B+R.
(6) CE 1° et 6° s-s-r., 14 novembre 2007, n° 293642, Association nationale des sociétés d'exercice libéral (ANSEL) (N° Lexbase : A5808DZ7).
(7) CE 3° et 8° s-s-r., 30 juin 2008, n° 274480, M. et Mme Henri (N° Lexbase : A4466D9B).

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