La lettre juridique n°611 du 7 mai 2015 : Avocats/Procédure

[Jurisprudence] La prescription de l'action en responsabilité contre l'avocat

Réf. : Cass. civ. 1, 9 avril 2015, n° 14-13.323, F-P+B (N° Lexbase : A5096NGT)

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par Yves Avril, Docteur en droit, Avocat honoraire, ancien Bâtonnier

le 07 Mai 2015

L'arrêt rendu le 9 avril 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation mérite bien les honneurs du Bulletin. Il s'insère, en effet, dans un mouvement cohérent faisant échapper au Code de commerce les règles de droit applicables à la profession d'avocat et notamment au point de départ de la prescription de l'action en responsabilité civile diligentée contre l'avocat. La profession d'avocat a toujours eu une grande prévention à l'égard des activités commerciales. D'une part, dès l'énoncé de textes réformateurs (1), les avocats sont définis comme des "auxiliaires de justice". Cette définition est, en outre, renforcée par des appréciations de la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle a jugé que "le statut spécial des avocats les place dans une situation centrale dans l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, ce qui explique les normes de conduite imposées en général aux membres du barreau" (2). Il faut d'ailleurs rappeler que l'avocat, quelle que soit son activité, judiciaire ou juridique, est astreint à une déontologie identique depuis que la loi n° 90-1259 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales (N° Lexbase : L3046AIN), a intégré les conseils juridiques dans une profession unique.

D'autre part, lorsqu'il s'agit de définir des incompatibilités professionnelles, la première règle est de déclarer la profession incompatible "avec toutes les activités de caractère commercial, qu'elles soient exercées directement ou par personne interposée" (3).

L'avocat doit donc borner son activité à des missions de nature civile. Telle était bien ici la situation. L'avocat, dans une activité de conseil et de rédaction d'acte, avait prêté son concours à une augmentation de capital d'une SCI vers une société commerciale. Les clients avaient reçu une notification de redressement qui n'était certainement pas négligeable puisqu'une plus value de 3 590 000 francs (696 231,63 euros) en janvier 1996 n'avait pas été déclarée dans les délais légaux pour obtenir le bénéfice d'un report d'imposition.

En revanche, l'avocat est maître, comme d'autres professionnels libéraux le font de longue date, les experts-comptables par exemple, d'exercer son activité sous forme de société commerciale. L'exercice en société représente aujourd'hui une part significative et constante. En 2014, 29,4 % des avocats étaient associés quand ils étaient 29,6 % dix ans auparavant (4).

Dans ce contexte, les sociétés d'avocats à forme commerciale sont répandues. Depuis la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, diverses possibilités existent (5) : société d'exercice libéral à forme anonyme (SELAFA), société d'exercice libéral en commandite par actions (SELCA), société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL), société d'exercice libéral par actions simplifiées (SELAS).

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans son arrêt du 26 novembre 2013 (CA Aix-en-Provence, 26 novembre 2013, n° 13/00134 N° Lexbase : A1878KQM), avait bien vu que l'action en responsabilité civile était engagée par une cliente, société commerciale, à l'encontre d'une société d'avocats dotée d'une forme identique. Elle avait admis que la prescription de dix ans, alors applicable aux termes de l'article L. 110-4 du Code de commerce (N° Lexbase : L5548AIC) dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I), devait s'appliquer, ce qui rendait l'action irrecevable.

Il y a d'abord une question qui ne paraît pas ici faire de difficulté, le point de départ de la prescription. La règle applicable concerne l'ancienne loi quand elle est beaucoup plus ardue dans la loi nouvelle (6). Les prestations demandées à l'avocat n'étaient pas liées à une activité judiciaire. Dès lors, la notion de fin de mission, envisagée par l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) ou l'ancien article 2277-1 du Code civil (N° Lexbase : L2565ABM) est un élément étranger à l'affaire. L'examen du pourvoi montre que le redressement fiscal avait été mis en recouvrement le 31 mai 1999. En pareille matière, le délai pour agir ne peut courir plus tôt, sinon le préjudice ne serait qu'éventuel. Il lui manquerait le caractère certain qui, seul, procure un principe de réparation.

En revanche, la mise en recouvrement est reconnue comme constituant le préjudice "actuel et certain dans son principe" (7).

De même l'action, introduite par une assignation du 2 février 2011, était recevable. Si l'ancien article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) offrait au demandeur une prescription de trente ans, l'article 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) réduisant cette prescription à cinq ans restait sans conséquence. En effet, l'article 2222 du Code civil (N° Lexbase : L7186IAE) évoque l'application dans le temps de la loi nouvelle. L'action n'aurait pu être prescrite que cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, soit le 19 juin 2013.

