Lexbase Avocats n°202 du 15 octobre 2015 : Avocats/Institutions représentatives

[Jurisprudence] La constitutionnalité des élections au Conseil national des barreaux

Réf. : Cass. QPC, 22 septembre 2015, deux arrêts, n° 15-40.028, F-P+B (N° Lexbase : A5455NPQ) et n° 15-40.029, F-D (N° Lexbase : A5456NPR)

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

le 15 Octobre 2015

Les élections au Conseil national des barreaux concernent un organisme, qui a des missions d'ordre strictement professionnel, dépourvues de tout caractère juridictionnel. Dès lors "aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle" n'impose au législateur de recourir à un mode d'élection plutôt qu'à un autre. Telle est la solution dégagée par la Cour de cassation dans deux arrêts rendus le 22 septembre 2015 (Cass. QPC, 22 septembre 2015, deux arrêts, n° 15-40.028, F-P+B et n° 15-40.029, F-D). La possibilité de développer devant une juridiction une question prioritaire de constitutionnalité provient de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L0289IGS), qui a ouvert au justiciable cette possibilité nouvelle, en vigueur depuis le 1er mars 2010.

Les avocats se sont engouffrés aussitôt dans cette nouvelle issue à leur portée, particulièrement en matière disciplinaire, ce qui fait que, malgré le caractère récent de la disposition, la jurisprudence commence à être fournie (1). Toutefois, cette exception s'est avérée décevante pour les plaideurs. D'emblée l'on a jugé que les questions ne pouvaient porter que sur une disposition législative. Or, la discipline et même l'organisation de la profession d'avocat relèvent souvent de dispositions règlementaires (2). Le Conseil national des barreaux, doté d'un pouvoir règlementaire, engendre une source de droit de même nature (3).

Les deux décisions émanant le 22 septembre 2015 de la Cour de cassation correspondent à deux solutions rigoureusement identiques et l'on comprend dès lors que, seule, la première d'entre elles ait les honneurs du Bulletin.

Ces deux décisions transmettent une question prioritaire de constitutionnalité de la cour d'appel de Paris dans deux arrêts du 25 juin 2015 (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 25 juin 2015, deux arrêts, n° 15/01168 N° Lexbase : A8463NLZ et n° 14/25103 N° Lexbase : A7649NLU) transmis à la Cour de cassation. Les questions critiquaient les modalités des élections des membres du Conseil national des barreaux.

Un recours spécifique est prévu (4). Tout avocat peut déférer les élections des membres du Conseil national des barreaux à la cour d'appel dans les huit jours de la proclamation des résultats. Ce recours est instruit selon la procédure sans représentation obligatoire, ce qui le rend peu coûteux pour des avocats accoutumés par profession à établir des écritures.

L'article 2 de la loi n° 95-1349 du 30 décembre 1995, modifiant la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques (N° Lexbase : L6343AGZ) (5), évoque l'élection des membres du Conseil. Ils sont élus au suffrage direct par deux collèges, le collège ordinal (composé des Bâtonniers et des membres des conseils de l'Ordre) et le collège général (composé de l'ensemble des avocats disposant du droit de vote). Chaque collège élit la moitié des membres.

Pour contester la légalité de ces dispositions conduisant à la composition du Conseil national des barreaux, les demandeurs soulevaient, avec une pertinence inégale, l'illégalité et l'absence de conformité du mode d'élection, tant au regard que de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen du 26 août 1789 que de la Constitution du 4 octobre 1958.

Le premier examen auquel se livre la Cour de cassation est classique : la question est-elle applicable au litige ? Cet examen n'est pas vain, car il a déjà été relevé des questions sans rapport avec le litige. On l'a vu notamment à propos de la discipline de l'avocat. Dans une poursuite disciplinaire, la question portait sur la suspension provisoire alors que celle-ci était sans rapport avec le litige où il n'était pas question de suspension provisoire, celle-ci ne constituant pas de surcroît une peine disciplinaire (6). Les demandeurs ont donc surmonté, à juste titre, ce premier obstacle. La question posée est bien applicable au litige.

La seconde vérification consiste à examiner si la disposition critiquée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs où le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Quand la Cour de cassation répond par l'affirmative, elle a soin de citer la date des décisions et leur numéro, permettant ainsi une vérification incontestable pour le justiciable dont la contestation est écartée (7).