L'appréciation de la Haute juridiction, entrant dans la voie de la cassation, adopte une formule succincte dont elle a le secret : "l'action en recherche de la responsabilité d'un avocat au titre de son activité de conseil et de rédaction d'acte, même lorsqu'elle est exercée sous la forme d'une société d'exercice libéral à responsabilité limitée, relève de la prescription contractuelle de droit commun".

Une jurisprudence allant dans le sens de l'arrêt cassé pourrait être invoquée (8). Elle retient l'application de l'article L. 110-4 du Code de commerce dans son expression ancienne (N° Lexbase : L5548AIC), c'est-à-dire la prescription de dix ans, pour la nullité d'un acte mixte, un contrat de prêt passé entre commerçant et un non-commerçant. Toutefois, cette décision est sévèrement critiquée (9), car l'article L. 110-4 citait la prescription des "obligations" et non des "actions", ce qui est bien ici la matière concernée.

Enfin, la question risque d'avoir un impact limité dans l'avenir (10), en matière de prescription, car le régime issu de la loi du 17 juin 2008 aligne la durée de la prescription commerciale sur la prescription civile de droit commun, cinq ans.

Pour apprécier la question dans son entier, il faut relever que la forme commerciale est licite et incontestable. Ainsi, à propos des sociétés d'exercice libéral, la loi autorise expressément la constitution de sociétés régies "par les dispositions du livre II du Code de commerce ". Comment pouvait-il en être autrement quand nombre de conseils juridiques, appelés alors à devenir avocats, exerçaient leur activité au sein de sociétés commerciales ?

En revanche, l'objet de ces sociétés conserve une nature uniquement civile aux opérations qu'elles réalisent. Lorsque la société est une commandite, les associés commandités n'ont pas la qualité de commerçants. Autre particularité, les actions des sociétés à capitaux restent nominatives. En outre, plus de la moitié du capital et des droits de vote doivent être détenus par des professionnels, ce qui peut donner lieu à des appréciations contentieuses (12). Enfin, ces sociétés ne peuvent accomplir un acte entrant dans l'objet social que par l'intermédiaire d'un membre ayant qualité pour exercer la profession.

Cette même attraction vers le droit civil se trouve dans la compétence des juridictions, lorsqu'une action en responsabilité est engagée. Avec une fermeté constante, les avocats déclinent toujours la compétence de la juridiction commerciale lorsqu'ils sont attraits en responsabilité devant le tribunal de commerce. Cela s'étend à un appel en intervention dans une procédure concernant deux commerçants. Si les obligations sont indivisibles, l'affaire doit être renvoyée pour le tout devant la juridiction de droit commun, c'est-à-dire le tribunal de grande instance (13).

Au reste, un texte formel est venu consolider cette jurisprudence, s'il en était besoin lorsque l'action vise des sociétés commerciales. Provenant de l'ordonnance n° 2006-673 du 8 juin 2006, portant refonte du Code de l'organisation judiciaire et modifiant le Code de commerce, le Code rural et le Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9328HIC), l'article L. 721-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L7626HNR) dispose que "sous réserve des compétences des juridictions disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles l'une des parties est une société constituée conformément à la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990, relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou règlementaire".


(1) Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 3 (N° Lexbase : L6343AGZ).
(2) CEDH, 21 mars 2002, Req. 31611/96 (N° Lexbase : A1016GNX).
(3) Décret du 27 novembre 1991, art. 111 (N° Lexbase : L8168AID), Ader et Damien, Règles de la profession d'avocat, Dalloz 2013.2014, n° 13.141.
(4) Les chiffres-clés de la profession d'avocat, in JCP éd. G., 2015, p. 704.
(5) Le Guide, Lamy 2014, n°s 839 et suivants.
(6) Julie Klein, Le point de départ de la prescription, Economica 2013, n° 321 s..
(7) Cass. civ. 1, 9 juillet 2009, n° 09-16.917 (N° Lexbase : A7401EIX).
(8) Cass. civ.1, 27 juin 2006, n° 04-12.912 (N° Lexbase : A0951DQB), Bull. civ I, n° 325.
(9) J. Ghestin, G. Loiseau, Y. M. Serrinet, Traité de droit civil, la formation du contrat, tome II, LGDJ 2013, n° 2522.
(10) V. Lasserre-Kiesow, commentaire de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, RDC, 2008, 1449.
(11) Loi du 31 janvier 1990, article 1er.

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