Plus critiquable est la motivation récurrente sur la nouveauté de la question posée. Si la question n'est pas nouvelle, elle est déclarée irrecevable. La Haute juridiction souligne que "la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle". Sans doute fondée, cette appréciation aurait mérité d'être explicitée. Il n'y a pas tel qu'une bonne motivation, fût-elle succincte, pour emporter l'adhésion. Quant au caractère sérieux de la question, les juges vont d'abord circonscrire l'effet du vote. Il ne tend pas à désigner des juges, comme cela pourrait être le cas pour un conseil de discipline. Dans ce domaine, la Cour de cassation se montre plus circonspecte. Elle s'est prononcée pour la possibilité du conseil de l'Ordre, au Barreau de Paris, de statuer comme conseil de discipline, mais après que la question ait été tranchée dans deux décisions par le Conseil constitutionnel.

La Cour de cassation a donc bien renvoyé cette question prioritaire de constitutionnalité (8). Pour le conseil de l'Ordre du barreau de Papeete, le Conseil constitutionnel s'est prononcé avec une réserve d'interprétation (9). En revanche, pour les avocats à la Cour de cassation et au Conseil d'Etat, la Haute juridiction n'a pas jugé sérieuse la question qui lui était posée (10). Le principe d'égalité devant la justice "ne s'oppose pas à ce que des situations différentes soient réglées de façon différente".

Par un raisonnement a fortiori la Cour de cassation observe que les élections au Conseil national des barreaux concernent un organisme, qui a des missions d'ordre strictement professionnel, dépourvues de tout caractère juridictionnel. Dès lors "aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle" n'impose au législateur de recourir à un mode d'élection plutôt qu'à un autre.

Dans ce contexte, les observations faites en 2013 (11), gardent leur actualité. Les questions prioritaires de constitutionalité sont loin d'être une panacée pour les avocats. Leur fréquence va conduire à une jurisprudence de plus en plus étoffée permettant à la Cour de cassation de constituer un obstacle déterminant. De plus en plus fréquemment il sera jugé que la question, à supposer qu'elle soit sérieuse, n'est pas nouvelle. Les avocats sont des plaideurs imaginatifs, mais les juridictions saisies pourront se montrer, sans risque, plus hardies. Elles se refuseront alors à transmettre la question. Cette faculté deviendra-t-elle une procédure en voie d'extinction ? On peut quand même en douter. En effet, au fur et à mesure que la jurisprudence s'étoffe, de nouvelles dispositions législatives concernent la profession d'avocat. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (N° Lexbase : L4876KEC), dite loi "Macron", contient de nouvelles dispositions contraignantes, c'est-à-dire susceptibles de faire grief, aux avocats. Dès lors, le contentieux pourrait renaître sans attendre que certains principes, comme l'indépendance de l'avocat, prennent la première place dans la hiérarchie des normes (12).


(1) Luc Briand, Discipline et question prioritaire de constitutionnalité, la voie étroite, Gaz. Pal., 6-8 novembre 2011, p. 16 ; du même auteur, Le statut constitutionnel de l'avocat, Gaz. Pal., 26 au 28 novembre 2013, p. 12.
(2) Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID) ; décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA).
(3) Loi n° 2004-130 du 11 février 2004, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques (N° Lexbase : L7957DNZ).
(4) Décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat, art. 93 (N° Lexbase : L8168AID).
(5) Insérant un article 21-2 dans le décret du 27 novembre 1991.
(6) Cass. QPC, 28 juin 2012, n° 12-40.034, FS-D (N° Lexbase : A2153IQS).
(7) Cass. QPC, 6 octobre 2011, n° 11-14.054, FS-D (N° Lexbase : A6146HYB).
(8) Idem.
(9) Cass. QPC, 20 février 2013, n° 12-40.093, F-D (N° Lexbase : A4386I8X).
(10) Cass. QPC, 1er septembre 2015, n° 15-50.062, FS-P+B (N° Lexbase : A3751NNA).
(11) Luc Briand, article précité.
(12) Frédéric Sicard et Aymard de la Ferté Sénecterre, De l'indépendance de l'avocat en droit constitutionnel français, JCP éd. G, 2015, 1082.

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